Le Nouveau Monde oublié

Marco Wingender
Le Nouveau Monde oublié. La naissance métissée des premiers Canadiens
Montréal, La Métisse, 2021, 537 pages

Ceux qui ouvriront le livre de Marco Wingender remarqueront une posture défensive. Dans son œuvre, l’auteur nous présente une « histoire populaire », dans l’esprit de celle rédigée par feu Jacques Lacoursière, à travers laquelle il tente de sauver l’honneur de la mémoire d’une certaine Nouvelle-France, si souvent ternie par un moralisme contemporain a-historique.

Pour y arriver, Wingender nous présente cette histoire sous l’angle de la relation des colons canadiens avec les Autochtones, tentant de révéler la « naissance métissée des premiers Canadiens ». Nous pouvons y voir, dans certains aspects de son travail, une tentative d’enfoncer des portes ouvertes : le métissage en Nouvelle-France est depuis longtemps connu et discuté par nos historiens, relevant ici de quasi-truismes. En émettant un tel jugement, nous sous-estimons l’ampleur du traitement de choc mémoriel que subissent actuellement les jeunes générations. Notre passé profond prend effectivement les apparences d’un « Nouveau Monde oublié ». À ce titre, il importe de préciser que le but de Wingender n’est pas de jongler avec les archives afin de révéler une réalité historique inconnue, mais bien d’assumer un travail de vulgarisation à partir de sources historiques déjà établies. C’est là un travail salutaire. Il s’agit d’un ouvrage écrit avec une plume agréable et accessible, et qui donne envie de s’y plonger pleinement.

Sous d’autres aspects, la façon par laquelle Wingender nous présente ce métissage des origines est très audacieuse, quitte à surestimer l’ampleur de ce phénomène historique. Sa thèse, nous le verrons, va jusqu’à intégrer la genèse du peuple canadien-français à la mosaïque de peuples autochtones qui habitent le pays. Dans ce cas-ci, le travail de Wingender donne l’impression d’une œuvre encore en construction qui accuse certains écueils qu’un rien pourrait corriger. D’ailleurs, aucune maison d’édition n’a encore daigné donner une forme commerciale à cette histoire populaire.

De l’accessibilité du livre

En effet, avant même d’entamer la lecture de l’ouvrage, un premier fait vient frapper le futur lecteur. La façon par laquelle l’on peut se procurer ce livre n’est absolument pas traditionnelle. Convaincu de la qualité de son œuvre – et sa simple lecture nous convainc d’une telle qualité –, ce jeune auteur refusera qu’un intermédiaire lui bloque la route. C’est ainsi que Wingender décida de s’autoéditer, via la maison d’édition alternative La métisse1, dont le modèle de sociofinancement permet aux auteurs collaborant avec elle de toucher à l’essentiel des revenus générés par l’œuvre.

En faisant ce choix, Wingender est certes libre de ces mouvements, et en aucun cas corseté par le regard scrutateur d’un réviseur « éveillé », mais cette liberté a un prix. C’est par ses propres moyens que Wingender doit faire la promotion de son livre. C’est d’ailleurs ce qu’il fait en participant à des podcasts2, et par son travail de chroniqueur au sein du média alternatif Libre média3. La distribution du livre prend alors une forme atypique. Quiconque partirait à la recherche du bouquin dans une bibliothèque ou une librairie se trouvera les mains vides. Pour plonger au cœur de ce récit de notre « Nouveau Monde oublié », il faut passer par le site internet du mouvement local Marché B4, par lequel on peut acheter la version PDF ou payer pour se faire livrer la version papier à la maison.

N’ayant pas traversé un processus classique d’édition, nous remarquons certains défauts qu’accuse une œuvre qui ne semble pas, malgré ses nombreuses qualités, aller au bout de son plein potentiel. De prime abord, le corpus sur lequel Wingender base son travail semble suffisamment ample pour assumer une somme de notre passé colonial. Wingender condense un contenu s’étalant « […] au-delà de 180 livres, ouvrages, articles de journaux et de revues scientifiques ainsi que de sites web de référence, rédigés principalement dans les trente dernières années par des historiens établis » (p. 9). La juste utilisation des sources est toutefois inégale. Certains chapitres sont riches et denses. Ils permettent une interprétation et un croisement judicieux des sources. C’est notamment le cas des sections où Wingender se concentre sur « L’enracinement » des premiers Canadiens, de celui où il défend sa thèse de « La naissance d’un peuple métissé » (surestimée) et de son récit captivant des dernières heures de ce grand « continent canadien ». D’autres sections dépendent toutefois presque exclusivement d’une seule source. L’analyse que Wingender fait des autres colonisations en Amérique prend la forme d’un compte-rendu du livre American Colonies d’Alan Taylor. Son récit de Samuel de Champlain ressemble, quant à lui, à un hommage, voire même une reprise (assumée) du Rêve de Champlain de David Hacket Fischer.

