Alors, nous y sommes : quatre ans après une débâcle électorale historique, elle-même survenue au terme d’une longue glissade amorcée plusieurs années auparavant, le Parti québécois défie tous les pronostics et redevient, au moins provisoirement, un véritable aspirant au pouvoir, trônant même au sommet des intentions de vote selon le plus récent d’une série de sondages le donnant en constante ascension.
Tandis qu’on nous expliquait, depuis près de deux décennies, que le PQ déclinait parce que son idée fondatrice devait désormais être classée au rang des choses abominables « dont les Québécois ne veulent pas entendre parler », c’est précisément en congédiant cette analyse et en misant sur l’engagement indépendantiste et référendaire le plus clair et assumé depuis l’époque Parizeau que Paul St-Pierre Plamondon a vu son parti accomplir l’impressionnant retour en force auquel nous assistons aujourd’hui.
Bref, voici donc les indépendantistes – il en reste ! – de retour à la case départ, après un long, pénible, fastidieux, coûteux et corrosif détour par les « conditions gagnantes », le « référendum dans mille jours », la « gouvernance souverainiste », le référendum « dans un second mandat » et les autres concepts et expressions plus ou moins fumigènes visant à enrober la mise en veilleuse du projet d’indépendance, pour laisser place à l’idée d’un « bon gouvernement » provincial hyperétapiste. En somme, c’est un peu comme si, de Parizeau à St-Pierre-Plamondon, il ne s’était rien passé, hormis des soubresauts indépendantistes notables, mais sans lendemain, sous Bernard Landry et Pierre Karl Péladeau.
D’aucuns arguent pourtant que ce long hiatus fut nécessaire, parce qu’il fallait d’abord entendre le rejet apparemment furieux et insurmontable que suscitait chez les Québécois l’évocation d’un autre débat existentiel, se replier dans le projet d’une gouvernance provinciale autonomiste qui permettrait de rebâtir la confiance de notre nation en ses moyens, de réparer ceci, pour enfin revenir, un jour, plus tard, à la question de l’indépendance.
Nous le savons, c’est François Legault qui a bénéficié de la crédibilisation, à laquelle ont si vaillamment travaillé les souverainistes péquistes, de cette thèse de la mythique « troisième voie » nationaliste provinciale comme sortie de secours pour souverainistes et nationalistes impuissants. Réputé de bonne foi dans sa volonté de défendre le Québec à l’intérieur du Canada puisqu’il assumait complètement son renoncement à l’indépendance – il a même affirmé qu’il voterait NON dans un hypothétique référendum –, Legault a coiffé les péquistes sans difficulté au fil d’arrivée dans le concours électoral de 2018 visant à chasser les libéraux du pouvoir.
Depuis, son gouvernement a bien permis quelques avancées nationalistes symboliques, notamment par l’adoption de la loi 96, mais il reste impuissant à freiner durablement un processus d’assimilation et de déclin du français qui prend désormais une ampleur alarmante ; quant à ses tentatives de faire le moindre gain structurel significatif auprès d’Ottawa, elles se sont toutes soldées, bien évidemment, par des échecs cuisants. Depuis, M. Legault erre sans projet précis, à la barre d’un navire national sans boussole.
Devions-nous vraiment nous taper cette énième réédition d’un vieux film que nous connaissons trop bien, pour que réapparaisse la question nationale dans la conscience collective ?
On peut légitimement penser que non. En effet, une autre lecture de la trame historique récente est possible ; elle est même nécessaire, s’il s’agit de bien comprendre ce qui s’est réellement passé entre 1996 et 2018, afin qu’un tel gaspillage de temps, d’énergies et de conjonctures intéressantes ne se reproduise pas.
Cette trame, c’est d’abord celle d’un mouvement politique qui renonce, puis qui s’effondre.
Lorsque Lucien Bouchard ferme le dossier de la souveraineté, à la fin des années 90, il est loin d’être clair que le projet indépendantiste est dans une impasse. L’appui qu’il recueille dans les études d’opinion reste élevé, souvent davantage qu’il ne l’était, par exemple, un an avant le référendum de 1995. En termes électoraux, les anciens partenaires du OUI, l’ADQ et le PQ, dominent ensemble des libéraux en faillite intellectuelle complète. Il est tout à fait possible d’agir, cela est indubitable.
