Michael Gauvreau
Les origines catholiques de la Révolution tranquille, Traduit de l’anglais par Richard Dubois, Fides, 2008, 459 pages.
Voici un ouvrage très documenté sur la Révolution tranquille. Presque une encyclopédie. On peut n’être pas d’accord avec l’interprétation que l’auteur donne des faits qu’il rapporte et analyse, on ne peut que reconnaître l’ampleur de sa démarche et la qualité de la documentation qu’il soumet à notre réflexion.
Si je comprends bien, le Québec, vers le milieu du vingtième siècle, était devenu une société sclérosée paralysée par une religion routinière qui n’était qu’hypocrisie, ritualisme, une religion toute sociologique qui n’avait aucune dimension spirituelle. C’est alors que des intellectuels catholiques comme Gérard Pelletier, Pierre Elliot Trudeau et plusieurs autres se firent les prophètes, dans la coulée du personnalisme français, d’une forme de christianisme supérieur très méprisant à l’égard du pauvre peuple ignare. Selon eux,
[…] le christianisme intégral ne se rencontrait que chez une petite élite, qui, dans sa vie quotidienne, pouvait donner l’exemple tout en maintenant très élevé son niveau d’engagement et son sens du devoir dans le cheminement de l’histoire. Ceux-là seuls constituaient la communauté chrétienne authentique (p. 53).
Dans leur critique du christianisme et du conservatisme de la société traditionnelle, ces intellectuels étaient aussi catégoriques, et même aussi dogmatiques que les clercs qu’ils dénonçaient. Si je comprends bien l’auteur, la Révolution tranquille serait née de l’affrontement de ces deux mentalités religieuses, l’une populaire, traditionnelle, conservatrice, l’autre, critique, élitiste, moderne ! Le débat ainsi engagé portera sur la pratique religieuse, la conscience sociale, la famille, la révolution sexuelle, la laïcité, etc.
Dans cette profonde mise en question de la société québécoise, le personnalisme français a certes joué un rôle important, mais il me semble bien que l’auteur en exagère la portée. La Révolution tranquille, à mon avis, est l’effet d’une prise de conscience nouvelle du Canada français occasionnée par le passage de la société traditionnelle à la société industrielle, et par le vaste mouvement de décolonisation qui affecte à ce moment la communauté internationale. Vers le milieu du siècle, c’est une cinquantaine de pays qui accèdent à l’indépendance dans le monde, et il faut bien admettre que l’écho de ces perturbations était très ressenti au Québec. Ces événements provoquèrent une prise de conscience qui entraîna une démarche d’affirmation nationale du Québec qui subissait la domination du conquérant depuis deux siècles. Quand on considère l’histoire du Québec dans cette perspective d’ailleurs, on ne peut s’empêcher de penser que nos prophètes « personnalistes » qui dénonçaient les travers de la société québécoise étaient eux-mêmes fortement habités par un esprit colonisé qui les portait à mépriser le peuple auquel ils appartenaient. Ils parlaient de lucidité critique, ils se croyaient autonomes. Mais ils se voyaient en réalité dans l’oeil du conquérant. Ils ne comprenaient pas que le moment était venu de passer de la résistance à l’affirmation. C’était une grave erreur que de rejeter avec les stratégies de résistance ce qu’on avait préservé par ces stratégies.
Jean-Charles Falardeau déclarait en 1953 que l’enjeu principal du Canada français était « l’indissolubilité historique de la culture canadienne-française et de la religion catholique » (p. 70). C’était là le premier fondement de notre « identité collective ». Or nous avons réussi, dans le processus de la Révolution tranquille, à tellement caricaturer cette identité que nous ne nous reconnaissons plus, ce qui explique et le vide spirituel du Québec actuel, et la faiblesse de l’affirmation nationale. Ce que je reprocherais à ce qu’on appelle le personnalisme québécois, c’est de n’avoir pas compris que le destin spirituel du Québec était et est encore indissociable de son affirmation nationale.