Notre forêt est notre meilleur gage de prospérité

À la mi-mai, M. Pierre Corbeil, ministre des Ressources naturelles et de la Faune, autorisait la compagnie Abitibi Consol à transférer le Contrat d’aménagement et d’approvisionnement forestier (CAAF) de ses installations de Champneuf à celles de Senneterre. Cette décision heurte non seulement les travailleurs de l’usine de Champneuf elle déstabilise l’ensemble des communautés avoisinantes qui ont un besoin essentiel de cette usine. Le ministre passe outre aux travaux du comité de relance qui a déjà déposé un plan de travail pour réorganiser cette usine et l’inscrire dans une stratégie d’ensemble qui élargit le potentiel de l’ensemble des usines de la MRC et qui ouvre des perspectives novatrices pour l’industrie forestière de toute la région.

En consentant à la délocalisation du CAAF, le ministre Corbeil crée un précédent dangereux qui vient rompre le pacte tacite qui, dans toutes les régions du Québec, établit que le CAAF est associé à une usine spécifique. En laissant les compagnies déplacer les CAAF comme bon leur semble, le ministre a choisi de faire primer les plans d’affaires sur les besoins du développement. Les intérêts privés ont désormais droit de vie ou de mort sur des comunautés entières dont la vie dépend principalement de l’exploitation de la forêt. En choisissant d’exclure les communautés de la prise de décision le ministre met en danger la cohésion sociale et la survie de nombreuses communautés forestières.

Le précédent de Champneuf vient de prendre une dimension nationale. Ce qui se joue à propos du sort de cette usine d’Abitibi risque de se reproduire dans toutes les régions. La politique forestière du Québec ne peut être définie de cette manière. La forêt est un bien public. Le débat mérite d’être fait au grand jour et dans le bon format. Les signataires de ce manifeste tiennent un propos qui concerne tous les Québécois.

  La rédaction

Le secteur des Coteaux occupe la partie Nord-Est du territoire de la municipalité régionale de comté d’Abitibi et est composé des municipalités de Champneuf, de La Morandière, de Rochebeaucourt ainsi que du territoire non organisé (TNO) de Despinassy. Les citoyens de ces différentes municipalités ont choisi de traiter collectivement divers dossiers socio-économiques afin de mettre en commun leurs aspirations et leur vision du développement de leur milieu de vie.

Suite à l’annonce faite par la compagnie Abitibi-Consolidated qu’elle voulait fermer son usine de Champneuf afin de pouvoir transférer son contrat d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF) vers une autre usine, monsieur Pierre Corbeil, ministre des Ressources naturelles et de la Faune, a annoncé, le 22 décembre 2005, la formation d’un comité de transition chargé de proposer des solutions viables pour assurer l’avenir de l’usine de Champneuf. Le ministre Corbeil a aussi affirmé à ce moment qu’il était prématuré de transférer de façon définitive le volume de bois de près de 200 000 mètres cubes attribué à l’usine de Champneuf vers une autre destination.

L’objectif de ce manifeste est d’exposer publiquement notre vision du projet de relance de l’usine de Champneuf.

Ce document ainsi que divers autres documents relatifs aux activités du Comité de relance et de diversification du secteur des Coteaux peuvent être téléchargés à l’adresse internet suivante : http://www.mrcabitibi.qc.ca/accu.htm .

Le gouvernement du Québec, les industriels forestiers et les experts du développement régional l’affirment sur tous les tons, la forêt joue un rôle primordial dans la vie du Québec et dans celle des régions en particulier. Pour les gens du secteur des Coteaux et ceux de la MRC d’Abitibi, ce rôle, pour l’instant, inspire bien davantage l’inquiétude que la confiance. La richesse forestière, hier encore réputée inépuisable, est désormais, pour un trop grand nombre de nos communautés, synonyme de précarité, d’insécurité sinon d’impuissance. Les transformations qui affectent l’industrie nous sont trop souvent présentées comme des fatalités.

Il nous est de plus en plus ouvertement recommandé de consentir à des sacrifices pour mieux assurer la survie du secteur. Des dirigeants de grandes entreprises voudraient bien nous convaincre que ce qui sera bon pour leurs restructurations sera forcément bon pour notre développement. Ils parlent d’emplois et de rationalisation des usines et des approvisionnements en tenant pour évident que les populations locales vont comprendre, s’adapter et accepter de subir des décisions prises loin de chez eux au nom d’un avenir qu’ils voient défini d’abord par les exigences de l’industrie. Nous pensons que cette façon de voir ne servira pas nos communautés. L’évolution de l’industrie forestière au cours des dernières décennies a largement fait la démonstration que les retombées économiques locales ne sont pas forcément des garanties d’une prospérité durable.

