Titre complet: Le Québec peut se passer de la péréquation en créant sa propre monnaie et en devenant un pays indépendant
Cet article jette un éclairage sur les véritables causes de la péréquation et démontrera que celle-ci constitue une séquelle de la politique monétaire. L’État du Québec n’est pas pauvre, en tant que tel, mais subit les effets délétères de la politique monétaire canadienne. En fait, la péréquation vise à atténuer les impacts négatifs, sur plusieurs régions (provinces), résultants du dysfonctionnement de la politique monétaire.
Cet article traite dans un premier temps : a) des systèmes de péréquation en vigueur dans certaines fédérations dans le monde occidental, b) du fonctionnement du mécanisme de péréquation au Canada, c) de la politique monétaire canadienne, d) de la théorie des zones monétaires optimales (ZMO), e) ce qui conduit à se demander à qui bénéficie la monnaie unique, f) et quels seraient les avantages pour le Québec de sortir de sa dépendance envers la politique monétaire canadienne afin de s’assumer pleinement comme pays indépendant, en adoptant sa propre monnaie.
Les systèmes de péréquation en vigueur dans certaines fédérations
Le principe à la base de la péréquation repose sur l’idée que tous les citoyens d’une même fédération doivent pouvoir recevoir des services publics comparables sans devoir être assujettis à des taux d’imposition trop différents. Un grand nombre de pays européens ont reconnu depuis nombre d’années que les disparités de richesse entre les régions d’une même fédération pouvaient mettre en péril leur cohésion sociale. Les paiements de transferts ont été désignés dans la plupart des fédérations européennes sous le vocable : « transferts de solidarité ». Les systèmes de péréquation varient d’une fédération à l’autre1.
Plusieurs fédérations issues de pays occidentaux disposent d’un système national de péréquation, sauf les États-Unis d’Amérique, qui n’en n’ont pas. Cependant, l’importance des paiements de transferts varient d’un pays à l’autre. Dans certaines fédérations, comme en Allemagne, en Australie et au Canada, les formules de péréquation sont plus élaborées. En général, la péréquation prend la forme de paiements de transferts fédéraux destinés aux États, Provinces ou régions moins nantis, composants la fédération.
Le programme de péréquation n’apparut au Canada qu’en 1957. Les paiements de transferts versés par le gouvernement fédéral, sous forme de péréquation, ont pour objectif d’améliorer la capacité fiscale des provinces moins prospères ou celles plus durement affectées par la politique monétaire nationale, en réduisant l’écart de richesse entre elles et celles plus fortunées.
Comment fonctionne le programme de péréquation au Canada
Ces paiements de transferts ou « allocations de péréquation » sont calculées selon une formule mathématique assez complexe qui compare la capacité fiscale (capacité de percevoir divers types d’impôts et de taxes) de chacune des provinces par rapport à la moyenne canadienne. Seules les provinces ayant une capacité fiscale, per capita, moins élevée que la moyenne des provinces, peuvent recevoir des paiements de péréquation. Ces versements sont inconditionnels, en ce sens que les provinces bénéficiaires peuvent les utiliser à leur discrétion, selon leurs priorités.
Pourquoi la province de Québec retire-t-elle davantage de péréquation que les autres provinces canadiennes, en terme absolu ? En fait, en 2019-2020, la province de Québec ne reçoit que 1593 dollars, par habitant, soit le plus faible montant versé aux provinces bénéficiaires. Cependant, à cause de sa population nombreuse, le Québec encaisse le montant de péréquation le plus important en valeur absolue, soit 13,1 milliards de dollars, en 2019-20202. Une politique monétaire unique, émanant d’une fédération comme le Canada, justifie la mise en place d’un système de péréquation car l’adoption d’une monnaie commune crée généralement une distorsion de richesse entre la province centrale (au Canada, c’est la province de l’Ontario) où se situe généralement la banque centrale3 ainsi que les pouvoirs décisionnels de l’État fédéral, et les provinces périphériques.
