Mode de scrutin. Le modèle nordique pour le Québec

Les partisans de la réforme du mode de scrutin ont enfermé celle-ci dans la perspective d’une « représentation proportionnelle mixte » (RPM) compensatoire à l’allemande. Or celle-ci n’est absolument pas la forme la plus progressiste ni la plus juste et équitable de «  représentation proportionnelle » (RP). Non seulement laisse-t-elle persister quelques distorsions favorisant particulièrement le parti dominant, le Parti libéral du Québec (PLQ), mais elle se trouve aussi à favoriser les forces anti-nationalistes et conservatrices en raison du vote bloc des non-francophones.

En effet, la RPM a un impact différencié selon les partis quant à l’accès au pouvoir. Elle procure une prime au parti gagnant qui bénéficie surtout au PLQ, une prime dont l’ampleur suffit pour favoriser la prise du pouvoir en solitaire de ce dernier de manière quasi permanente. En cela, la RPM est semblable au mode de « scrutin majoritaire uninominal » (SMU) actuel du Québec (et du Canada). Elle continue de favoriser les forces anti-nationalistes et conservatrices en échange de l’accès à un minimum de représentation pour les opposants nationalistes. Et finalement, la RPM partage une autre caractéristique importante avec le SMU actuel : son mode de désignation des candidats, les assemblées d’investiture, favorise de manière indue les candidats qui parviennent à traduire concrètement l’influence des non-francophones. En outre, ces candidats partageant un même profil anti-nationaliste et conservateur et sont suffisamment nombreux, sous la RPM, pour exercer un ascendant certain sur leurs autres collègues élus grâce à ses dispositions compensatoires.

À l’opposé, le « modèle nordique » (MN) de mode de scrutin proportionnel élimine la plupart des distorsions entre voix et sièges ; il agit de manière équitable entre partis et favorise l’établissement de coalitions dans la formation des gouvernements ; il élimine la prime accordée au vainqueur et établit un équilibre complet entre forces politiques ; il n’accorde aucun ascendant aux députés élus sous un mode d’élection ou un autre, ne faisant en particulier élire aucun candidat par le SMU, source intarissable de distorsions démocratiques. Progressistes, nationalistes et indépendantistes peuvent s’allier autour du modèle nordique et lutter pour empêcher que ne se poursuive la transformation du Québec en une République de bananes sans État et sans solidarité, soumise aux dictats du Canada et des entreprises transnationales, et pour mettre en place le Québec de demain, libre et démocratique.

Les partisans de la réforme du mode de scrutin ont enfermé celle-ci dans la perspective d’une « représentation proportionnelle mixte » (RPM) compensatoire à l’allemande. Or celle-ci n’est absolument pas la forme la plus progressiste ni la plus juste et équitable de «  représentation proportionnelle » (RP). Non seulement laisse-t-elle persister quelques distorsions favorisant particulièrement le parti dominant, le Parti libéral du Québec (PLQ), mais elle se trouve aussi à favoriser les forces anti-nationalistes et conservatrices en raison du vote bloc des non-francophones.

En effet, la RPM a un impact différencié selon les partis quant à l’accès au pouvoir. Elle procure une prime au parti gagnant qui bénéficie surtout au PLQ, une prime dont l’ampleur suffit pour favoriser la prise du pouvoir en solitaire de ce dernier de manière quasi permanente. En cela, la RPM est semblable au mode de « scrutin majoritaire uninominal » (SMU) actuel du Québec (et du Canada). Elle continue de favoriser les forces anti-nationalistes et conservatrices en échange de l’accès à un minimum de représentation pour les opposants nationalistes. Et finalement, la RPM partage une autre caractéristique importante avec le SMU actuel : son mode de désignation des candidats, les assemblées d’investiture, favorise de manière indue les candidats qui parviennent à traduire concrètement l’influence des non-francophones. En outre, ces candidats partageant un même profil anti-nationaliste et conservateur et sont suffisamment nombreux, sous la RPM, pour exercer un ascendant certain sur leurs autres collègues élus grâce à ses dispositions compensatoires.

À l’opposé, le « modèle nordique » (MN) de mode de scrutin proportionnel élimine la plupart des distorsions entre voix et sièges ; il agit de manière équitable entre partis et favorise l’établissement de coalitions dans la formation des gouvernements ; il élimine la prime accordée au vainqueur et établit un équilibre complet entre forces politiques ; il n’accorde aucun ascendant aux députés élus sous un mode d’élection ou un autre, ne faisant en particulier élire aucun candidat par le SMU, source intarissable de distorsions démocratiques. Progressistes, nationalistes et indépendantistes peuvent s’allier autour du modèle nordique et lutter pour empêcher que ne se poursuive la transformation du Québec en une République de bananes sans État et sans solidarité, soumise aux dictats du Canada et des entreprises transnationales, et pour mettre en place le Québec de demain, libre et démocratique.

1. Deux options : la représentation proportionnelle mixte compensatoire et la représentation proportionnelle régionale compensée au national

Les débats actuels sur un nouveau mode de scrutin pour le Québec font généralement la promotion de la « représentation proportionnelle mixte » (RPM) compensatoire à l’allemande. En effet, ce dernier aurait l’avantage de permettre de conserver le mode de scrutin majoritaire actuel (le SMU, ou scrutin majoritaire uninominal) et de lui adjoindre un mécanisme permettant de respecter un « maximum » de proportionnalité dans la répartition des sièges. Ainsi, partant d’une « représentation proportionnelle » (RP) calculée au national, la RPM compensatoire à l’allemande signifie que 60 % des députés sont élus au SMU et que les 40 % restants proviennent de la soustraction du résultat calculé au national moins les 60 % élus au SMU. C’est l’utilisation de deux modes d’élection, le SMU et la RP, qui en fait un mode d’élection mixte, d’où l’appellation de « RPM ».

On peut toutefois questionner la pertinence de conserver des éléments de SMU dans un nouveau mode de scrutin pour le Québec. De fait, les forces qui font la promotion de la réforme du mode de scrutin actuel connaissent fort bien les tares inhérentes du SMU. Seules à réclamer une réforme du mode de scrutin, elles acceptent pourtant de diluer leur proposition de représenation proportionnelle et embrassent une réforme compliquée devenant du coup une forme mixte. En réalité, une RPM a pour seul avantage de permettre aux députés actuels de conserver éventuellement leur poste, ce qui permettrait ainsi d’en obtenir l’appui pour enfin implanter la réforme tant désirée. L’obtention de l’appui du public est par conséquent d’autant plus compliqué à obtenir. Plutôt que d’axer la campagne de réforme du mode de scrutin autour de la simplicité des grands principes de la représentation proportionnelle, on choisit une RPM dont les arrangements alambiqués reposent sur des mécanismes pourtant beaucoup plus complexes et nettement plus lourds que presque n’importe quel autre genre de représentation proportionnelle.

Quelles sont les caractéristiques de la mécanique de la représentation proportionnelle mixte compensatoire à l’allemande ?