A cet égard, les conclusions de la Commission d’étude sur la gestion de la forêt publique québécoise lancent un défi considérable à tout le Québec forestier. L’exploitation forestière ne doit pas seulement prendre le virage écosystémique, elle doit faire place à une révision d’ensemble des façons de faire. Mais d’abord et avant tout, ce sont les façons de penser qu’il faut changer. Les communautés locales, nous en avons la conviction, ne doivent plus seulement être considérées comme des bénéficiaires de l’activité industrielle conduite selon une logique de secteur et des considérations d’emplois. Elles doivent retrouver une place centrale dans notre modèle d’exploitation et de développement de la forêt. Développement local et croissance industrielle doivent converger et non pas se télescoper, s’affronter.

Il faut désormais voir la forêt jouer un rôle complet dans la structuration de l’économie locale et régionale. Elle n’est pas seulement pourvoyeuse d’emplois et distributrice de retombées, elle doit générer du développement c’est-à-dire être exploitée en fonction de visées et d’objectifs qui sont définis dans une perspective globale où compte d’abord la volonté de se prendre en charge des communautés. Son potentiel doit servir à l’élargissement des divers moyens de créer de la richesse et d’assurer la prospérité. Nos communautés doivent pouvoir faire servir la forêt et toutes les opportunités qu’elle peut offrir à l’ensemble des utilisateurs et non pas à un seul secteur industriel, aussi important soit-il. Cela est particulièrement vrai pour les collectivités mono-industrielles comme on en retrouve plusieurs dans notre MRC et dans notre région.

Notre milieu restera forestier, mais il n’est écrit nulle part que nos communautés doivent rester dépendantes du sort d’un seul industriel, d’une seule entreprise ou d’une seule filière de production. Le potentiel forestier est assez grand pour définir un éventail de possibilités qui permettront de réduire la vulnérabilité aux aléas qui peuvent affecter certains marchés ou des types d’entreprises. La diversification économique ne veut pas dire l’abandon ou la réduction du poids du secteur forestier dans l’économie locale. Il faut plutôt que ce poids soit mieux réparti. Le secteur forestier peut et doit servir à densifier nos structures économiques locales.

Crise ou défi d’innovation

Le sort de l’usine de Champneuf peut être vu de deux manières. On pourrait penser, comme de nombreuses autorités du secteur nous y invitent, que cette éventuelle fermeture est tout à fait justifiée, que cette décision servirait bien les intérêts de ses propriétaires et qu’il y aurait moyen de déployer des mesures de mitigation pour atténuer l’impact sur l’emploi et la communauté. Transferts de postes, pré-retraites, compensations diverses et reclassement de la main-d’oeuvre, les mesures sont classiques et bien connues. Elles pourraient fort bien être appliquées avec un succès relatif. Mais cela reviendrait à nous demander de consentir à nous appauvrir en douceur, tout en nous octroyant quelques moyens de temporiser. La grande industrie s’en porterait peut-être mieux, le bilan total des emplois conservés serait peut-être même acceptable. Mais les rapports entre l’économie locale et la communauté seraient disloqués. Nous passerions de la crise de l’industrie à celle de la communauté.

Dans cette façon de voir, il n’y a pas à en douter, le fardeau qui retombera sur les épaules de nos communautés sera celui de se doter d’une nouvelle structure de production, voire même d’une autre vocation économique. Ce n’est pas impossible, mais c’est un processus qui sera inévitablement long et générateur d’une insécurité chronique. C’est toute la fiscalité municipale qui en souffrira, c’est l’avenir de nos services et de nos infrastructures qui s’en trouvera précarisé et cela ne manquera pas de placer notre démographie au bord d’un seuil critique peut-être insurmontable. Les familles seront certes les plus directement touchées. Mais ce sont les jeunes qui écoperont le plus. On ne peut indéfiniment demander à la jeunesse de différer les moments de se mettre à l’oeuvre pour se construire des projets de vie. Le milieu doit être accueillant tout de suite. On ne choisit pas de s’établir ou de rester dans sa communauté sur la seule évocation d’un éventuel renouveau. Une crise dont les effets perdurent trop longtemps finit par transformer un milieu fragile en milieu hostile.

