À Jacques Parizeau
Avec gratitudeLa période couverte s’étend du 8 avril au 4 juin 2015 (environ deux mois).
À moins d’indication contraire, toutes les dates font référence à l’édition du jour du journal Le Devoir (format papier).
Comme l’écrit Josée Boileau en éditorial à propos de la CSDM, mais cela s’applique à tout l’appareil public : « Le fond de la question autour de l’avenir des commissions scolaires n’est-il pas ce dépouillement qui tue à petit feu tout ce qui au Québec s’appelle État ? » (30 mai)
D’ailleurs, le ministre Martin Coiteux jubile : 622 fonctionnaires ont définitivement perdu leur emploi entre janvier et mars 2015 (Journal de Montréal, 5 juin), non compensés par 136 nouveaux emplois dans les réseaux de la santé et de l’éducation. Le FMI n’arrête plus de lancer des mises en garde sur le lien entre politique d’austérité et récession, mais ce ministre n’en a cure (4 juin). On voit de mieux en mieux le seul vrai objectif de ce gouvernement : couper bras et jambes à l’État québécois.
1. Affaiblir la capacité de l’État québécois de structurer le territoire, la société et la nation
1.1 L’action du gouvernement du Québec du libéral Philippe Couillard
Gérer l’énergie de manière contraire à l’intérêt du Québec. – « Porte ouverte aux hydrocarbures » : le gouvernement libéral veut aller de l’avant, alors même qu’il est de mieux en mieux documenté que cette filière est risquée sur le plan environnemental et même financier (8 avril). – Construire une nouvelle ligne électrique, la ligne Chamouchouane-Bout-de-l’Île, malgré les conclusions du BAPE sur l’impact environnemental et social du projet, la résistance de la population et de nombreux élus de la région de Lanaudière, et le fait que les Québécois n’en ont peut-être pas besoin (26 et 27 avril) ; – Jusqu’à 6500 puits de pétrole pourraient être forés à Anticosti. Chaque puits coûte environ 10 millions de $, si bien que le gouvernement du Québec ne rentrerait jamais dans son argent, au grand jamais. Sans compter l’impact négatif sur les changements climatiques (21 mai). – Construire dans le seul parc marin du Québec, dans la région du Saguenay (celle du premier ministre) des infrastructures de liquéfaction, d’entreposage et de transbordement de gaz naturel provenant de l’Ouest canadien (9 mai). Trois à quatre bateaux par semaine feraient l’aller-retour dans le parc marin du Saguenay, une aire marine protégée mise en place pour protéger l’habitat du béluga du Saint-Laurent (26 mai). – D’ailleurs, une telle décision concernant le parc marin du Saguenay sème un doute sur une des annonces liées à la stratégie maritime : à quoi sert-il de protéger 10 % des eaux du Saint-Laurent d’ici 2020, si par ailleurs les pétroliers peuvent circuler dans ces zones (2 juin).
Inscrire le développement des ressources naturelles dans le cadre des priorités fédérales. Devant la grogne suscitée par la façon dont il conduit les projets d’exploitation des ressources naturelles, le gouvernement Couillard a mis sur pied un chantier sur l’acceptabilité sociale : il se déroule à huis clos (13 mai) ! Les milieux environnementalistes soupçonnent le gouvernement de ne même pas faire l’effort de jeter de la poudre aux yeux, alors qu’il aurait déjà décidé de laisser agir TransCanada, Mine Arnaud, Pétrolia et ce, que la population soit d’accord ou non (16 mai). C’est ce que soutient aussi Pierre-Paul Sénéchal dans un article de L’Action nationale, reproduit le 5 mai dans Le Devoir. La Caisse de dépôt et placement a elle-même investi beaucoup ces dernières années dans le charbon et dans les énergies fossiles, y compris dans les sables bitumineux de l’Alberta. Pourquoi ne pas investir plus massivement dans les énergies renouvelables, et contribuer à faire du Québec un État vert, ce qui correspondrait d’ailleurs à ses atouts ? (8 avril). Il semble de plus en plus que « les énergies fossiles soient devenues un facteur de décroissance dans les modèles économétriques, et des facteurs de risque dans les équations financières », selon le rapport de la Banque HSBC cité par Gérard Bérubé (23 avril).
Ne pas soutenir l’aménagement durable des forêts.Le Devoir confirme que le projet de stratégie d’aménagement des forêts déposé par le ministre Laurent Lessard recule sur les cibles de protection de l’environnement définies en 2010 (28 mai).
Ne pas soutenir suffisamment le secteur manufacturier. Le gouvernement Couillard refuse de faire pression sur le fédéral pour que la Davie obtienne sa part de contrats de construction navale (23 avril). Il reste aussi insensible pour l’instant aux pressions de l’industrie du raffinage, qui demande des mesures de soutien dans une éventuelle Politique de l’énergie (29 avril) ; « l’appartenance de plus en plus marquée des entreprises québécoises à des multinationales étrangères complique la tâche de plusieurs employeurs [qui doivent] travailler fort pour conserver au Québec leurs installations et leurs emplois », selon l’organisme Coeffiscience (30 mai). Au même moment, Québec ne peut rien faire pour empêcher la perte de 300 travailleurs très qualifiés à l’usine Bell Hélicoptère de Mirabel (29 avril). L’usine Vaudreuil de Rio Tinto Alcan, à Saguenay, pourrait fermer dans quelques années, jetant 1000 travailleurs à la rue (1er mai).
