Le 10 juin 1839, une lettre de dénonciation des patriotes de Sainte-Anne-des-Plaines parvient aux autorités gouvernementales du Bas-Canada. Le signataire est le curé de Sainte-Anne-des-Plaines Isidore Poirier. Il dénonce onze de ses paroissiens1.
Qui ont juré ma perte précisément parce que je soutiens hardiment contre eux les droits de la couronne et que je m’efforce de les persuader ainsi que m’y oblige ma charge de pasteur, qu’il faut nécessairement les débarasser de leurs détestables opinions.
Ceux qu’il dénonce étaient inconnus des autorités, à l’exception de Louis Dubois.
Âgé de 40 ans, c’est un forgeron de Sainte-Anne-des-Plaines qui souleva les habitants, menaça les loyalistes, répara des fusils, puis participa à la bataille du 14 décembre 1837 à Saint-Eustache.
Arrêté le 1er janvier 1838, il subit un examen volontaire le 19 février et est libéré sans procès le 1er avril 1838 grâce au curé Poirier qui avait obtenu sa sortie sur cautionnement et devant lequel il avait promis de s’amender…
Dans cette lettre de dénonciation, le premier patriote mentionné est Moïse Granger2
Qui a pris les armes pour aller au feu de la Rivière-du-Chêne, a dit en pleine assemblée qu’il me persécuterait jusqu’à la mort ; et il paraît bien qu’il veut tenir sa parole, puisqu’il se trouve maintenant à la tête d’une conjuration ouverte contre moi. Il en est rendu à un tel point que je ne voudrais pas me trouver seul dans un lieu écarté. Je craindrais qu’il me sonnât le coup de mort.
Moïse Granger ne lui donnera pas le coup de la mort, car il est emprisonné onze jours après la lettre du curé Poirier…
Le curé Poirier suggère, pour mater les patriotes :
Si vous jugez à propos que les chefs soient arrêtés et qu’une lettre sévère soit lue à la porte de l’église pour obliger les autres à se soumettre au instructions qu’on leur donne, je crois que ces exemples feront beaucoup de bien en imprimant dans les âmes une crainte salutaire qui forcera les gens à prêter l’oreille à la vérité et à se soumettre à leurs supérieurs légitimes, ainsi que la religion les y oblige.
Louis Dubois, que le curé Poirier avait réussit à faire libérer moyennant un cautionnement, est présent alors que le curé Poirier monte en chaire prêcher.
Dubois parle suffisamment fort pour être entendu par les paroissiens en répétant après chacune des phrases du curé :
Tu as menti, tu as menti.
Cela cause scandale et offusque le curé qui s’empresse d’écrire dans sa dénonciation : « Je m’étais engagé à rendre compte de sa conduite au gouvernement s’il recommençait son train, je m’acquittai de ma promesse. » Il dénonce aussi Octave Villeneuve, Jean Villiot, Félix Granger, Thomas Villiot3 et Joseph Adam : « Dont on viendrait peut-être à bout si sa méchante femme ne le gâtait pas par ses mauvais conseils ».
Certains curés, dont le curé Poirier, étaient la vue et l’ouïe des autorités, des espions par excellence, le confessionnal agissant aussi comme complément d’enquête4… Dans sa longue lettre de dénonciation le curé Poirier mentionne que :
Jean-Baptiste Leblanc5 est le second chef de la rébellion Nicolas Daumais, Joachim Villeneuve et Séraphin Bouc6 des meneurs dans les premiers troubles (1837) ont avancé : qu’ils avaient prêté l’automne dernier (1838) le serment patriotique.
Les patriotes qui avaient cru en la liberté d’expression et d’assemblée à l’automne 1837, mais qui avaient vu ces libertés fondementales interdites et réprimées, qui avaient vu leur désir d’émancipation politique et leur résistance à l’oppression vaincue par les armes et le nombre, ont accumulé devant le comportement ignoble des volontaires stipendiés, une rancœur, une haine et un désir de vengeance conduisant à une riposte devant les exactions, pillages et incendies.
Bien qu’ils furent emprisonnés pendant de longues périodes avant d’être amnistiés en juillet 1838, ils choissisent de se rebeller en créant une association secrète, les Frères chasseurs, qui prévoient un second soulèvement pour le 3 novembre 1838, en même temps que la saison de la chasse.
Pour recruter ces patriotes, tout se tient dans le secret dans une mise en scène avec un serment de se tenir prêt lors de l’appel à la révolte « sous peine de se faire trancher le col et de voir ses bâtiments brûlés. »
Un fusil était braqué au visage de celui qui prêtait le serment après qu’on lui eut débandé les yeux, puis on lui transmettait les signes de reconnaissances pour se reconnaître entre patriotes. Les Frères chasseurs avaient une hiéarchie : un Grand Aigle pour chef, un castor comme capitaine et une raquette qui commandait neuf hommes, le tout groupé en loges. Des milliers de patriotes furent ainsi assermentés. C’est cette association patriotique que le curé Poirier mentionne.
Quant à Louis Dubois et Moïse Granger, ils sont toujours emprisonnés le 19 juillet 1839 alors qu’ils écrivent de la nouvelle prison de Montréal à Monseigneur Lartigue pour qu’il intervienne en leur faveur.
La lettre de dénonciation est une réponse aux patriotes, car ceux-ci ont porté plainte à l’évêque pour un sermon dont le curé Poirier révèle la nature dans sa lettre :
Le dimanche douze du mois de mai en parlant de l’obéissance et de la soumission aux autorités constituées, je crus pouvoir me servir des expressions suivantes fort usitées dans les sermonnaires.