Ce regard sur le Nouveau Monde oublié a été révisé et préfacé par nul autre que le grand historien de la Nouvelle-France Denys Delâge, lequel voit dans ce livre la contribution à « […] une longue tradition de proximité et d’interaction avec les Autochtones pour renouveler une vieille amitié au nom de l’équité et de la reconnaissance de l’altérité […] » (p. 1). L’ouvrage mériterait toutefois une révision formelle en bonne et due forme, autrement que par l’entremise d’un auteur fort louable, mais dont les thèses sont de facto compatibles avec celle de Wingender.

Mis à part la forme et le rapport aux sources, une part du contenu ajoute des obstacles à qui veut augmenter ses chances d’être édité : le livre de Wingender va contre une certaine pensée dominante s’étant installée durant les dernières années, majoritaire dans le monde des médias, des arts et de la culture. Nous parlons bien sûr de ce regard progressiste anglo-américain qui voit systématiquement dans la civilisation occidentale la matrice d’une « blanchité » patriarcale oppressive à la source de la majorité des maux de la modernité, dont la nation canadienne-française est partie prenante. Face à la question autochtone, quiconque relativise un tant soit peu ce manichéisme est perçu comme un odieux négationniste. Sur trois aspects, ce portrait de la Nouvelle-France peut apparaître comme sulfureux, pour notre époque : 1) il dédiabolise le passé colonial français en Amérique ; 2) il fait le constat d’un métissage vigoureux entre Autochtones et Français ; et 3) il redéfinit la notion d’« Autochtone » lorsque l’on parle des Canadiens d’origine française. Nous verrons que c’est là une surestimation du phénomène de métissage. Considérant ces obstacles, l’œuvre de Wingender a d’autant plus intérêt à affiner son travail, jusqu’à ne se rendre attaquable que sur l’angle idéologique et interprétatif.

Un Nouveau Monde à sa juste valeur

La démonologie post-moderne entretient un regard si tronqué sur la Nouvelle-France, qu’il suffit de laisser les faits historiques parler d’eux-mêmes pour la conjurer. Ici, Wingender le fait avec brio. Son œuvre réussit à faire la démonstration de cette citation classique de Parkman, exagérément dénigrée par nos contemporains, en exergue de l’ouvrage : « La civilisation espagnole a écrasé l’Indien ; la civilisation anglaise l’a méprisé et négligé ; la civilisation française l’a étreint et chéri. » Wingender tente de remettre le Canada des origines à sa juste place historique.

Il commence son récit avec une expérience coloniale française qui se distingue du « rouleau compresseur anglais » en Virginie et en Nouvelle-Angleterre, lequel refoule et anéantit les peuples de langue algonquienne du territoire. En début de récit, Windenger se concentre sur une conjoncture historique qui fait s’éloigner les Français d’une attitude arrogante et prédatrice : la grande épopée de Samuel de Champlain, laquelle donnera vie à un Canada métissé. C’est ici que plus d’une centaine de pages sont dédiées à la synthèse du Rêve de Champlain. Nous ne pouvons toutefois pas exagérément lui tenir rigueur de la dépendance à cette source. Wingender n’est en rien responsable du fait que notre historiographie récente ait à ce point délaissé l’étude de ce grand personnage, qu’il aura fallu un historien américain pour nous rappeler que Champlain est à la source « d’un leadership fondé sur des principes dirigés vers la cause de l’humanité. C’est cela qui fait de lui une figure de classe mondiale dans l’histoire moderne. C’est son héritage légué à nous tous » (p. 194).

