Pour une convergence des mouvements et des partis indépendantistes

D’un point de vue indépendantiste, l’événement marquant de l’élection 2002 a certainement été le progrès du Parti québécois sauvé in extremis d’une mort annoncée. Tous les jours de la campagne électorale, Paul Saint-Pierre Plamondon a parlé d’indépendance, là où ça compte, pendant que les gens et les médias écoutent. C’est ce que, avec plusieurs autres, je réclamais depuis des années. Nous avons enfin vécu une élection, la première depuis le référendum de 1995, où le Parti québécois a intégré l’indépendance au cœur de sa campagne électorale.

Malheureusement, il n’en a pas été de même de Québec solidaire dont le programme indépendantiste est pourtant clair. Celui-ci a préféré imiter le Parti québécois des mauvaises années en faisant une campagne strictement provinciale, sans référence aucune à notre dépendance politique à l’égard du Canada dont il nous faut nous libérer.

La récolte de sièges à l’Assemblée nationale n’a pas été à hauteur de l’extraordinaire campagne menée par le chef du Parti québécois, mais celui-ci a fait à nouveau la preuve que faire campagne pour l’indépendance n’est pas suicidaire, mais au contraire payant stratégiquement.

L’appui populaire à l’indépendance se situe toujours entre 35 et 40 %. De plus, le Parti québécois est arrivé deuxième dans 64 circonscriptions, le plus grand nombre de deuxièmes places tous les partis. Ces deux facteurs offrent aux indépendantistes un potentiel de croissance qu’il faudra alimenter au cours des quatre prochaines années. L’indépendance est toujours une idée forte malgré sa faible défense au cours des dernières années.

Le soir de l’élection du 3 octobre, le chef du Parti québécois a déclaré : « Nous sommes arrivés au début de ce qui commence ». En endossant cette phrase de Gaston Miron, il mettait en évidence pour ce qui doit être la préoccupation de tous les indépendantistes : la préparation à partir de maintenant de l’élection de 2026. Cette fois, il faudra faire en sorte que l’enjeu en 2026 soit de choisir, non pas un bon gouvernement de province, comme ce fut le cas encore cette fois-ci, mais un gouvernement qui a le mandat de faire du Québec un pays.

Pour recréer la confiance en notre capacité collective de réussir l’indépendance, il faudra mettre en place plusieurs conditions. Une démarche claire, une feuille de route commune que les indépendantistes de toute tendance pourront proposer à l’ensemble de la population, une proposition concrète de ce pays à construire. Pendant quatre ans, ce projet de pays devra être illustré à travers l’actualité sur toutes les questions, sur toutes les tribunes, à toutes les occasions, en présentant des projets actuels d’avenir, comme la lutte pour le climat et l’environnement, ainsi que l’établissement définitif du Québec comme un pays francophone.

Ce ne sera pas facile, car la tentation sera forte de laisser les débats dans le cadre provincial actuel prendre toute la place. Les parlementaires à Québec et les commentateurs des médias seront préoccupés de solutions pouvant être mises en route rapidement même lorsqu’elles ne règlent rien. Il faudra éviter que pendant la majeure partie du prochain mandat, tout le débat public soit accaparé mentalement dans l’espace que le Canada nous veut bien laisser. Cette omniprésence d’Ottawa dans nos affaires entretient une provincialisation des esprits dont il faudra nous débarrasser pour réussir notre indépendance.

Le débat public des quatre prochaines années sera inévitablement marqué par la défense des timides projets de loi 21 et 96, par la politique d’immigration et la défense du français, par la crise climatique, par la remise sur pied du système de santé, la crise du logement et les difficultés économiques. Il faudra lier ces questions à notre dépendance nationale et surtout préparer pour 2026 notre proposition pour sortir de cette dépendance.

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Quatre questions dont je traiterai ici me semblent fondamentales : d’abord l’élection de 2026 doit agir comme élément déclencheur de l’accession à l’indépendance ; deuxièmement la nécessaire convergence des partis et des mouvements doit générer une confiance nouvelle en notre capacité de réussir ; troisièmement une constitution de pays doit être proposée à l’élection ; et finalement des projets de pays devront être véhiculés à travers les questions d’actualité tout au long des quatre prochaines années. J’utilise ici à dessein le pluriel, car il me semble inévitable que plusieurs chemins et plus d’un projet de pays mèneront à l’indépendance, en autant qu’ils convergent sur l’objectif de faire du Québec un pays.

