Le démantèlement de la nation (chronique 1)

Pourquoi l’indépendance ?

Pour exister, une nation a besoin de se concevoir comme une réalité à la fois historique et promise à un avenir. Une nation, c’est une population qui partage une mémoire commune et la volonté de construire l’avenir ensemble. Pour qu’elle soit viable à long terme, il lui faut :

  • pouvoir affirmer clairement sa distinction par rapport aux nations environnantes et voir sa légitimité de le faire reconnue. C’est une des conditions incontournables pour que les immigrants désirent partager sa culture et que leurs descendants s’y assimilent. Sinon, particulièrement dans le cadre canadien, on aboutit à un communautarisme absolument délétère ;
  • disposer d’outils collectifs de cohésion et de développement, au premier rang desquels se trouve un État souverain, surtout dans le contexte de la mondialisation galopante, dont les instances régulatrices ont tendance à favoriser la centralisation des États fédéraux ;
  • pouvoir se soustraire sur son territoire et dans ses institutions à la vision concurrente et dominante de ceux qui ont intérêt à sa disparition.

Oui, une nation a besoin d’un État, d’un État qui travaille pour elle et non contre elle s’entend. Aujourd’hui plus que jamais. Or, sur tous les plans, la nation québécoise est attaquée de partout.

Pour l’instant, ma contribution sera de mettre tout simplement le fait en évidence, au jour le jour. J’ai pensé dresser chaque mois une chronique. Celle du démantèlement de notre nation. Celle des attaques : 1) contre l’État québécois, 2) contre nos outils collectifs de développement, 3) contre notre manière de faire société et 4) contre ce qui est institutionnalisé du fait français et de la distinction constitutionnellement reconnue du Québec. M’en tenir aux faits bruts, les mettre en évidence. Pour que ce qui est en cours finisse par apparaître à tous dans sa lumière la plus crue. En espérant que la mobilisation s’ensuivra.

Pour cette fois, afin de roder mon affaire, je me limiterai aux jours qui se sont écoulés entre l’élection du 7 avril et la présentation du conseil des ministres du gouvernement du Parti libéral, le 23 avril.

Affaiblir la capacité de l’État québécois de structurer la société et la nation

L’action d’Ottawa

La politique fédérale de l’itinérance. Juste avant les élections, la ministre Véronique Hivon a déposé une nouvelle politique de lutte contre l’itinérance qui a su rallier l’unanimité dans le milieu. Cette politique, si elle avait été adoptée, aurait engagé les gouvernements à venir. Entre autres, y était inscrit le droit au logement. Le seul intervenant, parmi ceux rencontrés par la presse, qui n’était pas d’accord avec cette politique est un professeur de droit de l’Université McGill, Eric Latimer, fervent adepte du programme fédéral « Chez soi », dans lequel les personnes sans-abri sont logés dans des logements privés (Le Devoir, 18 février). Or, ce programme a été jugé mal adapté aux jeunes sans-abri (Le Devoir, 22 avril). Encore un cas de concurrence fédérale dans un champ de compétence provincial, ce qui nuit à la cohérence de la politique que Québec était en train de mettre sur pied. À voir ce qu’il en adviendra sous le gouvernement Couillard.

La commission canadienne des valeurs mobilières. Le nouveau ministre fédéral des finances, Joe Olliver, fait une priorité de ce projet, qui était le grand cheval de bataille du ministre Jim Flaherty. La Cour suprême a bien dit qu’il s’agit d’une compétence provinciale exclusive, mais elle a quand même donné son aval à Ottawa pour qu’il crée un organisme s’occupant de la même chose, à savoir la supervision des marchés financiers. Le milieu des affaires du Québec sait bien que ce qui est entre autres en jeu ici, c’est toute l’expertise montréalaise en réglementation des valeurs mobilières (Le Devoir, 24 avril). Voilà un bel exemple où les instances internationales, notamment le FMI, sont assez tentées de pousser à la centralisation les États fédéraux (Le Devoir, 4 février 2014).

Par le gouvernement provincial (tel qu’annoncé dans les engagements électoraux du Parti libéral)

La relance, financée par la dette, des dépenses en infrastructures de 9,5 à 11 milliards de dollars par an (ce qui signifie que le service de la dette représentera une part accrue des dépenses de l’État), la diminution promise des impôts et l’atteinte de l’équilibre budgétaire en 2015-2016 impliquent non seulement l’augmentation des taxes et des tarifs, mais surtout des coupes drastiques dans les organes de l’État québécois et dans les services qu’il offre. Et en effet, les engagements libéraux prévoient :

  • Le démantèlement du ministère de l’Éducation : réduire de 40% la taille de ce ministère, en abolissant notamment les directions régionales (Le Devoir, 10 avril)
  • La révision permanente des programmes gouvernementaux et l’imposition d’un « cran d’arrêt » aux dépenses publiques en coupant 1,3 milliard dans les deux prochaines années (Le Devoir, 9 avril).
  • Des coupes de 10% pour chaque établissement du réseau de la santé, ministère et organismes compris.