Ne pas soutenir suffisamment l’économie. Desjardins contredit le ministre Carlos Leitao : le taux de croissance annoncé de 2 % pour 2015 ne devrait pas être atteint. Au plus Desjardins prévoit une croissance de 1,5 % (14 avril). D’ailleurs, les exportations et le PIB du Québec ont reculé en février (23 avril et 23 mai). Certes, le Québec a gagné des emplois en avril (9 mai) ; mais selon Gérard Filion, journaliste économique à Radio-Canada, ce pourrait être parce de nombreux travailleurs partis à la retraite ont laissé une place à prendre, et non parce que le nombre net d’emplois augmente au Québec (blogue du 8 mai). D’ailleurs, le taux de chômage a regrimpé à 7,6 % en mai, contre 7,4 % en avril, selon Statistique Canada (5 juin) : au total, il y avait 9300 chômeurs de plus au Québec en mai qu’en avril (Journal de Montréal, 5 juin).
Ne pas soutenir suffisamment la rétention de sièges sociaux au Québec. Dans la vente du Cirque du Soleil à deux fonds d’investissements étrangers (la Caisse de dépôt et placement sera actionnaire pour 10 %), Guy Laliberté reconnaît qu’aucune disposition écrite n’existe pour garantir le maintien du siège social au Québec. Le gouvernement du Québec n’a pas semblé s’en préoccuper beaucoup (22 avril). – Des rumeurs de vente à des intérêts étrangers ont été lancées, vite démenties par SNC-Lavalin : mais comment s’assurer que si l’entreprise finit par être vendue, le siège social restera à Montréal ? (4 juin)
Trafiquer les institutions démocratiques. Le Parti libéral fait pression sur la Commission de la représentation électorale pour que des immigrants (c’est-à-dire des non citoyens) soient considérés d’ores et déjà comme des électeurs, tout cela pour éviter la perte d’une circonscription reconnue favorable aux libéraux dans la prochaine carte électorale (Ici Radio-Canada nouvelles. Site web. 25 mai).
Amoindrir la légitimité de la présence internationale de l’État québécois. En enchaînant sans examen l’approbation de sept traités de libre-échange, le gouvernement Couillard prouve qu’il n’accorde aucun poids à la doctrine Gérin-Lajoie, qui affirme que le Québec est souverain dans ses domaines de juridiction exclusive et qu’il doit donc se prononcer sur les traités internationaux lorsque ceux-ci concernent ces domaines (28 mai). Par ailleurs, l’ancien haut fonctionnaire Jacques Vallée estime qu’en se contentant d’une rencontre publique avec le pape François, le premier ministre aurait de nouveau manifesté qu’il tient peu à la reconnaissance internationale du Québec comme État (1er juin).
Laisser tomber la loi 101. Cela fait plusieurs années que les employés du chantier du CHUM se plaignent de devoir travailler en anglais. L’Office de la langue française semble ne pas avoir les moyens d’intervenir, et le gouvernement Couillard ne fait rien. Il ne fait rien non plus pour qu’on travaille en français à la Davie ni sur le chantier de l’échangeur Turcot (29 avril). Ni pour que les entreprises sous juridiction fédérale soient assujetties aux dispositions de la loi 101 (5 et 6 mai).
Favoriser l’emprise du fédéral sur les affaires urbaines, au mépris des dispositions de la constitution. Le gouvernement libéral promet aux municipalités davantage d’autonomie. Ce pourrait être acceptable si, par ailleurs, Québec remettait en même temps aux villes les moyens financiers de cette autonomie. Or, le ministre Pierre Moreau refuse de céder à la demande des villes de leur céder un point de TVQ. Il préfère bonifier, de manière tout à fait discrétionnaire et ponctuelle, son aide à la réalisation des projets d’infrastructure des petites municipalités (21 mai). Le pacte fiscal promis risque d’être un miroir aux alouettes en contexte d’austérité libérale (16 mai, cahier spécial Municipalités). Le ministre Moreau promet de partager les redevances tirées de l’exploitation des ressources minières du Plan Nord. Or, on sait bien que l’activité minière ne contribue pour ainsi dire pas au trésor québécois… Ainsi, les villes souhaitent se tourner encore davantage vers le gouvernement fédéral pour des investissements conséquents dans les infrastructures (« Les municipalités souhaitent un plus grand effort du fédéral », 16 mai). Évidemment, elles devront alors se plier aux conditions imposées par Ottawa (voir ci-après pour le transport en commun).
Favoriser l’emprise du fédéral sur les affaires urbaines, au mépris des dispositions de la constitution. Le gouvernement du Québec lui-même devra se plier aux conditions du fédéral pour que ses municipalités puissent éventuellement obtenir des fonds au titre de la rénovation des infrastructures. Le ministre provincial Jean-Marc Fournier veut une entente : celle-ci se fera aux conditions d’Ottawa rappelle le ministre fédéral Denis Lebel (22 mai). Voir aussi ci-après.
Accroître l’emprise du fédéral sur le système de santé, au mépris des dispositions de la constitution. Les Libéraux ouvrent tout grand la porte au fédéral à ce qui reste et restera de notre système public de santé et de services sociaux. On en a un nouvel exemple dans la signature récente d’une entente Canada-Québec pour la création d’une unité de recherche destinée officiellement à améliorer la façon dont les soins sont dispensés aux patients québécois (25 mai). Rappelons que la santé est une compétence provinciale exclusive. En échange d’environ 16 millions sur 5 ans, Ottawa aura accès aux données concernant les patients et la recherche. Un des objectifs annoncés par Ottawa est d’obliger les échanges de données entre les provinces, ce qui est la meilleure manière ensuite pour le fédéral de prétendre à un rôle naturel de coordination.
Favoriser l’emprise du fédéral dans le secteur du tourisme, une autre compétence provinciale exclusive. Pendant que le gouvernement du Québec se traîne les pieds en matière de gouvernance en matière touristique, au grand dam du Regroupement des événements majeurs internationaux, le RÉMI, et que l’aide au financement aux divers festivals stagne (26 mai), le gouvernement fédéral annonce en grande pompe à Grosse-Ile qu’il entend soutenir les secteurs canadiens de la culture et du tourisme par le nouveau programme Accueillir l’Amérique (22 mai). Rappelons qu’il s’agit là de deux compétences exclusives du Québec ; le gouvernement québécois devrait exiger que le fédéral le laisse exercer ses compétences et en se retirant de ce programme au Québec tout en accordant pleine compensation financière.