L’élection 2020, événement déclencheur

J’ai publié en 2020 un ouvrage intitulé « Le sens du pays ». J’en avait commencé la rédaction en 2016 lorsque Jean-François Lisée avait remporté la course à la direction du PQ en proposant de repousser l’indépendance à un hypothétique deuxième mandat. Il avait justifié sa proposition en déclarant : « L’engagement de tenir un référendum dans le premier mandat est suicidaire pour le Parti québécois ; si on s’entête, nous serons le troisième parti au Québec en 2018. On se sera marginalisé. Ce sera très dur pour la suite. »

Comme vous le savez, ce qui est arrivé est bien pire, à un point tel que le Parti québécois allait être menacé de disparition lors de la dernière élection.

Dans cet ouvrage, je me suis demandé qu’est-ce qui faisait que des chefs d’un parti indépendantiste évitaient d’en proposer la réalisation lors des campagnes électorales ? Et même nous enfonçaient dans un rôle qui ne peut être le nôtre, celui d’un parti provincial dont l’horizon se limitait à défendre le Québec dans le régime canadien.

Cela a commencé en 1976 l’année où j’ai été élu pour la première fois à l’A. N. Malgré le programme du parti voté en 1974, qui faisait de l’élection l’élément déclencheur d’une démarche vers l’indépendance, la direction du parti avait proposé une chose à la fois : un bon gouvernement à l’élection, le choix d’un pays plus tard, au moment du référendum, ce qui est toujours d’ailleurs la position officielle du programme du Parti québécois.

Ce changement de cap a été dramatique. Depuis 1976, seules les deux années préparatoires aux référendums ont servi à faire véritablement campagne sur l’indépendance. Deux années sur 46 ! C’est trop peu. Les interventions à l’Assemblée nationale ou sur la place publique sont devenues presque uniquement ancrées dans le cadre provincial, contribuant ainsi, à chaque élection, à nous enfoncer dans ce que j’ai appelé la provincialisation des esprits. Ce « provincialisme » a marqué profondément toutes les stratégies du Parti québécois depuis 1995 jusqu’à la présente campagne où les prises de position sans équivoque de PSPP ont réussi à stopper la descente du Parti québécois.

Pour éviter une campagne souverainiste qu’ils jugeaient à tort « suicidaire », à chaque élection, sauf en 1994 sous Jacques Parizeau, tous les dirigeants du Parti québécois ont préféré reporter le débat sur l’indépendance. Au grand plaisir des adversaires, on acceptait que les débats électoraux se déroulent sans projet concret de pays. Arrivés au gouvernement à Québec, les indépendantistes se consacraient à la gouvernance provinciale pour respecter le mandat demandé et reçu de la population. Ils étaient jugés dans les médias selon leur capacité à tirer parti du régime canadien. Les mythiques conditions gagnantes n’arrivant pas – parce qu’on n’y avait pas travaillé – on répétait que l’indépendance n’était pas mure, qu’il serait suicidaire de tenir une élection là-dessus, contribuant ainsi à renforcer le discours des adversaires. C’est aussi ce que répètent les anciens souverainistes devenus caquistes comme Legault et Dainville. Après chaque élection le cycle recommençait avec de moins en moins d’appui de la population, jusqu’à la récente élection.

Cela doit changer ! Mais sommes-nous vraiment sortis de ce cercle vicieux ? Sans doute en partie, grâce à la campagne vigoureuse de PSPP, mais est-ce que cela va durer ?

Jacques Parizeau nous a montré ce qu’il faudra faire à l’élection de 2026. En 1994, l’appui à la souveraineté était à moins de 40 % dans les sondages comme maintenant. Il a pris le risque de perdre une élection, pour se donner la chance de gagner l’indépendance. Il a parlé d’indépendance sur toutes les questions, sur toutes les tribunes, avant, pendant et après l’élection en promettant une décision dans l’année suivant l’élection. On a atteint 50 %. Sans le référendum volé de 1995, nous serions aujourd’hui un pays.

Pour nous remettre en marche, pour parler d’indépendance et surtout être écouté largement par les médias et la population, il faut que l’élection de 2026 soit un moment marquant, déterminant, déclencheur d’une démarche vers l’indépendance. On ne peut remettre l’indépendance au cœur du débat public en l’excluant des débats électoraux et préélectoraux comme on l’a fait au cours toutes les élections avant la toute dernière. On ne pourra se faire entendre que si l’élection peut mener à un résultat déterminant pour l’avenir du Québec.

L’élection doit porter sur une feuille de route pour l’accès à l’indépendance permettant de réaliser des projets concrets qui nécessitent que l’on soit un pays. Les partis qui prônent l’indépendance doivent avoir demandé et obtenu de la population le mandat de faire les gestes de rupture nécessaires pour réaliser leurs programmes respectifs en tant que pays, avec les moyens législatifs et budgétaires d’un pays.

