Mention d’honneur du prix André-Laurendeau 2018 « Les partis politiques face à l’héritage inégal des modèles d’intégration » paru dans le numéro Juin-Septembre 2018
Ce texte a été rédigé avant les élections d’octobre 2018. Il a été préalablement publié en version courte dans Le Devoir. L’objectif était de rappeler que les partis politiques concurrents auraient à faire face à un héritage politique inégal en matière de politiques d’immigration et d’intégration du Québec. Dans ce domaine sensible où la question nationale joue un rôle structurant, quelles propositions avanceraient-ils ? Pour cerner l’évolution du modèle québécois en matière de politiques d’immigration et d’intégration, j’avais dégagé quatre grandes périodes.
Période 1 (1976-1985). Prise en charge graduelle de l’immigration et modèle propre d’intégration
Depuis la création du ministère de l’Immigration du Québec (1968) les gouvernements ont conclu divers accords avec le fédéral afin de maîtriser le volume et la sélection des immigrants indépendants, et par la suite, l’intégration de diverses catégories d’immigration. En 1976, le PQ au pouvoir adopte des mesures phares d’affirmation nationale et d’ouverture aux minorités. En plus de la Charte de la langue française, la Politique québécoise du développement culturel (1978), première réflexion de fond dans le domaine de l’intégration, présente la culture française comme « foyer de convergence pour les diverses communautés qui continueront par ailleurs de manifester ici leur présence et leurs valeurs propres ». Le plan d’action Autant de façons d’être Québécois (1981), propose un modèle différent de la politique fédérale du multiculturalisme, axé sur la « convergence culturelle » et le « dialogue inter-culturel » au sein de la « nation québécoise ». Diverses mesures progressistes sont adoptées : financement partiel des organismes des minorités, création du Conseil des Communautés culturelles et de l’Immigration, politique de soutien à l’action communautaire, programme de parrainage des réfugiés, ententes de réciprocité en matière de sécurité sociale avec les pays d’origine des immigrants, mesures de lutte contre le racisme. Des Québécois issus de l’immigration et exilés politiques, reliés aux partis de gauche dans leur pays d’origine, militent sein de divers comités gouvernementaux. L’esprit social-démocrate de l’époque n’empêchera pas que les accusations de nationalisme ethnique se répandent !
Période 2 (1985-1994). Les libéraux au pouvoir. Le culturalisme en place
L’Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration (1990) poursuit les orientations et programmes antérieurs. Mais le discours politique change : disparition du mot « nation » ; intégration à la « société distincte québécoise » ; « contrat moral » proposé aux nouveaux arrivants et « culture publique commune » à partager. La vision de l’interculturalisme se diffuse (Semaines interculturelles, etc). L’expression « minorités visibles », empruntée au fédéral et utilisée dans le cadre des programmes d’obligation contractuelle (1987) et d’accès à l’égalité dans la fonction publique (1990) s’impose. Une catégorisation qui a des effets pervers.
Période 3 (1994-2003). Le virage de la citoyenneté du Parti québécois. Un saut qualitatif
Après le référendum de 1995, le PQ adopte l’approche de la citoyenneté. Un revirement progressiste. On passe du contrat moral au cadre civique commun, lequel lie les nouveaux arrivants et la société d’accueil. Il repose sur trois orientations : la promotion de la solidarité et le partage d’un patrimoine civique commun ; le soutien à la participation civique ; et le soutien à l’intégration de l’ensemble des citoyens. On instaure la Semaine de la Citoyenneté, les Prix de la citoyenneté, etc. Un temps fort du discours politique car la citoyenneté québécoise qui tente de transcender les identités et les appartenances particulières. On parle de « citoyens de diverses origines », de « Québécois issus de l’immigration » et on tente d’en finir avec le mot « communauté culturelle ». Et pourtant, là encore, les accusations de nationalisme ethnique et d’assimilationnisme à la française fusent.
Période 4 (2003-2018). Le virage utilitariste des libéraux. Une mise à mal des acquis
Parallèlement à la promotion de la diversité et un interculturalisme réitéré, une idéologie économiciste, néolibérale et utilitariste s’affirme de plus en plus. À la suite de la « réingénierie » de l’État, le Conseil des Relations interculturelles est chamboulé dans sa composition, puis aboli en 2011. Au nom des partenariats publics-privés, le gouvernement tente de confier le recrutement et l’intégration à certains organismes communautaires, au nom des partenariats public-privé. Le gouvernement mise sur l’engagement du milieu économique et sur une stratégie internationale d’attraction et de mobilité tous azimuts. Depuis 2011, l’immigration temporaire a dépassé annuellement l’immigration permanente en dépit de l’absence de débat public. Ceci aura des effets pervers. Le vocabulaire change. Le gouvernement parle désormais de « diversité » qui couvre large : ethnoculturelle, religieuse, sexuelle. Le mot « nation » a pour ainsi dire disparu. Les immigrants devront s’intégrer à une « société démocratique dotée d’un caractère distinct et francophone ».
L’héritage est inégal. Les modèles péquistes étaient innovateurs et courageux. Mais la conjoncture internationale risque d’impacter les acquis. De nouveaux défis se posent dans les pays démocratiques : entrisme des islamistes, conservatisme et extrême droite, inégalités, afflux d’immigrants irréguliers, etc. En conclusion de ce texte rédigé avant les élections d’octobre 2018, je posais la question : Que feront les partis politiques face à cet héritage du modèle québécois ? On peut dire désormais qu’avec le gouvernement de la CAQ, nous avons affaire à un recul sur le sujet.