Laisser tomber complètement les revendications traditionnelles du Québec. Philippe Couillard a demandé seulement la hausse des transferts en santé, la péréquation, l’ouverture aux travailleurs étrangers temporaires et un plan concerté sur les changements climatiques (8 mai). Le professeur Patrick Taillon l’écrit en toutes lettres : « [c]es revendications [sic] résonnent comme une invitation faite aux autorités fédérales à investir davantage dans les compétences du Québec afin de soulager nos finances publiques ! » (17 mai). Il faut revenir à la revendication traditionnelle d’obtenir des points d’impôts et le retrait d’Ottawa des secteurs de compétence provinciale.
Laisser tomber complètement les revendications traditionnelles du Québec. Dans son discours devant l’Assemblée législative de l’Ontario, le premier ministre Couillard a parlé de reconnaissance « formelle » plutôt que « constitutionnelle » du Québec. L’ancien ministre Benoît Pelletier, dont on ne peut certainement pas douter qu’il est un fédéraliste convaincu, est tout perplexe devant cette nouvelle formulation et se demande bien ce que cela veut dire (17 mai).
1.2 L’action du gouvernement fédéral et des organismes fédéraux
Ne pas reconnaître au Québec la juridiction sur les eaux nordiques riveraines. L’avocat Mathieu Jacques (29 avril) fait remarquer que, par la loi de 1912, les eaux nordiques riveraines du territoire du Québec n’appartiennent pas à notre État : les frontières du Québec s’arrêtent au rivage. Si le Québec construit des ports dans le Nord, ceux-ci seront hors de son territoire. Au contraire, Terre-Neuve-et-Labrador et la Colombie-Britannique ont juridiction sur leurs eaux nordiques. Il invite à remédier à une telle iniquité (qui touche aussi l’Ontario et le Manitoba) tout en respectant les droits des peuples autochtones. Mais le premier ministre Couillard ne bouge pas, pas plus d’ailleurs que son prédécesseur libéral Jean Charest. Il se contente de présenter son Plan Nord une autre fois, en comptant encore sur des investissements publics de 22 milliards, dont plusieurs fournis par Hydro-Québec pour attirer les entreprises étrangères alors qu’on nage déjà dans les surplus d’électricité (9 et 12 avril). Un mirage, ce Plan Nord ? C’est du moins ce que prétend Josée Boileau (9 avril).
Faire traîner les négociations sur les aires marines protégées. Cela fait des années qu’Ottawa et Québec ne réussissent pas à s’entendre pour protéger les eaux entourant les îles de la Madeleine, la section du Saint-Laurent comprise entre l’Isle-aux-Coudres et Métis-sur-Mer, et les eaux du Banc des Américains à la pointe est de la Gaspésie (2 juin).
Limiter le rayonnement du Québec à l’étranger. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les ministres Christine Saint-Pierre et Kathleen Weil : elles déplorent que des centaines de stagiaires français aient annulé leur séjour prévu ce printemps au Québec à cause de la décision du gouvernement fédéral de modifier les règles d’attribution des visas des permis de travail. En réalité, ces stagiaires sont des étudiants et non des travailleurs, mais pour Ottawa, cela ne change rien. Les conséquences sont importantes pour les échanges entre la France et le Québec (2 juin).
Prendre prétexte de la constitution pour ne pas donner au Québec ce qui lui revient. Pour respecter la constitution canadienne, les villes québécoises ne seront pas autorisées à déposer des projets au nouveau fonds d’infrastructures mis sur pied par le gouvernement fédéral. En effet, les villes sont une compétence provinciale. Seuls les organismes communautaires québécois pourront soumettre des demandes. Mais outre que les organismes communautaires relèvent eux aussi de la juridiction provinciale exclusive en principe (en tout cas tous ceux qui donnent des services à la personne : santé, services sociaux, loisirs, aide à l’emploi, etc.), le gouvernement fédéral se montre véritablement odieux envers le Québec. Pour être équitable, il devrait en effet réserver une part du fonds, au prorata de la population, et le remettre directement au gouvernement du Québec pour les projets des municipalités (21 mai). En fait, le fédéral attend que les municipalités québécoises et le gouvernement du Québec le supplient d’intervenir, ce qui a d’ailleurs commencé (voir ci-haut).
Ne pas respecter la constitution de 1982. C’est du moins ce que tenteront de faire valoir en Cour supérieure deux constitutionnalistes québécois, Geneviève Motard et Patrick Taillon. Selon eux, la constitution obligerait le gouvernement fédéral à obtenir l’accord des provinces pour modifier la loi de succession au trône, ce qui n’aurait pas été fait en 2013 (1er juin). Ces deux juristes veulent obliger Ottawa à rouvrir la constitution. – Il faudra d’ailleurs peut-être le faire aussi pour rendre justice aux Autochtones, qui viennent, avec le rapport de la Commission Vérité et Réconciliation, d’obtenir reconnaissance qu’ils ont subi un génocide culturel (5 juin).
Imposer les conditions et la volonté du fédéral dans des champs de compétence provinciale. Ottawa se montre prêt à investir dans le transport en commun dans les villes (train, métro, autobus), mais à condition que les projets se fassent en partenariat public-privé et que ce soit lui qui choisisse lui-même ceux qu’il voudra bien financer (22 et 23 avril). Ottawa promet que la nouvelle agence pancanadienne des valeurs mobilières « écoutera » les provinces (22 avril). C’est bien le moins après deux jugements de la Cour suprême établissant que les valeurs mobilières sont une compétence provinciale exclusive.
