La période couverte s’étend de l’assermentation du gouvernement libéral de Philippe Couillard le 23 avril 2014 jusqu’à l’ouverture des travaux parlementaires le 20 mai 2014.
L’objectif de cette série de chroniques, commencée le mois dernier, est de contribuer à nourrir l’argumentaire pour l’indépendance. Parfois nos concitoyens, et pas seulement les jeunes, nous demandent pourquoi l’indépendance est nécessaire. Elle l’est bien sûr parce que tout le processus politique en cours va dans le sens de l’érosion des outils dont le peuple québécois dispose encore pour rendre viable tout projet d’affirmation. Plus, ce processus menace même jusqu’à notre existence nationale. C’est pourquoi j’estime (ou du moins j’espère) que de mettre tout simplement les faits en évidence peut aider à voir et à faire voir ce qui est en train de se passer.
Il y a un État de trop au Québec. Nous pensons que c’est l’État fédéral. Mais il est clair que non seulement Ottawa, mais aussi le gouvernement de Philippe Couillard sont d’avis que c’est plutôt l’État québécois. Leurs attaques contre celui-ci sont et promettent d’être de plus en plus frontales. C’est toute la capacité de notre État de structurer le territoire, la société et la nation qui s’en trouve affaiblie.
De plus, en cette ère de néolibéralisme ainsi que de multiculturalisme « canadian » imposé, de puissants groupes privés réussissent, avec la complicité des gouvernements libéraux de Charest et désormais de Couillard, à amoindrir la capacité de notre État à assumer une de ses missions les plus fondamentales : celle d’assurer la cohésion sociale notamment par la redistribution de la richesse collective et par la promotion d’une culture publique commune. Tandis que les corporations de médecins spécialistes et d’ingénieurs ou les entrepreneurs en construction s’enrichissent à même les fonds publics, des groupes religieux intégristes annoncent qu’ils continueront à faire fi des exigences du ministère de l’Éducation (et sans doute impunément comme d’habitude).
Le caractère distinct du Québec bénéficie encore d’une certaine institutionnalisation dans la constitution canadienne et les institutions fédérales. Le gouvernement Harper et les dirigeants des organismes fédéraux ont bien l’air de vouloir en finir avec cela. Quant à la Cour suprême, si elle a défendu récemment le Sénat et le processus de nomination des juges en son sein, elle s’en prend en revanche régulièrement au Code civil. Le gouvernement Couillard, lui, n’a pas attendu longtemps pour attaquer les éléments les plus fondamentaux de la culture québécoise : sa langue et son histoire.
Bonne lecture. Et ne perdez pas votre joie pour autant ! Le projet d’indépendance a besoin de toutes nos énergies. Or, la joie est une excellente vitamine[1].
Premier grand thème : Les attaques contre notre État national et nos outils collectifs
1. Affaiblir la capacité de l’État québécois de structurer le territoire, la société et la nation1.1 L’action du gouvernement fédéral et des organismes fédéraux
Énergie. L’environnement est en principe une compétence partagée, rappelons-le. Or, dans le dossier de l’oléoduc devant déboucher à Cacouna, le gouvernement Couillard se montre étrangement silencieux. TransCanada refuse du reste de reconnaître que le Québec a un mot à dire dans l’affaire. Pour la pétrolière albertaine, seul Ottawa a le pouvoir d’autoriser ou non le projet. En ce moment, d’ailleurs, le gouvernement fédéral mène le bal. Pêches et Océans Canada a autorisé l’entreprise à forer en milieu marin dans le port sans évaluation environnementale des risques pour les bélugas, qui se trouvent tout près. Pour sa part, Transport Canada a reçu une lettre d’intention de l’entreprise indiquant son intérêt à acheter le port[2].
La gestion de l’offre agricole. Après des rumeurs contradictoires, il semble bien que rien ne soit réglé pour le secteur des fromages fins dans l’Accord de libre-échange Canada-Union européenne. Comme dit le nouveau ministre québécois de l’Agriculture, Pierre Paradis : « Au premier chef le bureau du premier ministre Stephen Harper est informé, ensuite le bureau de monsieur Ritz [ministre fédéral de l’Agriculture], et après, “cela descend chez nous, les victimes”[3] ».