La politique monétaire au Canada
Les États ou Provinces membres du système monétaire unique, comme au Canada, acceptent la présence d’une seule banque centrale, soit la Banque du Canada (BdC) et renoncent par le fait même à créer leur propre banque centrale. La BdC a été érigée en 1935 mais devint une société publique qu’en 1938. Elle est chargée de la conduite de la politique monétaire. Toutefois, la responsabilité des politiques de change et de la dette publique incombe au ministre des Finances du Canada. En pratique, des consultations incessantes entre la BdC et le ministre des Finances surviennent au sujet de la politique monétaire. De plus, le sous-ministre des Finances est membre permanent du Comité de direction et du Conseil d’Administration de la BdC. Notons qu’aucun Ministre des finances des provinces ne fait partie du Conseil d’Administration de la BdC.
La création de la BdC implique que tous les États membres de la Confédération canadienne (provinces) perdent accès à une politique monétaire distincte, c’est-à-dire spécifique à chacune des régions administratives du Canada.
Les pays occidentaux s’appuient sur deux instruments clés pour gérer leur économie. La première est la politique fiscale (ou budgétaire) qui leur permet d’augmenter les impôts et les taxes ou de les réduire en fonction de la situation l’économie. Si un État veut accélérer la croissance de l’économie pour contrer le chômage, il aura tendance à réduire les charges fiscales et dans le cas contraire, s’il désire la freiner à cause d’une inflation trop élevée, il lui suffira d’augmenter les impôts, ce qui réduira les revenus disponibles chez les consommateurs et les entreprises. Chacune des provinces membres de l’union monétaire canadienne peut utiliser à sa guise sa propre politique fiscale.
Le second levier dont dispose un État, c’est la politique monétaire. Cet instrument est confié à la banque centrale d’un pays donné, en l’occurrence la BdC pour la confédération canadienne. Si la BdC convient de stimuler l’économie, elle réduira son taux directeur4 ce qui l’autorisera à augmenter l’offre de crédit en donnant l’occasion aux consommateurs et aux entreprises d’emprunter et dans le cas contraire, si elle désire la freiner, elle relèvera son taux directeur, ce qui réduira l’offre de crédit dans l’économie. Les gouvernements provinciaux ne contrôlent plus leur taux d’intérêt et ils ne peuvent plus dévaluer leur monnaie afin de stimuler leurs exportations, car ils ne disposent plus d’une banque centrale, ni d’une politique monétaire exclusive, puisqu’ils ont choisi de les confier au gouvernement fédéral. En octroyant au gouvernement central leur politique monétaire, les gouvernements des provinces ont perdu une partie essentielle de leur autonomie et de leur marge de manœuvre.
La politique monétaire compte aussi sur la fluctuation du taux de change, s’il y a un déséquilibre persistant entre les exportations et les importations, dans un pays donné. Si un pays comme le Canada importe trop, son taux de change aura tendance à diminuer ce qui favorisa ses exportations et défavorisa par le fait même ses importations. Cet instrument n’existe plus pour chacun des États membres (ou provinces) de la Confédération canadienne, car ils ont adopté une politique monétaire commune. Cependant, le gouvernement du Canada dispose globalement de ce dispositif via sa Banque centrale.
L’économiste et prix Nobel canadien Robert Mundell, a élaboré, la théorie des zones monétaires optimales (ZMO) afin de déterminer si un pays (ou États/provinces) a intérêt à se joindre à une union monétaire en adoptant une monnaie commune. Depuis l’énoncé de Robert Mundell, le concept des zones monétaires optimales (ZMO) s’est enrichi avec l’apport d’autres économistes. Des critères furent ajoutés à ceux formulés initialement par Mundell, mais les fondements de la méthode n’ont pas été altérés de manière significative5.
Il serait donc pertinent de s’interroger si le Québec a intérêt à faire partie de la zone monétaire canadienne ou à créer sa propre monnaie à l’intérieur de sa zone monétaire exclusive, soit sur le territoire correspondant à celui de l’État Québécois ?