On pourrait voir les choses autrement. Le sort de l’usine de Champneuf peut nous fournir une occasion exceptionnelle d’innovation. Ce qui n’est pas possible dans le modèle actuel n’est pas insurmontable si nous changeons de manière de voir. Ce n’est pas l’équipement lui-même qui est le problème, c’est la place qu’il tient dans notre modèle d’approvisionnement, la façon dont il s’inscrit dans la structure d’entreprise de ses propriétaires, les exigences de rendement qu’ils lui fixent et qui vont bien au-delà de sa stricte viabilité économique. La forêt pour alimenter l’usine de Champneuf existe. Elle sera encore là si nous faisons tourner l’usine autrement, si nous en redéfinissons la vocation, si nous revoyons son financement, si nous en améliorons la productivité, etc. Un autre projet est pensable.

À la condition toutefois, d’adopter un point de vue plus large que celui qu’impose le raisonnement qui plaide en faveur de la fermeture de l’usine. Un raisonnement qui implique de penser le problème de l’avenir de cette usine dans un repositionnement de l’économie locale, dans une nouvelle articulation des liens entre le secteur industriel actuel et le développement économique par la forêt. Les choix qui ont façonné la structure industrielle actuelle ne sont pas immuables. Ce n’est pas nécessairement en les refaisant que nous sortirons de la crise actuelle. Notre modèle doit muter. Cela veut dire qu’il faut faire autre chose et non pas agir en accélérant et accentuant les tendances déjà à l’oeuvre et dont les effets nous ont conduits dans la situation actuelle. On ne bonifie pas une recette amère en gardant les ingrédients dans les mêmes proportions.

Le maintien et la relance de l’usine de Champneuf peuvent et doivent nous fournir l’occasion de nous donner un nouveau modèle, une nouvelle stratégie de développement économique par la forêt. Cela implique plus et autre chose que de souscrire à la réorganisation industrielle du secteur. Cela suppose de consentir à ouvrir ensemble – gouvernement, industrie, élus locaux et communautés – une autre voie, celle que le rapport Coulombe appelle de tous ses voeux. Le développement forestier durable peut commencer à prendre forme dans le secteur des Coteaux.

Un modèle qui a atteint ses limites

Un rappel historique s’impose d’abord pour mieux cerner les contours des solutions possibles. Il ne faut pas l’oublier, le régime forestier actuel est d’abord né d’un compromis qu’une crise majeure a imposé au terme de presque vingt ans de tiraillements entre les communautés, l’État et l’industrie. Quand, au milieu des années 1980, le gouvernement du Québec choisit le Contrat d’approvisionnement et d’aménagement forestier ( CAAF) comme instrument pour gérer les besoins d’approvisionnement, il y a déjà un long moment que les milieux locaux et régionaux revendiquent un mode de gestion des forêts qui serve mieux le développement local et la création d’emploi.

La crise dite des paroisses marginales qui a duré pendant toute la décennie 1970 dans presque toutes les régions forestières, portait en grande partie sur les modalités d’accès à la forêt. Au nom d’une politique industrielle, le gouvernement du Québec avait alors fait le choix de soutenir une industrie régionale du sciage en consolidant et regroupant les petites unités paroissiales. Il a fait le choix de moderniser le secteur en tentant de réunir les conditions qui offraient aux entrepreneurs forestiers de meilleures garanties de stabilité et de sécurité d’approvisionnement tout en garantissant aux paroisses qu’en échange des emplois perdus lors de la fermeture des petits moulins à scie locaux, les emplois en forêt resteraient dans le territoire et peut-être même augmenteraient. Au lieu de saupoudrer les droits d’approvisionnement, l’État choisissait de favoriser une certaine concentration pour soutenir la consolidation et l’intégration du secteur du sciage.

La solution préconisée a réduit substantiellement le nombre de petits moulins locaux, ce qui a modifié radicalement le marché de l’emploi dans les communautés et, bien souvent, réduit à sa plus simple expression leurs structures de production. Plusieurs communautés ont payé très cher cette solution : elle a souvent provoqué des saignées démographiques dramatique dont elle souffrent encore cruellement aujourd’hui. Elle a cependant été fructueuse pour l’industrie du sciage qui a pu croître davantage et plus vite grâce aux garanties offertes par le CAAF, garanties qui ont favorisé l’investissement en réduisant le risque sur les approvisionnements et en permettant la planification à long terme. Une sorte de pacte forestier s’est alors imposé de façon plus ou moins tacite entre les divers acteurs du secteur forestier. Un certain consensus s’était établi, qui a nourri une vision qui s’est lentement imposée à peu près partout comme la seule voie pragmatique, la plus utile au développement et la mieux accordée aux besoins de l’industrie. Les emplois restaient dans le territoire, liés indissociablement aux CAAF qui attachaient l’approvisionnement, le territoire forestier, aux usines.