Le déséquilibre fiscal. Ottawa nage dans les surplus (en coupant notamment dans les transferts en santé, mais sans pour autant accorder de points d’impôts aux provinces), le Québec croule sous les charges. Si le ministre québécois des Finances, Carlos Leitao, espérait la compassion du grand frère fédéral pour ses misères, il a dû déchanter : « Pour nous, il n’y en a pas, de déséquilibre fiscal. […] C’est au gouvernement du Québec à trouver les économies », a déclaré le ministre conservateur Denis Lebel[4].
Les transports. Dans ce dossier, on atteint des sommets. 1) Le pont Champlain qui enjambe la voie maritime est déclaré infrastructure locale par le gouvernement fédéral pour justifier ainsi un péage dont personne ne veut et qui va nuire massivement à l’économie de la métropole. 2) Après avoir construit il y a 40 ans une aérogare à Mirabel, alors même que plusieurs experts avaient averti qu’il s’agissait là du pire des dix endroits envisagés, après avoir consommé cette erreur qui a entrainé le déclin de Montréal comme plaque tournante du transport aérien international au Canada, le gouvernement fédéral s’apprête à le détruire sans même laisser le temps à la municipalité de peaufiner le projet de relance envisagé pour cette infrastructure. 3) Enfin, troisième dossier, ce sont trois employés de la MMA et non le gouvernement fédéral ou la compagnie ferroviaire qui sont accusés de négligence criminelle pour le déraillement survenu à Lac-Mégantic. Or, l’assouplissement des règles fédérales dans le secteur ferroviaire depuis quelques années est directement responsable de la tragédie[5].
Les politiques de main d’œuvre. Moratoire sur l’embauche de travailleurs étrangers temporaires dans le secteur de la restauration : Québec veut une dispense, la ministre Kathleen Weil se fait instantanément rabrouer[6]. Et c’est sans compter le programme d’assurance-emploi qui ne répond ni aux besoins des chômeurs ni à ceux des régions du Québec comme le disent tous les intervenants y compris le milieu patronal et comme l’a aussi montré le rapport Duceppe-Marsolais.
Se soustraire aux lois québécoises. Le Port de Québec, un organisme du gouvernement fédéral, récuse la juridiction du Québec dans l’affaire de la poussière rouge à Limoilou. Il s’agit d’une question civile qui, sur le territoire du Québec, est à traiter en vertu des dispositions du Code civil. Pour s’y soustraire, le Port de Québec avance qu’étant un « office fédéral », il n’est assujetti qu’à la Loi maritime du Canada[7]. C’est comme si un Québécois vivant en Ontario refusait d’y respecter les lois civiles sous prétexte qu’il est Québécois. Malheureusement, le gouvernement du Québec ne semble pas avoir répondu.
1.2 Les projets du gouvernement provincial
Les trois gros dossiers ce mois-ci sont d’une part, et même s’il est passé presque inaperçu, le premier à-plat-ventrisme du ministre Leitao dans le dossier de la Commission canadienne des valeurs mobilières ; d’autre part, « l’impasse budgétaire » pour parler dans les mots du gouvernement Couillard ; et enfin le statut spécial de Montréal.
La Commission canadienne des valeurs mobilières. Alors même que la Cour suprême a confirmé la juridiction exclusive des provinces sur les valeurs mobilières tout en indiquant à Ottawa comment procéder pour entrer dans ce champ, le ministre des Finances Carlos Leitao est déjà prêt à céder. Il veut aider le gouvernement fédéral à répondre aux exigences du monde financier mondialisé. C’est lui-même qui le dit et non pas moi, lisez l’article de La Presse pour vous en convaincre. Ottawa avertit que le siège social de la nouvelle commission canadienne sera évidemment à Toronto, mais que ses dirigeants viendront de tout le pays. Le Québec y sera donc minoritaire dans un domaine dont il a la juridiction exclusive. Et cela alors que le milieu financier québécois tient à garder un système reconnu à l’échelle mondiale pour être très performant[8].
Pour contrer l’« impasse budgétaire » de 3,7 milliards de dollars, voici comment compte s’y prendre le gouvernement du Québec maintenant qu’il a su assez vite qu’il ne pourrait compter ni sur des transferts fédéraux ni sur des points d’impôts.
« Nous n’avons pas l’intention d’augmenter les taxes, les impôts ou les tarifs », a affirmé le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux. De son côté, le ministre délégué aux Mines, Luc Blanchette, a laissé entendre que le gouvernement pourrait assouplir le régime de redevances minières, sans compter que le Parti libéral a promis durant la campagne électorale d’en laisser une partie aux MRC et aux municipalités[9]. Le gouvernement ne semble pas vouloir augmenter le fardeau fiscal du secteur manufacturier ni du secteur financier, car on n’a rien entendu de ce côté. Bref, la solution ne se trouvera pas du côté des revenus.
