Respectivement étudiant en science politique et chef d’Option nationale
Treize années après sa parution, « Revoir le cadre stratégique » a gardé toute sa pertinence et sa lucidité. Son nécessaire appel au dépassement est encore là à alimenter les discussions et à être découvert et redécouvert par des indépendantistes en quête de victoire. Écrit au lendemain de la défaite du Parti québécois et de l’élection du Parti libéral du Québec en 2003, cet éditorial passé à l’Histoire se voulait, dans un premier temps, un décapant post-mortem des gouvernements Bouchard et Landry.
Si cette juste dénonciation sans ménagement des erreurs péquistes suffisait déjà à donner au texte ses lettres de noblesse, c’est aussi et peut-être même surtout en raison de la stratégie qu’il proposait que « Revoir le cadre stratégique » a fait sa marque. Le fait que le vaisseau amiral de l’armada souverainiste ait ensuite cru bon (mal lui en prit) d’ignorer les signaux lancés par ce radar n’enlève rien au fait que ce dernier a bel et bien pu baliser le chemin à suivre à travers les mines de l’ennemi et les icebergs de la contingence. Ce sont toutes ces raisons qui font de « Revoir le cadre stratégique » un classique de la littérature indépendantiste.
L’état du mouvement indépendantiste
La défaite du Parti québécois, le 14 avril 2003, après un peu moins de neuf années à la tête du gouvernement du Québec, va susciter une myriade d’analyses, de textes et de suggestions de marche à suivre. Visiblement, quelque chose clochait dans le camp souverainiste ; le verdict des citoyens est sévère à l’endroit du parti de Bernard Landry, qui subit un recul d’un peu moins de dix pour cent dans les suffrages et une perte de trente-et-une circonscriptions. Le Parti québécois avait connu pire défaite (l’élection de 1985 ayant été une saignée), mais 2003 apparaissait tout de même comme un signal d’alarme qui était à prendre au sérieux.
Les mois suivants verront donc la mise en branle de la machine à idées qu’est le mouvement indépendantiste, chacun tentant de mettre le doigt sur le bobo et de trouver la solution à l’effritement du vote péquiste et à la réalisation de l’indépendance. Une multitude de personnes vont prendre la plume et y aller de leurs suggestions. Entre autres intervenants dans cet examen de conscience, Joseph Facal propose notamment de « moderniser notre vision du rôle de l’État et de ses modes d’intervention », tandis que Lise Payette appelle la société civile à s’emparer du projet de pays et que Mathieu Bock-Côté, alors étudiant à la maîtrise en sociologie, condamne la perte de sens nationaliste du discours péquiste au profit d’un souverainisme technocratique. En octobre, Bernard Landry va annoncer une « Saison des idées » qu’il dit destinée à brasser les cartes à nouveau et à refonder le programme péquiste en vue du congrès national prévu pour 2005.
Ce que le mouvement indépendantiste n’avait peut-être pas encore pleinement saisi (ou saisi tout court, et l’a-t-il saisi aujourd’hui ?), c’est qu’il devait aussi désormais composer avec le coup de Jarnac du gouvernement fédéral qu’est le bill C-20 ou Loi donnant effet à l’exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec. Cette dite « Loi sur la clarté », votée en 2000, venait cadenasser l’accession légale du Québec à son indépendance en la conditionnant à la bonne volonté des parlementaires d’un État fédéral déterminé à user pleinement de la raison d’État pour maintenir son intégrité territoriale. Les dirigeants péquistes, qui tenaient pour acquis depuis toujours le franc-jeu d’Ottawa en cas de victoire du OUI dans un référendum sur l’indépendance, voyaient leurs présomptions déchirées en morceaux, tandis que le peuple québécois recevait une énième gifle au visage.
Dire les choses telles qu’elles sont
C’est dans ce double contexte d’introspection du mouvement indépendantiste et d’enfermement du projet de pays que Robert Laplante livre sa contribution au débat. Tiré d’une conférence de décembre 2003 et publié dans L’Action nationale de janvier 2004, « Revoir le cadre stratégique » a l’effet d’une bombe chez les souverainistes. Si pour certains le texte est dur à avaler, pour d’autres il est une bouffée d’air frais qui vient exprimer les critiques qu’ils taisaient depuis longtemps.