La théorie des Zones monétaires optimales (ZMO) de Robert Mundell6
Mundell étudie les zones monétaires pour en déterminer la taille optimale. Par exemple, au Canada est-il logique de constituer une seule zone monétaire pour l’ensemble d’un pays qui est « aussi vaste qu’un continent » ? Ne serait-il pas plus cohérent de considérer que les cinq grandes régions économiques que sont : la Colombie Britannique, les trois provinces de l’Ouest, l’Ontario, le Québec et les quatre provinces Atlantiques, constituent chacune (ou regroupées) des zones monétaires en soi ? Nous allons d’abord déterminer ce qui constitue une zone monétaire optimale (ZMO).
La théorie de la ZMO vise à déterminer la région monétaire où la stabilité de l’emploi et de l’inflation serait la plus efficiente. L’économiste Mundell énonce que dans une zone où il existe deux régions et une seule monnaie, le compromis ou la conciliation entre l’inflation et le chômage est déterminé par la banque centrale. Au Canada, la BdC possède toute l’autonomie pour administrer la politique monétaire. C’est la BdC qui décide d’accroître le chômage dans une région (ou province) peu affectée par l’inflation (ex : le Québec) pour mater celle-ci dans une autre région administrative en pleine croissance (ex : l’Ontario).
Les avantages d’adopter une monnaie commune, pour un pays comme le Canada, résident dans la réduction des coûts de transactions qu’entraînent l’existence de monnaies multiples dans l’hypothèse où certaines provinces adopteraient leur propre devise. Cette monnaie commune provoque aussi un gain de liquidité à cause notamment de l’agrandissement de l’espace de transactions, ce qui bénéficie à l’ensemble des marchés financiers7.
La monnaie-papier, appelé monnaie « fiduciaire » constitue une relique du passé, à l’exemple de l’or et de l’argent qui ont été jadis à la base du mécanisme des paiements, mais qui s’avèrent maintenant désuets. On observe depuis quelques années, qu’il est bien plus efficace d’utiliser la monnaie électronique, en abandonnant progressivement l’argent liquide au profit de ce nouveau mode de paiement plus moderne. Les transferts électroniques sont très bon marché mais les institutions bancaires et les compagnies de cartes de crédit facturent des tarifs exorbitants pour ces services. De plus, la monnaie virtuelle permet d’économiser les coûts d’impression des billets de banque et réduit énormément l’étendue de l’évitement fiscal. Avec ce type de devise, un État (ou une Province) peut quitter plus facilement, soit par exemple la zone euro, soit encore sortir de l’emprise de sa monnaie nationale8, comme par exemple au Canada. La devise électronique, permettra au Québec d’émettre beaucoup plus facilement qu’auparavant, sa propre monnaie, lorsqu’il deviendra un pays indépendant.
Une zone monétaire (ZM) n’est optimale, c’est-à-dire durable, qu’aux cinq conditions suivantes :
- il lui faut éviter les chocs asymétriques ;
- les facteurs de production circulent sans entraves ;
- la production et de l’activité économique sont diversifiées ;
- il est impératif que l’économie soit ouverte ;
- l’intégration financière doit être présente.
Nous n’examinerons pas dans ce texte la pertinence de créer une zone monétaire distincte pour chacune des cinq régions économiques du Canada, car cela dépasse le cadre de cet article. Nous nous concentrerons seulement sur la faisabilité d’en créer une pour le territoire du Québec.
Éviter les chocs asymétriques dans la zone monétaire (ZM)
Les chocs asymétriques surviennent dans un pays lorsqu’il y a rupture de leurs moyens de production, comme en temps de guerre, ou encore lors d’une récession majeure. Deux économies répondant de façon symétrique aux chocs économiques forment, d’un strict point de vue économique, de bons candidats pour faire partie d’une ZM unique. Si l’on observe ce qui se passe dans les cinq régions administratives du Canada, lors de récessions économiques ou même lors de simples ralentissements économiques, on constate qu’elles ne réagissent pas toutes de façon symétrique. Généralement, la BdC intervient pour ralentir une poussée inflationniste trop vive en Ontario ; les autres régions économiques la subissent et encaissent souvent les impacts négatifs des actions prises par la BdC. Si deux régions encaissent des chocs asymétriques, chacune a intérêt à émettre une monnaie distincte pour isoler ce type de choc.