Affaiblir systématiquement et volontairement certains secteurs de l’économie québécoise. Par exemple, la construction navale. Rien n’explique que le gouvernement fédéral refuse de donner des contrats à la Davie, à Lévis. Et d’ailleurs le ministre Steven Blainey ne trouve lui-même aucune explication. Il dit simplement que « l’affaire est compliquée », mais il n’offre ni clarification ni surtout de solution (26 mai). En attendant, 205 travailleurs ont été mis à pied (23 mai). Le premier ministre Philippe Couillard et le ministre Jacques Daoust n’ont qu’à s’en retourner la queue entre les jambes (excusez-la).
Affaiblir systématiquement et volontairement certains secteurs de l’économie québécoise. Cette fois, c’est la ministre Kathleen Weil qui n’en peut plus. Elle a même osé murmurer qu’Ottawa est « intransigeant » (21 avril) : c’est que le fédéral refuse bel et bien d’assouplir sa réforme qui rend très difficile l’embauche de travailleurs étrangers temporaires. Et tant pis pour les spécificités du marché québécois du travail (1er mai).
Affaiblir systématiquement et volontairement certains secteurs de l’économie québécoise. Il est certain que les sanctions canadiennes contre la Russie à cause du soutien fédéral à l’Ukraine nuisent à Bombardier (La Presse, 9 avril)
Tenter constamment (et réussir souvent) à se soustraire aux lois du Québec. Encore une fois, il faut parler de l’organisme fédéral Port de Québec. Depuis près de 35 ans, le gouvernement fédéral a laissé se détériorer les installations du port (Jean Lacoursière, 20 mai). Pour avoir les moyens de le réparer, l’actuelle direction veut ni plus ni moins remblayer 600 mètres, défigurer la baie de Beauport, et construire deux quais pour augmenter ses revenus. Et tout cela, sans accepter un BAPE ! (15 et 17 mai) L’administration portuaire fait valoir, non sans arrogance, qu’elle n’est pas assujettie à la législation provinciale ; d’ailleurs, au départ, elle n’avait même pas cru bon de présenter au gouvernement du Québec son projet de port pétrolier (22 avril). Par contre, elle est bien prête à accepter 35 millions de la part du gouvernement Couillard pour un quai de croisière. Pourquoi Québec donnerait-il des millions à une entreprise qui prétend pouvoir éviter tout contrôle provincial ? (Pierre-Paul Sénéchal, 30 avril). Il a fallu la rebuffade essuyée par le ministre Heurtel, que les autorités du port ont envoyé paître publiquement, pour que le premier ministre Couillard annonce qu’il y aura quand même un BAPE. Mais quelle sorte de BAPE ? L’inquiétude reste de mise. D’autant que le Port de Québec a même caressé l’idée d’être ce fameux port de transbordement du pétrole issu des sables bitumineux ; il a fallu la résistance de la population pour que le projet soit abandonné (Léo-Paul Desaulniers, 2 mai). Dans toute cette affaire, on voit que le fédéral se comporte en occupant. Ce dossier est une autre illustration de la détermination des organismes fédéraux à se soustraire autant que possible aux lois du Québec (voir aussi Le Soleil, 14 mai).
Décider, de manière discrétionnaire, du niveau de protection consenti au territoire québécois. Or, une avocate de l’Office national de l’énergie a affirmé récemment devant la Cour fédérale que le projet Énergie Est de TransCanada était bon pour les Canadiens. Comment croire ensuite que l’organisme fédéral évalue ce projet en toute impartialité ? L’opposition officielle à l’Assemblée nationale en doute. Le gouvernement québécois, pendant ce temps, n’a pas encore dit oui à un BAPE pour évaluer le projet ni modifié la loi sur la qualité de l’environnement pour affirmer la primauté de la compétence du Québec en environnement (25 avril).
Décider, de manière discrétionnaire, du niveau de protection consenti au territoire québécois. Voilà que le gouvernement du Québec doit prier l’Office national de l’énergie de bien vouloir consentir à prendre en considération « certains éléments » avant d’autoriser l’inversion de l’oléoduc de la Ligne 9B. Cette inversion est dangereuse, mais le Québec n’a pas le pouvoir de l’interdire ni même d’obliger Enbridge à procéder à des essais hydrostatiques pour s’assurer que l’oléoduc n’est pas fissuré avant l’inversion. Il faut passer par Ottawa (17 mai). L’ONE ne s’est pas engagée à répondre aux demandes de l’État québécois.
Céder sur la gestion de l’offre de produits agricoles (lait, volaille et œufs). Même le ministre Pierre Paradis est inquiet. Après avoir sacrifié les fromagers et les producteurs de veau québécois dans la négociation du traité de libre-échange avec l’Union européenne, voilà qu’Ottawa donne des signes non équivoques de vouloir laisser tomber le système de gestion de l’offre dans les négociations du Partenariat transpacifique (26 mai).
Viser à terme à contrôler Desjardins sous prétexte de secourir ce géant coopératif québécois. La Banque du Canada voudrait s’arroger le droit d’aide d’urgence aux institutions financières de compétence provinciale, comme les caisses populaires (6 mai).
Placer le Québec dans des difficultés financières supplémentaires en ayant haussé le plafond des CELI sans avoir consulté les provinces. En effet, le tiers des pertes de revenus fiscaux est assumé par les provinces (Gérard Bérubé, 11 avril).
Justin Trudeau, critique le budget Oliver. Il faudrait plutôt, dit le chef du Parti libéral du Canada, miser sur « des investissements judicieux dans l’éducation, les infrastructures, les ressources naturelles et l’innovation » (20 avril). Au moins les trois premiers champs évoqués relèvent des compétences des provinces !