  • La répartition des sièges au national : les sièges sont d’abord attribués au niveau national. Leur répartition reste par la méthode du plus fort en utilisant le quotient de Hare.
  • La répartition des sièges par région : le nombre de sièges par région exerce une influence directe sur le pluralisme. Plus une région comptera de sièges, plus le pluralisme y sera élevée. Connaissant le nombre de sièges par région, lequel peut fluctuer ou être uniforme, on peut calculer le nombre total de sièges par partis, nombre desquels on soustraira les sièges obtenus au SMU. Les sièges restants seront appelés « compensatoires », dans la mesure où ils corrigent le vote au SMU et visent à refléter le vote valide. Le calcul des sièges régionaux se fera sur la base de la méthode de la plus forte moyenne, en utilisant le diviseur de Saint-Laguë, plus favorable aux petits partis.
  • Les sièges en surnombre : le nombre de sièges par parti auxquels un parti a théoriquement droit dans une région excède parfois le nombre de sièges obtenus au SMU. Par exemple, grâce au SMU, le PLQ aurait obtenu 12 sièges sur 15 dans l’Ouest de Montréal alors que théoriquement il n’aurait dû en récolter que 10. Au lieu de lui enlever les deux sièges obtenus en excédent, la RPM compensatoire à l’allemande convient de les lui laisser, ce qui fait que le total de sièges de la région s’élèvera à 17 sièges au lieu de 15 ; le total national sera haussé d’autant.
  • Restreindre l’accès à la représentation en imposant des seuils : plusieurs pays ont décidé d’imposer un ou plusieurs seuils pour restreindre l’accès à la représentation. On espère ainsi, idée simpliste, écarter de la députation des partis jugés « extrémistes », quitte à compliquer en contrepartie l’émergence de nouveaux partis1. On espère également d’une part assurer la « stabilité gouvernementale » en procurant à un parti minoritaire aux voix une majorité artificielle de sièges2. Et d’autre part éviter que la « balance du pouvoir » n’aboutisse entre les mains de tels partis3. Les arguments évoqués ne sont en réalité que préjugés et arguments politiques livrés dans la bataille contre la réforme du mode de scrutin. Certainement clairement battus en brèche par ce que l’on connaît du fonctionnement des systèmes électoraux.
  • L’imposition de seuils d’accès à la représentation : certains pays ont imposé, par exemple, un seuil de 5 % des votes valides au niveau national pour permettre à un parti à accéder à la députation. Dans d’autres juridictions, sans satisfaire un tel seuil national, des partis peuvent néanmoins accéder à la représentation s’ils satisfont un ou deux autres seuils d’accès à la représentation : obtenir au moins un élu dans une région ou obtenir au moins 5 % ou 10 % des votes valides dans une seule région. Avec de tels doubles ou triples seuils, l’entrée à la chambre législative ne se fait finalement imposer que très peu de restrictions. Enfin, certains pays n’imposent aucun seuil4 : les partis extrémistes peuvent exister, mais aucun des autres partis ne tentera de se les allier pour constituer une coalition gouvernementale.
  • L’existence de primes à la députation : les partis les plus faibles ayant été éliminés en vertu des seuils d’accès à la représentation, les pourcentages des votes valides obtenus par les partis éliminés seront disponibles pour l’ensemble des autres partis, bénéficiant naturellement au parti le plus fort aux voix. Il s’agit d’un point très important, car la possibilité pour un parti de disposer d’une prime suffisante pour le rendre capable d’obtenir une majorité des sièges change toute la donne du type de représentation proportionnelle proposée.
  • Et autres particularités…

La RPM compensatoire à l’allemande souffre d’un autre problème considérable : le mode de sélection des candidats propre au SMU. En assemblée d’investiture, là où sont sélectionnés les futurs candidats des partis, les candidats remportant leur investiture ont tendance à être des hommes, âgés de 50 ans et plus, membres des professions libérales et liés à l’élite économique locale. Ils sont blancs et appartiennent le plus souvent à la communauté majoritaire5. Collectivement, les élus peuvent exercer un biais façonnant les politiques gouvernementales. Une assemblée législative composée de millionnaires, avec faibles contrôles quant au démarchage entre élus et groupes d’intérêts, comme on en trouve aux États-Unis, ne peut qu’adopter des politiques et des mesures compatibles avec les vues de ses membres. Une assemblée excluant ou réduisant le poids des femmes, ou des minorités, des autochtones, etc., en fera autant.

2. Quelle est l’influence des députés élus grâce au vote non francophone ?

La sélection des candidats sous le SMU comporte, dans le cas québécois, des implications qu’on ne saurait ignorer : cela semble banal, mais demeure pourtant fondamental. Comme chacun le sait, le vote, au Québec, est fonction de la « langue parlée le plus souvent à la maison » (non de la « langue maternelle »), et cela depuis que le Parti québécois existe (et sans doute avant). Cela est bien connu, le SMU favorise le régionalisme tout autant que le clientélisme. Dans le cas québécois, il accorde une influence particulière aux groupes qui votent en bloc en faveur d’un parti6, en l’occurrence le PLQ ou son option. De fait, les députés ne sont d’abord pas les représentants de leur « ethnie » (ou leur « groupe linguistique »), mais plutôt porte-parole de l’électorat qu’ils représentent. Sans quoi l’influence des anglophones, depuis nombre de décennies, serait proche du néant puisque la communauté anglo-québécoise compte très peu de députés issus de ses rangs depuis les années soixante. De même, chez les allophones, comme les communautés étaient si peu nombreuses et se sont de plus tellement diversifiées au fil du temps que presque aucune ne dispose à elle seule d’une influence suffisante pour influencer le PLQ. Ce sont surtout, voire quasi exclusivement des francophones qui les représentent.

Dans la répartition des sièges, les non-francophones exercent donc une influence permanente sur l’issue du scrutin dans 35 % à 40 % depuis 1970. Leur poids représente environ 25 % de la clientèle libérale en cas de victoire aux élections, et environ 35 % en cas de défaite. Sur le plan de la répartition des sièges, leur influence a pu être mesurée par l’existence de seuils linguistiques : chaque élection et chaque sous-région comporte une proportion de francophones qui sépare les circonscriptions entre le ou les partis à clientèle mixte (non francophone et francophone, i.e. le PLQ) contre le ou les partis à clientèle francophone exclusivement (i.e. le Parti québécois [PQ], la Coalition avenir Québec [CAQ], Québec solidaire [QS], etc.). En réalité, au-delà de cette proportion de francophones, les candidats du ou des partis francophones étaient systématiquement élus, tandis qu’en-deçà, seuls les candidats libéraux l’étaient.

Les seuils linguistiques déterminent donc trois cas de figure pour chaque élection et chaque sous-région, permettant de mesurer précisément l’influence des non-francophones dans la répartition des sièges : les circonscriptions de Type A, dans lesquels les non-francophones renversent le vote francophone, auxquels s’ajoutent les sièges de Type B, dans lesquels les non-francophones ne renversent pas le vote francophone, mais sont suffisamment nombreux pour exercer une influence sur les décisions de l’élu, et enfin les sièges de Type C, dans lesquels les non-francophones ne sont pas présents et n’exercent donc aucune influence sur les élus.

Grâce à ces distinctions, il est possible de passer de la mesure de leur influence dans leur clientèle à une première mesure de leur influence dans la députation. Ainsi, de 1970 à 2014, lorsque le PLQ était défait, les députés à influence non francophone représentaient environ 90 % des sièges libéraux. Lorsque le PLQ était victorieux, attirant donc davantage de francophones, l’influence des non-francophones dans l’ensemble des sièges libéraux se situait en moyenne à environ 67 %. Mais au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie du parti, les proportions représentées par les sièges A et B augmentent. Chez les ministres, ils représentaient environ 90 %, tandis que chez les 7 ou 8 ministres les plus importants, elles atteignaient presque les 100 %.

Contrôle du PLQ dans l’opposition, et contrôle du PLQ au pouvoir, influençant de manière permanente le cadre de légitimité de la politique au Québec. Les non-francophones ont contribué à faire élire huit des treize gouvernements depuis 1970. Leur vote a renversé le vote francophone non seulement au référendum de 1995, mais aussi aux élections de 1989, à celles de 2003, 2007, 2008 et 2014. Ces sièges A et B ont également fait passer le gouvernement péquiste de 2012 du statut de majoritaire à celui de minoritaire. En vertu de leur contrôle de l’opposition, les sièges à influence non francophone ont miné les efforts gouvernementaux voulant montrer, en guise de résistance face à Ottawa, la solidarité nationale des Québécois. Elles ont plutôt affaibli les positions du Québec. Bref, tant lorsque le PLQ était au pouvoir que dans l’opposition, les élus marqués par l’influence des non-francophones ont constitué un puissant groupe ayant maintes fois démontré sa capacité d’infléchir la conduite du gouvernement québécois, et même d’affaiblir les positions nationalistes de ce dernier.

(Il est important de distinguer entre « immigrants » et « non-francophones ». Les premiers peuvent être francophones ou francotropes, ou être anglophones ou anglotropes, si bien que les positions qu’ils adopteront seront conséquentes. Le passage du temps a de plus transformé la composition du groupe non francophone ; de natifs hostiles à la loi 101, il s’est composé de plus en plus d’immigrants divisés entre francotropes et anglotropes.)

D’autre part, en demeurant une clientèle captive des libéraux provinciaux et fédéraux, les non-francophones ont fait et continuent de faire l’histoire du Québec. Cela même si le mythe continue de faire équivaloir l’histoire québécoise à la seule histoire des francophones. Même lorsque celle-ci persiste à ignorer l’impact des non-francophones en avalisant le discours des associations ethnoculturelles, lequel souligne plutôt combien « tous » les immigrants se sentent impuissants et aliénés face à une majorité francophone insensible, au contrôle de l’État et… certainement xénophobe, idées circulant abondamment chez les non-francophones anglotropes.