L’alliance des partis indépendantistes

Une forme ou l’autre d’alliance entre les partis indépendantistes est incontournable pour amener une majorité d’indépendantistes à l’Assemblée nationale.

Certains espèrent qu’il y aura un jour fusion du PQ et de QS, mais les programmes de ces partis sont trop différents et leur compétition électorale les éloigne d’une intégration forte comme celle qui a eu lieu entre Option nationale et Québec solidaire. D’autres croient au contraire impossible toute forme d’alliance indépendantiste. Ce serait se résigner à ne pas pouvoir faire du Québec un pays, car sans cela, il n’y aura jamais une majorité de députés indépendantistes à l’Assemblée nationale.

Pour créer les conditions de rapprochement, il faut d’abord prendre nos distances des accusations faciles. Il est faux de dire que le Parti québécois est ancré dans un nationalisme conservateur et rétrograde. Le parti, j’y étais, est né au centre-gauche, ouvert aux minorités invitées à construire avec nous le futur pays du Québec. Il est tout aussi faux de dire que Québec solidaire n’est pas vraiment indépendantiste, surtout depuis qu’il a adopté le programme d’Option nationale sur l’accession à l’indépendance. J’étais dans la salle comme observateur quand il a été adopté presque à l’unanimité sous les cris de « On veut un pays ». Les directions des deux partis doivent obéir à leurs militants pour créer les conditions d’une future alliance électorale et d’un gouvernement indépendantiste de coalition.

Bien que la discussion soit impossible sur certaines orientations des programmes, elle peut et elle doit se faire sur la question fondamentale de l’indépendance du Québec. On y est presque arrivé en 2017 à l’initiative de la société civile, grâce à une table de concertation mise en place par les OUI Québec.

L’alliance peut se réaliser au moyen d’un pacte électoral pour la réalisation de l’indépendance qui ne remettrait pas en question les programmes de chaque parti, comme cela s’est vu ailleurs, en France notamment. Elle peut se faire au moyen d’élections primaires organisées par le mouvement indépendantiste dans des comtés stratégiques, par des ententes entre les directions des partis pour le partage du financement public ou par tout autre moyen.

Il faut faire mentir ceux qui souhaitent dans chacun des deux partis que l’autre parti parce que supposément moins indépendantiste ou moins à gauche. Il est irréaliste de le penser et surtout contre-productif. De la même façon qu’il y a plus d’un parti fédéraliste qui se partagent l’électorat, il faut plus d’un parti indépendantiste pour accueillir tout l’éventail des raisons de faire l’indépendance et des projets de pays. Il faut laisser place à différentes orientations pour rejoindre des segments de la population correspondants. Il faut additionner ces segments de la population pour atteindre une majorité.

Il faut le plus tôt possible recréer un camp du OUI comme l’a proposé l’actuel chef du PQ. La société civile indépendantiste, les OUI Québec, la SSBJ, les IPSO et le mouvement syndical doivent en reprendre l’initiative comme cela a été le cas lors des États généraux sur la souveraineté.

Une constitution du pays proposée à l’élection de 2026

Un plan doit être proposé à l’élection de 2026 qui autoriserait une Assemblée nationale devenue majoritairement indépendantiste à donner au Québec sa première Constitution de pays. Ce plan, présenté deux ans avant l’élection, serait débattu publiquement avant et pendant la campagne électorale. Pendant cette campagne, chaque parti indépendantiste présenterait son propre projet de pays. Ces projets auraient en commun le rapatriement de tous les pouvoirs d’Ottawa au moyen d’une loi constitutionnelle.

Lorsqu’ils seront majoritaires à l’Assemblée nationale, les députés de ces partis adopteraient cette Constitution initiale. Cette loi du Québec, approuvée par la population lors de l’élection aura une légitimité plus grande que la constitution canadienne qui n’a jamais été soumise au peuple du Québec ou approuvée par son gouvernement. La loi constitutionnelle québécoise aura priorité sur toute loi canadienne, créant une nouvelle assise légale, en rupture avec le droit canadien, mais respectueuse du droit international.

Ce geste fondateur du Québec pays lui donnera la capacité d’adopter toutes ses lois, d’utiliser tous ses budgets et de conclure tous ses traités avec les autres nations. La Constitution initiale définira les droits du peuple québécois fondés sur sa souveraineté, établissant l’État du Québec comme une république laïque, de langue française, démocratique, souveraine et indépendante ; elle intégrera à la constitution la charte des droits et libertés du Québec et une charte du français étendue. Elle reconnaîtra le droit à l’autodétermination des peuples autochtones au sein du Québec. Elle réaffirmera l’engagement du Québec dans la protection de l’environnement et la lutte contre les changements climatiques.