Le chef du NPD, Thomas Mulcair, promet la création d’un ministère des Affaires urbaines (9 mai), puis devant la fin de non-recevoir servie par l’Assemblée nationale, il se rétracte et prétend qu’il n’a jamais voulu créer un ministère, mais plutôt nommer un ministre (qui serait l’« interlocuteur désigné » du gouvernement fédéral pour les villes ! (La Voix de l’Est, 14 mai)
1.3 L’action des groupes de pression, des compagnies privées et des organismes internationaux
Aéroports de Montréal. Cet organisme fait pression sur Québec et sur la Caisse de dépôt pour obtenir un train léger sur rail. Ce que les citoyens de la Rive-Sud ne verront probablement pas sur le pont Champlain serait, selon Aéroports de Montréal, « le seul système de transport collectif apte à desservir à la fois l’aéroport et l’ouest de Montréal et qui sera encore pertinent dans 40 ou 50 ans » (21 mai). On sait que le gouvernement Couillard a promis au West Island un Train de l’ouest.
Promoteurs fonciers privés. Plusieurs promoteurs, dont Dimitri Soudas, ancien directeur des communications du premier ministre fédéral Stephen Harper, convoitent nos terres agricoles. Les libéraux semblent prêts à modifier la loi sur la protection du territoire agricole et à affaiblir la Commission de protection du territoire agricole pour les satisfaire (21 mai).
Banques. Après tout, elles relèvent du gouvernement fédéral, pourquoi ne bénéficieraient-elles pas de la même capacité que les organismes fédéraux de se soustraire aux lois du Québec ? C’est ce qu’ont souhaité la CIBC et sa filiale Placements CIBC. Il a fallu que la Chambre de la sécurité financière aille en Cour supérieure pour faire reconnaître que ses pouvoirs d’enquête et de surveillance s’étendent aussi à ces corporations privées que sont les banques à charte fédérale (26 mai).
EBay. L’entreprise de vente en ligne a embauché un lobbyiste pour convaincre Québec de ne pas taxer les ventes en ligne, ce qui reviendrait d’une part à pénaliser les commerçants québécois et d’autre part à priver notre État de revenus nécessaires. Mais il faut dire que le Québec n’étant pas souverain, il lui faudrait demander, selon la commission Godbout, à Ottawa « d’administrer pour le compte du Québec les inscriptions qui deviendraient obligatoires dans le régime de la TVQ » si la province décidait de percevoir la taxe sur les achats effectués hors de nos frontières (11 mai).
Les pétrolières. Dans le projet de l’oléoduc Énergie Est, TransCanada refuse de s’engager à respecter les conditions que pourrait éventuellement poser Québec. La pétrolière ne s’estime soumise qu’aux obligations fixées par l’Office national de l’énergie, un organisme fédéral (24 avril). Par ailleurs, Chaleur Terminals fera passer 220 wagons de pétrole brut par jour sur les rails vétustes du Canadian National sans même avoir jugé bon d’en informer le gouvernement du Québec (30 mai). Celui-ci n’existe tout simplement pas aux yeux des pétrolières : seul le fédéral compte puisque seul le fédéral a juridiction sur celles-ci et sur les chemins de fer. C’est déjà l’État unitaire.
Nos anglos. Des écoles anglophones sont prêtes à se passer de subvention pour outrepasser la loi 101 (1er mai). Mais depuis quand des catégories de citoyens peuvent-elles se prétendre au-dessus des lois ?
Nos Anglos. Par ailleurs, les porte-parole des anglophones du Québec se sont dits prêts à aller jusqu’à la Cour suprême pour pouvoir conserver leurs commissions scolaires et leur droit allégué à élire leurs commissaires scolaires. Le ministre François Blais n’a d’ailleurs pas écarté l’idée de deux modes de gestion scolaire : un pour les anglophones et l’autre pour les francophones (15 avril). C’est-y-pas l’apartheid, ça ?
Nos Anglos. Lise Payette faisait remarquer que nos Anglos sont déjà dans du flambant neuf au CUSM payé deux milliards, tandis que les Québécois francophones attendent encore aux urgences pendant des heures et des heures. Cherchez l’erreur !
L’Institut économique de Montréal. Un des économistes rattachés à ce think tank déplore que la privatisation de la santé ait encore si peu progressé depuis le jugement Chaoulli en 2015 et presse le gouvernement d’accélérer le pas. Il propose un système mixte, comme on en trouve dans certains pays européens (5 juin). À noter que dans plusieurs de ces pays, y compris la France, l’assurance maladie n’est pas universelle et ce sont surtout les citoyens les plus pauvres qui sont les moins bien couverts.
Ontario. Cette province, qui, comme le Québec, a sa propre classification des films, aimerait que celle-ci soit uniformisée au Canada. Pourquoi diantre vouloir des « normes nationales » ? Pourquoi vouloir ouvrir davantage la porte à ce que la classification canadienne, qui s’applique dans les huit autres provinces, s’applique aussi au Québec ? Il s’agit d’une compétence provinciale (14 mai).
2. Affaiblir nos outils collectifs
Démanteler le système de santé et de services sociaux en vue d’accroître l’acceptation sociale de sa privatisation partielle. On le sait de mieux en mieux, du reste, c’est pourquoi je n’insiste pas trop. Dans un article fort intéressant, Lucie Biron (23 mai) fait le résumé de ce qui est en cours : réformes de structures, concentration du pouvoir, augmentation prévisible des coûts, aucune considération pour les mesures qui pourraient réellement améliorer le système. On sait par ailleurs que la réforme des régimes de retraite est en train de causer le départ de milliers d’employés, notamment des infirmières (13 et 24 avril). On pourrait aligner les décisions ou les ballons d’essai du ministre Barrette au cours de la période couverte par cette chronique ; plusieurs touchent les aînés (25 mai) et d’autres populations vulnérables comme les porteurs du VIH et les toxicomanes, par exemple (8 avril et 1er mai). En matière de services sociaux, les prestataires de l’aide sociale propriétaires de maisons jugées trop luxueuses (valeur résiduelle, soit la différence entre l’estimation municipale et l’hypothèque restante, de 142 000 $ pour une personne apte à l’emploi et valeur totale de 203 000 $ pour une personne déclarée inapte) subiront une diminution ou une cessation de l’aide versée (La Presse, 5 juin).