Les non-francophones valorisent ainsi le multiculturalisme et le clientélisme, qui affaiblissent le contrôle de la majorité francophone face au libre-choix fédéral. Ils offrent en effet la plus grande méfiance envers un État provincial-instrument de pouvoir de la majorité francophone, appelant à l’aide l’État fédéral pour garantir le libre-choix linguistique. Ils recherchent du coup le plus faible interventionnisme possible de l’État provincial en matière de politiques nationales et sociales, se montrant par ailleurs plus favorables à une gouvernance forte, quitte à tolérer une plus faible participation à la décision publique et davantage de dérive dans la prise de décision.

En d’autres termes, le SMU a eu pour effet de créer un noyau de députés libéraux permanent, relativement insensible à la corruption et nettement enclin à se lier – se soumettre – à l’élite économique et financière qui contrôle le PLQ et le Québec, qui fuit toute forme de nationalisme même en claire situation d’agression canadienne.

Si la RPM permet d’avoir suffisamment d’élus au SMU pour que le PLQ se maintienne sous la domination du groupe de députés non francophone, il y a nettement problème. Un problème que toute personne attachée au devenir de la nation québécoise se devrait d’examiner.

D’autres modes de scrutin proportionnels sont capables d’écarter ce genre de situations. Aussi vrai que le SMU est « démocratiquement infect », ainsi que l’affirmait publiquement René Lévesque en 1969 lors de la fondation du PQ, la RPM ne peut être une solution valable pour la majorité francophone. Le « modèle nordique » (MN), semblable à celui utilisé au Danemark et en Suède, permet au contraire de bénéficier des avantages de la RPM tout en en corrigeant les irritants les plus irrecevables. Plus simple également à expliquer que la RPM, le MN est plus juste, plus équitable, plus démocratique, et ne favorise aucune force politique de manière indue, contrairement à la RPM.

De mécanique semblable à la RPM, le MN est un scrutin de liste, une proportionnelle régionale corrigée au national. En pratique, 85 % des sièges (125 sur 147) sont distribués entre les régions sur la base des votes valides via la méthode de la plus forte moyenne (en utilisant le diviseur de Saint-Laguë). Les 15 % de sièges restants (22 sur 147) sont dits « compensatoires » en ce sens qu’ils renvoient à une répartition nationale des sièges de laquelle sont soustraits les 85 % de sièges de la répartition régionale. Ainsi, ces 22 sièges corrigeront les écarts entre la répartition régionale des sièges et la répartition nationale théorique des sièges.

Par exemple, on détermine le nombre et la répartition des sièges (en l’occurrence, aucun seuil) dans chaque région sur un total de 125 : partis A, B et C, 5 sièges chacun (méthode des plus fortes moyennes, diviseur de Sainte-Laguë). La somme des sièges alloués à la proportionnelle régionale (partis A, B, C, respectivement 50, 50, 25) est ensuite comparée à ce qu’est la répartition nationale des sièges (respectivement 55, 60, 32, méthode du plus fort reste, Quotient de Hare).

L’écart entre ce total national et la somme des sièges pourvus à la proportionnelle régionale sera corrigé par les sièges compensatoires (respectivement 5, 10, 7). Donc, après avoir déterminé les sièges compensatoires, on les répartit par région. À cette étape, la répartition des sièges par parti et par région se fera selon la méthode du plus fort reste (Quotient de Hare) : ainsi, pour le parti A, la région 1 ne recevra aucun siège, la région 2 en recevra 2 (les régions 3, 4, 5 et 6, aucun, etc.), pour un total de 5 sièges compensatoires. Le même calcul est repris pour chaque parti. Bref, les sièges de la proportionnelle régionale additionnés aux sièges compensatoires correspondront presque parfaitement à la répartition calculée au national selon la méthode du plus fort reste.

3. Résultats comparés : SMU, RPM et MN, élections de 1966 à 2014

Pour évaluer les qualités de chaque mode de scrutin, on procède généralement par scénarios. Certains souligne que ces derniers étant infinis en nombre, le danger est de n’en fabriquer que certains, ceux qui sont l’objet des préférences des « scénaristes », et de s’y tenir comme s’il n’en existait pas d’autres. Mais on rétorque que justement, la fabrication de scénarios non pertinents rend les comparaisons insignifiantes.

La meilleure façon d’éviter de tels écueils et d’éviter de multiplier le nombre de scénarios est de revenir aux résultats électoraux réels des 13 élections survenues au Québec entre 1966 et 2014 (et trois référendums)7 et reprendre la répartition des sièges avec des modes de scrutin différents. Les scénarios suivants reprennent donc des événements recouvrant des époques démocratiquement inégales, dont certaines seulement sont rigoureusement conformes au principe d’égalité du droit de vote des électeurs, aux élections contrôlées par le Directeur général des élections, un officier de l’Assemblée nationale agissant avec la plus grande indépendance et la plus grande neutralité, chargé du respect des règles démocratiques, etc. Un passé qui pourrait néanmoins ressembler à une éventuelle réalité future.

Ces scénarios supposent par ailleurs que les règles n’ont aucune influence sur le comportement des acteurs, autant les électeurs que les partis politiques. Or dès l’introduction de quelques modifications au mode de scrutin, notamment l’établissement d’un lien précis de proportionnalité entre voix et sièges ou l’implantation d’éléments de proportionnelle, les partis vont immanquablement changer leur comportement, cherchant à conquérir tous les votes sans égard à leur localisation. Les électeurs en feront autant, se permettant de voter davantage en fonction de leurs convictions qu’en fonction d’un nombre limité de partis8.

Dans un premier temps, au tableau A1, (voir version internet), les résultats des 17 consultations (14 élections et 3 référendums9) tenus de 1966 à 2014 sont présentés en fonction de trois modes de scrutin différents, dont deux simulés : les résultats réels, selon le mode de scrutin majoritaire uninominal (SMU), les résultats simulés selon la représentation proportionnelle mixte compensatoire à l’allemande (RPM), et les résultats simulés selon le modèle nordique (MN), grosso modo semblable au mode de scrutin en usage au Danemark et en Suède.

Pour ce qui est du SMU, faute de mieux10, il fut décidé d’utiliser les véritables circonscriptions provinciales, au nombre de 108 à 125 de 1966 à 2014, et leurs résultats réels. Partant de ces résultats, pour le calcul des résultats simulés à la RPM, nous avons fait équivaloir ces circonscriptions à 60 % du total et leur avons ajouté 40 % d’élus au scrutin de liste. Le nombre total d’élus à la RPM repose donc sur environ 200 sièges pour chaque consultation11 ; en vertu de la règle des sièges en « surnombres », quelques autres sièges ont été ajoutés, ce qui a augmenté le total de sièges entre 1989 et 2014 entre 211 et 221.

Pour la RPM, l’utilisation des 108 à 125 circonscriptions provinciales comme base de calcul en lieu et place des 75 circonscriptions fédérales introduit un biais qu’on ne peut ignorer : plus le nombre de sièges est élevé, plus les simulations sur cette base s’approchent d’une répartition proportionnelle des sièges. Enfin, la fourchette de sièges de la RPM était nettement plus imposante que celle du MN, dont le nombre fixe était de 147 circonscriptions de 1989 à 2014, et jusqu’à 127 de 1966 à 197012. Pour des comparaisons optimales, il eut été préférable d’utiliser le même nombre de sièges pour tous les modes de scrutin.

Le tableau A2, (également dans la version internet), présente d’abord les distorsions entre la répartition réelle des voix et la répartition des sièges selon chacun des trois modes de scrutin, SMU, RPM et MN. Diverses autres statistiques d’intérêt suivent, en rapport avec les tableaux 1 à 5, qui résument les statistiques discutées ci-dessous.

3.1 Les distorsions brutes

La première observation (tableau 1) implique une comparaison entre les distorsions brutes (« % des sièges » moins « % votes valides ») entre partis selon le SMU, la RPM et le MN. Les distorsions moyennes en faveur du PLQ (17 consultations) varient considérablement selon les modes de scrutin, étant nettement favorables au PLQ sous le SMU (7 %), légèrement sous la RPM (2 %) et nulles sous le MN (0 %). Le mode de scrutin le plus favorable au PLQ reste donc le SMU.


Tableau 1 : Distorsions brutes % de sièges c. % de voix, Québec, 17 consultations de 1966 à 2014

1966-2014

Distorsions brutes moyennes :
« proportions des sièges » moins
« proportions des votes valides »

SMU

RPM

MN

PLQ (n=17)

7%

2%

0%

V

D

V

D

V

D

20%

-7%

3%

-1%

0%

-1%

PQ (n=16)

2%

2%

1%

V

D

V

D

V

D

17%

-11%

2%

-2%

0%

-1%

V = victoire D = défaite


Au PQ (16 consultations, car le parti n’existait pas en 1966), les distorsions moyennes sont plus faibles : 2 % sous le SMU, 2 % sous la RPM et 1 % sous le MN. L’impact du mode de scrutin semble plus limité.