Les compressions dans l’appareil public, soit disant sans toucher aux services : gel des embauches dans la fonction publique et non remplacement des départs à la retraite (ce qui entraînera une perte d’expertise dans le secteur public), élimination des directions régionales du ministère de l’Éducation[10].
Révision permanente des programmes et vente d’actifs. C’était dans la plateforme électorale du Parti libéral. Cela a déjà commencé (voir la section 2 de cet article).
Un statut particulier pour Montréal (en attendant pour les autres villes). Les villes sont à la recherche de nouvelles sources de revenus. Elles lorgnent au premier chef les sommes réservées par le gouvernement fédéral pour les infrastructures. Celui-ci préfère de beaucoup distribuer directement l’argent que de le faire transiter par le gouvernement provincial, dont les administrations municipales sont des créatures. Mais, comme le dit Bernard Descôteaux : « Permettre à Montréal de traiter directement avec Ottawa, comme Toronto peut le faire pour les programmes d’infrastructures, serait ouvrir la porte à l’intrusion d’Ottawa dans la gestion du territoire québécois. » C’est pourtant une option que ne ferme pas le gouvernement Couillard[11].
1.3 L’action des groupes de pression
Les groupes de pression eux-mêmes contribuent à démanteler l’État du Québec, ou du moins à compromettre l’acquittement de sa mission de cohésion sociale.
Les médecins spécialistes ont menacé d’aller jusque devant les tribunaux pour faire respecter l’entente signée avec le gouvernement Charest sur leurs hausses faramineuses de salaires. Même si tout le monde sait que cela rendra très difficile le maintien de plusieurs services publics de santé[12].
Et que dire des ingénieurs et des entrepreneurs en construction qui, selon le mot de Jean-Claude Leclerc, ont littéralement « vampirisé » l’État par corruption et collusion, que ce soit dans le scandale du CSUM ou celui des infrastructures routières[13] ?
Les hassidim préviennent le nouveau ministre de l’Éducation, Yves Bolduc, qu’ils ne laisseront pas fermer les écoles religieuses illégales ni se faire imposer le programme de formation ou le régime pédagogique de l’école québécoise dans les établissements légaux, y compris ceux qui sont subventionnés[14].
Même si, bien sûr, des États indépendants peuvent être la cible des groupes de pression, il est inévitable que dans le contexte canadien la perte de pouvoirs de l’État du Québec ne soit pas un gage d’économie pour la population québécoise, sans compter que la liberté d’action de groupes religieux bien déterminés a beaucoup moins de chances de pouvoir être limitée.
2. Affaiblir nos outils collectifs
Le gouvernement prépare les esprits à la privatisation partielle d’Hydro-Québec et de la SAQ (rapport Godbout-Montmarquette). Selon Gérard Bérubé : une telle vente d’actifs
[…] ne règlerait en rien la situation déficitaire du Québec, qui traduit un problème structurel et récurrent. Et qui s’inscrit dans un contexte de dépenses augmentant plus rapidement que les revenus, ce déséquilibre étant amplifié par l’absence d’inflation. D’un point de vue strictement comptable ou financier, la privatisation partielle d’Hydro-Québec et celle de la SAQ trouvent difficilement une justification[15].
Les CPE et garderies subventionnées. Le gouvernement a d’abord voulu geler entièrement les 28 000 nouvelles places annoncées par le précédent gouvernement. Devant le tollé immédiat (et la perspective que les parents électeurs s’en souviennent longtemps), il a dégelé seulement les 6300 places prévues pour l’année qui vient[16]. Voilà un exemple de la révision permanente des programmes du gouvernement Couillard : on préfère supprimer un programme que d’en indexer le coût. Cette position est parfaitement idéologique : le gouvernement libéral cherche à réduire la présence de l’État dans la société.
La Commission des relations du travail. Le ministre des Affaires municipales, Pierre Moreau, a déjà prévenu qu’il ne sera pas question que ce tribunal spécialisé tranche entre les municipalités et les syndicats dans le litige sur les régimes de retraite. Le tout sera plutôt remis entre les mains d’un arbitre[17]. Encore la délégitimation des organismes du gouvernement du Québec.