Ce pacte aura duré vingt ans.

Les difficultés structurelles du secteur en auront eu raison. Le modèle a fini par se retourner contre ses promesses. Le rapport Coulombe a amplement documenté les problèmes. Il aurait pu ajouter qu’en grande partie, ces problèmes étaient déjà présents avant l’adoption du régime des CAAF qui devait favoriser le redressement structurel. Au fil des ans, il est apparu que les solutions retenues ne permettaient pas de faire face aux problèmes les plus déterminants du secteur. Aujourd’hui, comme il y a vingt ans, l’industrie fait face à une crise majeure. Et l’on nous demande, sans trop le dire, de renoncer au pacte forestier à l’origine du régime des CAAF. Et au nom des même raisons. L’industrie qui plaide toujours pour le maintien des garanties de stabilité de l’approvisionnement nous demande désormais de briser le lien entre le territoire et l’emploi. Ce lien était au coeur du pacte forestier. Aujourd’hui, les emplois sont menacés, la ressource est menacée, la communauté risque d’être condamnée. Et ce n’est pas la seule : aujourd’hui Champneuf et les communautés environnantes combien d’autres demain ? Les experts aussi bien que les dirigeants de la grande entreprise laissent circuler des chiffres effarants. Quand la recherche d’une solution laisse entrevoir des conséquences aussi dures que le mal lui- même, c’est que quelque chose cloche. A l’évidence le modèle a atteint ses limites.

Pour un nouveau pacte forestier

Une nouvelle fois, on nous demande de renoncer à des équipements de production mais, cette fois-ci, c’est pour laisser partir la ressource ligneuse elle-même. En souhaitant transférer les CAAF d’une usine à l’autre au nom de la rationalisation des capacités de production, certains voudraient que des régions entières se laissent désormais dicter leurs choix économiques pour des motifs de restauration d’un secteur industriel dont les choix, par ailleurs, sont de plus en plus indifférents au territoire. La prédominance de la filière papetière qui a progressivement intégré le secteur sciage a provoqué la réduction substantielle du nombre d’entrepreneurs locaux et régionaux. Cela a eu pour effet de faire sortir de la région les centres de décisions. La gestion de l’emploi, les choix de développement et les orientations stratégiques ont été faits sans tenir compte des réalités régionales. Il en est résulté une gestion qui, sans être indifférente aux aspects régionaux, les a néanmoins subordonnés à des choix de positionnement stratégique qui n’ont pas cherché à concilier réalités et besoins régionaux avec les intérêts sectoriels.

A cet égard, les recommandations de la commission Coulombe laissent poindre une contradiction. L’on veut bien que plus de souplesse soit accordée aux entreprises pour leur permettre de s’ajuster aux conditions du marché et aux défis du secteur. Mais cela ne doit pas se faire au détriment de l’objectif d’accroissement de la capacité de deuxième et troisième transformation, d’amélioration globale de notre capacité de produire de la valeur ajoutée. La forte concentration de l’industrie, marquée par la place énorme qu’y tiennent les papetières peut venir à l’encontre de cet objectif ou, à tout le moins, engendrer de très sérieuses tensions.

Il est normal que les entreprises réagissent à la crise en se cramponnant fermement aux exigences de leur mission première. Or, la mission première des papetières reste la production papetière, c’est évident. Le danger de la situation actuelle est celui de la contamination des logiques de développement. C’est déjà en partie ce qui explique plusieurs des difficultés actuelles. Car les choix stratégiques qui ont conduit les papetières à multiplier les acquisitions d’usines de sciage pour sécuriser leurs approvisionnements en copeaux ont eu des graves répercussions de marché sur l’industrie du sciage. L’obligation qui leur est faite eu égard à ces approvisionnements qui doivent prioritairement provenir du sciage, a contraint, pour ainsi dire structurellement, la filière papetière à agir sur le marché du sciage en fonction de choix qui ne tenaient pas toujours compte des réalités de l’offre. L’abondance de bois d’oeuvre, pour ainsi dire plus ou moins artificiellement produite, crée ainsi des distorsions importantes dans le marché du sciage.