Laplante remet clairement en cause toute l’action des gouvernements Bouchard et Landry, qu’il considère comme responsables de l’écrasement en vol de l’élan libérateur issu de l’échec de l’accord du lac Meech et du match nul du référendum de 1995. Le cycle 1996-2003 aurait été marqué, du côté péquiste, par la « peur du conflit » et le « gaspillage de la conjoncture ». Il s’agissait ni plus ni moins que d’un renoncement volontaire à exercer les prérogatives conférées par la détention du pouvoir gouvernemental. Or, comme le dit Laplante, le combat indépendantiste « [est] un combat qui ne peut se gagner que par l’action rigoureuse d’un parti politique qui accèdera à la gouverne pour traduire l’idéal en réalité. » La mobilisation populaire est une chose incontournable et absolument nécessaire dans un contexte démocratique comme le nôtre, mais cela ne doit pas faire oublier que la réussite de la sécession et sa reconnaissance internationale ne résultent pas de la multiplication des manifestations favorables à l’indépendance dans les rues, mais de la capacité de l’État à établir sa souveraineté et son pouvoir de façon effective et durable. Ce que le gouvernement du Québec n’a pas fait et n’a pas travaillé à faire, dénonce Laplante.
Le renoncement péquiste apparaît face à la confirmation de la thèse selon laquelle le gouvernement fédéral aurait volé le référendum de 1995 par de multiples procédés. Écrivant qu’il s’agit là du « moment-clé » du gouvernement Bouchard, Laplante démontre comment le Parti québécois a décidé de fermer les yeux sur ce détournement démocratique, alors qu’il avait tous les outils en main pour tirer profit de cet événement et s’en servir pour affronter Ottawa à nouveau. Le PQ bouchardien (que Laplante place tantôt dans la lignée des Réformistes profitant de l’Indirect rule après l’Acte d’Union, tantôt dans celle des colonisés décrits par Aquin, Bouthillette et Perrault) aurait conséquemment choisi de se satisfaire de la place que lui laissait le Canada sans jamais pousser le combat plus loin. Étouffé par l’offensive financière et économique du fédéral, le gouvernement Bouchard n’aura pas trouvé mieux à faire que de charcuter les finances publiques québécoises, de capituler devant les ennemis de la loi 101 au Centaur en 1996 et de se plaindre des manœuvres d’Ottawa sans jamais y répliquer. La rhétorique de l’attente des conditions gagnantes n’aurait servi qu’à cacher la capitulation du Parti québécois.
Le verdict laplantiste est sans appel. Aussi l’éditorialiste voit-il dans le renoncement et la peur du gouvernement péquiste les causes principales de la démobilisation de ses troupes, de la désorientation de son action et de sa défaite électorale. Il en vient donc à appeler à un sursaut des indépendantistes, à une réorientation majeure et fondamentale. La « Loi sur la clarté » apparaissant comme un obstacle à la fois antidémocratique, illégitime et insurmontable, Laplante élabore une nouvelle stratégie indépendantiste, fondée sur le pouvoir d’un gouvernement élu posant les institutions démocratiques québécoises comme seul et unique référent.
Une stratégie aux racines anciennes
Plonger au cœur du cadre stratégique mis de l’avant par Robert Laplante implique préalablement d’en trouver les racines ; une étude historique permet d’ailleurs de voir qu’elles sont profondes. L’étapisme référendaire et la recherche du bon gouvernement n’ont pas toujours été au cœur de la stratégie du Parti québécois. Les toutes premières années du parti furent marquées par un certain flou sur la démarche préconisée pour réaliser l’indépendance, mais le tout fut clarifié dans une brochure du Parti québécois distribuée en novembre 1972. Il y est écrit :
Avec ou sans majorité du vote populaire, le parti séparatiste québécois a l’intention de séparer le Québec du Canada, s’il domine l’Assemblée nationale du Québec à la suite d’une élection. Un gouvernement « péquiste » à Québec, mettra immédiatement en branle le processus de sécession, sans aucun autre recours à l’électorat par un référendum ou une seconde élection1.