Second grand thème :
Les attaques contre notre existence nationale
3. Délégitimer totalement la volonté du peuple québécois de faire société différemment3.1 Langue
La Cour supérieure permet à huit grands détaillants de continuer à utiliser une marque de commerce exclusivement en anglais sur des enseignes de devanture de magasin tout comme dans l’affichage public et dans la publicité commerciale, et ce contrairement aux consignes de l’OQLF. Le gouvernement Couillard va cependant en appel[18].
Feu vert du ministre Yves Bolduc à l’enseignement intensif de l’anglais en 6e année[19]. Au détriment de quels autres apprentissages ? Peut-être au détriment d’un meilleur apprentissage de notre langue elle-même.
Alors que le français est la seule langue officielle du Québec, la ministre Kathleen Weil a prêté serment dans les deux langues[20].
3.2 Histoire et culture
Parcs Canada ne commémore pas l’existence du premier Parlement du Bas-Canada, en 1792, dans le parc Montmorency. Or, comme le fait remarquer l’historien Gaston Deschênes, c’est celui où ont siégé les Patriotes[21].
Abolition des chaires sur l’identité québécoise annoncées par le précédent gouvernement, annulation du cours d’histoire nationale au cégep, report de la réforme du cours d’histoire nationale au secondaire[22].
3.3 Laïcité
Un des premiers propos lancés par la ministre Christine St-Pierre après son assermentation a été de dire que son gouvernement tient à rassurer les immigrants sur la question de la laïcité[23].
Le gouvernement fédéral n’exigera pas finalement le vote à visage découvert[24].
4. Détruire ce qui reste de l’institutionnalisation du caractère distinct du Québec dans la constitution canadienne et les institutions fédérales
Le Code civil. Il est l’objet de plusieurs attaques devant les cours fédérales. Même si on peut penser que le ministère de la Justice du Québec devrait lancer le chantier de la modernisation du Code civil pour mieux tenir compte des profils variés des familles et des individus d’aujourd’hui (couples non mariés ; familles différentes ; changements de sexe ; etc.), les cours fédérales ne devraient pas invalider ses articles pour imposer en lieu et place l’application de lois fédérales. Ceci est tout à fait contraire à l’esprit de la Constitution canadienne.
Dans l’affaire Joël Legendre, la jeune femme qui porte ses enfants a pu obtenir de la RAMQ un remboursement de ses dépenses en vertu d’un jugement de la Cour suprême de 2010 qui a donné priorité à une loi fédérale sur le Code civil[25].
Les coupures à Radio-Canada. Les secteurs de l’information, des sports et de la culture sont les plus touchés[26]. Les régions du Québec et évidemment les minorités francophones hors Québec sont les premières à en faire les frais.
Pas de mission de la paix en Centrafrique. Le Canada ne tient pas à se définir comme un pays qui est aussi francophone. Le ministre des Affaires étrangères fédérales craint que la population canadienne trouve injustifiée une telle mission. Et il coupe les liens historiques qui ont pu exister entre le Québec et l’Afrique francophone. À travers ce refus de participer à une force de maintien de la paix, ce sont les liens Québec-Afrique francophone qu’on ne veut pas resserrer. Rien de tel pour le rapport Canada-Ukraine, comme le fait remarquer le Christian Rioux[27].
[1] Note méthodologique. Nous mettrons en ligne prochainement un fichier File Maker Pro renvoyant directement aux sources dépouillées pour cette chronique. Sauf mention contraire, il s’agit d’articles du journal Le Devoir.
[2]Le Devoir, 9 mai
[4]Le Devoir, 8 mai
[5]La Presse, 29 avril; Le Devoir, 15 mai
[6]Le Devoir, 13 mai
[8]La Presse, 20 mai
[9]Le Devoir, 8 mai
[10]Le Devoir, 25 avril ; Le Devoir, 14 mai
[12]Le Devoir, 22 mai
[13]Le Devoir, 12 mai
[14]Le Devoir, 1er mai
[15]Le Devoir, 1er mai
[17]Le Devoir, 8 mai
[18]Le Devoir, 9 mai
[19]Le Devoir, 26 avril
[20]Le Devoir, 29 avril
[21]Le Devoir, 17 mai
[24]Le Devoir, 30 avril
[25]Le Devoir, 25 avril
[26]Le Devoir, 29 avril
[27]Le Devoir, 3 mai