Pour bien évaluer en quoi les bienfaits de l’aventure de Champlain ont été rendus possibles, il faut voir l’expérience française sous deux aspects : celui des contraintes auxquelles font face les Français et celui de l’attitude des premiers colonisateurs. Concernant les contraintes, les colons font face à une conjoncture qui les empêche de devenir les monstres décrits par nos « décoloniaux » contemporains. Wingender nous fait le portrait d’aventuriers en sous-effectifs, manquant de ressources et faisant face à un environnement impitoyable. La logique même de la traite de la fourrure, moteur économique de la colonisation, suppose qu’on laisse les Autochtones libres de la recueillir. Il est alors irrationnel de les assujettir. « Ainsi, quand les Français s’établirent dans la vallée du Saint-Laurent, il en allait de leur intérêt économique d’entretenir de bonnes relations avec les premiers habitants du pays. » (p. 43) Concernant l’attitude des Français, les gens entourant Champlain n’étaient pas faits du même bois que les conquistadores espagnols ou que les puritains anglais. Le projet d’une Nouvelle-France en Amérique fut le fruit du roi Henri IV, habité par un humanisme chrétien et portant l’idéal d’une société apaisée et plurielle comme baume à une France ravagée par la guerre civile entre catholiques et protestants. Ce que sera le projet canadien comprenait donc des gens comme Aymar de Chaste, De Monts, Pont-Gravé, Poutrincourt ou Lescarbot, lesquels portent les mêmes valeurs que leur roi qu’ils veulent voir implanter en Amérique. Il en résulta « ce vaste dessein de créer, à la frontière des cultures européenne et américaine, une nouvelle humanité, rien de moins. Le seul Vrai Nouveau Monde, créé en Amérique dans la mixité, le métissage, le mélange des cultures, des ethnies, des espoirs et des idées. »(p. 194) Champlain se fait le champion de ce rêve. Il s’avère qu’il a une approche bienveillante et respectueuse à l’endroit des Autochtones, mais déterminée. Ce sera non seulement la seule approche qui fonctionnera, mais également celle qui structurera des réseaux d’alliance durables dont ses successeurs dépendront.

La façon qu’a Wingender de dépeindre l’installation des Français en sol canadien fait violence à ce lieu commun néoprogressiste selon lequel les Canadiens français vivraient sur des « territoires non cédés ». Au début du XVIIe siècle, l’équipage de Champlain entre en contact avec des nations autochtones, à majorité de langue algonquienne, en guerre contre la grande fédération des cinq nations iroquoises qui tente de conquérir la vallée du Saint-Laurent. Pour une raison que les historiens ignorent – probablement la guerre entre premiers peuples–, les Iroquois n’occupent plus le même territoire que 75 ans auparavant, du temps de la venue de Jacques Cartier, s’étant installés près des Grands Lacs de l’actuel État de New York. À vrai dire, la vallée du Saint-Laurent « était devenue une zone tampon entre les nations iroquoises au sud-ouest et au nord-est, les Algonquins et les Innus. À l’arrivée des Français au début du XVIIe siècle, ces terres n’étaient donc pas vierges, mais veuves. Conséquemment, quand ils s’implantèrent dans la vallée du Saint-Laurent, aucune Première Nation ne fut dépossédée de ses terres » (p. 51). Bien au contraire, et c’est là une autre réalité « scandaleuse » que Wingender ne fait que rappeler, la venue des Français est souhaitée et encouragée par de nombreuses premières nations du Saint-Laurent, qui souhaitent leur soutien militaire contre l’ennemi iroquois. En retour, cette alliance militaire assure aux futurs Canadiens une exclusivité dans le commerce des fourrures. C’est cette alliance que la Grande Tabagie de 1603, à Tadoussac, consacrera. L’histoire de la Nouvelle-France sera ponctuée de ce type de communions. C’est donc avec l’assentiment des peuples du Saint-Laurent que les Français fonderont Québec, Montréal et Trois-Rivières.

Ce moment fondateur amorcera une grande alliance franco-autochtone avec les Innus et les Algonquins. Dès le moment où les Français prennent fait et cause contre la fédération iroquoise, l’alliance impliquera les Wendats, nation d’origine iroquoienne, entremetteuse commerciale entre les différentes nations autochtones du Saint-Laurent. Bien que les années 1650 signifient la destruction du pays des Wendats par les Iroquois, l’enracinement des Canadiens, via les coureurs des bois, à qui Wingender redonne leurs lettres de roture, sera suffisamment important pour renouveler la logique d’alliance dès les années 1660. « En 1670-1671, l’intendant Talon décida (même) de donner à ces conventions un caractère plus officiel » (p. 286). Plutôt que la discorde et la domination de l’autre, c’est plutôt la concorde et l’alliance qui constituent la norme des relations avec les Autochtones. Cette logique de concorde est telle, que la dynamique des guerres coloniales contre l’empire anglo-américain poussera les Iroquois vers une paix avec les Français, ce que la Grande Paix de Montréal de 1701 concrétisera, autre grand moment évacué de notre conscience collective. Cette politique autochtone, en plus de devenir partie intégrante de l’identité profonde des Canadiens, constitue un mécanisme de défense essentiel, le seul qui permet à 70 000 colons de tenir une immense entité impériale face à plus d’un million d’Anglais.