Les difficultés propres à la filière papetières sont venues en quelque sorte se rajouter à ces problèmes, provoquant des crises que les papetières cherchent à résoudre en jouant sur les deux tableaux à la fois. Ce sont les économies régionales qui risquent d’en faire les frais. La souplesse requise pour qu’émergent des solutions de deuxième et troisième transformation est difficile à obtenir en raison de cette imbrication contradictoire des logiques et besoins de l’industrie du sciage dans une structure très largement déterminée par les choix de la filière papetière. Il faut trouver des solutions qui permettront aux deux secteurs de sortir gagnant de la crise actuelle. Il est clair, cependant, que les régions forestières n’y trouveront leur compte que dans la mesure où les choix sectoriels de l’un comme de l’autre viendront contribuer au renforcement de toute la structure de l’économie forestière régionale.

Les exigences de consolidation du secteur papetier ne doivent donc pas se faire au détriment de la préservation des conditions de développement de l’industrie du sciage, principal point d’appui de toute stratégie de diversification et d’accroissement de la capacité de transformation. Du point de vue régional, cela place les quelques entreprises de sciage indépendantes, qui représente environ 30 % de la production de bois d’oeuvre au Québec, dans une situation particulièrement vulnérable dans la mesure où elles risquent de devoir vivre, comme les autres du secteur, selon des règles fixées en fonction d’une logique de développement dictée par la nécessité pour les papetières de penser le sciage en fonction de sa logique d’appui (approvisionnement en copeaux) plutôt qu’en fonction d’une logique autonome de développement.

Il faut éviter de compromettre le potentiel des usines indépendantes restantes en leur infligeant des contraintes dictées par des solutions définies pour régler les problèmes de la filière intégrée sciage/papetière. Il faut éviter que leur mission première ne soit subordonnée aux exigences de la filière papetière. Cela n’est pas souhaitable pour aucun des deux secteurs. Il faut chercher à concilier ces exigences dans la cohabitation de modèles distincts plutôt que dans la subordination. Il ne faut pas que la restructuration papetière contraigne, au point de les compromettre, les possibilités de développement d’un secteur du sciage qui pourrait se mobiliser tout entier sur l’élargissement des capacités de deuxième et troisième transformation. C’est ce qui est en cause à propos du sort qui sera réservé à l’usine de Champneuf.

Le gouvernement du Québec doit certes se montrer sensible et ouvert aux problèmes et préoccupations de ses propriétaires, mais il faut que la solution retenue se fasse en conciliant les objectifs de développement local, de saine gestion de l’approvisionnement ligneux et de cohérence d’une stratégie industrielle adaptée. La solution n’est pas d’accroître la fluidité des CAAF mais bien de choisir rigoureusement à quelle logique de développement la décision de garder ou non la ressource dans le territoire doit être rapportée. Il n’y a pas que l’usine de Champneuf qui soit en cause. Dans notre MRC et dans les MRC voisines d’autres usines sont également menacées à plus ou moins brève échéance et les mêmes dilemmes vont se reproduire pour ce qui est des meilleures manières de disposer de l’approvisionnement. Nous ne voulons pas que des solutions structurelles se définissent par défaut, imposant un fait accompli par l’accumulation de décisions ponctuelles. Il faut une vision cohérente, une vison d’ensemble qui permette de bien isoler les facteurs et les critères justifiant les décisions à prendre. Le défi forestier ne se relèvera pas par une gestion au coup par coup. Il faut expliciter les choix, les faire en toute connaissance de cause et pour le mieux être de tous.

Le cas Champneuf peut nous servir à jeter les bases d’un nouveau pacte forestier.

Nous pensons que ce pacte doit se définir en référence à un modèle qui fasse une large place à une industrie du sciage définie pour elle-même et non pas d’abord pour ses fonctions d’approvisionnement en copeau. Ce modèle peut cohabiter avec le modèle en cours, à condition d’en bien définir les paramètres. Le cas Champneuf doit être réglé en faisant primer l’objectif d’accroissement de la capacité de deuxième et troisième transformation. Seule la reconnaissance de cette primauté peut nous ouvrir l’avenir. Les développements anticipés de la filière papetière, entre autres avec l’importation de pâte d’eucalyptus d’Amérique du Sud, le recours aux fibres d’essences à croissance rapide telle le kénaf, et avec la concurrence en provenance des pays émergents, ne laisseront jamais, à long terme, qu’une place secondaire, pour ne pas dire résiduelle, à nos capacités de positionnement. Il faut donc soutenir la création d’un secteur de deuxième transformation fort, à contrôle local et régional, basé sur une pérennité de la ressource en faveur des communautés.

