Les couleurs du Québec pour annoncer qui nous sommes et pour dire le temps qu’il fait sur mon pays

C’est avec plaisir que j’ai reçu l’invitation de vous entretenir du fleurdelisé en cette année de son 75e anniversaire. Il y a 25 ans déjà, c’était avec plaisir et aussi l’honneur qui y était rattaché, que je me voyais confier le mandat inédit de la conception et de la coordination d’un plan gouvernemental de commémoration de son 50e anniversaire.

C’est avec plaisir que j’ai reçu l’invitation de vous entretenir du fleurdelisé en cette année de son 75e anniversaire. Il y a 25 ans déjà, c’était avec plaisir et aussi l’honneur qui y était rattaché, que je me voyais confier le mandat inédit de la conception et de la coordination d’un plan gouvernemental de commémoration de son 50e anniversaire. Ce plan d’action, représentait, un demi-siècle plus tard, un premier véritable exercice gouvernemental de sensibilisation et de promotion des couleurs qui sont celles des Québécois depuis plus de quatre siècles sur notre continent. Des personnes de tous horizons ont été mises à contribution (ministères, sociétés d’État, municipalités).

Ce plan d’action a donné lieu à plusieurs réalisations dont :

  • Introduction du fleurdelisé à titre de signature du gouvernement du Québec.
  • Refonte du Règlement sur le drapeau afin de préciser davantage les obligations des organismes de l’État et des municipalités.
  • Production de plusieurs encarts sur l’histoire du Québec.
  • Conception et éditions d’outils didactiques et distribution dans le réseau scolaire.

Comme veut bien l’évoquer le titre de cet exposé, le drapeau du Québec est un puissant outil de communication. Il dit deux choses essentielles : d’abord qui nous sommes comme collectivité, puis, au fil des jours, le temps qu’il fait sur notre pays.

Bref retour sur le jour « J » du 21 janvier 1948

Une opération improvisée

L’épisode est aujourd’hui abondamment relaté dans les livres d’histoire : le 21 janvier, un peu avant 3 h, le drapeau du Québec, en réalité, une bannière Carillon (fleurs de lys pointant le centre) remplace désormais sur la tour centrale de notre Parlement, les couleurs coloniales britanniques. L’opération est menée par le premier ministre Maurice Duplessis. Il en retirera l’essentiel du mérite.

Ce que les livres d’histoire ne disent pas assez, c’est que Duplessis était hésitant, tergiversait, montrait peu d’empressement. On lui forcera finalement la main. Ce projet était pourtant au cœur d’une intense campagne de promotion de la bannière Carillon depuis des mois. Le Devoir et L’Action nationale s’en étaient faits porte-étendards. C’est une motion inscrite par le député indépendant René Chaloult à l’ordre du jour de l’Assemblée pour l’après-midi du 21 janvier qui forcera Maurice Duplessis à procéder au moyen d’un décret le matin même.

Ce que les livres d’histoire ne disent pas et qu’on n’apprendra qu’en 1998, c’est à quel point Duplessis était démuni et pris de court en cette journée du 21 janvier. Pour sa mise en scène de la levée du drapeau à 3 h, il n’avait en main aucun prototype du drapeau, pas même un exemplaire du Carillon pourtant largement diffusé à l’époque. En panique, on demanda le matin même à un émissaire d’aller rapidement en quérir un chez un certain René Bélanger. Un emprunt temporaire, le temps que soit confectionné un spécimen conforme au décret (fleurs de lys pointant vers le haut). La famille Bélanger aura respectueusement conservé cette bannière historique pendant cinq décennies. Il faut l’en remercier. Elle en fit don à l’État en mars 1998. Cette bannière Carillon, premier fleurdelisé à danser sur la tour centrale de l’hôtel du Parlement repose aujourd’hui au Musée de la Civilisation. En 2018, il a été classé bien patrimonial en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel.

Un geste tardif aussi

L’opération drapeau du 21 janvier 1948 illustre également comment le Québec a le don de reporter ses rendez-vous avec l’histoire : 156, c’est le nombre d’années qu’il aura fallu au Parlement du Québec pour départir sa tour centrale des couleurs coloniales britanniques ; 260 avant que ne soit éliminée l’obligation du serment d’allégeance à la couronne britannique. Au Québec, oui, la terre est patiente.