Une telle constitution initiale comptant une quarantaine d’articles a été élaborée en 2017, principalement par Louis Bernard et André Binette. L’un des articles prévoyait la création d’une assemblée constituante non partisane chargée d’établir subséquemment la constitution permanente du Québec indépendant.

Cette démarche en deux temps créerait un ordre juridique québécois nouveau, remplaçant la constitution canadienne actuelle, ce qui permettra la réalisation des projets de pays par l’Assemblée nationale dès le lendemain de son adoption, sans attendre un OUI référendaire. En parallèle, l’assemblée constituante pourra prendre tout le temps nécessaire pour élaborer une constitution permanente de la république du Québec (complétant la constitution initiale), laquelle sera soumise au peuple québécois par référendum. Son adoption complèterait la démarche constituante du Québec pays.

Plusieurs projets de pays

Plusieurs chemins peuvent mener à l’indépendance. Des projets de pays possiblement différents seront proposés par les partis politiques pour rejoindre différentes sensibilités des segments de population qui supportent ces partis. Le fait qu’il y ait de profondes divergences sur certaines politiques n’est pas un obstacle à la réalisation d’un plan commun pour réaliser l’indépendance.

D’autres questions peuvent s’y ajouter. Le PQ, Québec solidaire et Climat Québec reconnaissent qu’on ne peut vraiment protéger climat comme province dans le Canada pétrolier. À la dernière élection, ces partis ont proposé un plan élaboré de lutte pour le climat. Une analyse de ces propositions montre que certains objectifs de leurs programmes peuvent s’intégrer dans un plan commun de gouvernement.

J’ai coordonné les États généraux sur la souveraineté du Québec. Il faudrait reprendre cet exercice auquel tous les partis avaient contribué, ce qui permettrait notamment de regrouper des projets dont les objectifs suivants recueillent un large appui dans la population :

  • Protéger le climat et l’environnement en utilisant tous les moyens d’un pays pour remplacer les énergies fossiles et mettre en place un Québec sans pétrole pour 2050 ; en même temps développer une économie durable axée sur les énergies renouvelables et les technologies numériques, la recherche et l’innovation ;
  • Rapatrier et développer nos moyens de culture et de communications largement aux mains de l’État canadien, ainsi que le contrôle de notre immigration, pour faire du Québec un pays de langue française et où nos valeurs d’identité et de laïcité seront respectées ;
  • Prendre en main et aménager le territoire du Québec, le dix-septième plus grand pays au monde ; développer les transports routiers et ferroviaires, ainsi que les ports et les aéroports ; valoriser le fleuve Saint-Laurent ; développer les régions en misant sur un développement régional autocentré, la décentralisation des responsabilités et des budgets, une démocratie et une autonomie large des régions et des communautés autochtones ;
  • Lutter contre la pauvreté et la précarité en récupérant et en intégrant de façon cohérente les programmes de soutien au revenu partagés actuellement entre les deux paliers de gouvernement ; consolider nos deux parties de budget public pour réinvestir dans l’éducation et la santé.

Avant et pendant la prochaine élection, de tels objectifs seraient concrétisés par des projets concrets soumis par chacun des partis de l’alliance indépendantiste (comme ce fut le cas pour le climat à la dernière élection), en lien avec l’actualité, soulignant l’urgence de l’indépendance pour les réaliser. On peut se fier sur l’intransigeance du Canada pour créer des crises à répétition qui fourniront de nombreuses occasions de braquer l’attention des médias sur ces projets de pays.

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Les tentatives d’alliance d’avant 2018 de la part des OUI Québec ont été entreprises trop tard pour avoir une chance de réussir. Il est temps de reprendre les efforts de convergence des partis indépendantistes en vue de l’élection de 2026. Les mouvements indépendantistes de la société civile doivent en faire leur première préoccupation. Il faut remettre l’indépendance nationale du Québec au centre des débats publics pour que l’élection de 2026 soit une étape marquante de notre émancipation nationale.

 

 

 

* Professeur émérite de l’Université TÉLUQ, et ancien député et ministre du Parti québécois.

D’un point de vue indépendantiste, l’événement marquant de l’élection 2002 a certainement été le progrès du Parti québécois sauvé in extremis d’une mort annoncée. Tous les jours de la campagne électorale, Paul Saint-Pierre Plamondon a parlé d’indépendance, là où ça compte, pendant que les gens et les médias écoutent. C’est ce que, avec plusieurs autres, je réclamais depuis des années. Nous avons enfin vécu une élection, la première depuis le référendum de 1995, où le Parti québécois a intégré l’indépendance au cœur de sa campagne électorale.

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