D’après la manière dont se sont conduits depuis le commencement des troubles ne pourrait-on pas dire qu’ils ressemblent moins à des chrétiens qu’à des bêtes féroces ?
Plus vous résisterez plus il paraîtra clair combien grand a été l’aveuglément de vos cœurs et c’est sur ces expressions qu’ils ont formé leur plan d’accusation devant l’évêque.
Rien de plus facile que de produire au besoin cent personnes qui prouveront avec serment que les sus-mentionnés et autres de leur parti qui travaillent à me chasser, sont rebelles au gouvernement et troublent la paix publique de la paroisse.
Et que, si je les laissais tranquilles dans leurs idées d’ignorance et de barbarie, nous serions parfaitement d’accord, dans l’espérance chimérique que n’ayant point d’obstacle, ils travailleraient sans scrupule à mettre leur dessein à exécution et gagneraient enfin leur indépendance, opinion détestable et généralement répendue dans la province et que nous sommes obligés en conscience de combattre de toutes nos forces, aux dépens même de notre vie.
De cette délation nous pouvons retenir l’implication politique agressive du curé Poirier qui, en chaire, fustige les patriotes les traitant de mauvais chrétiens agissant comme des bêtes féroces. Ceux-ci ne s’en laissent pas imposer et portent plainte à l’évêque, sans suite évidemment.
Il faut aussi retenir une toute petite phrase qui dénote que Joseph Adam a une épouse qui appuie la démarche patriote. Plusieurs femmes avaient agi ainsi. L’une d’entre elles, Zoé Ainsse, dit à son époux le chef patriote Amury Girod :
Va où ton devoir t’appelle, ne pense pas à moi. J’aimerais mieux te voir mort sur le champ de bataille qu’abandonner la cause de la patrie.
Amury Girod s’enfuiera de la bataille de Saint-Eustache et se réfugiera à la Pointe-aux-Trembles où il sera trahi par Louis Turcotte, un temps patriote, mais alléché par la prime de 2000 livres pour sa capture. La prime ira plutôt aux volontaires anglais…
Girod sera abattu7.
Le passé étant toujours présent, le curé Poirier serait possiblement outré de la résistance qui a perduré jusqu’à nos jours et qu’il y ait une Journée nationale des Patriotes, jour férié dont le but est de souligner l’importance de la lutte des patriotes de 1837-1838 pour la reconnaissance de leur nation, sa liberté politique et l’établissement d’un gouvernement démocratique.
1 Lettre du curé Isidore Poirier de Sainte-Anne-des-Plaines à monsieur Griffin adjudant général, 10 juin 1839. BAnQ Fonds Ministère de la Justice, document E17, S37, D 3413
2 Petit-fils de Joseph Granger, un Acadien déporté. Participa à la bataille du 14 décembre 1837 à Saint-Eustache.
3 Ces patriotes ont menaçé, pillé et désarmé des loyalistes pour approvisionner leur camp à Saint-Eustache puis participé à la bataille du 14 décembre 1837.
4 Le curé Jacques Paquin de Saint-Eustache, l’ennemi juré du chef patriote Jean-Olivier Chénier, possédait un carnet secret avec les noms de près de 180 paroissiens « compromis au sein du mouvement patriote ».
5 Jean-Baptiste Leblanc aubergiste de Saint-Anne-des-Plaines participa à la bataille du 14 décembre 1837 à Saint-Eustache. Réfugié au États-Unis, de retour à l’amnistie de Durham en juillet 1838. Frère chasseur à l’automne 1838.
6 Il ne peut s’agir ici de Séraphin Bouc le député de Terrebonne en 1834 qui appuya le parti patriote puisque celui-ci est décédé le 28 juillet 1837, mais plutôt de Louis-Séraphin Bouc dit Bock (1815-1885) Représentant de Sainte-Anne-des-Plaines à une future convention patriote choisit lors de l’assemblée patriote de Sainte-Rose le 11 juin 1837. Fin novembre 1837, il est présent avec quelque deux cents patriotes armés à Paisley pour y désarmer les écossais qui devant une démonstration de force remettront leurs armes. Début décembre 1837 il est fait prisonnier avec Michel Lafleur et Charles Larose le loyaliste Casimir Testard dit de Montigny qu’ils vont conduire au camp des patriotes de Saint-Eustache auprès d’Amury Girod. Participe à la bataille du 14 décembre 1837 à Saint-Eustache. Se réfugie aux États-Unis, il semblerait qu’il fût à Syracuse État de New York, pour quelques mois ; de retour à l’amnistie générale de juillet 1838. Chef patriote de Terrebonne avec son oncle Charles-Guillaume Bouc et Pierre Noyelle de Fleurimont. Voir Messier Alain Dictionnaire encyclopédique et historique des patriotes de 1837-1838. Guédin éditeur, 2002.
7 L’historien et biographe de Frederick Augustus Amury Girod, Philippe Bernard, a balayé les rumeurs et la légende que Girod avait été enterré après lui avoir perçé un pieu à travers le corps. Toutefois il est certain qu’il ne fut pas enterré dans un cimetière chrétien, ses recherches l’ont conduit a affirmé que son corps fut enterré au coin nord-est de ce qui est de nos jours l’intersection Sherbrooke et Saint-Laurent. Amury Girod, un suisse chez les patriotes du Bas-Canada. Septentrion, 2001.
Historien.