Éducation et intégration des élèves issus de l’immigration. Dans le bras de fer qui l’oppose à Catherine Harel Bourdon, directrice de la CSDM, le gouvernement libéral est prêt à faire payer beaucoup aux élèves. Pour éviter la tutelle, dont le ministre Francois Blais la menace (30 avril), la CSDM devra supprimer une vingtaine de postes de direction d’écoles (13 mai), près de 170 postes de professionnels et d’employés de soutien (12 mai) ; elle envisage aussi de couper le transport scolaire pour les établissements à vocation particulière (22 mai). Cela s’ajouterait à toute une série de compressions dans d’autres services aux élèves. Le budget pour l’an prochain prévoit des coupes de 41 millions (27 mai). Le gouvernement libéral voudrait que l’école publique anglaise (beaucoup moins touchée par les coupes) devienne beaucoup plus attrayante que l’école publique française qu’il ne s’y prendrait pas autrement.
Éducation et égalité des chances. – Près d’une vingtaine de classes spécialisées pour des élèves à besoins particuliers seront abolies à la Commission scolaire de Laval en raison des compressions libérales (22 et 23 mai). 265 postes de professionnels seront abolis, essentiellement dans les commissions scolaires francophones partout au Québec ; ces professionnels offraient des services aux élèves ayant des besoins particuliers (20 mai). – Les services de garde scolaire seront coupés pour 220 000 élèves de 5 à 12 ans, ce qui affecte non seulement les jeunes (« Retour de la clé dans le cou ? », titre Le Devoir du 23 mai), mais aussi leurs éducatrices, dont plusieurs perdront leur emploi. – 800 écoles de village menacées, selon la Fédération des commissions scolaires (Journal de Montréal, 4 juin).
Éducation et égalité des chances. La Presse web (2 juin) révèle que dans la réforme de la taxation scolaire, jugée désuète par le ministre François Blais, il est désormais presque assuré qu’il y aura « maintien d’une taxe foncière ». Le gouvernement se chargera de déterminer le taux de la taxe. Ce sera un taux pour tout le Québec ou alors un taux par région. La décision n’est pas encore prise à ce sujet, a dit le ministre. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Puisque la péréquation scolaire n’existe plus, les municipalités les plus riches percevront davantage en taxe scolaire que les municipalités les plus pauvres. On voit donc immédiatement le déséquilibre entre le réseau public francophone et le réseau public anglophone.
Forums jeunesse régionaux. Ils sont abolis, évidemment. Or, comme le souligne Michel Venne, il s’agissait là d’écoles de citoyenneté et de formation à nos institutions démocratiques (27 mai). C’était aussi un lieu collectif, où les jeunes pouvaient prendre conscience d’eux-mêmes, de leurs intérêts comme groupe et de leurs projets pour notre société. Le soutien à la recherche individuelle d’emploi ne pourra pas remplacer la conscience collective que ces forums jeunesse permettaient de développer (13 avril).
Caisse de dépôt et placement. Par le projet de loi 38, le gouvernement du Québec voudrait permettre à la Caisse de dépôt et placement de prendre en charge des projets de transport collectif. Rien n’assure cependant que le conseil d’administration de la Caisse restera indépendant et pourra refuser des projets non rentables (22 mai).
Commission de l’équité salariale. Par le projet de loi 42, le gouvernement libéral veut abolir la Commission de l’équité salariale. C’est grâce au travail de cette commission que la rémunération de nombreuses travailleuses a pu être ajustée, tant dans les entreprises privées que dans le secteur public ou parapublic.
La recherche savante. Le gouvernement du Parti québécois a eu le temps de doter le Québec d’une Politique nationale de la recherche et de l’innovation. Le gouvernement libéral n’y donne pas suite. Des joyaux comme la biobanque Cartagene sont en péril faute d’un financement suffisant et surtout récurrent (4 mai). Les chercheurs de la santé publique se plaignent d’être censurés et muselés (4 mai). En outre, le gouvernement Couillard coupe les vivres aux organismes québécois de financement de la recherche (15 mai). Faudra-t-il là encore que les chercheurs n’aient plus à espérer que du côté fédéral ? Pour l’instant, Ottawa n’a pas augmenté significativement son soutien à la recherche et surtout il privilégie le partenariat avec le secteur privé au détriment de la recherche fondamentale ou sur des enjeux proprement québécois (23 mai, cahier spécial ACFAS). Mais dès que la conjoncture sera plus favorable, on peut s’attendre à un accroissement du financement par le fédéral, selon ses objectifs et ses conditions. C’est d’ailleurs Ottawa qui est en train d’assurer le financement de Cartagene…
L’édifice Saint-Sulpice. L’ancien siège de la Bibliothèque nationale, sur la rue Saint-Denis à Montréal, est-il vraiment sauvé ? Devant le tollé suscité par l’annonce de sa vente prochaine, la ministre de la Culture, Hélène David, a reculé : la vente est « suspendue » (25 mai). Jusques à quand ? À surveiller de près.