Mundell a déjà signalé « que la zone monétaire canadienne n’est pas optimale ». Il observe que le Canada est divisé en deux régions distinctes, le Centre et l’Est d’une part et d’autre part l’Ouest, entre lesquelles la mobilité de la main-d’œuvre est faible. Un article du Fonds monétaire international (FMI) portant sur la zone monétaire de l’ALÉNA9 conclut au bien fondé de l’observation de Mundell concernant l’absence d’optimalité de la zone monétaire canadienne10. Par ailleurs, les chocs économiques en provenance de l’Ontario sur le Québec sont asymétriques ce qui sous-tend que ces deux régions auraient intérêt à former deux zones monétaires distinctes11.
Les économies du Canada et des États-Unis se comportent de manière asymétrique et ne seraient pas compatibles à former une zone monétaire optimale12. L’économiste John Murray mentionne : « Le Canada, n’est pas une zone monétaire optimale, cependant lui et les États-Unis remplissent encore moins bien cette condition13 ».
Pour éviter que le taux de chômage augmente ailleurs au Canada, il est nécessaire qu’il y ait mobilité des facteurs de production, (capital et main d’œuvre) en l’occurrence la mobilité de la main-d’œuvre d’une région comme le Québec vers celle de l’Ontario ou vers d’autres provinces.
Or, à cause de barrières linguistiques et culturelles, il risque d’y avoir peu de mobilité de la main-d’œuvre du Québec vers l’Ontario, ou vers d’autres régions. Par conséquent, le taux de chômage augmentera au Québec à cause des taux d’intérêt plus élevés décrétés par la BdC pour résoudre un problème d’inflation dans la province voisine, en l’occurrence l’Ontario, alors que cette inflation serait inexistante ou minime au Québec ou dans les Provinces maritimes. Cette main-d’œuvre subira un effet de polarisation vers le point focal qu’est l’Ontario, ce qui occasionnera des conséquences fâcheuses pour certaines régions administratives du Canada. La politique monétaire a pour effet d’aspirer les principales activités économiques d’un pays vers un pôle central ce qui entraînent le sous-développement des régions périphériques. La même anomalie s’observe avec l’Union monétaire européenne qui concentre l’activité économique des pays membres vers l’État pivot qu’est l’Allemagne. Cette dernière devient le centre de gravité de la zone euro et de l’Union européenne toute entière14.
En l’absence de mobilité des facteurs de production, les chocs asymétriques peuvent être amenuisés en faisant varier le taux de change, à la condition que les régions ou provinces affectées détiennent leur propre monnaie.
La diversification de la production
La diversité de la production d’une zone (ou province) atténue l’impact sur l’économie, de chocs ou d’une baisse importante de la demande qu’elle pourrait subir. À l’inverse, plus les régions sont spécialisées15, plus elles s’exposent à encaisser des chocs asymétriques. Le degré de diversification de l’économie d’une région ou d’un pays devient donc un élément additionnel d’optimalité d’une ZM16. Si la demande d’un bien ou d’un service décroît, les impacts du choc sur l’emploi d’une économie diversifiée seront bien moindres que sur ceux d’une économie tributaire d’une seule industrie ou très peu diversifiée. Pour pouvoir mieux réagir aux chocs économiques, il faudrait que les provinces diversifient leurs exportations17. Sur cet aspect, l’économie du Québec peut être qualifiée de diversifiée.
Le degré d’ouverture de l’économie
Selon MacKinnon, le degré d’ouverture de l’économie d’une zone (ou région ou pays) s’ajoute aux indicateurs d’optimalité18. Plus l’économie d’une région ou d’un pays est ouverte (ou exporte) par rapport à ses partenaires, dans une union monétaire, plus elle aspirera à des gains et à des avantages de sa participation à celle-ci. Le Québec bénéficie d’une économie ouverte.