Pour Lévesque et Parizeau à cette époque, l’élection législative, en système parlementaire britannique, fait foi de tout et donne au gouvernement toute la légitimité pour agir. Aussi entendent-ils bel et bien, sitôt élus et entrés en poste, commencer à négocier avec le Canada les termes de la souveraineté du Québec et d’une association économique tout en envisageant une action unilatérale si les discussions venaient à s’embourber.
Cette façon de faire sera directement intégrée au programme électoral péquiste pour 1973 tout en étant modifiée et précisée. Mentionnant d’abord que c’est « à la suite d’une élection » que l’indépendance sera réalisée, le programme prévoit qu’un gouvernement péquiste s’engage à « mettre immédiatement en branle le processus d’accession à la souveraineté dès que celle-ci aura été proclamée en principe par l’Assemblée nationale […] en s’opposant à toute intervention fédérale […] » et à « faire adopter par référendum, pour concrétiser cette indépendance, une constitution élaborée avec la participation des citoyens au niveau des comtés, par des délégués réunis en une assemblée constituante ». La suite est connue : le congrès péquiste de 1974 entérina l’idée d’un référendum sur l’indépendance en cas de nécessité d’action unilatérale et d’échec des négociations suivant l’élection, idée de référendum qui se transformera, lors de la campagne électorale de 1976, en nécessité préalable à toute réalisation de la souveraineté. Ce référendum initiateur de la démarche est désormais la pierre angulaire de la stratégie et de la pensée péquistes, ce qui ne veut pas dire qu’il n’aura jamais été contesté.
Les délégués du congrès de décembre 1981, gonflés à bloc par la Nuit des longs couteaux quelques semaines auparavant, votent qu’une majorité de sièges à la suite d’une élection sera suffisante pour faire l’indépendance, ce qui sera annulé par René Lévesque lors de son renérendum. Plus tard, les orthodoxes de Parizeau et Laurin, dans une lettre ouverte le 10 novembre 1984 et au congrès spécial de janvier 1985, vont proposer (comme tentative de compromis avec Lévesque converti au Beau Risque) que le Parti québécois fasse la promotion de la souveraineté tout en demandant le mandat électoral de rapatrier tous les pouvoirs et les impôts nécessaires à une politique de plein emploi. Que voulaient-ils faire sinon tenter de provoquer une rupture et un conflit de légitimité avec le gouvernement fédéral ?
Le programme péquiste de 1994, même s’il ne s’est pas matérialisé de cette façon après l’élection de la même année, proposait que, sitôt élu, un gouvernement Parizeau « fasse adopter par l’Assemblée nationale une déclaration solennelle affirmant la volonté du Québec d’accéder à sa pleine souveraineté », lance « une commission constitutionnelle ayant le mandat de rédiger un projet de Constitution du Québec souverain » et demande à la population de se prononcer par référendum « sur la souveraineté du Québec et sur les dispositions d’ordre constitutionnel permettant au Québec d’exercer sa souveraineté ».
Après 1995, le débat sur la stratégie et la contestation de l’étapisme seront relativement effacés, malgré quelques tentatives de les mettre de l’avant. Pensant pouvoir toucher la victoire référendaire du bout de leurs doigts, les militants péquistes, faisant confiance au charisme de Bouchard, ont dû penser qu’un débat stratégique n’était pas approprié à ce moment-là. Mais la situation était totalement différente en 2004. Relégués dans l’opposition, désillusionnés cherchant à reprendre le contrôle de l’initiative politique, les indépendantistes pouvaient alors se permettre de tout réévaluer. Cette idée d’une accession à l’indépendance entamée dès l’élection et conclue par un référendum constitutionnel va pouvoir renaître de ses cendres. Quand il publie « Revoir le cadre stratégique » dans L’Action nationale en janvier 2004, Robert Laplante s’inscrit donc dans une honorable lignée d’indépendantistes ayant voulu ramener leur mouvement à sa stratégie première. La force de Laplante sera d’actualiser cette vision des choses et de l’adapter au nouveau contexte dicté par la « Loi sur la clarté », la mettant de l’avant au moment propice à faire éclater un consensus étapiste de façade qui régnait sur le mouvement depuis trop longtemps.