Avec le temps, on peut en effet se demander pourquoi un geste politique aussi significatif n’ait pas été posé sous Honoré Mercier (1887-1891). Dans la pensée autonomiste de ce chef d’État avant l’heure, le Québec est dépositaire de souveraineté dans ses compétences et dispose d’un droit de se gouverner. Il fut le premier à définir son gouvernement comme un « gouvernement national » et à témoigner d’une ambition pour les affaires extérieures1. Il faudra toutefois attendre 7 décennies avant que cette idée de gouvernement national soit reprise. Elle le sera par Jean Lesage.

Insaisissable Québec, au peu comme le Saint-Laurent de Pamphile Lemay : « pourquoi après tes vaillantes courses, comme morne plaine tu t’aplanis soudain, pourquoi tour à tour, ta voix est humble ou fière, pourquoi tu dors parfois2 ».

Années 1960 : telles la débâcle d’un « fleuve las d’être captif3 »

Une époque charnière que celle de la Révolution tranquille. À travers le verbe haut et fort de Lesage, l’État du Québec va succéder à La provîînce de Duplessis. Le drapeau conserve ses couleurs, mais désormais il va nous parler d’autre chose : il va nous parler d’avenir, il va porter la voix d’un « gouvernement national », le rêve de Mercier.

La formule de Lesage, l’État du Québec, n’est ni accidentelle, ni improvisée. Elle veut de façon bien sentie, signifier le rôle que le Québec peut jouer dans le monde. Son État devient l’instrument communautaire d’une affirmation nationale (Discours de Paris lors de l’inauguration de la Maison du Québec, 5 octobre 1961).

Au creux de ce premier sillon tracé à Paris, va éclore la doctrine Gérin-Lajoie (1965). Elle marquera la naissance de la politique internationale du Québec. Cette dernière sera vigoureusement soutenue par le gouvernement Johnson. En juin 1967, fleurdelisé et tricolore de la « France éternelle » font ensemble le Chemin du Roy, de Québec à Montréal. En 1968, le Québec est pour une première fois invité à hisser ses couleurs à une conférence internationale (Gabon). Et en 1969, grâce à la France, le Québec devient membre à part entière d’un organisme international (Agence de coopération culturelle et technique) Le fleurdelisé bat pour la première fois aux côtés des drapeaux d’autres pays. Un petit pas pour la France, un grand pas pour le Québec.

Ces actes de reconnaissance à l’étranger sont d’une importance capitale. Ils auront pour une première fois, consacré un statut national à notre fleurdelisé. On doit cela à « l’équipe du tonnerre » de Jean Lesage et à celle de Daniel Johnson.

Le temps qu’il fait sur mon pays

Le fleurdelisé annonce au monde qui nous sommes, mais il est en même temps un véritable baromètre politique. Un indicateur de l’humeur de notre peuple. C’est quand elles dansent et qu’elles s’agitent que les couleurs du Québec annoncent le changement. La fête nationale de 1975 sur le Mont-Royal, présidée par Lise Payette, en représente un exemple éloquent.

Le temps qu’il fait actuellement sur le Québec est, quant à lui, plutôt difficile à décoder. La capacité de ralliement autour de son drapeau, autour de projets d’avenir, n’est pas évidente. Notre cours en est en morne plaine dirait Pamphile Lemay.

Pour expliquer cette espèce d’état de dormance, il y dans le cours de notre long fleuve tranquille, de ces courants contemporains qui vont dans le sens contraire du rassemblement autour de la nation.

Ces vieux démons de la partisanerie et de la pensée doctrinale. Ils créent comme depuis toujours, des attitudes préconçues face aux enjeux nationaux. On pourrait écrire des pages là-dessus.

Il y a cette idée incongrue de notre Métropole de se prendre pour une Cité-État, une entité politique territoriale en marge du Québec. Dans bien des cercles politico-culturels radio-canadiens, on ne se dit plus « Québécois », on se définit désormais « Montréalais ». Il a fallu une intervention énergique pour que le drapeau du Québec prenne place à l’Hôtel de Ville et dans le cadre de ses activités protocolaires.

Il y a ces néo-communautarismes, à saveur religieuse principalement, de même que la vision racialiste des rapports sociaux. Ils créent des appartenances particulières en marge de l’appartenance nationale. Véritables dérives du multiculturalisme canadien.

