En 1832 au Bas-Canada (le Québec actuel), Louis-Joseph Papineau est le chef du parti patriote et l’Orateur (président) de la Chambre d’assemblée, l’équivalent d’un premier ministre, mais avec des entraves… Il est craint et respecté par ses adversaires, mais beaucoup veulent l’abattre, le considérant comme un fléau. Ses députés et la population le vénèrent et même l’idolâtrent.
Mais un ennemi imprévu s’immisce dans l’arène politique : le choléra.
En 1830-1831, pour contrer l’arrivée d’immigrants sur des bateaux infectés par des malades de dysenterie, petite vérole ou typhoïde, le gouvernement avait instauré une quarantaine à Grosse-Île près de Montmagny. Quarantaine pas toujours respectée et sujet à la corruption des fonctionnaires.
Louis-Joseph Papineau et ses députés avaient voulu faire modifier la loi afin d’améliorer l’inspection des navires par les officiers de la santé, mais le gouverneur et ses conseils (non élus), sous la pression des marchands anglophones (les mêmes), avaient refusé, privilégiant l’arrivée de main-d’œuvre.
Un an plus tard, de nouveaux immigrants, la plupart irlandais, affamés et miséreux, seront les vecteurs innocents de cette terrible maladie du choléra issue du Gange en Inde et transportée par voie maritime et militaire.
Les fonctionnaires, de prime abord, réfutent la nouvelle d’un premier cas, puis à peine une semaine plus tard une centaine de personnes décèdent tous les jours à Québec.
À Montréal l’épidémie ne tarde pas, 230 décès la première semaine, puis 947 la semaine suivante, la panique s’installe, les habitants des campagnes n’osent plus s’aventurer en ville pour y offrir leurs fruits et légumes, l’inflation s’installe, on se méfie de ses voisins, devant les cimetières il y a encombrement de véhicules funéraires, on enterre les morts la nuit pour ne pas ameuter la population.
Louis-Joseph Papineau envoie son épouse et ses enfants à Verchères, il demeure toutefois à son poste, met sur pied un comité de surveillance sanitaire. Jacques Viger, premier maire de Montréal, et Louis-Hippolyte LaFontaine se joignent à lui. Papineau sait que le gouvernement, c’est-à-dire le gouverneur et ses valets que sont les conseils législatifs et exécutifs, vaste confrérie de marchands saupoudrés de Canadiens français de convenance, s’est montré hostile à toute entrave commerciale et a refusé de renforcer les règlements de quarantaine.
Il écrit à Julie, son épouse le 6 juillet 1832 :
Je vous souhaite à tous d’être en aussi bonne santé que moi. Bon sommeil, bonne méditation sur l’état pénible du pays mais dans un temps de calamité aussi universelle toujours un sujet renaissant d’alarmes auxquelles il convient, il est juste et raisonnable d’opposer autant de résignation de force et de courage qu’il est possible afin d’être toujours prêt à épier, à saisir les précautions qui peuvent diminuer le danger. Aussi longtemps que l’on est disposé, le matin, à dire : je veux aujourd’hui m’acquitter de tous mes devoirs, et que l’on peut se dire le soir : je n’ai pas manqué, l’on a dix chances contre une de ne pas être attaqué par la contagion, ou, en cas d’attaque de retrouver une force d’âme, une énergie morale qui la vaincrait. Adieu belle, bonne et chère amie aie soin de toi et de nos enfants, embrasse-les pour nous deux, le temps perdu pour la culture de leurs esprits [ils ne vont pas à l’école en raison de l’épidémie] sera réparé s’ils reviennent avec un corps plus robuste et capable d’application.
Papineau, que nos anti-masques contemporains auraient sans doute méprisé, écrit dans une lettre à son frère Denis-Benjamin au mois d’août 1832 :
Si vous avez des malades chez vous, ceux qui les soigneront feraient bien de se boucher le nez et la bouche d’un simple double de mouchoir pour respirer à travers et arrêter les miasmes qui pourraient communiquer la maladie et sitôt les soins finis se laver les mains et le visage, mettre à l’abri les habits qu’ils avaient sur lui, en prendre d’autres et les aérer alternativement à chaque fois que l’on aurait resté auprès du malade, n’y rester que le temps absolument nécessaire pour soulager le malade, étendre de la chaux vive dans la maison, laisser épandre dans les appartements la fumée qui s’en exhale.
La médecine de cette époque croit à tort que la maladie est transmise par voie aérienne, comme en témoigne Papineau avec les miasmes, mais il a raison pour l’hygiène des mains, car ce sont plutôt les mains sales et le contact avec l’eau contaminée par le bacille vibrio cholera qui causent cette maladie contagieuse. La médecine est impuissante, à la merci des charlatans, nous sommes toujours au royaume des purges, des vomitifs, des saignées, des panacées, les remèdes de grand-mère foisonnent, chacun interroge son intestin… Le clergé recommande de prier.
Puis l’épidémie s’estompe, mais rejoint New York, Philadelphie et le reste de l’Amérique du Nord.
Au Bas-Canada elle avait fait 12 000 victimes, elle reviendra en 1834, moins forte toutefois, le gouverneur Aylmer refusa alors de l’argent au bureau médical de Montréal, puis se réfugia dans sa maison de campagne à Sorel, à l’abri de cette seconde épidémie.
François Legault, premier ministre du Québec, a dû faire face aux mêmes difficultés que Papineau, mais dans des formes et des forces différentes : une médecine en recherche de traitements efficaces, à la merci d’un va-et-vient de directives, d’absence de matériel adéquat, d’un manque de personnel, d’une quarantaine fragile. À l’image de Mathew Whitworth Aylmer, gouverneur du Bas-Canada, Justin Trudeau se fait prier, par un genou posé par terre, pour donner accès à un service essentiel puis se glorifie d’avoir participé à la prise en mains des CHSLD. Ajouter une population inquiète, fragile, une économie en trouble-fête, et cette maladie venue de l’extérieur, voilà les témoins du passé de l’Histoire qui rejoignent le présent.
Papineau dans son bureau de surveillance sanitaire, ancêtre de la Santé publique, aurait-il appuyé François Legault premier ministre, et qu’aurait-il pensé de l’attitude grand seigneur de Justin Trudeau ?
Homme de principes qui avait affronté les gouverneurs Dalhousie et Aylmer et réussit à les faire répudier et renvoyer en Angleterre, Louis-Joseph Papineau, ne toléra jamais quelque mépris ou abus d’autorité. Justin Trudeau aurait été ébranlé dans sa superbe.