Cependant, lorsque l’on distingue entre victoires et défaites, l’impact du mode de scrutin explose. De fait, sous le SMU, le PLQ dispose d’une surreprésentation imposante de 20 % pour ses 9 victoires contre une sous-représentation de 7 % lors de ses 8 défaites. Cet avantage moyen du PLQ sous le SMU fond comme neige au soleil avec la RPM : en situation de victoires, le PLQ dispose d’une surreprésentation de 3 % contre une sous-représentation de 1 % en cas de défaites. C’est toutefois le MN qui se révèle le plus proche de la proportionnalité recherchée : 0 % de distorsions en cas de victoires du PLQ, 1 % en cas de défaites.

Au PQ, sous le SMU, les victoires du PQ suivent les résultats obtenus par le PLQ. Elles lui confèrent une surreprésentation moyenne « sièges c. votes valides » de 17 % des sièges contre une sous-représentation de 11 % en cas de défaites. Mais avec la RPM, cette surreprésentation lors de ses victoires tombe à 2 % du PQ, à laquelle s’est rajoutée une sous-représentation équivalente (-2 %) dans ses défaites. Le portrait du MN est identique au PLQ : autant de votes valides que de sièges en cas de victoire (0 %), légère surreprésentation des sièges de 1 % par rapport aux proportions des votes valides.

En somme, les mouvements des votes sont extrêmes sous les SMU et touchent autant le PLQ que le PQ. Ils sont considérablement réduits sous la RPM et, pour ainsi dire, inexistants sous le MN.

3.2 Conséquences sur l’accès au pouvoir

Quel mode de scrutin a été le plus impliqué et quel parti en a le plus bénéficié dans l’accès au pouvoir en solitaire ? Le SMU est le mode de scrutin qui offre la fréquence d’accès au pouvoir la plus élevée pour l’obtention de gouvernements majoritaires (tableau 2). En effet, sous le SMU de 1966 à 2014, 15 des 17 consultations ont fabriqué des gouvernements majoritaires, tandis que la RPM n’en a produit que 7 et le MN, 5. Les gouvernements minoritaires, que l’on fait équivaloir ici aux gouvernements de coalition, étaient donc marginaux sous le SMU (seulement 2 sur 17), mais représentaient 10 gouvernements sous la RPM et plus encore sous le MN, c’est-à-dire 12 sur 17, ce qui en faisait pour ainsi la règle. 


Tableau 2 : Accès au pouvoir selon le type de gouvernements et selon trois modes de scrutin, total 1966 à 2014 et totaux pour les systèmes de partis de 1966 à 1998 et 2003 à 2014, Québec, 1966 à 2014

1966-2014 : totaux pour la période sous étude (n=17)

Type de gouvernements

SMU (de 15 majoritaires
à 2 minoritaires)

RPM (de 7 majoritaires
à 10 minoritaires)

MN (de 5 majoritaires
à 12 minoritaires)

PLQ

PQ

UN

PLQ

PQ

Égalité*

PLQ

PQ

Égalité*

Majoritaires

8

6

1

5

2

0

4

1

0

Minoritaires**

1

1

0

5

4

1

6

4

2

1966-1998 : système de partis bipartiste à parti dominant, le PLQ (n=12)

Type de gouvernements

SMU

RPM

MN

PLQ

PQ

UN

PLQ

PQ

Égalité*

PLQ

PQ

Égalité*

Majoritaires

5

6

1

5

2

0

4

1

0

Minoritaires**

0

0

0

1

3

1

2

4

1

2003-2014 : système de partis multipartiste à parti dominant, le PLQ (n=5)

Type de gouvernements

SMU

RPM

MN

PLQ

PQ

CAQ

PLQ

PQ

Égalité*

PLQ

PQ

Égalité*

Majoritaires

3

0

0

0

0

0

0

0

0

Minoritaires**

1

1

0

4

1

0

4

0

1

Notes : * Égalité correspond aux situations du référendum de 1995 et des élections de 2012, alors que le OUI et le NON, en 1995, et le PLQ et le PQ, en 2012, obtenaient un nombre égal de sièges. ** Les gouvernements minoritaires sont caractérisés par un parti au pouvoir ne disposant que d’une minorité de sièges ; ces situations peuvent aussi correspondre à des gouvernements de coalition.


Les 15 gouvernements majoritaires sous le SMU se sont partagés plutôt également entre PLQ (8) et PQ (6, plus 1 pour l’UN, le cas aberrant de 196613). Avec la RPM, les gouvernements de coalition14 prévalaient nettement (10 sur 17). Il reste que ses 7 gouvernements majoritaires se retrouvent deux fois plus fréquemment au PLQ (5) qu’au PQ (2). Sous le MN, la prévalence des gouvernements de coalition était plus nette encore (12 sur 17). Pour les 5 gouvernements majoritaires restants, l’avantage relatif du PLQ (face au PQ) était encore plus marqué que sous la RPM : 4 gouvernements PLQ majoritaires pour 1 majoritaire péquiste15. De tous les partis accédant minoritaires au pouvoir16, considérés dans la présente étude comme étant portés à la tête d’une coalition gouvernementale, le PLQ qui semblait légèrement plus favorisé sous la RPM (par 5 fois contre 4 pour le PQ, en plus d’une situation d’égalité, en 1995), et même davantage sous le MN (par 6 fois contre 4 pour le PQ, plus deux situations d’égalité, 1995 et 2012).

Les choses ont-elles été « différentes » dans le « nouveau système de partis » qui s’est mis en place depuis 2000-2003 jusqu’à aujourd’hui ? Ce nouveau système de partis17 serait marqué, avec l’impossibilité d’une troisième aventure référendaire, par le retour d’un multipartisme chez les francophones en lieu et place d’un bipartisme pur, face au maintien du vote bloc des non-francophones18. Il en découlerait une augmentation de la possibilité d’accès au pouvoir en solitaire pour le PLQ (même si la part des votes valides de ce dernier n’augmente pas) contre la difficulté permanente d’accéder en solitaire au pouvoir pour tout parti reposant sur le vote francophone uniquement, au surplus lorsqu’il s’agit de partis nationalistes plutôt qu’indépendantistes.

De fait, pour cette période de cinq élections commençant en 2003 jusqu’à aujourd’hui, les libéraux ont effectivement été plus fréquemment portés au pouvoir en vertu du SMU : 3 fois majoritaires et 1 fois minoritaires, l’autre gouvernement allant au PQ, minoritaire en 2012. Or, sous la RPM, aucun gouvernement libéral n’aurait accédé majoritaire au pouvoir : 4 élections se seraient soldées par une députation minoritaire du PLQ contre 1 minoritaire du PQ. La situation aurait même semblé plus corsée sous le MN : le PLQ aurait été 4 fois le parti disposant de la pluralité des sièges (minoritaire), tandis que PLQ et PQ se seraient partagés à égalité une majorité de sièges en 2012.

En somme, le SMU atteint donc clairement son objectif, celui de fabriquer artificiellement des majorités gouvernementales, mais aussi celui de produire des aberrations incompréhensibles sur le plan démocratique : s’il est possible de prédire une issue majoritaire à presque tous les scrutins, il reste impossible d’expliquer pourquoi les variations au niveau des votes valides n’ont aucune répercussion sur l’accès au pouvoir comme gouvernement majoritaire.

Cela dit, les mouvements des votes sont extrêmes sous les SMU et touchent autant le PLQ que le PQ. Ils sont considérablement réduits sous la RPM et, pour ainsi dire, inexistants sous le MN. Depuis l’instauration du nouveau système de partis présentement en vigueur, en 2003 et pour un avenir prévisible, le SMU continuerait à accorder les pleins pouvoirs au seul PLQ, privilège dont ne jouirait aucun autre parti. En définitive, cependant, le nouveau système de partis semblerait mieux servi par la RPM et, surtout, par le MN. Le vote étant plus divisé, il serait plus normal que les gouvernements de coalition soient dorénavant la règle.