S’il est un défi qu’il nous faut collectivement relever, c’est bien celui de réunir sous les couleurs du Québec le plus gros de ces divers courants.

L’antériorité, traverser l’épreuve du temps, ça donne un devoir de pérennité

Les couleurs nationales bleu et blanc du Québec sont les plus anciennes d’Amérique. Du pavillon maritime largement déployé sur le Saint-Laurent à l’époque de Champlain, à la bannière carillon hissée sur notre Parlement, il a filiation plutôt évidente. Elles rappellent notre antériorité sur le Continent. Elles sont notre mémoire.

Elles sont les fleurs de lys de Cartier et le bleu de la majestueuse baie de Gaspé. Elles sont l’établissement Cartier-Roberval de 1545 qui précède de 60 ans celui de Jamestown (1604), premier établissement américain.

Elles sont surtout l’œuvre absolument surhumaine de la naissance et de la construction du Québec. Une œuvre de géants dans l’adversité de la solitude et des froids à pierre fendre.

Elles sont notre terre. Son laborieux dessouchage et son dépierrage par femmes et enfants. De Louis Hébert aux colons de l’Abitibi des années 30, cette terre nourricière, c’est le principal de notre mémoire.

Elles sont cette extraordinaire aventure de la pénétration du continent américain à partir de nos humbles villages de la Côte-du-Sud, aux confins de la Louisiane. L’édification d’un quasi-empire couvrant près des 2/3 du territoire continental grâce à l’amitié franco-amérindienne. Cette aventure, c’est notre besoin d’air, c’est notre goût de liberté.

Elles sont les Remarquables oubliés de Serge Bouchard, le rêve de Champlain et de Louis Riel d’un peuple nouveau, métissé.

Elles sont, ici à Lévis, en 1670, l’accueil des Abénakis victimes des raids génocidaires des Américains. Elles sont la Grande Paix de Montréal de 1701 et ses grandes alliances.

Elles sont la reconnaissance des nations autochtones par le gouvernement de René Lévesque, la Paix des Braves de Bernard Landry ; elles sont l’accueil généreux des expatriés de la famine et des guerres.

Ces couleurs du Québec sont la Révolution tranquille, son idéal de modernité et d’égalité, le progressisme québécois, celui des grandes réformes sociales, la construction d’un modèle égalitaire sans équivalent dans le reste de l’Amérique du Nord.

Elles sont une signature nationale exceptionnelle.

Célébrer à tout vent les couleurs du Québec, avec fierté, sans retenue et sans le moindre ressenti de gêne

En cette année du 75e de notre drapeau national, il serait temps qu’on se saisisse de son extraordinaire capacité de dire qui nous sommes, avec le français notre langue commune et notre patrimoine historique, elles sont là pour rappeler que chaque nation a sa place dans le monde.

Pour le dire plus haut et plus fort, à nous d’agir :

– iI faut que nos écoles donnent à nos enfants et à tous ceux qui nous arrivent d’ailleurs, le goût du Québec, le goût de le chanter en français ;

– iI faut que les artistes retombent en amour avec leur pays, qu’ils se mettent, eux aussi, à chanter en français ;

– iI faut que les fleurdelisés réinvestissent les rues de Montréal ;

– iI faut que notre gouvernement national assume pleinement et sans relâche sa mission tout à fait légitime d’affirmation et de valorisation de notre identité, en priorité sur le territoire de Montréal.

Les couleurs d’azur et de blanc du Québec, héritées du XVIIe siècle, tout comme celles de l’Ukraine d’azur et de blé, héritées du XIVe, il nous faut les célébrer et les défendre.

Si un jour elles devaient disparaitre ou s’éteindre, c’est que les peuples qu’ils représentent auront disparu.


1 « Argument. Nation et société : Papineau, Mercier et Lévesque ». Philippe Bernard. Vol. 14 no 1 Automne 2011 – Hiver 2012.

2 Si tu pouvais parler. Au Saint-Laurent. Les épis.1914).

3 « C’était le fleuve aimé qui, las d’être captif, S’agitait tout à coup comme un coursier rétif, Secouait le fardeau de ses glaces massives, En éclats scintillants les poussait vers ses rives, Et les broyait ensemble avec autant de bruit, Qu’en fait, à son éveil, un volcan dans la nuit ». (Pamphile Lemay. La Débâcle. Les Épis, 1914).

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