Les principes de la stratégie Laplante
Passer de l’attente à l’action
Le premier principe auquel nous enjoint la stratégie de Robert Laplante, c’est de passer d’une attitude passive à un rôle actif concernant l’indépendance. L’attitude indépendantiste passive consiste à proposer un projet de gouvernance provinciale nationaliste en attendant les tant espérées « conditions gagnantes » qui rendraient la tenue d’un référendum classique victorieuse. Selon ce qu’on peut en deviner, ces conditions indéfinies prendraient la forme d’une conjoncture historique dont les causes nous échapperaient et rendraient d’elle-même l’appui à l’indépendance majoritaire.
Encore aujourd’hui, plus de 20 ans après le traumatisme de 1995, on entend des souverainistes s’opposer à la tenue d’une élection portant sur l’indépendance ou même d’un référendum à court terme, sous prétexte qu’il s’agirait d’un suicide, équivalent au fait de volontairement « foncer dans un mur ».
Si les conditions gagnantes sont effectivement importantes, le cadre théorique de Laplante nous propose non pas de les attendre, mais plutôt de les créer. Selon lui, il faut « façonner » la conjoncture et non plus la « gaspiller ». Lorsqu’il s’agit de renverser le statu quo, une attitude réactive est condamnée à l’échec, puisque l’immobilisme auquel elle contraint renforce l’inertie du peuple et rétrécit ses espoirs. Il nous faut plutôt sortir d’une position défensive et faible en reprenant l’initiative dans le projet indépendantiste.
Révéler les antagonismes latents
Si une majorité de nos concitoyens ne désire pas l’indépendance aujourd’hui, ce n’est pas parce que leurs intérêts convergent avec ceux du Canada, mais parce que nous avons ajusté nos ambitions collectives à ce que le système canadien est en mesure de nous procurer. Nous avons arasé nos projets politiques pour qu’ils finissent par rentrer dans la boîte provinciale. Pour inspirer le désir de changer le régime, il faut inspirer le désir de ce qui dépasse ses limites. En effet, pourquoi voudrait-on sortir d’un pays qui suffit à nos aspirations ? La réduction de l’horizon de nos rêves à la gestion provinciale a sapé les sentiments de nécessité et d’urgence que nous cultivions à l’égard de l’indépendance du Québec. Bref, la passivité nous a endormis.
Pour avoir envie de sortir du cadre canadien, il faut désirer ce qui se trouve au-delà. Il faut rêver plus loin que la cage. Cela signifie de proposer un projet politique qui réponde aux besoins concrets de la majorité de nos concitoyens, tout en nécessitant l’indépendance pour se réaliser. L’exécution d’un tel projet, impossible dans le cadre canadien, est notre moyen le plus efficace de révéler les antagonismes latents que cause le régime canadien. C’est la meilleure façon de mettre en lumière les divergences d’intérêts qui existent entre nos peuples et qui justifient pour nous la création d’un nouveau pays. Pour faire bouger l’opinion publique, les démonstrations sont souvent plus efficaces que les arguments.
Prendre l’initiative, façonner la conjoncture, c’est contribuer activement à créer les conditions qui nous fourniront l’appui d’une majorité de Québécoises et de Québécois.
Affronter le conflit de légitimité
Un autre principe fondamental de la stratégie de Laplante, c’est la nécessité d’assumer pleinement le conflit de légitimité entre notre propre démocratie et le système canadien. Il s’agit d’agir en fonction du postulat que la démocratie québécoise prime le droit constitutionnel canadien, conçu pour la nier. Les blocages du carcan canadien à l’égard de l’exécution de notre programme de pays ne doivent plus être considérés comme des obstacles légitimes. Respecter les limitations que nous impose le régime actuel serait l’équivalent de cautionner sa légitimité. Au contraire, nous devons engager le débat sur la légitimité du carcan canadien. C’est une bataille qu’il faut livrer, d’autant plus que le Canada ne peut pas la gagner. Sa loi constitutionnelle fondatrice est une loi de Londres ; jamais le peuple québécois n’a eu l’occasion de se prononcer sur le cadre politique qui limite son horizon.