3.3 Le partage de la prime au(x) parti(s) le(s) plus fort(s)

En moyenne pour les 17 consultations tenues de 1966 à 2014, les primes accordées au parti ou aux partis victorieux (tableau 3) dans le cadre du SMU représentent 21 % des sièges, dont 90 % appartient au parti victorieux (ou 20 % du total). Cependant, dans le système de partis bipartiste dominé par le PLQ de 1966 à 1998, lorsque le PLQ était donné gagnant, la prime moyenne qu’il obtenait était plus forte encore : 27 % des sièges. Un PQ gagnant, durant la même période, n’obtenait une prime moyenne que de 17 %, soit 10 % de moins. Dans le nouveau système multipartiste dominé par le PLQ, ayant commencé depuis 200319, on ne notait aucune différence entre PLQ et PQ pour les primes moyennes : 11 %. Ces primes étaient donc largement inférieures à celle du système bipartiste de 1966 à 1998, quand le PLQ obtenait une prime moyenne de 27 % et le PLQ, de 17 %. Les écarts respectifs moyens étaient donc inférieurs de 6 % de pour le PQ, mais surtout de 16 % pour le PLQ.


Tableau 3 : Répartition des primes selon les trois modes de scrutin, total 1966 à 2014 et totaux pour les systèmes de partis de 1966 à 1998 et 2003 à 2014, Québec, 1966 à 2014

Ampleur des victoires

PLQ gagnant

1966-2014

Système de partis bipartiste à parti dominant, le PLQ, 1966-1998

Système de partis multipartiste à parti dominant, le PLQ, 2003-2014

PQ gagnant*

PLQ gagnant

PQ gagnant*

PLQ gagnant

PQ gagnant*

 

% des votes valides

48%

45%

53%

47%

41%

32%

SMU

Primes**

20%

16%

27%

17%

11%

11%

 

Total sièges***

68%

61%

80%

64%

52%

43%

RPM

Primes**

3%

2%

3%

2%

2%

3%

 

Total sièges***

50%

47%

56%

49%

43%

35%

MN

Primes**

0%

0%

0%

0%

0%

0%

 

Total sièges***

48%

45%

53%

47%

41%

32%

Notes : * Les victoires du PQ incluent la victoire de l’UN en 1966. ** En % des votes valides. *** En % du total des sièges.


Dans le cas de la RPM, la prime moyenne tous partis confondus aurait atteint 4 %, dont la moitié, 2 %, aurait correspondu à la prime moyenne obtenue par le parti victorieux. Ici, la prime moyenne du PLQ, 3 % de 1996 à 2014, s’est avérée à peu près stable durant toute la période (3 % de 1966 à 1998 et 2 % de 2003 à 2014). Quant à elle, la prime moyenne de 2 % obtenue par le PQ suivait à peu près le même mouvement que celle du PLQ, quoi que légèrement inférieure (2 % dans le cas du PQ de 1966 à 1998, 3 % de 2003 à 2014).

C’est dans le MN que la prime moyenne était la plus faible, soit 2 %, Celle-ci ne bénéficiait toutefois pas au premier parti victorieux, dont la prime moyenne était de 0 %. Cette prime s’explique par le fait que le parti victorieux disposait parfois de moins de sièges que de votes valides (4 consultations), ce qui est l’envers d’une prime ! Il disposait parfois d’autant de voix que de sièges, ce qui revient à aucune prime pour 6 consultations. Et finalement, dans bien moins que la moitié des consultations (7 cas), le parti victorieux obtenait véritablement une prime, soit plus de sièges que de votes valides, pour une maigre prime moyenne de 1,3 %. Bref, le MN n’offre pas de prime au parti gagnant.

En somme, les primes moyennes au parti vainqueur étaient considérablement plus élevées sous le SMU, et davantage dans le système de partis initial (1966-1998) que dans l’actuel (2003-2014). La RPM et le MN ne se distinguaient pour ainsi dire en rien, sauf pour un détail précis : les primes du MN voisinaient les 0 % pour les deux partis, ce que ne faisait pas la RPM. Or, avec cette légère surreprésentation offerte au parti vainqueur, relativement stable au cours de toute la période et entre les deux partis, la proportion totale des sièges, sous la RPM, atteignait exactement la moitié pour le PLQ de 1966 à 2014, contre 47 % pour le PQ. Ce détail représente une incitation puissante pour canaliser le vote vers le PLQ sous la RPM, avantage dont ne dispose pas le PQ. Une réserve, la disparition de cet avantage libéral dans les simulations de la RPM et du MN, sous le nouveau système de partis multipartiste : le PLQ y est loin de la majorité des sièges.

Il reste un point essentiel propre au seul SMU, dont les conséquences doivent être soulignées : dans la période actuelle débutée en 2003, seul le PLQ dispose d’une majorité de sièges (52 %) grâce à la prime (11 %) offerte au parti gagnant. Ni le PQ dans cette période, ni les autres modes de scrutins simulés ne produisent une majorité de sièges favorisant le parti vainqueur.

3.4 Le poids des élus au SMU par parti

Les élus au SMU présentent des particularités qu’il ne faut en aucun cas négliger. Tout est dans le processus de sélection des candidats des partis : les assemblées d’investiture. Celles-ci favorisent des candidats au profil caractérisé pour chaque parti.

Dans un parti tel que le PLQ, de droite et conservateur, les candidats sont le plus souvent des hommes blancs, âgés de 50 ans et plus, membres des professions libérales et liés à l’élite économique locale, parfois la grande bourgeoisie, incluant quelques entrepreneurs et autres aventuriers en quête d’avancement professionnel. Même s’il s’agit le plus souvent de francophones, le plus important reste le lien de représentation : près d’une majorité de candidats et de députés libéraux a en commun d’être redevables ou marqués par la présence du vote non francophone et va donc livrer en conséquence une fois élue.

Pour des partis boudés par les non-francophones tels que la Coalition avenir Québec (CAQ), le profil est malgré tout semblable. La CAQ fait toutefois une plus large place aux petits commerçants, aux petits entrepreneurs et autres travailleurs autonomes qui se trouvent dans un cul-de-sac professionnel. Dans un parti tel que le PQ, de nombreux candidats proviennent des rangs du parti lui-même. Ils sont souvent d’anciens attachés politiques dont les qualités principales sont d’avoir servi un député ou un ministre et d’avoir attendu dans l’ombre que se profile une victoire dans une investiture. Ils avaient également l’habitude de provenir plus nombreux de l’élite intellectuelle, sociale et syndicale. Enfin, dans Québec solidaire (QS), les candidats aux investitures sont presque exclusivement des militants sincères, parfois très à cheval sur le programme du parti.

Bien entendu, pour tous les partis, les assemblées d’investiture doivent composer avec les desiderata du chef du parti. Ce dernier peut aussi vouloir – et le fait parfois – imposer son propre candidat. Celui-ci est alors très lié au pouvoir du chef. Il présente un profil ministrable contrairement aux aventuriers qui tentent leur chance à l’encontre de la volonté du parti.

Quand on jumèle maintenant le biais créé par les blocs de candidats désignés par les assemblées d’investiture au programme et à la stratégie politiques du parti, les biais qui s’exercent peuvent restreindre considérablement la liberté d’expression générale. Par exemple, la stratégie adoptée par les PLQ et CAQ est anti-nationaliste, celle du PQ l’est également dans les champs de compétence du Québec. Si bien qu’au final, même si tous les partis sont capables de bomber le torse face à Ottawa, aucun ne porte quelque mesure nationaliste (i.e. protégeant les intérêts de la majorité francophone) à l’Assemblée nationale. Les députés libéraux sont anti-nationalistes et se situent à droite, émanation de l’élite économique québécoise, les députés caquistes se situent aussi à droite, issus des gens du commerce et des petits entrepreneurs, les députés péquistes sont issus du sérail de leur propre parti et sont plutôt conservateurs, tandis que les députés de QS, qui sont marginalisés, tiennent un discours conséquent.

Les députés élus au SMU s’amènent avec une conception particulière de la politique. Quelle est leur place au sein de la RPM ? Tout est fonction de la taille du noyau de députés élus au SMU sur le total des députés du parti. Déjà, si par définition 60 % des élus de la RPM viennent du SMU, il est fort probable que ces proportions augmenteront selon les partis et les circonstances. En outre, si la RPM permet de maintenir le PLQ sous la prédominance des fédéralistes conservateurs, et le PQ sous la prédominance de ses apparatchicks, il y a nettement problème.