Société des alcools et Hydro-Québec. Toujours ces menaces planantes de privatisation partielle, malgré les nombreuses études qui montrent à quel point ces ventes ne seraient pas rentables. Le premier ministre laisse dire, puis il jure que non, cela n’arrivera pas. (9 avril). Hydro-Québec a longtemps fait notre fierté collective : le désamour des citoyens québécois devant les hausses de tarifs répétées et les erreurs de gestion tout aussi répétées (éoliens, achats au privé en période de surplus, vente de feu d’équipements nucléaires, primes scandaleuses, etc.) sont probablement un préalable à ce que les Québécois s’opposent moins à sa privatisation partielle (bonne analyse par Gérard Bérubé des défis qui attendent Éric Martel, 4 juin).
3. Délégitimer totalement la volonté du peuple québécois de faire société différemment
3.1 Par Ottawa
Loi 101. La Cour d’appel a décidé que les commerçants peuvent continuer à afficher en anglais seulement. Les Best-Buy, Old Navy, Toys « R » Us et autres multinationales représentées par le Conseil canadien de ce monde pourront continuer à agir ici comme aux États-Unis (29 avril et 6 mai).
C-51. La loi a été adoptée le 6 mai, pendant une partie des éliminatoires opposant les Canadiens au Lightning de Tampa Bay (7 mai). Cette loi pour contrer le terrorisme est si large que tous les indépendantistes du Québec risquent de constater un jour qu’elle pourrait s’appliquer contre eux.
C-51. Là où Ottawa privilégie C-51, la surveillance et la répression, le Québec pourrait miser sur des outils qui sont entièrement de juridiction provinciale avec plus de succès. Il semble que les centres jeunesse, les centres communautaires, les écoles secondaires, et la police seraient mieux en mesure de contrer l’émergence de l’extrémisme islamiste à cause de leur orientation vers le soutien psychologique et social ainsi que l’accompagnement (30 mai). Comme dans beaucoup d’autres situations, par exemple la délinquance juvénile, criminaliser est une manière pour Ottawa de s’approprier la gestion d’un problème qu’un traitement plus social (de compétence provinciale) pourrait peut-être mieux résoudre.
Toxicomanie. Une manière efficace de protéger quelque peu la santé des toxicomanes est d’ouvrir des sites d’injection supervisée. Proposée depuis des années par des groupes communautaires de Montréal, soutenue par les autorités municipales depuis longtemps, l’idée a finalement obtenu l’aval du gouvernement du Québec. Mais le gouvernement Harper, évidemment, est contre. Le processus pour obtenir son consentement s’annonce pénible. Et les organismes concernés doutent de la volonté du gouvernement Couillard de faire pression sur le fédéral (1er mai). D’ailleurs, le maire Coderre a décidé que, puisqu’il avait l’aval de la Cour suprême, il se passera du bon vouloir du gouvernement conservateur (5 juin). C’est une voie à suivre : agissons toujours dans le domaine de nos compétences et mettons le fédéral devant le fait accompli. Rappelons que les politiques sociales sont une compétence exclusive du Québec, et qu’il est trop facile d’invoquer les aspects qui touchent le droit criminel de ce projet pour qu’Ottawa se sente justifié de s’imposer.
Système pénal. Contre la voie des soins souhaitée quasi unanimement par les intervenants et les experts québécois, le gouvernement fédéral privilégie le « trou », c’est-à-dire la punition pour contrôler les détenus atteints de troubles mentaux (29 mai).
3.2. Par Québec
Association Québec-France. Faute de financement par les gouvernements, cette association (dont le pendant en France est l’Association France-Québec) disparaît après avoir encouragé pendant 44 ans les relations culturelles entre les deux États, relations relayées par des échanges touchant toutes les régions du Québec (29 avril). Restons donc dans nos petites frontières provinciales, cessons donc tout rayonnement de notre État à l’international, comme le déplore René Cloutier (1er mai). Christian Rioux fait d’ailleurs entendre le silence assourdissant de la France devant le décès de Jacques Parizeau, qui avait été reçu comme un chef d’État en 1995 et n’est plus désormais aux yeux de l’Hexagone qu’un ancien premier ministre provincial (5 juin).
4. Détruire ce qui reste de l’institutionnalisation du caractère distinct du Québec dans la constitution canadienne et les institutions fédérales
Nominations des juges. Dans le litige qui opposait Québec à Ottawa sur la nomination des juges, celle-ci donne raison à Ottawa. Ainsi, un juge de la Cour fédérale pourra être nommé à une cour du Québec. Certains juristes voient là une possibilité pour qu’éventuellement, un juge de la Cour fédérale ayant fait un petit séjour par la Cour d’appel du Québec puisse ensuite être nommé à la Cour suprême à un des postes réservés au Québec. Cela ne s’est pas produit pour le juge Nadon, mais rien n’empêche désormais que cela arrive à l’avenir (25 avril).
Loi sur les langues officielles. Un fonctionnaire fédéral poursuit le commissaire Graham Fraser qui n’a jamais fait respecter son droit de travailler en français au Bureau du surintendant des institutions financières, une institution fédérale (19 mai).
Loi sur les langues officielles. L’Office national de l’énergie n’a pas respecté la loi sur les langues officielles dans l’affaire de l’oléoduc Énergie Est. Même le commissaire Graham Fraser est obligé de le reconnaître, du bout des lèvres cependant (21 mai).
Éducation en français dans les provinces et les territoires anglophones. On sait que le gouvernement Harper a mis fin au programme de contestation judiciaire destiné aux minorités de langues officielles. Aussi, comment interpréter la décision de la Cour suprême d’obliger les francophones du Yukon à retourner devant le tribunal de première instance pour faire valoir leur droit à l’éducation en français même s’ils ne sont pas nés au Canada ? Comment ne pas voir qu’une telle décision risque d’épuiser les ressources financières et l’énergie des Francophones du Yukon ? Que le gouvernement du territoire ait décidé, de manière tout à fait discrétionnaire, d’accepter de construire une nouvelle école française ne clarifie pas la question de qui y a droit à l’éducation en français (27 avril et 15 mai). Par ailleurs, il a fallu 33 ans et une autre décision de la Cour suprême pour que la Colombie britannique soit désormais obligée de loger les élèves francophones ailleurs que dans un trou à rats (27 avril). Et pendant ce temps-là, le commissaire Graham Fraser voudrait nous faire pleurer sur le sort des anglophones du Québec (8 mai et récidive 14 mai) !