Pourtant, le gouvernement péquiste s’incrustera pendant plusieurs années dans la gérance provinciale jusqu’à l’inévitable défaite, conséquence habituelle de l’usure du pouvoir, qui surviendra en 2003. Arrive ensuite le scandale des commandites. L’appui à l’indépendance s’envole et devient solidement majoritaire. Qu’à cela ne tienne, à peine deux ans plus tard, on attribue une nouvelle défaite péquiste au monstre à tentacules référendaire qui « fait peur au monde », comme si la performance difficile d’André Boisclair ne comptait pas. Puis, Pauline Marois reconduit la philosophie du « bon gouvernement » et s’y cramponne jusqu’en 2014.
Hormis un moment de flottement pendant le bref interlude Péladeau, cette philosophie restera dominante, et culminera même à l’élection de 2018, alors que Jean-François Lisée prend l’engagement « en fer forgé, la porte fermée à double tour » de ne mener aucune action gouvernementale indépendantiste pendant un mandat complet. Échec électoral important pour le PQ, mais triomphe du bon-gouvernementisme désormais subtilisé par la CAQ, elle-même paquetée d’ex-péquistes.
Et puis arrive Paul St-Pierre-Plamondon qui, après avoir lui-même été adepte de la posture attentiste et bon-gouvernementiste, renverse la vapeur et reprend le flambeau de l’indépendance. Depuis, il accumule les succès. Ceci n’explique pas entièrement cela, il y a aussi des circonstances particulières, mais…
Mais il faut être sérieux : ce ne sont pas les Québécois qui ont abandonné l’indépendance et perdu foi en l’avenir, et ce, pendant près de deux décennies ; ce sont les péquistes, ou du moins, les plus hauts gradés d’entre eux. Contrairement à ce que nombre de militants et de membres de l’intelligentsia souverainiste ont voulu croire, le bon-gouvernementisme qui a vu le PQ s’enfoncer dans l’insignifiance et le mouvement indépendantiste se désintégrer – au profit de la CAQ et de QS, notamment – n’émana pas de la recherche de la meilleure façon possible d’arriver « au pays » ; il fut le fruit d’un mauvais arbitrage entre l’indépendantisme et la stricte volonté de gouverner la province à la place des libéraux. Arbitrage remporté, bien évidemment, par cette dernière.
De la même façon, les Québécois ne viennent pas tout juste de prendre conscience de l’impasse canadienne, à travers l’échec prévisible du nationalisme caquiste. Même si, pour la plupart, ils n’ont pas fraîchement en mémoire les rebuffades retentissantes subies sous Bourassa, ils ne sont pas fous à temps plein : ils savent très bien, en leur for intérieur, et cela ne date pas d’hier, que leur existence nationale est loin d’avoir un avenir assuré dans le Canada. Ces choses-là se sentent, même quand elles ne sont pas sues. L’inadéquation du statut provincial, du reste, pouvait être démontrée, tout comme le cul-de-sac de la fameuse « troisième voie », hier, il y a six mois, en 2022, en 2018, en 2014, en 2012, en 2008, en 2007 et avant. Il suffisait d’y travailler.
Ce ne sont pas les Québécois qui retrouvent la flamme, aujourd’hui, eux qui demeurent réceptifs à l’idée de l’indépendance à des niveaux impressionnants depuis au moins quatre décennies, malgré, bien sûr, certaines fluctuations. Non, ce sont plutôt les indépendantistes qui retrouvent un peu d’allant, après une longue dépression politique, stratégique et intellectuelle. On a envie de dire qu’il en était bien temps, car il est moins une : la révolution numérique a ouvert un pipeline d’angloaméricanisation exerçant ici une pression assimilatrice d’une puissance jamais vue, et ce, alors que près de trente ans de silence ont laissé les jeunes générations complètement étrangères à la question nationale.
Le temps presse, donc, et nous n’avons plus les moyens d’une autre phase d’atermoiements perpétuels. Les leçons de la grande démission souverainiste post-1995 doivent être tirées, afin que, plus jamais, on en vienne à penser que la meilleure façon d’arriver à l’indépendance est d’en abandonner la quête immédiate.
- Chroniqueur.