La stratégie maritime : c’est inviter carrément le gouvernement fédéral, de qui elle dépend en bonne partie, à s’immiscer encore davantage dans le territoire et l’économie du Québec. Si le passé est garant de l’avenir, la participation fédérale se fait à ses propres conditions, qui ne sont pas toujours cohérentes avec le développement du territoire tel que le Québec en a besoin.

Apartheid planifié de Montréal : Le nouveau ministre responsable de Montréal, Robert Poëti a été chargé par le premier ministre Couillard d’accéder aux exigences du maire Coderre, qui veut un statut spécial pour Montréal. Le maire veut que la métropole ait des pouvoirs semblables à ceux accordés à Toronto pour le développement économique, le rapport avec les immigrants et l’itinérance : tous des domaines dans lesquels le fédéral ne cesse de mettre ou de tenter de mettre les pieds (Le Devoir, 8 avril, Radio-Canada, 23 avril). Un statut spécial donnerait « des sources de financement nouvelles » pour la métropole : il faut y entendre une plus grande facilité pour le fédéral d’y financer des projets directement et avec grande visibilité, sans être obligé de passer par Québec. Rappelons que selon la constitution canadienne, les municipalités sont des créatures du gouvernement provincial.

Par les groupes de pression privés au Québec, ou les administrations publiques hors Québec

Le Parti libéral cède aux pressions des médecins spécialistes : il y aura création de 50 supercliniques privées au Québec. La privatisation croissante de la santé contribue à amincir le rôle de l’État en santé (qui continuera toutefois à payer au prix fort les actes médicaux de ces spécialistes). Selon la nouvelle présidente de la Fédération des médecins spécialistes, la docteure Diane Francoeur, « tout est à évaluer », et « il faudra aussi faire des choix parmi ce qui est actuellement couvert » (Le Devoir, 22 avril).

La justice de l’Ontario. Dans l’affaire Lev Tahor, une juge ontarienne a annulé l’ordonnance d’urgence décrétée au Québec. Son argument est tout juridique : a erré, dit-elle, le juge de la juridiction ontarienne inférieure ayant déterminé que l’ordonnance émise au Québec devait être appliquée en Ontario (Le Devoir, 15 avril). Il est vrai que la protection de la jeunesse est une compétence provinciale exclusive.

Or, ce refus net de collaboration interprovinciale ne restera pas sans conséquence, il n’est pas besoin d’être grand clerc pour le prévoir. Ce jugement va entraîner l’ingérence du fédéral sinon cette fois-ci, du moins à la prochaine affaire, où qu’elle survienne au Canada. En effet, il y a fort à parier qu’Ottawa voudra faire prévaloir le fait qu’il n’y a pas de frontière intérieure au pays afin d’éviter qu’à l’avenir tous les agresseurs d’enfants n’aient qu’à fuir dans une autre province pour se soustraire à l’action judiciaire.

Attaquer nos outils collectifs

Le chef de la Sûreté du Québec en sursis : c’est la première annonce faite par le premier ministre Couillard : cela sent la vengeance (Le Devoir, 8 avril)

Les nouvelles négociations effectuées dans le cadre du Partenariat transpacifique mettent le système de gestion de l’offre agricole québécois et canadien à rude épreuve (Le Devoir, 12-13 avril). On sait déjà que le fédéral a sacrifié le secteur du fromage fin québécois pour avantager celui du bœuf de l’Ouest dans le traité de libre-échange avec l’Europe. Cette fois, c’est tout le secteur laitier, particulièrement développé au Québec, qui est sur la touche.

Les fonds de travailleurs. La fin déjà annoncée du crédit d’impôt fédéral aux fonds des travailleurs, qui avaient beaucoup de succès au Québec, mais pas ailleurs, va inciter les fonds québécois à atténuer le risque au sein de leur portefeuille d’investissements stratégiques pour l’économie du Québec. Un levier de moins, ou en tout cas un levier moins fort pour notre développement économique (Le Devoir, 12-13 avril)

Les sièges sociaux. En avril, la mine Osisko a été achetée par Yamana Gold avec le soutien financier de la Caisse de dépôt, entre autres. Le siège social sera très probablement transféré à Toronto, Montréal gardera seulement un bureau régional (Le Devoir, 18 avril).

Délégitimer totalement la volonté du Québec de faire société différemment

Langue

Le milieu des affaires : Le contrat de vente de Bixi international à Bruno Rodi sera rédigé exclusivement en anglais (La Presse, 10 avril).

Les organes fédéraux : L’affichage public des marques de commerce en anglais seulement est autorisé par la Cour supérieure, qui dit que c’est au législateur d’intervenir s’il veut que cela cesse (Le Devoir, 11 avril).