Qu’en disent les résultats de la RPM obtenus par simulation (tableau 4) ? Il semble tout d’abord que la proportion des élus au SMU sous la RPM – les autres provenant des dispositions compensatoires – ait été plus importante parmi les élus du PLQ (63 %) lors de toutes les consultations tenues de 1966 à 2014. Cette proportion moyenne était plus élevée dans le système de partis récent (70 % de 2003 à 2014) qu’elle ne l’était dans l’ancien système de partis (61 % de 1966 à 1998). Au PQ, les résultats étaient relativement semblables. La proportion moyenne représentée par les élus au SMU dans les simulations de la RPM était de 55 % de 1966 à 2014, respectant à peu près le même écart entre les deux périodes. Or, dans la période 1966 à 1998, moins de la moitié des députés du PQ (48 %) provenaient du SMU, contre 60 % de 2003 à 2014. En d’autres termes, sous la RPM, les résultats du PLQ dépendent plus étroitement du SMU que ceux du PQ ; la chose était fortement marquée dans la période 1966-1998, tandis que les deux partis se ressemblaient cul et chemise dans la période 2003-2014. La chose s’explique de la manière suivante : les sièges au SMU du PLQ provenaient essentiellement des circonscriptions avec minorité non francophone, tandis que ceux du PQ provenaient des circonscriptions purement francophones.


Tableau 4 : Simulations de la RPM : proportions moyennes représentées par les élus au SMU sur le total des élus de la RPM, pour le PLQ et le PQ selon le système de partis, total 1966 à 2014 et totaux pour les systèmes de partis de 1966 à 1998 et 2003 à 2014, Québec, 1966 à 2014

Partis/Systèmes de partis et périodes

Total 1966-2014*

(n=17)

Système bipartiste à parti dominant (le PLQ) 1966-1998* (n=12)

Système multipartiste à parti dominant (le PLQ) 2003-2014 (n=5)

Proportion des sièges au SMU sur le total des sièges à la RPM

PLQ (n=17)

63%

70%

61%

PQ (n=17)*

55%

48%

60%

Situations de victoires et de défaites

PLQ –victorieux

77%

82%

70%

PLQ –défait

49%

45%

71%

PQ –victorieux*

67%

67%

71%

PQ –défait

37%

21%

57%

Note : * Les résultats du PQ incluent ceux de l’UN en 1966.


Les plus grandes différences provenaient des situations de victoires ou de défaites du parti. Ainsi, une moyenne de 77 % des sièges d’un PLQ gagnant à la RPM provenait du SMU, contre 49 % des sièges libéraux lorsque le PLQ était défait. Les proportions étaient semblables – mais inférieures – dans le cas du PQ : gagnant, 67 % de ses sièges provenaient du SMU, contre près de la moitié moins (37 %) en cas de défaite. Autant pour le PLQ que pour le PQ, la quasi-totalité de la différence entre victoires et défaites provenait de la période 1966-1998 : 82 % des sièges au SMU pour un PLQ gagnant contre 45 % pour un PLQ perdant. Dans la période 2003-2014, on n’observe aucune différence significative entre un PLQ gagnant (70 %) ou perdant (71 %). Du côté du PQ, pour la période 1966 à 1998, un PQ gagnant avait en moyenne 67 % de sièges élus au SMU contre seulement 21 % alors qu’il perdait. Mais dans la période récente 2003-2014, un écart significatif existait : 71 % de ses sièges d’un PQ victorieux provenaient du SMU. Cette proportion descendait à 57 % pour un PQ défait.

Bref, dans l’ancien système de partis, observation d’un écart moyen de 37 % entre victoires et défaites chez les libéraux, et d’un écart moyen encore plus marqué au PQ de 46 %. Dans le nouveau système de partis, rigoureusement aucun écart moyen entre victoires et défaites chez les libéraux. Seul le PQ offre un écart moyen de 14 % entre victoires et défaites.

3.5 Avantage comparatif entre partis : incitatif à voter pour le parti le plus fort

Les deux partis ne sont pas égaux devant les modes de scrutin. Lorsque les proportions des sièges dépassent ou voisinent les 50 %, une certaine partie de l’opinion publique, quelques points de pourcentages suffisent, en fait, se déplace et vient appuyer le parti dominant. Or, ce parti dominant, au Québec, en vertu du vote bloc des non-francophones, est le PLQ.

Au tableau 5, les résultats réels au SMU montrent la prédominance globale du PLQ de 1966 à 2014. Toutefois, cette prédominance ne provient que de la période récente 2003-2014, alors que le PLQ obtient 3 gouvernements majoritaires contre 0 pour le PQ. La période 1966-1998 était effectivement marquée par une égalité entre les deux principaux partis (6 gouvernements majoritaires chacun), dans la mesure où l’on additionne les résultats de l’UN en 1966 aux résultats du PQ. Cette égalité se propage-t-elle dans les autres simulations ? Déjà, l’utilisation de la RPM, en simulation, montre la domination du PLQ (5 majoritaires contre 2 pour le PQ) dans la période 1968-1998, celle qui précisément donnait une égalité entre PLQ et PQ au SMU. Cette domination s’accentue sous le FM, alors que le PLQ obtient 5 gouvernements majoritaires contre 1 seul pour le PQ. 


Tableau 5 : Nombre de fois où le parti gagnant atteint ou dépasse 50 % des sièges puis 47 % et plus, selon trois modes de scrutin, total 1966 à 2014 et totaux pour les systèmes de partis de 1966 à 1998 et 2003 à 2014, Québec, 1966 à 2014

Ampleur des victoires

1966-2014

1966-1998

2003-2014

PLQ gagnant

PQ gagnant

PLQ gagnant

PQ gagnant

PLQ gagnant

PQ gagnant

Nombre de fois où le parti atteint ou dépasse les 50 % des votes valides

SMU

9

6*

6

6*

3

0

RPM

5

2

5

2

0

0

MN

5

1

5

1

0

0

Effet d’entraînement potentiel : nombre de fois où le parti atteint ou dépasse les 47 % des votes valides

SMU

9

6*

6

6*

3

0

RPM

7

3

6

3

1

0

MN

5

2

5

2

0

0

Note : * Au SMU, dont 1 gouvernement unioniste majoritaire (1966). Aucun autre gouvernement unioniste dans les autres périodes ou sous les autres simulations.


L’hypothèse d’un effet d’entraînement (« band-wagon effect »), supposant que l’obtention de 47% des votes valides attirerait suffisamment d’autres votes pour entraîner la formation de gouvernements majoritaires, accentuerait l’écart entre la RPM et le MN. Le RPM générerait ainsi 7 gouvernements majoritaires pour le PLQ (1 dans chacune des systèmes de partis) contre 3 pour le PQ. En d’autres termes, le PLQ se trouve plus près de la proportion critique des 50 % des votes valides grâce au vote non francophone. La mise à sa disposition d’une prime grâce à l’élimination des partis n’obtenant pas 5 % du vote national aurait cette fâcheuse conséquence.

4. Conclusion : le dinosaure SMU, la démocratie à la libérale de la RPM et le MN démocratique

Distorsions brutes :

  1. Sur le plan démocratique, le SMU est parfaitement hors compétition. Les distorsions s’atténuent considérablement du SMU à la RPM jusqu’à presque disparaître sous le MN.
  2. La différence principale entre RPM et MN tient à l’existence d’un seuil d’accès à la représentation pour la RPM : tout parti incapable d’obtenir au moins 5 % du vote valide offre ses points de pourcentages au parti ou aux partis qui franchissent ce seuil. Ainsi, la prime offerte au(x) parti(s) dominant(s) peut-elle largement dépasser les 5 %. Ces points entraînent la persistance de distorsions qui, autrement, sont largement éliminées, ainsi que le démontre le MN.

L’accès au pouvoir (les gouvernements majoritaires ou minoritaires) :

  1. Le SMU permet de fabriquer artificiellement des gouvernements majoritaires, déjà en soit un accroc démocratique majeur. Le SMU, qui rejette l’idée de coalitions au profit de la concentration du pouvoir et de la corruption, fonde son fonctionnement sur des mouvements importants de sièges d’un parti à l’autre et d’une élection à l’autre. Le SMU implique la gouvernance par une minorité passagère, ce qui est la définition-même de l’instabilité gouvernementale. Et celle-ci est inscrite dans les gênes du SMU. Ajoutons ce trait mortel du SMU : la récompense accordée aux groupes votant en bloc de manière permanente. C’est ce qui explique l’avantage permanent du PLQ autant dans un système bipartiste (1966-1998) que dans un système multipartiste (2003-2014) : le premier et plus encore le second font du PLQ le parti du pouvoir, le seul vraiment destiné à accéder en solitaire au pouvoir.
  2. Contrairement au SMU, les deux autres modes de scrutin respectent bien davantage le principe d’une valeur égale pour tous les votes. Toutefois, des deux modes de scrutin concurrents alternatifs, l’un reste la formule de représentation la plus démocratique : le MN. Par opposition à celui-ci, la RPM fabrique artificiellement davantage de gouvernements majoritaires.