Il faut trouver à Champneuf une solution qui consolide notre potentiel de deuxième transformation tout en favorisant la plus large ouverture possible à la mise en valeur des ressources forestières actuellement disponibles. Il faut être clair, notre démarche n’en est pas une de résistance au changement. Nous ne refusons pas le changement, mais nous refusons de le subir. Nous voulons, au contraire, y participer, y associer les forces vives de toute la MRC, et plus largement de la région à la recherche d’un nouvel élan. La population de l’Abitibi considère encore la forêt comme un de ses meilleurs atouts. La région peut sortir gagnante des difficultés actuelles. C’est une affaire de vision d’abord. Nous pouvons faire naître dans le secteur des Coteaux un véritable projet mobilisateur.

Structurer l’offre ou réorganiser l’approvisionnement

Il faut bien lire ce qui se passe. Le mouvement de protestation contre la fermeture de l’usine de Champneuf et le transfert du CAAF qui y est rattaché n’est pas un appel au prolongement du statu quo. Il y a une nécessité économique et stratégique à maintenir les ressources dans le territoire. Pour le bien comprendre, il faut faire la part des choses entre les exigences de l’approvisionnement et celles du développement économique.

Si l’on se place du strict point de la logique de l’approvisionnement en matière ligneuse du secteur forestier tel qu’il est actuellement structuré, le choix de transférer le CAAF est sans aucun doute la bonne décision. Le modèle actuel privilégie la concentration dans des unités toujours plus grandes. Les choix sont alors dictés aussi bien par la logistique que par les objectifs de rendement sur l’investissement. Pour faire une gestion globale des ressources du secteur, pour en faire surtout une organisation qui élargisse les possibilités industrielles, il faut passer de la logique de l’approvisionnement, à la logique de l’offre forestière. Il faut certes réorganiser les approvisionnements pour résoudre certains des problèmes majeurs de l’industrie actuelle. Mais cela ne fera que préserver l’existant. C’est déjà bien, mais le rapport Coulombe l’a bien montré, cela nous laisserait encore loin du compte.

Si nous voulons ouvrir les voies de l’avenir, il nous faut concevoir des solutions qui, tout en parant aux nécessités actuelles, élargissent les possibilités de faire naître d’autres projets. Il faut aussi avoir à l’esprit de jeter les bases de la structuration du secteur que nous souhaitons consolider et développer, celui de la création d’une plus grande valeur ajoutée à partir d’un potentiel de ressources ligneuses géré en conséquence. Il y a de la place pour des usines de la taille de celle de Champneuf. Il y a des exemples d’usines rentables traitant les mêmes volumes. Il faut évaluer la performance de ce genre d’usine sur la longue durée et non pas à partir des seules perspectives laissées ouvertes dans le creux du cycle actuel. Certes, de telles usines bénéficient d’une technologie qui leur donne une plus grande polyvalence et une meilleure capacité d’adaptation. Mais cela peut être fait aussi à Champneuf, des promoteurs pourraient être tentés d’en faire la démonstration. Des partenariats sont pensables. Il faut le vouloir. Et surtout le vouloir avec l’intention de se servir de cette occasion pour renforcer ce qui est déjà en train de naître dans la région et au-delà.

Le rapport intitulé Proposition de développement en deuxième et troisième transformation de bois résineux et feuillus en Abitibi-Témiscamingue, présenté par la firme Performax en mars 2002, est très convaincant à cet égard. Avec une approche d’ensemble, définie sur une vision actualisée du concept de grappe industrielle, il serait possible de faire naître une véritable synergie industrielle. Il y a en Abitibi un fort potentiel. Nous disons qu’un projet à Champneuf pourrait servir de véritable catalyseur et favoriser la structuration d’un petit réseau d’usines indépendantes travaillant en fonction de l’accroissement de la capacité de chacune à mieux capter la valeur ajoutée susceptible de naître de la complémentarité des opérations et des stratégies de positionnement sur les marchés.

Ce rapport est cependant très ferme sur une condition essentielle : tout projet de deuxième et de troisième transformation doit prendre appui sur des approvisionnements stables qui découlent de la première transformation des bois. Il faut donc préserver la première transformation si l’on veut mettre les meilleurs avantages concurrentiels de son côté. Plus encore, ce n’est pas seulement une affaire d’approvisionnement, c’est une affaire de conception des stratégies d’exploitation et de mise en valeur de la matière ligneuse récoltée. Il y a plus dans cette approche que la simple logistique de livraison des grumes, c’est une affaire d’appréciation de la configuration globale de l’offre de matière ligneuse, une offre conçue en fonction de besoins diversifiés, gérés selon des arbitrages qui mettent les industriels en complémentarité davantage qu’en concurrence les uns avec les autres. Les conclusions de ce rapport rendent encore plus pressante la nécessité de garder dans le territoire la ressource ligneuse.