Le constat d’un grand métissage

C’est là une réalité qui défait brutalement tout discours sur la Nouvelle-France qui voudrait la réduire à une dichotomie dominant/dominé, laquelle le « Blanc » exercerait sur l’Autochtone. Entre premiers peuples et Canadiens des origines, il est impossible de trancher au couteau de la sorte, tant leurs modes d’existence sont intriqués. Wingender rappelle le rêve de Champlain, que lui-même, au crépuscule de sa vie, évoque à ses alliés innus, émus par de telles paroles : « quand cette grande maison sera construite, nos fils marieront vos filles et nous ne formerons qu’un seul peuple » (p. 157).

Ce rêve de Champlain ne fut pas vain. En Nouvelle-France, il n’y eut jamais « un seul peuple », mais un nouveau peuple émergea : le peuple canadien. Du moment que les relations commerciales entre Français et premières nations dépassaient le simple échange de marchandises pour épouser l’« esprit de générosité » autochtone, actualisé par une dynamique de dons/contre-dons, la voie était tracée pour un métissage vigoureux. Le poste de traite en est le lieu de convergence. Le métissage se constate particulièrement dans les Pays d’en haut, lieu d’un « middle ground », fruit d’accommodements culturels mutuels, et en Acadie, où s’actualisent des rapports « symbiotiques » avec les Mi’gmags. Le métissage ethnique et culturel se constate également dans le Grand Montréal, lieu de va-et-vient entre le monde de l’habitant et celui du coureur des bois, dont la foire annuelle de Montréal constitue l’apothéose (p.282). Tout au long de l’histoire de ce « Nouveau Monde oublié », il en résulte une multiplication des mariages mixtes, une créolisation des langues, une hybridation des pratiques culturelles et des religions, une fusion du folklore, un habillement commun, un usage de la toponymie autochtone, un rapport conjoint à la terre et un art de la guerre francoautochtone. Un certain processus d’acculturation réciproque se constate. Certaines communautés autochtones se « canadianisent ». La plupart du temps, c’est le Canadien qui s’« autochtonise ». Le phénomène est tel que de nombreux Anglais voient en plusieurs Canadiens des « sauvages », voire même des « Indiens blancs ».

Ce métissage, les sources contemporaines peinent malheureusement à en prendre la pleine mesure. La façon par laquelle Wingender en fait l’état des lieux constitue l’un des aspects les plus intéressants de son livre. Les registres paroissiaux sont ambigus et ne tiennent compte que des mariages mixtes consacrés par l’Église. Le phénomène des adoptions, important, est également évacué. Il est aussi essentiel de préciser que les outils utilisés par le Programme en démographie historique de l’Université de Montréal s’appuie sur un mode d’enregistrement occidental et chrétien permettant difficilement de rendre compte de la complexité des réseaux de parenté autochtones qui, de toute façon, n’utilisaient pas des noms stables dans le temps pour désigner les membres de leurs nations. La généalogie, quant à elle, suppose un nombre très important de Canadiens français ayant un autochtone pour ancêtre. Par conséquent, « d’un côté, il serait irréaliste de nier l’existence d’un tel mélange racial dans les communautés canadiennes sur la base du peu de traces laissées dans les registres coloniaux. De l’autre, il est extrêmement difficile, sinon impossible, de déterminer son importance » (p. 302). À cet égard, aucun recensement officiel n’a jamais été effectué. S’inspirant des avis de Mathieu D’Avignon et de Marcel Trudel (p. 307), Wingender en appelle de ses vœux.

Nous sentons toutefois que Windgender n’est pas allé au bout de son travail de débroussaillage. Un état de la question complet se pencherait sur les travaux contemporains en génétique, notamment ceux de l’Université du Québec à Chicoutimi, avec le projet BALSAC5. Nous y découvrons qu’une majorité de Québécois doit 1 % à 2 % de son bagage génétique à des racines autochtones, sans plus. Ce sont certes des traces surprenantes, considérant les deux derniers siècles de séparation, l’endogamie du vieux Canada français et la revanche des berceaux, mais les Québécois ne sont pas non plus des Manitobains. Cette constatation ne vise pas à nier qu’il y ait eu un métissage vigoureux, mais plutôt à le situer. Ce ne sont pas la majorité des Canadiens des origines qui épousèrent le métissage décrit par Wingender, mais plutôt ceux, minoritaires, habitant ce que Fernand Dumont nommait l’« hinterland6 », cette barrière naturelle que forme l’arrière-pays entourant le Canada de l’habitant. Wingender n’est pas loin de reconnaître un tel phénomène, en précisant que le métissage est nettement plus important dans les Pays d’en haut et en Acadie que dans la vallée sur Saint-Laurent. Il reconnaît, d’ailleurs, qu’après la Conquête, c’est un monde qui sépare les Pays d’en haut du reste du Canada français. Voilà qui permet de relativiser le métissage constaté.