La prime accordée au parti gagnant :

  1. Elle est évidemment considérable sous le SMU, mais tombe à 2 % à 3 % sous la RPM et est nulle (0%) sous le MN. Cette prime est évidemment supérieure lorsque le seuil élimine un maximum de partis alternatifs.
  2. Chose importante, la prime de la RPM (de l’ordre de 2 % à 3 %) reste suffisante pour favoriser l’accès au pouvoir en solitaire du PLQ, mais non du PQ. Seul le PLQ jouit d’un incitatif à voter pour lui en tant que parti porteur d’un gouvernement majoritaire (pour les électeurs croyant en la vertu et la nécessité de faire élire un gouvernement majoritaire, et plaçant cette capacité sur les seules épaules du PLQ). Toutefois, la chose ne s’est avérée valide que pour l’ancien système bipartiste, non pour le présent système multipartiste. Sous celui-ci, depuis 2003, seul le PLQ sous le SMU conserve la capacité de former des gouvernements majoritaires. Ni le PQ sous le SMU, ni aucun parti sous les modes de scrutin RPM et MN n’y parviennent.

Le poids des élus au SMU sur le total des élus de la RPM :

  1. Par définition, les élus SMU de la RPM sont censés représenter 60 % de tous les élus à la RPM. En réalité, leur poids s’est montré de loin supérieur lorsque le PLQ était victorieux. Du coup, le poids des non-francophones y devenait alors incontournable. La chose s’est produite non seulement sous l’ancien système de partis bipartiste mais aussi sous le nouveau système de partis multipartiste : une surinfluence des non-francophones grâce à la députation SMU de la RPM.
  2. Défait, le PLQ n’était généralement pas sous l’empire des élus à la SMU de la RPM dans l’ancien système de partis. Par contre, dans le nouveau système de partis, le contraire s’est produit : leur influence s’est plutôt affirmée dans le nouveau système.
  3. En somme, un PLQ victorieux se place carrément sous l’influence des non-francophones, ainsi qu’un PLQ défait dans le cadre multipartiste en place depuis 2003. Ce faisant, les non-francophones multipliaient leur poids démographique de manière purement artificielle, ce qu’aucun réformiste démocrate, indépendantiste, nationaliste ou socialiste ne saurait ignorer.

L’incitatif à voter pour le parti le plus fort, le PLQ :

  1. L’effet d’entraînement que le parti gagnant exerce sur les partisans des autres partis a lieu lorsque sa victoire est claire ou lorsque celle-ci est toute proche (par hypothèse, atteignant au moins 47 % des votes valides). (L’hypothèse de l’« effet d’entraînement » pourra évidemment se produire dans la mesure où elle est supérieure à l’« attrait exercé par le parti négligé20 ».) En outre, cet avantage comparatif qu’est l’effet d’entraînement est lui aussi une création purement artificielle, généralement favorable au PLQ sous le SMU. La supériorité du PLQ se voit également dans le système de partis de 1966 à 1998, tandis que le système de partis 2003-2014 (n=5) lequel semble toutefois ne pas avoir suffisamment d’observations pour confirmer le même phénomène.
  2. L’incitatif à voter pour le PLQ se répercute aussi dans les résultats de la RPM et du MN, tant lorsque le parti vainqueur obtient 50 % et plus des votes que lorsqu’il en obtient 47 % ou plus. Les résultats de la RPM donnent plus de gouvernements majoritaires que ceux du MN, laissant traîner dans le décor le même mécanisme truqué et secret incitant les électeurs à voter pour le PLQ.

En résumé : le SMU présentent des problèmes majeurs, nommément ses distorsions aberrantes difficiles à expliquer et démocratiquement injustifiables. En accordant une prime au gagnant, le SMU fabrique artificiellement des gouvernements majoritaires, en soit un accroc démocratique majeur, où le parti dominant, le PLQ, est contrôlé par les élus dont l’élection a été marquée par l’influence ou est carrément redevable au vote bloc des non-francophones. Un mode de scrutin offrant un avantage comparatif majeur au parti dominant, le PLQ. Quant à la comparaison RPM/MN, deux éléments majeurs de comparaison.

  1. Le MN, ne serait-ce que parce qu’il ne fonctionne avec aucun seuil d’accès à la représentation, contrairement à la RPM, se rapproche de l’adéquation « sièges/votes valides » la plus démocratique. Du coup, la RPM offre une prime artificielle au parti gagnant, et fait plus régulièrement du PLQ, par opposition au MN, un parti disposant d’une majorité des sièges.
  2. D’autre part, parmi les élus de la RPM, ceux ayant été élus au SMU disposent d’un poids majeur dans l’ensemble des députations, victorieuses comme perdantes. Les élus redevables au vote bloc non francophones en font des élus-pivots qui déterminent l’orientation fondamentale du parti, au pouvoir comme dans l’opposition. Une telle chose est simplement impossible au MN puisque les candidats sont désignés par le chef et la direction du parti et qu’aucun groupe ne peut être valorisé dans le processus de nomination des assemblées d’investiture. Toute tentative de berner ses électeurs, de la part de la direction du parti, est potentiellement punie par la naissance d’un nouveau parti reflétant l’opinion publique au lieu de la détourner, ce que peut parfaitement se permettre le SMU et même la RPM, surtout lorsque celle-ci peut se le permettre en raison d’une compétition restreinte.

Des trois modes de scrutin, le MN est certes celui qui reflète le mieux le vote. Par opposition, la RPM fabrique quelques gouvernements majoritaires supplémentaires, chose apparaissant comme étant la « marque de commerce » du peu démocratique SMU.

 

 

 


1 Comme si par enchantement ces courants politiques « extrémistes » disparaîtraient simplement en les empêchant d’accéder à la députation. Comme si nier l’existence de ces clivages politiques résoudrait les questions qu’ils introduisent dans la vie politique.

2 Comment faire plus instable ? Comment un système électoral peut-il être plus contraire aux principes de base de la démocratie représentative : tant de voix, tant de sièges ? En quoi un parti qui n’a que 35 % des voix, mais porté au pouvoir avec une majorité de sièges, saurait-il faire les compromis nécessaires pour gouverner l’ensemble ? En réalité, seules les coalitions arrivent au pouvoir avec un programme de gouvernement, les partenaires ayant négocié entre eux pour y arriver. Dans nos systèmes électoraux québécois et canadiens, tous les partis portés au pouvoir grâce à une « majorité » de sièges sont dotés des pleins pouvoirs et « gouvernent pour la majorité de l’électorat », une affirmation incompréhensible. Les gouvernements sont jugés tantôt sur leur programme et leurs promesses, tantôt sur leur bilan et leurs réalisations. Toujours jugés sur l’ensemble de leur œuvre ou sur leur dernière mesure populaire ou impopulaire : un gouvernement majoritaire, dont l’élection tient d’une nature confuse, gagne ou perd quand une vague renverse son adversaire ou quand l’une d’entre elles le renverse lui-même. Autant ces vagues sont incontournables pour qu’il puisse y avoir alternance de partis au gouvernement, autant ces vagues créent une véritable instabilité gouvernementale.

3 Comme si avoir 1 % ou 2 % des sièges était plus important pour former une coalition que l’un ou l’autre partenaire formant celle-ci !

4 Il existe toutefois toujours un seuil implicite : il s’agit de calculer la proportion minimale de voix nécessaire pour permettre l’élection d’un parti donné.

5 Lorsque les salaires offerts aux postes de ministres sont mauvais, les postes sont alors souvent occupés par des aventuriers qui n’ont rien à perdre compte tenu de leur emploi ante-politique : attachés politiques, vendeurs d’assurances, agents immobiliers, vendeurs d’autos usagées, petits commerçants ou professionnels à leur compte, leurs finances sont souvent précaires, au point qu’il leur est préférable de tout quitter et de se lancer dans une carrière politique qui les assurera d’un siège d’arrière-banc, voire d’un tremplin au fédéral ou, au contraire, d’une retraite dans un poste de député au provincial, un poste quelconque dans une Société d’État ou Société de la Couronne. Ce sont eux qui administreront la culture, l’immigration, l’éducation, la santé et les services sociaux ; ce sont eux qui propulseront le Québec dans l’économie du futur et qui protégeront l’environnement et les espèces menacées. On les tiendra pour grands connaisseurs en économie pour avoir presque fait faillite ou vivoté d’un emploi à l’autre. Pis encore, ce sont eux qui seront chargé de l’administration de la justice, qui se battront pour les droits individuels et collectifs, qui se prononceront contre la discrimination. Et, au final, ce sont eux dont on célèbrera le nom en les apposant sur telle ou telle ruelle, tel ou tel dépotoir.