L’intégration financière
L’économiste Ingram19 insère la dimension financière dans sa définition de la ZMO. Dans une telle zone, les transferts de richesses via la péréquation rééquilibrent les balances des paiements internes des régions ou provinces concernés. Ingram affirme que la ZMO correspond à une zone financière intégrée. Plus elle l’est, plus les déficits sont aisés à financer sans contraintes fortes sur le taux de change ou les taux d’intérêt. La ZM canadienne s’avère sans doute intégrée mais cela s’opère au détriment du Québec qui a vu, entre autres, son Centre financier de Montréal s’éclipser au profit de Toronto, au cours des dernières décennies. En effet, les sièges sociaux des banques, des compagnies d’assurances, de fiducies, de même que la Bourse de Montréal, et autres, se sont agglutinés à Toronto laissant désert le Centre financier Montréalais. La région Montréalaise qui était jadis la métropole du Canada s’est vu ravir ce titre par Toronto depuis plusieurs décennies. Il s’agit d’une conséquence directe de la politique monétaire canadienne.
Qui bénéficie de l’union monétaire canadienne
Dans une union monétaire, il y aura toujours un membre, un État ou une province, qui en bénéficiera de façon optimale alors que les autres en subiront les impacts négatifs. Au Canada, on observe une tendance à concentrer les investissements de l’ensemble du pays, dans la province dominante de la fédération, soit l’Ontario qui bénéficie des effets salutaires de la politique monétaire canadienne. À titre d’exemple, c’est en Ontario que l’on observe une centralisation des effectifs de la fonction publique fédérale, de l’agglomération des édifices gouvernementaux desservant l’ensemble du Canada, de la présence des laboratoires de recherche du gouvernement central, des employés et députés du Parlement canadien, des employés des sièges sociaux de la BdC et de la Banque de l’infrastructure du Canada, de la polarisation des sièges sociaux des secteurs bancaire et financier, y compris de la Bourse canadienne, de la focalisation des investissements des secteurs secondaire et tertiaire, etc. Puisqu’il y a une convergence des investissements publics de toutes sortes, en Ontario, le secteur privé y retrouve des infrastructures de première qualité qui lui permet d’accroître sa productivité et l’incite à son tour à canaliser ses investissements dans cette même province. La même singularité s’observe en Allemagne, qui joue le rôle de plaque tournante de la zone monétaire européenne20 et reçoit la part majeure des investissements des secteurs publics et privés de l’ensemble des pays membres de l’UE.
En Europe, l’Allemagne a réussi à focaliser en 2017, 50 % de tous les investissements directs de la zone euro, laquelle regroupe dix-neuf pays21. Notons que l’Union européenne (l’UE) compte 27 pays membres. Cette situation s’explique par le fait que les investisseurs retrouvent en Allemagne des infrastructures de premier ordre par rapport aux autres pays européens. Lorsqu’une union monétaire existe, comme c’est le cas dans la zone euro, les entreprises jugent non nécessaire de diversifier leur production entre plusieurs pays. Dans un tel cas, les entreprises transféreront leur production et, l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement suivra graduellement vers le pays qui disposera des meilleures infrastructures (transport, éducation, santé, recherche, et autres). Il y aura donc une concentration maximale des investissements privés dans le pays en question, en l’occurrence l’Allemagne, pour la zone euro22. Bref, la politique monétaire de l’UE, devient précisément celle de l’Allemagne.
La politique monétaire du Canada a pour effet de polariser les investissements publics et privés vers la province de l’Ontario. La conséquence de cette focalisation excessive de l’activité économique dans une province pivot sera de créer un effet de distorsion ou un dysfonctionnement dans la fédération canadienne. Pour atténuer ce désordre fonctionnel, les fédérations ont mis en place des systèmes de péréquations variés lesquels absorbent, en partie, les chocs causés par une politique monétaire unique.