Radio-Canada. Les coupes du gouvernement fédéral ont affecté plus gravement les services français. C’est ce que dénoncent les gouvernements du Québec et de l’Ontario (22 mai). Notre collègue Denis Monière s’est livré à des calculs fort intéressants.
Je le remercie de sa contribution :
Qui a le plus souffert des coupures à Radio-Canada ?
par Denis MonièreDans son budget d’avril 2012, le gouvernement conservateur a décidé de réduire les subventions accordées à la Société Radio-Canada. Ces coupes budgétaires totaliseront en 2015, 115 millions $, soit environ 10 % des sommes accordées au radiodiffuseur public. Ainsi en 2012, 64 % du budget provenait des fonds publics alors que cette proportion n’était plus que de 59 % en 2014.
Quel a été l’impact de ces compressions sur les deux réseaux linguistiques ?
Répondre à cette question n’est pas facile, car les résultats financiers de la CBC-SRC sont amalgamés pour la plupart des postes budgétaires. Pour évaluer la distribution linguistique des coupes, nous utilisons comme indicateurs les effectifs totaux et temps pleins de personnes employées qui sont spécifiés pour les deux réseaux. La masse salariale étant le poste budgétaire le plus important de toute organisation publique, c’est par la réduction de personnel qu’on comprime habituellement les dépenses. Les données du tableau qui suit proviennent des Rapports annuels CBC-SRC, section profil des employés, p.46 (2012-2013) et 52 (2013-2014). En comparant les données d’une année à l’autre, on peut déterminer les compressions réelles effectuées dans les deux réseaux.
La colonne des écarts montre que les coupes à Radio-Canada ont eu sept plus d’effet sur le personnel du réseau français qui a été amputé de 3,5 % alors que le réseau anglophone ne perdait que 0,5 % de ses employés. Alors qu’à la SRC, ce furent les emplois plein temps qui écopèrent, à la CBC ce furent principalement les emplois contractuels et temporaires (-81 comparativement à +1). Paradoxalement, les services administratifs se sont accrus durant la même période.
Répartition des réductions de personnel à la CBC et à la SRC entre 2012 et 2014
2012-2013
2013-2014
écart
CBC
Employés permanents
3321
3322
1
Total*
3856
3834
-22
SRC
Employés permanents
2974
2893
-81
Total*
3575
3450
-125
Services institutionnels
821
866
45
* Comprend les employés temporaires et contractuels
Et pourtant, le réseau français est plus productif que le réseau anglais dans la mesure où il a totalisé, en 2014, 21,5 % des parts du marché comparativement à seulement 15,5 % pour le réseau anglais. En 2012-2013, la SRC avait aussi augmenté ses revenus publicitaires de 4 % alors que ceux de la CBC diminuaient de 20 %. Ces chiffres contredisent aussi la cible déclarée par la direction de la CBC-SRC qui s’était engagée à abolir sur trois ans 650 postes à temps plein dont 479 en 2012-2013. On serait donc loin du compte et le pire serait encore à venir. On prévoit d’ailleurs dans le budget 2014-2015 couper 573 postes ce qui est bien la preuve que les réductions de postes annoncées dans les rapports annuels précédents n’ont pas été réalisées.
Ce même budget prévoit aussi réduire l’empreinte immobilière, soit le nombre de pieds carrés occupés par Radio-Canada. La cible globale, qui était de 400 000 en 2012, a été fixée à 800 000 pieds carrés en 2015. On spécifie que c’est la Maison de Radio-Canada à Montréal qui absorbera 50 % de cette réduction (soit 400 000 pieds carrés), mais on ne précise pas où seront pris les 50 % restant. Là encore, c’est le secteur français qui est le plus directement affecté.
*
Je relance nos lecteurs. Il faut désormais étudier en profondeur certaines questions pour mieux cerner comment le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral s’y prennent pour que notre État et nos organismes publics soient de plus en plus empêchés dans leur action et leurs moyens.
Le Syndicat canadien de la fonction publique, section du Québec, a produit une enquête révélant que l’accord de libre-échange avec l’Union européenne risque d’ouvrir la voie à la privatisation des services publics ; le gouvernement du Québec conteste cette analyse (21 avril). On appréhende déjà que le Partenariat transpacifique affecte grandement l’agriculture québécoise. Quelqu’un voudrait-il se charger de faire le tour de ces deux ententes internationales du point de vue du Québec ?
Le gouvernement libéral est décidé à mettre la Commission scolaire de Montréal à genoux. Et c’est grave. Il faut absolument une étude pour comparer l’impact des compressions dans les deux réseaux scolaires montréalais : le réseau anglophone semble être très peu affecté. Il faut vérifier ce qui n’est pour l’instant que mon assertion. Comment peut-on espérer que nos enfants se préparent correctement à l’avenir et que les parents immigrants accepteront sans contester d’envoyer leurs enfants à l’école publique française à Montréal si les écarts de richesse continuent de croître entre les deux réseaux ? Un bon réseau d’écoles publiques françaises est un minimum pour assurer notre avenir commun.
Je reviens avec mon idée de documenter le déclin économique de nos régions depuis l’arrivée au pouvoir des libéraux en 2003 (incluant la petite parenthèse péquiste de 2012-2014).
Toute autre étude sur un sujet particulier est la bienvenue dans le cadre de cet exercice de documenter le démantèlement de notre État et de notre nation.