Paru sous le titre: Le français et Air Canada : des limites de la Loi sur les langues officielles
Le 28 octobre dernier, la Cour suprême rendait un jugement concernant les obligations linguistiques du transporteur aérien Air Canada. L’origine du litige : Michel et Lynda Thibodeau, deux Franco-Ontariens, s’étaient plaints de l’absence de services en français à bord de vols faisant la liaison entre Toronto et des villes des États-Unis. La Cour suprême devait décider si les violations des droits linguistiques des Thibodeau, décrites en première instance comme étant « un problème de nature systémique au sein d’Air Canada », justifiaient l’octroi de dommages-intérêts et le prononcé d’une ordonnance structurelle. Le plus haut tribunal du pays, à la majorité, jugea que non. Le jugement a de quoi surprendre.
D’abord, les juges majoritaires conclurent qu’une convention internationale, la Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, prohibe tout recours en dommages-intérêts contre Air Canada fondé sur les obligations prévues dans la Loi sur les langues officielles. Selon ce raisonnement, une Convention internationale peut donc, à l’aide de termes imprécis, faire échec à la protection de droits fondamentaux, de droits qui concrétisent des dispositions explicites de la Constitution, qui visent à donner un sens au compromis historique que constitue l’officialisation de la langue française au Canada. L’issue de l’affaire soulève d’importantes questions. N’y a-t-il pas injustice lorsque la violation d’un droit fondamental ne donne pas droit à réparation ? Au XXIe siècle, les États doivent pouvoir humaniser la mondialisation, en contrôler les possibles excès. Le Canada avoue-t-il son impuissance à protéger notre langue ?
Ensuite, les juges majoritaires annulèrent l’ordonnance structurelle qu’avait prononcée le tribunal de première instance, prétextant son imprécision ou la multiplication des litiges qu’elle pourrait occasionner. Le plus haut tribunal du pays jugea donc ici qu’il n’y a pas lieu d’exiger des changements du transporteur aérien ou une garantie qu’il respectera pour l’avenir ses obligations quasi constitutionnelles. On sait pourtant au Québec, depuis au moins quarante ans, que les mesures symboliques sont inefficaces en matière de langue. Sans procédure clairement définie et sanctionnée par les tribunaux, tout désir de voir le français progresser là où il existe une résistance au changement s’avère chimérique. La Cour suprême nous annonce donc que le français demeurera toujours aussi absent chez Air Canada pour le siècle à venir.
Enfin, les juges majoritaires exposèrent en quelque sorte les limites de la Loi sur les langues officielles. Air Canada a l’obligation quasi constitutionnelle d’offrir ses services en français « là où, au Canada comme à l’étranger, l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante ». Le transporteur aérien fait peut-être le pari de l’offre et de la demande en milieu minoritaire. À ce compte, moins il offrira ses services en français, moins il aura de demandes. Et moins il aura de demandes, moins il aura à offrir de tels services. La Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme écrivait ceci en 1967 : en négligeant la langue française en milieu minoritaire, « ils [les pouvoirs publics, ou dans le cas d’espèce, les institutions fédérales] pèsent alors de tout leur poids en faveur d’une langue et, de ce fait, ils accélèrent le processus d’assimilation linguistique de la minorité. » Si cette époque est derrière nous, il reste que la Loi sur les langues officielles n’est surement pas à la hauteur du rêve qui nous avait été proposé. Car la Cour suprême confirme ce que nous appréhendions : souvent, la loi n’offre que le droit à des individus éparpillés de quémander un service auquel ils risquent de ne jamais avoir accès.
, avocat et candidat à la maîtrise à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke
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