Pour garder l’avenir ouvert et pour agir efficacement en vue d’accroître la deuxième transformation, il faut s’assurer que la MRC obtienne un contrat d’aménagement forestier (CtAF) dont le volume correspondra à celui qu’Abitibi-Consilidated ne désire plus usiner à Champneuf. C’est une condition de réussite essentielle. Sans CtAF à la MRC, la relance des projets de substitution devrait se faire sans levier, sans point d’appui local pour attirer l’investissement, condamnant la communauté à lutter avec un potentiel d’attraction diminué. Plus encore, cela priverait l’ensemble du milieu d’un puissant moyen de faire en sorte que les entreprises existantes puissent agir comme force d’attraction. Cela les laisserait dans une marginalité relative, ferait d’elles des composantes plus ou moins isolées d’un secteur industriel faiblement intégré aux structures économiques locales et régionales. Entre l’approche réseau et l’approche par usine isolée, il y a la différence entre la stratégie de développement économique intégré et la gestion sectorielle, la différence entre la mise en valeur des ressources du territoire au service du développement local et la gestion de la demande de matière ligneuse en fonction d’un certain état de la concentration de propriété et de l’intégration des équipements de production.

Restructurer l’offre forestière, cela déborde donc du seul cadre de l’usine. Cela exige aussi de mettre en lien la planification, la recherche aussi bien que l’aménagement avec les stratégies de développement et d’exploitation. Restructurer l’offre, c’est donc passer d’une vision mono-filière, ne tenant compte que des besoins spécifiques des acteurs existants, à une vision large permettant de mobiliser l’ensemble des intervenants et des expertises sur une approche d’optimisation du potentiel émergent. Il serait imprudent de sacrifier le présent à un avenir incertain, mais il serait tout aussi imprévoyant de sacrifier le potentiel en ne cherchant que des solutions aux problèmes du court terme. Il faut donc aborder les choses avec rigueur. Les erreurs risquant d’être fatales à de nombreuses communautés déjà fragilisées par les problèmes, il vaut mieux éviter que des solutions mal pensées ne les achèvent en faisant plus de dégâts que les maux actuels. On connaît l’histoire : l’opération est réussie mais le patient en est mort…

Les exigences du développement durable plaident également en fonction du maintien dans le territoire d’une infrastructure de première transformation servant de pierre d’assise aux secteurs de la deuxième et troisième transformation. Il est coûteux de faire faire des détours à la matière de premier traitement, cela crée une pression supplémentaire et inutile sur les deuxièmes transformateurs. Le secteur des Coteaux est l’entrée naturelle des bois en provenance du Centre- Est de l’Abitibi vers notre MRC. Après avoir subi une première transformation, ils peuvent être dirigés vers d’autres usines de transformation secondaire et tertiaire sans va-et-vient inutile. Un circuit court permettrait d’importantes économies de carburant, provoquerait moins de perturbation par le bruit et limiterait la détérioration des chaussés affectées par le passage des lourds camions, réduisant du même coup la multiplication des travaux de voirie perturbateurs.

Un circuit court, ne permet pas seulement des économies de transport, il favorise l’optimisation technologique et la mise en place d’un mode de gestion plus souple, mieux en mesure de s’adapter rapidement, de réagir aux aléas de la demande comme de l’offre. Un circuit court est un atout pour l’amélioration de la compétitivité de l’ensemble des participants à une même grappe industrielle. Du point de vue de l’entrepreneurship et de l’innovation, un circuit court favorise les échanges de proximité, il améliore la capacité de captage et de circulation de l’information stratégique entre les décideurs des divers secteurs d’intervention. Il contribue au bouillonnement des idées indispensable aux collectivités entreprenantes.

Les conclusions du récent rapport Évaluation du potentiel d’intensification de l’aménagement forestier pour le territoire de la MRC d’Abitibi produit par la Table de concertation Forêt, mise sur pied dans le cadre de la démarche de Concertation pour l’Action, plaident également en faveur de la nécessité d’une approche intégrée. Le potentiel de la MRC est très élevé. Le rapport estime à 2 400 000 mètres cubes le volume des peuplements résineux non récurrents et à 3 040 000 mètres cubes celui des peupliers surannés qui pourraient être récoltés. Ces volumes se répartissent de façon très inégale sur les territoires des diverses municipalités. Et c’est le secteur des Coteaux qui offre le potentiel le plus immédiatement susceptible d’être mis en valeur. Le rapport établit que deux stratégies peuvent être mises en oeuvre : la récolte de peuplements non récurrents et la remise en production de peuplements et friches. Le portrait qu’il nous dresse rend encore plus évidente la nécessité d’une approche intégrée.