La stratégie active que Laplante met de l’avant est donc celle de proposer un programme de pays dont la réalisation, impossible dans le cadre canadien, entraînera un débat sur la légitimité du carcan que nous voulons casser. Il faut oser rompre avec le cadre provincial pour créer les conditions gagnantes, c’est-à-dire celles qui mettront en évidence l’impossibilité de réaliser nos ambitions collectives au sein du régime canadien et la nécessité de l’indépendance.
Le référendum change de rôle
L’autre évolution stratégique proposée par Laplante est de modifier le rôle traditionnellement attribué aux référendums québécois sur l’indépendance. En 1980 et 1995, les référendums avaient pour rôle de donner une légitimité à l’enclenchement de la démarche indépendantiste. Il fallait donc faire un référendum avant de commencer le processus de déconnexion démocratique d’avec le Canada. Dans l’approche laplantiste, c’est l’élection d’un gouvernement indépendantiste majoritaire qui joue ce rôle de légitimation. Le référendum, qui doit porter sur un projet de constitution du Québec indépendant, a maintenant un rôle de validation finale du processus.
Les Catalans montrent l’exemple
Le programme préconisé par Laplante dans « Revoir le cadre stratégique » n’est donc pas sorti de nulle part. Le mouvement indépendantiste québécois a déjà proposé une stratégie similaire ou semblable et a connu à quelques reprises la tentation d’y revenir et de renverser l’ordre des choses, d’obédience étapiste. Il peut se nourrir de l’exemple catalan qui est présentement en action. La vague libératrice et nationaliste que connaît la Catalogne depuis 2012 a fini par déboucher sur l’élection, en septembre 2015, d’une coalition d’indépendantistes de gauche et de centre droit réunis au sein de Junts pel Sí. Incapable de faire accepter par l’Espagne la légitimité de la consultation d’autodétermination qui s’est tenue en 2014, le président Artur Mas a dû se tourner vers la voie électorale et législative pour rompre avec l’État espagnol. La feuille de route mise de l’avant par les indépendantistes lors des élections de 2015 se fonde sur la primauté de la démocratie catalane sur le droit espagnol. Le Parlement de Catalogne est désormais vu comme l’instance suprême du peuple catalan, le seul légitimé à prendre des décisions pour lui. Le programme de Junts pel Sí établit très clairement que l’élection d’une majorité d’indépendantistes à l’assemblée (avec ou sans majorité absolue des voix) permettra d’ouvrir le processus de sécession, la rédaction d’une constitution devant être ultimement approuvée par le peuple se faisant parallèlement à la création de facto des institutions du futur pays en matière de fiscalité, de politique étrangère, de sécurité ou encore de transport et de communications.
La proximité de cette stratégie avec celle préconisée dans « Revoir le cadre stratégique » saute aux yeux. Sans trop extrapoler, on peut d’ailleurs se demander quel rôle aura joué Jacques Parizeau dans son élaboration, Monsieur ayant rencontré et conseillé les indépendantistes catalans juste avant leur conversion à la démarche électorale plutôt que strictement référendaire. La réplique brutale et judiciaire du gouvernement central à Madrid était inévitable. Ce dernier tente effectivement d’empêcher Barcelone de procéder et de saper les institutions catalanes en gestation. Le gouvernement indépendantiste semble chanceler, aussi a-t-il finalement décidé d’organiser un référendum prévu pour septembre 2017. Mais il demeure que le Parlement aura toujours à voter « les lois nécessaires à la constitution d’un État indépendant » d’ici la fin de juillet 2017, et que la rupture fondée sur la lutte de légitimité entre deux États s’affrontant dans un bras de fer demeure le fondement de l’action catalane.
Des conséquences qui se font toujours sentir
L’effet de « Revoir le cadre stratégique », à sa publication, sera immédiat. Les militants ne cessent d’inviter Robert Laplante à prononcer des conférences pour en expliquer les tenants et aboutissants, l’idée fait son chemin. Au sein de la direction péquiste, on s’inquiète. Le débat monte encore de plusieurs niveaux quand Jacques Parizeau écrit « Un changement de stratégie au PQ ? » dans La Presse du 16 août 2004. Prétextant que l’étapisme est périmé et que le PQ ne peut pas légitimement dire à ses plus jeunes militants que le débat stratégique a été coulé dans le béton en 1974 et qu’on ne peut y revenir, l’ancien premier ministre prend fait et cause pour la stratégie proposée par Robert Laplante, si bien qu’on finira par parler des « thèses Parizeau-Laplante ». Si certains députés ouvrent la porte à cette stratégie, presque tous finissent par entrer dans le rang quand Bernard Landry condamne publiquement le projet (leur ordonnant par le fait même de marcher au pas) et que l’exécutif national du parti dépose sa proposition principale – référendiste – en vue du congrès de 2005.