Qui est « autochtone » ?

La présentation d’un métissage tel que le conçoit Wingender porte effectivement à ce questionnement. C’est là l’aspect le plus controversé de son « histoire populaire ». Présentée ainsi, l’expérience des Canadiens des origines, de par leur ancrage dans ce qu’aujourd’hui nous nommons l’« autochtonie », ne permet pas une grille de lecture nous divisant artificiellement entre Autochtones et « Allochtones ». Le métissage nous empêche d’adopter trop fortement un tel regard. La temporalité, si elle doit être un critère, doit également l’empêcher. Certaines nations de civilisation dite « amérindienne » se sont installées en sol laurentien après les Canadiens, que l’on pense aux Autochtones fuyant les raids iroquois de la fin du XVIIIe siècle, « domiciliés » par l’hospitalité canadienne, ou au Mohawks auxquels les Anglais ont offert leurs terres actuelles, suite à la Conquête. Audacieux, Wingender ajoute au portrait qu’il fait en fin d’ouvrage des onze nations autochtones du Québec contemporain une douzième nation « autochtone » : la nation canadienne des origines. Voilà qui ajouterait aux crimes de la conquête, nous ayant brutalement imposé une séparation ethnique. Reprenant la thèse de Denys Delâge, Wingender considère que les Canadiens français ont, depuis, tout fait pour « ne pas passer pour des sauvages » auprès des autorités coloniales, refoulant ainsi leurs origines métissées dans l’antre d’une anti-mémoire.

Pour quiconque ferait sien le regard de Wingender, et il existe de bonnes raisons de ne pas y adhérer, il arborerait des idées dangereuses pour le régime « canadian » tel que nous le connaissons aujourd’hui. Face à ce travail de mémoire, l’usurpateur colonial en chef apparaît dans toute sa splendeur en la figure du colonisateur anglais. Il devient dès lors difficile de ne pas voir dans son discours autopénitentiel woke diabolisant le peuple canadien-français autrement que comme un discours typiquement colonial. Difficile de ne pas voir chez les Québécois qui y adhèrent sans nuances et sans concessions autre chose qu’un symptôme de colonisation mentale avancée. Ce sont également des idées dangereuses pour ces chantres du néo-progressisme dont la carrière consiste à découvrir de nouvelles « oppressions » dont la civilisation « blanche » se rendrait coupable. Finalement, le constat de Wingender est aussi dangereux pour tous ces Canadiens français et Québécois dont le nationalisme les a depuis longtemps portés à épouser les paramètres du régime colonial ayant refoulé leurs origines métissées. Le danger est encore plus grand pour ceux dont le sentiment national les confine dans la « Province of Quebec ».

Le potentiel incendiaire de ce livre s’en trouve toutefois atténué, du moment que l’on replace le phénomène de métissage dans ses justes proportions. Il est vrai que le métissage originel est trop souvent occulté. Il est également vrai que ce métissage pose les conditions de possibilité de la présence canadienne en Amérique. Le métissage, qui n’est pas que génétique, est constitutif de l’univers mental canadien originel. Ce n’est toutefois pas la même chose que d’affirmer que les Canadiens français des origines constituent eux aussi une nation autochtone. Ou du moins, pour affirmer une telle chose, nous faut-il réviser la notion même d’« autochtone ».


1 https://www.lametisse.ca/edition

2 https://www.youtube.com/watch?v=oxWVSDHtyOI

3 https://libre-media.com/auteur/marco-wingender

4 https://marcheb.ca/micro-b-marco-wingender/

5 UQAC, BALSAC : Bibliographie sélective, repéré sur https://balsac.uqac.ca/bibliographie-selective/

6 « La formation d’une collectivité » dans Fernand Dumont, Genèse de la société québécoise, Montréal, Boréal, 2013 (1993), 393 p.

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