Le gouvernement provincial libéral : Fin du moratoire sur l’enseignement intensif de l’anglais en 6e année ? (Le Devoir, 15 avril)

D’ailleurs, Hélène David a été nommée ministre responsable de la Protection et de la Promotion de la langue française (Le Devoir, 24 avril 2014). Il n’est plus question de la Charte de la langue française. Pendant la campagne électorale, madame David a défendu avec conviction la nécessité de l’apprentissage intensif de l’anglais en 6e année du primaire, et elle a proposé des échanges entre commissions scolaires francophones et anglophones, non pas pour que les petits anglophones puissent mieux apprendre le français, mais plutôt pour que les élèves des régions puissent mieux apprendre l’anglais ! (http://quebec.huffingtonpost.ca/helene-david/recentrer-pour-mieux-form_b_5001101.html)

Histoire et culture

Pendant la campagne, Philippe Couillard a annoncé que les investissements en culture dépendront des finances publiques (Le Devoir, 3 avril).

Épée de Damoclès sur le nouveau cours d’histoire nationale prévu au cégep et que l’ancien gouvernement voulait implanter dès l’automne 2014 (Le Devoir, 15 avril).

Laïcité

Les politiciens fédéraux veulent imposer l’idée que toute charte de la laïcité votée au Québec devra être validée par les tribunaux fédéraux. Tout le débat est désormais réduit à la possibilité d’encadrer seulement le visage découvert lors de la prestation de services publics. C’est le retour à l’ultralibéralisme qui rejette comme illégitime toute forme d’encadrement de certaines coutumes religieuses ou culturelles au détriment de l’établissement de normes collectives fondées sur la volonté clairement affirmée par les Québécois de langue française de neutralité religieuse de leur État (Le Devoir, 10 avril).

Le gouvernement fédéral autorise le port du kirpan dans toutes ses ambassades et missions à l’étranger (Le Devoir, 15 avril) : cette décision est délibérément opposée à celle prise par l’Assemblée nationale en 2011.

Du reste, des sikhs poursuivent l’Assemblée nationale où, par une motion unanime votée en 2011 sous Jean Charest et avec lui, il est actuellement interdit d’entrer avec un kirpan (Le Devoir, 16 avril).

Effacer ce qui reste de l’institutionnalisation du caractère distinct du Québec dans la constitution canadienne et les institutions fédérales

Compressions à Radio-Canada (particulièrement dans la section française à Toronto, selon Thomas Mulcair à Tout le monde en parle du 21 avril) et aussi utilisation des surplus générés par RC pour éponger le déficit de CBC, ce qui serait une première (Alain Saulnier, ancien directeur de l’information à RC dans Le Devoir du 14 avril). Les surplus engrangés par le secteur francophone, qui va bien, servent non pas au développement de celui-ci, mais à assurer la survie du secteur anglophone boudé par les Canadiens. Déjà, il n’y a pratiquement plus de service des sports en français et désormais ce sont le service de l’information et la production d’émissions dans les régions visées.

Tentatives systématiques de mettre fin à ce qui est institutionnalisé du caractère distinct du Québec dans la constitution canadienne : juge Nadon, réforme ou abolition du Sénat, limitation du nombre de postes obligatoirement bilingues dans la haute fonction publique fédérale, etc. Le gouvernement fédéral ne réussit pas dans toutes ses ambitions (la Cour suprême le remet à l’occasion à sa place, mais la tendance est là, et elle est là pour durer). La plus récente information sous ce rapport est que le prochain dirigeant de la Société des ponts Jacques-Cartier et Champlain ne sera pas obligatoirement bilingue (Le Devoir, 19-20 avril).

Ainsi va, en seulement quinze jours, le démantèlement de la nation et de sa manière plus égalitaire et inclusive de faire société.

La suite au prochain numéro. Et n’ayons pas de doute sur ce qui nous attend si nous continuons de nous laisser faire…

Il n’y a pas d’autre choix que nous mobiliser et de porter avec plus de fermeté que jamais, mais aussi avec joie, ce projet de faire du Québec un pays.

 

Pourquoi l’indépendance ?

Pour exister, une nation a besoin de se concevoir comme une réalité à la fois historique et promise à un avenir. Une nation, c’est une population qui partage une mémoire commune et la volonté de construire l’avenir ensemble. Pour qu’elle soit viable à long terme, il lui faut :

  • pouvoir affirmer clairement sa distinction par rapport aux nations environnantes et voir sa légitimité de le faire reconnue. C’est une des conditions incontournables pour que les immigrants désirent partager sa culture et que leurs descendants s’y assimilent. Sinon, particulièrement dans le cadre canadien, on aboutit à un communautarisme absolument délétère ;
  • disposer d’outils collectifs de cohésion et de développement, au premier rang desquels se trouve un État souverain, surtout dans le contexte de la mondialisation galopante, dont les instances régulatrices ont tendance à favoriser la centralisation des États fédéraux ;
  • pouvoir se soustraire sur son territoire et dans ses institutions à la vision concurrente et dominante de ceux qui ont intérêt à sa disparition.

Oui, une nation a besoin d’un État, d’un État qui travaille pour elle et non contre elle s’entend. Aujourd’hui plus que jamais. Or, sur tous les plans, la nation québécoise est attaquée de partout.

Récemment publié