Conclusion : Quels seraient les avantages pour le Québec de sortir de l’union monétaire canadienne et devenir un pays indépendant
Au-delà des considérations strictement économiques que nous venons d’évoquer, il y a surtout des considérations politiques qui doivent être tenues en compte pour déterminer si une région peut créer sa propre monnaie. Dans une fédération unie où l’on retrouverait une forte solidarité et un grand respect entre les États membres, le gouvernement fédéral pourrait mettre en place un « système de péréquation » pour combler les lacunes d’une politique monétaire centralisée ou unique, qui cause toujours des effets nocifs chez plusieurs États ou provinces membres. L’UE ne procède pas de cette façon, car il n’y a pas de systèmes de péréquation en vigueur, ce qui cause de graves problèmes d’équité et des déséquilibres économiques et sociaux entre les pays membres de la zone euro23 et pourrait provoquer, à terme, la dislocation de cette zone.
Dans le régime politique canadien actuel, le Québec subit les effets toxiques de la politique monétaire canadienne et il aurait donc avantage à gérer sa propre politique monétaire ainsi qu’à émettre une monnaie spécifique. C’est précisément ce que l’Angleterre a choisi en n’acceptant pas de se joindre à la monnaie unique (l’Euro). Plusieurs pays développés du Nord de l’Europe tels, la Suède, la Norvège et le Danemark ont choisi de ne pas adhéré à la monnaie européenne24.
Dans la fédération canadienne, les provinces bénéficient d’une certaine solidarité fiscale entre elles grâce au programme de péréquation. En contrepartie de l’adoption de la formule fédérale de péréquation, les provinces doivent accepter une politique monétaire unique pour l’ensemble de l’espace canadien. Or, l’adoption de cette politique monétaire unique se double d’effets délétères pour les provinces prises individuellement, telles, la perte du levier monétaire et la flexibilité du taux de change.
Même si on assiste à une certaine solidarité fiscale dans le régime fédéral canadien, on ne peut pas dire qu’il existe un « grand respect » entre les États membres. En effet, les campagnes incessantes de dénigrement en provenance du Canada anglais envers le Québec, « Quebec Bashing », sans que les principaux leaders anglophones, issus des médias, de la classe politique ou des affaires ou autres, ne répliquent pour faire taire de tels propos racistes, en disent long sur le clivage profond qui existe entre les deux solitudes. Les attaques permanentes en provenance du ROC25 concernant le fait que le Québec reçoive de la péréquation et que nous serions, selon eux, les assistés sociaux de la Confédération, témoignent d’une méconnaissance élémentaire du fonctionnement du fédéralisme canadien. La population en général peut très bien ignorer la mécanique du fédéralisme canadien, et de la péréquation en particulier, mais il est aberrant que les grands médias ainsi que les dirigeants politiques du ROC (et les élites canadiennes) ne contredisent les inepties formulées par ces adeptes du « dénigrement du Québec », au sujet des paiements de transferts. C’est une démonstration de plus qu’il n’y a pas consensus entre les dirigeants des provinces concernant la justice sociale qui doit émaner d’un régime fédératif ayant une politique monétaire unique.
Le Québec peut très bien se passer de la péréquation offerte par le Canada en recouvrant toute sa latitude vis-à-vis sa politique monétaire. Il réunit toutes les conditions nécessaires pour le faire et évidemment, il pourrait émettre sa monnaie distincte. À cette fin, l’État du Québec n’a qu’à choisir de se gouverner par ses propres moyens et à devenir un « pays indépendant ». Il en a tous les moyens et toute la capacité et pourra même devenir un des États les plus prospères parmi le concert des nations. u
1 Ronald L. Watts, Comparaison des régimes fédéraux, L’Institut des relations intergouvernementales, École des études en politiques publiques de l’Université Queen’s, Presses universitaires McGill-Queen’s, 1998-2002.
2 Lettres envoyées aux provinces et aux territoires : Québec 2019., Ministère des finances, Gouvernement du Canada,. https://www.canada.ca/fr/ministere-finances/programmes/transferts-federaux/lettres-provinces-territoires/2019/quebec.html
3 Banque du Canada (BdC).
4 Taux directeur = c’est le taux d’intérêt que doivent payer les banques à charte canadienne lorsqu’elles empruntent à la BdC.
5 Tremblay Denis, La zone monétaire canadienne, Mémoire présenté à la Faculté des Sciences Sociales, Département d’économie, Université Laval, Mai 1997., p. 8.