Les militants n’ont pas pour autant fini d’en débattre et le mouvement continue. Quatre cents jeunes délégués péquistes vont se réunir en mars 2005 pour élire leurs représentants au congrès national du parti, votant au passage des propositions s’inscrivant directement dans la lignée de « Revoir le cadre stratégique ». Le fait que la proposition émanant des « thèses Parizeau-Laplante » sera ensuite battue au congrès national de 2005 ne mettra pas fin au mouvement qui s’est développé. Lancé peu après le congrès, le Mouvement pour une élection sur la souveraineté (MES) présidé par Sasha-Alexandre Gauthier comptera plus de huit cents membres et proposera au PQ « de solliciter le mandat de réaliser l’indépendance du Québec lors de la prochaine campagne électorale. Sitôt élu, le gouvernement aura ainsi toute la légitimité nécessaire pour enclencher le processus qui mène à l’indépendance. »
En 2011, suite à une crise qui secoue l’aile parlementaire du PQ, quatre députés démissionnent du caucus pour siéger comme députés indépendants. Parmi ceux-là, Jean-Martin Aussant, député de Nicolet-Bécancour, décide de fonder un nouveau parti politique indépendantiste, jugeant que le PQ avait cessé de jouer ce rôle. Option nationale fut alors créée en octobre de la même année. La stratégie d’ON visait explicitement à demander le mandat électoral de rapatrier à l’Assemblée nationale du Québec l’ensemble des lois, impôts et traités en vigueur sur notre territoire. En d’autres mots, ON proposait une élection référendaire sur l’indépendance, conjuguée à un référendum sur une constitution du Québec indépendant, ce qui est en droite ligne avec la stratégie de Laplante.
Et aujourd’hui ?
Les principes élaborés par Robert Laplante dans « Revoir le cadre stratégique » sont si intemporels et universels qu’ils sont encore aujourd’hui d’une actualité criante. Les treize années qui se sont écoulées depuis la publication de cet article n’ont fait que confirmer l’incapacité de l’attentisme passif à mobiliser, rassembler et faire croître le mouvement indépendantiste. Le clientélisme électoral harnaché à la quête d’un pouvoir provincial négateur de notre démocratie n’a fait que miner la crédibilité du mouvement indépendantiste et saper la confiance que les nouvelles générations, étrangères aux débats de 1995, pouvaient avoir en lui.
La réflexion stratégique du mouvement indépendantiste a fait du chemin depuis 2004, mais pas sous la bannière péquiste. Les indépendantistes ont multiplié les partis et les regroupements pour repenser le projet de pays en dehors du PQ, bien que ce dernier n’ait pas vraiment changé de paradigme.
Espérons maintenant que les discussions amorcées cette année par les Organisations unies pour l’Indépendance du Québec (OUI-Québec) entre le Parti québécois, Québec solidaire et Option nationale portent fruit et mènent à une stratégie d’accès à l’indépendance qui s’inspire de l’approche de Robert Laplante. Notre cause est noble et mérite d’être défendue avec le courage et l’audace de ceux qui, avant nous, lui ont fait faire les plus grands pas en avant.
1 Extrait de Comment se fera l’indépendance, Éd. du Parti québécois, 1972, p. 19. Cette brochure reproduit en traduction française les propos de R. Lévesque, J. Parizeau, J.-Y. Morin et C. Laurin recueillis par le journaliste Robert McKenzie dans une série de huit articles au Toronto Star parus du 6 au 15 novembre 1971. – Après la reculade étapiste de 1974, le PQ n’a jamais jugé bon réimprimer ce document « historique » de 49 pages épuisé depuis longtemps.