Lorsque les salaires offerts sont minimalement intéressants, les postes attirent alors souvent des membres de l’élite économique, comme si de bons salaires étaient garanties de compétence ! Grâce aux appuis glanés auprès des leurs, ces candidats se donneront pour mission de renvoyer l’ascenseur dès qu’ils le pourront une fois rendus au pouvoir. Ils sont peu nombreux, soit, mais nettement plus influents. Conservateurs, ce sont eux qui imposeront leur conception du pays et des rapports que ce dernier doit entretenir avec le Canada. Issus du secteur privé, souvent de firmes œuvrant à l’étranger. Leur soumission au premier ministre est toute relative ; seulement quand ce dernier est issu des mêmes sérails.

6 Ou contre un ou des partis. Deux exemples : en 1976, les anglophones votaient contre les PQ et PLQ et en faveur de l’Union nationale ; en 1989, ils votaient de nouveau contre ces mêmes partis et en faveur des partis anglophones qu’étaient les Equality Party et le Unity Party.

7 Celles-ci ne se sont pourtant pas déroulées dans des conditions démocratiques optimales. En matière de carte électorale, les distorsions étaient extrêmes et très bien connues dès la carte électorale utilisée en 1966 et en 1970. Elles n’ont été que partiellement corrigées dans la carte utilisée lors des élections de 1973 et de 1976 (et du référendum de 1980). Il fallut attendre la carte utilisée aux élections de 1981 et de 1985 pour rétablir une cadre démocratiquement plutôt fidèle au principe d’égalité du droit de vote des électeurs. L’évolution démographique a par la suite entraîné de nouvelles distorsions amenant une sous-représentation des banlieues et des régions en croissance démographique, contre une surreprésentation marquée du centre des grandes métropoles et des régions en décroissance démographique

Une nouvelle carte utilisée en 1989 fut utilisée lors du référendum de 1992, tandis qu’une autre carte a été utilisée en 1994 et 1998 (en plus du référendum de 1995). La carte de 2003 a par la suite servi en 2007 et en 2008, tandis que les élections de 2012 et de 2014 reposaient sur la même carte électorale.

8 Qui plus est, après les premières élections voyant la mise en place des réformes du mode de scrutin, les élections suivantes continueraient de creuser l’écart par rapport au système électoral antérieur. Partis et électeurs deviendraient donc de plus en plus libres d’agir en fonction de leurs convictions et libres d’exprimer celles-ci. Les différents (et plus nombreux) partis politiques fidèles à leur électorat n’en rechercheront pas moins la collaboration de leurs pairs les plus proches idéologiquement de manière à constituer des gouvernements de coalition. C’est de la sorte qu’ils offriront à l’électorat le programme qu’ils auront négocié avec leur(s) partenaire(s). Faute de réaliser leur programme promis, leur coalition éclatera ; faute de rester fidèles à leurs propres électeurs, ces partis éclateront. Partis programmatiques, ils s’engageront précisément là où des partis pragmatiques se contentent d’un programme flou, prêts à gouverner seuls, loin de toute coalition. Toutefois, à terme, les partis pragmatiques ne pourront que céder la place aux partis programmatiques. Un parti nationaliste et conservateur, tel la « Coalition Avenir Québec » par exemple, changera sans doute de nature au fil des élections, comme les autres partis. Quant aux électeurs, leur culture politique sera de plus en plus importante, tandis que leur taux de participation augmentera.

9 Les référendums ont été traités comme des élections générales, ce qui permet d’augmenter le nombre de scénarios.

10 Afin de respecter le nombre maximal de circonscriptions qui existent actuellement, soit 125 sièges, on utilise habituellement les résultats des élections provinciales transposés dans les frontières des 75 circonscriptions fédérales, et on simule les résultats selon la Représentation proportionnelle pour 50 élus au scrutin de liste, ce qui aurait respecté les proportions respectives de 60 % et 40 % des 125 sièges. Il aurait évidemment été intéressant de disposer des résultats de toutes les élections depuis 1966 transposés dans les frontières des circonscriptions fédérales, mais nous ne disposions toutefois que de quatre élections retransposées dans les frontières fédérales, soit les élections de 1998, 2003, 2007 et 2008.

11 Ce qui donne les nombres de sièges suivants : de 1989 à 2014, chacune des consultations comportait 125 sièges comblés par SMU, ou 60 % du total des sièges, auxquels s’ajoutaient environ 85 d’élus au scrutin de liste compensatoire, soit environ 40 % du total des sièges, pour un total de 210 sièges ; pour la carte de 1981-85, 122 au SMU et 83 en RPM, pour un total de 205 sièges ; pour la carte de 1973-76-80, 110 au SMU et 75 en RPM, pour un total de 185 sièges ; pour la carte de 1966-70, 108 au SMU et 72 en RPM, pour un total de 180 sièges. Totaux avant l’ajout des sièges en surnombre.

12 Et de 144 en 1981-85, 129 en 1973-76-80 et de 127 en 1966-70.

13 Avec l’accès au pouvoir de l’UN malgré 7 % de voix de moins que le PLQ.

14 Être minoritaire ne signifie nullement, sous le SMU, être à la tête d’un gouvernement de coalition. Le parti minoritaire au pouvoir préfère le plus souvent tenter sa chance et gouverner seul. Toutefois, dans les modes de scrutin de type proportionnel tels que la RPM et le MN, ce qui était l’exception sous le SMU était plutôt la règle. Former un gouvernement se fait le plus souvent dans le cadre de la formation d’une coalition.

15 Quoiqu’il s’agisse de la majorité obtenue lors du référendum de 1992, laquelle ne mettait pas en jeu l’accès au pouvoir et sut rallier indépendantistes et fédéralistes nationalistes.

16 C.-à-d. disposant d’une pluralité des sièges ; or le concept de gouvernement minoritaire perd son sens quand il s’agit de coalitions gouvernementales. Le parti normalement dominant d’une coalition est celui qui dispose du plus de sièges. Mais il peut arriver qu’un parti disposant de moins de sièges que ses partenaires ait une influence supérieure : l’estimation des uns et des autres est politique. Ce qui est certain est le fait que tous les partenaires sont interdépendants et liés les uns avec les autres.

17 Ce nouveau système de partis tient ses racines dans un événement politique précis : l’impossibilité de tenir un nouveau référendum sur l’indépendance consacrée par la démission en 2000 du chef péquiste le plus « charismatique » depuis René Lévesque, Lucien Bouchard. Et l’absence de vote non francophone en faveur des partis autres que le PLQ. En d’autres termes, ce dernier est le seul parti à maintenir des appuis fixes et permanents grâce au vote bloc non francophone, cela face à un comportement électoral nettement divisé chez les francophones entre plusieurs alternatives partisanes. Des divisions inévitables chez les francophones puisque le maintien de l’union des forces indépendantistes et nationalistes ne peut être maintenu en l’absence de programme, d’objectif ou de stratégie commune aux différents acteurs.

18 Le vote libéral moyen, en cas de victoires, est passé de 53 % de 1966 à 1998 à 41 % de 2003 à 2014, une baisse de 12 %. De même, lorsque défait, le vote libéral moyen s’élevait à 44 % de 1966 à 1998 et à 31 % à partir de 2003, une baisse de 13 % similaire. Du côté du PQ, le vote victorieux moyen est passé 47 % à 32 % dans le deuxième système de partis, tandis que le vote défait moyen est passé de 34 % à 31 %. Les baisses respectives ont alors été de 15 % et de 3 %. Ensemble, ces mouvements traduisent d’une part le maintien de proportions de base du vote de chaque parti (autour du tiers des votes valides), mais l’éparpillement du vote supplémentaire générant la majorité des voix : le vote n’augmente plus au-delà des 40 %, il tend plutôt à se reporter sur d’autres partis. La chose est surtout valable pour le vote francophone.

19 Ayant en réalité été confirmé avec la démission de Lucien Bouchard en janvier 2001.

20 Les « bandwagon effect » et « underdog effect ».

 

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