Ce potentiel, en effet, il faut en organiser la mise en valeur. Il faut l’aborder non pas seulement dans une perspective de récolte mais aussi et surtout dans une vision qui permette de considérer ces ressources ligneuses comme une réserve très précieuse qui pourrait être gérée pour venir appuyer les entrepreneurs actuels et futurs dans des efforts d’accroissement de la deuxième transformation. Il faut se servir de ce potentiel pour donner à la MRC l’occasion de faire une meilleure intégration de ses préoccupations en faisant naître une structure de coordination et d’intervention. Cela vient bonifier singulièrement la pertinence d’une relance de l’usine de Champneuf sur un objectif accordant priorité à la valeur ajoutée. Si on lit ce rapport dans une perspective de restructuration de l’offre forestière, l’on constate avec satisfaction qu’il serait possible de penser la gestion de ce potentiel en fonction d’une planification au service du développement d’une grappe industrielle complète. En plus de laisser envisager la possibilité d’accroître substantiellement l’approvisionnement de l’usine de Champneuf, les perspectives ouvertes par une telle approche intégrée laissent voir comment une approche industrielle innovatrice pour servir à l’élargissement de la vocation agro-forestière de tout le milieu.

Dans cette perspective, il devient de plus en plus évident que le projet de relance de l’usine de Champneuf n’est pas seulement un projet local. Il faudrait désormais parler plutôt du projet de relance d’une usine pour le secteur des Coteaux, tant il s’impose que la vocation et le potentiel de cette usine revoient à une action structurante dépassant largement les cadres de la collectivité locale. C’est un projet qui touche toute la MRC d’Abitibi et dont la réalisation peut inspirer les forces vives de la région et de bien d’autres endroits du Québec forestier.

Ces deux rapports ne pouvaient pas mieux converger. Il est possible de se mettre à la tâche maintenant. Les principales recommandations du rapport Coulombe eu égard à « la gestion intégrée, décentralisée et transparente » (titre du chapitre 7 dudit rapport) pourraient être mises à l’épreuve des faits dans le dossier de l’usine de Champneuf. Il y a là une occasion en or pour les élus de la région, pour l’ensemble des intervenants forestiers et pour la population en général, de prendre au sérieux la volonté de changement exprimée dans ce rapport salué unanimement. Personne ne soutiendra que c’est là une tâche facile. Là n’est pas la question. Il s’agit en fait de savoir si nous avons la volonté de nous y attaquer. Il s’agit de faire la démonstration que nous sommes capables de dominer nos problèmes et de dépasser les solutions éculées, les solutions où l’on avait l’habitude de s’accommoder des propositions élaborées loin du milieu et pas forcément soucieuses de nos ambitions les plus hautes.

La forêt est encore notre plus grande richesse. A nous de la faire servir à la création de la nouvelle économie de la région. Il faut l’affirmer haut et fort, la nouvelle économie forestière passe par l’intégration, dans le territoire, à l’échelle de la région, à celle des communautés forestières, de toutes les fonctions indispensables au succès des projets d’entreprises. Si la forêt est un écosystème, l’économie forestière est un sociosystème dont les collectivités doivent être le centre de gravité. Il faut que le contrôle de la ressource ligneuse reste rigoureusement rattaché au territoire. Pour que nous puissions orienter notre développement. Parce que nos aspirations ne sont pas dé localisables.

Nous en sommes convaincus, la relance de l’usine du secteur des Coteaux ouvre des perspectives enthousiasmantes. Il n’y a qu’une façon de faire face à la crise appréhendée, c’est par l’audace et l’innovation. Le potentiel existe, les conditions de succès peuvent être réunies. C’est la vision d’ensemble qui fera la différence. Cette vision laisse apercevoir un projet fort mobilisateur, celui de faire naître la Grappe industrielle forestière Harricana. Le ministre des Ressources naturelles et de la Faune peut faire le premier geste, celui qui libérera l’énergie créatrice de toute la région. Il faut un contrat d’aménagement forestier pour la MRC d’Abitibi. Il faut une usine pour le secteur des Coteaux pour commencer maintenant à bâtir l’économie forestière de l’avenir.

Notre forêt est notre meilleur gage de prospérité.

Le 3 mars 2006