6 Mundell, Robert, A., « A Theory of Optimun Currency Areas », American Economic Review, Volume 51, Issue 4 ( Sept., 1961), 657-665., et Armand- Denis Schor., L« a théorie des zones monétaires optimales : L’optimum, le praticable, le crédible et le réel ». L’Actualité économique, Vol 76, numéro 4, décembre 2000.
7 Swoboda Alexandre, Robert Mundell, Le Nobel d’économie qui a fondé théoriquement l’Euro., Le Temps, le 13 décembre 1999., p.1-2.
8 Stiglitz Joseph E., L’Euro : Comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe., Éditions : LLL., Les Liens qui libèrent, 2016, p. 316 à 318.
9 ALÉNA = Accord de libre – échange nord-Américain.
10 Bayoumi et Eichengreen, « Monetary and Exchange Rate Arrangements for NAFTA », International Monetery Fund Working Papers, March 1993.
11 Tremblay Denis., op. cit.
12 Marcoux Jean-Philippe et Thivierge-Hotte Jean-Hugo, « L’Évolution du régime monétaire canadien dans le contexte du régionalisme nord-américain », Cahiers de recherche – CEIM, Groupe de recherche sur l’intégration continentale, Université du Québec à Montréal, Juillet 2002.
13 Murray John, « Going With the flow: The benefits of a floating C$ », Canadian Business Economics, vol .7, no 4, 1999 p. 5-6., Lafrance Robert et St-Amant Pierre, Banque du Canada, « Les zones monétaires optimales; Une revue de la littérature récente », L’Actualité économique, Revue d’analyse économique, vol 76, no 4, décembre 2000, p. 605.
14 Delaume Coralie et Cayla David, La fin de l’Union européenne, Michalon éditeur, 2017.
15 Spécialisée ou non diversifiée.
16 Kenen P. (1969), « The Theory of Optimun Currency Areas: An Eclectic View », in Mundell, R. et Swoboda A., Monetary Problems in International Economy, Chicago, University Press.
17 Schor Armand-Denis, «La théorie des zones monétaires optimales : l’optimun, le praticable, le crédible et le réel», L’Actualité économique, Vol 76, numéro 4, décembre 2000.
18 MacKinnon, R., « Optimun currency Areas », American Economic Review, No 53, p. 717-725, 1963.
19 Ingram, J.,( 1969), « Comment : The Optimun Currency Problem », In R. Munsell et A. Swoboda, Monetary Problems in International Economy, Chicago University Press., 1969.
20 Martin Jacques C., «La révolte des gilets jaune en France», L’Action nationale, Novembre-Décembre 2019, Vol CIX nos 9-10., p. 64., et Stiglitz Joseph E., L’Euro : Comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe, Éditions LLL., Les liens qui libèrent, 2016.
21 Quels pays utilisent l’euro ?, https://europa.eu/european-union/about-eu/euro/which-countries-use-euro_fr
22 OCDE –Principaux indicateurs économiques, Volume 2019/1 Janvier et Volume 2019/3, Mars., https://read.oecd-library.org/economics/principaux-indicateurs-economiques/volume- 2019/issue-1_mei-v2019-1-fr., et Gasparotti Alessandro ert Kullas Matthias, « L’Euro a 20 ans : qui sont les perdants ? qui sont les gagnants ? », Février 2019, Les Études du cep., et Delaume Coralie et Cayla David, « La fin de l’Union monétaire européenne », Les Crises, https://www.les-crises.fr/la-fin-de-lunion-européenne-de-coralie-delaume-et-david-cayla/
23 Martin, Jacques C., op.cit., p. 64 à 74.
24 Le Danemark et la Suède font partie de l’UE., mais pas de la zone euro.
25 ROC = Rest of Canada.
* L’auteur a travaillé dans le domaine des finances publiques au gouvernement du Québec, notamment sur les paiements de transferts, via la péréquation, sous la direction de monsieur Jacques Parizeau, alors conseiller économique auprès du premier ministre. Il a également été professeur agrégé à l’École Polytechnique et associé-fondateur de deux cabinets de conseillers en administration et en économie.