Professeure émérite de sociologie, UQAM
De façon générale, les modèles d’intégration d’une société d’accueil sont des facteurs décisifs pour comprendre les modes d’incorporation des immigrants et des minorités qui sont à la base du projet national propre à chaque pays. Le cas du Québec, pays non indépendant, est particulier. Depuis les années 1960, l’État québécois a tenté de conquérir la maîtrise de ses politiques d’immigration et d’intégration. Mais les avancées ont été accompagnées de fluctuations et de reculs, la question nationale surdéterminant les positions des partis au pouvoir. En effet, des idéologies différentes, une terminologie différente sous-tendent les politiques adoptées par les gouvernements du Parti québécois et du Parti libéral du Québec sur lesquels je vais m’arrêter dans ce texte. Alors que nous allons élire un nouveau gouvernement en octobre 2018, il m’apparaît pertinent d’en retracer quelques moments forts, tout en ne prétendant aucunement procéder à l’évaluation des politiques publiques et des centaines de programmes adoptés. Pour ce faire, je vais dégager quatre périodes afin d’en faciliter la lecture1.
Période 1. (1976-1985). Prise en charge graduelle de l’immigration et premier gouvernement indépendantiste au pouvoir
Animé par l’esprit démocratique et émancipateur de la Révolution tranquille, l’État québécois s’engage dans une nouvelle phase d’édification de la nation. À la suite de la création du ministère de l’Immigration en 1968 sous le gouvernement de l’Union nationale, il acquiert graduellement la responsabilité de planifier le volume total de l’immigration et la sélection des immigrants économiques indépendants au moyen d’ententes fédérales provinciales (Andras-Bienvenue 1975, Couture-Cullen 1978 et l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission des aubains Gagnon-Tremblay/McDougall 1991).
Mais à ce jour, le fédéral garde les pleins pouvoirs sur l’admission des immigrants, les critères d’interdiction de territoire (santé, sécurité, criminalité), le regroupement familial, les demandes d’asile, l’immigration temporaire (diplomates, permis de travail, étudiants internationaux, etc.), ainsi que sur la citoyenneté. Et il est le seul responsable des renvois. Beaucoup de pouvoirs échappent donc au Québec province .
D’entrée de jeu, il faut rappeler l’ouverture obligatoire des écoles publiques francophones aux non-francophones (1960), la création des Centres d’orientation professionnelle et de formation pour les immigrants (1969) où l’on enseigne l’anglais et le français (et, à partir de 1976 sous le gouvernement du Parti québécois, uniquement le français). La politique publique du multiculturalisme fédéral est rejetée par tous les partis. Robert Bourassa écrit à Pierre Trudeau qu’il a des « réserves sérieuses » à l’égard de la politique du multiculturalisme « car elle contredit le principe de l’égalité entre les deux peuples qui ont fondé la Confédération canadienne laquelle devrait s’incarner dans une société bilingue et biculturelle » (1971). Un nouveau cadre juridique est mis en place pour contrer la discrimination avec la Charte des droits et libertés de la personne (1975), une première au Canada. Ces mesures sont des jalons importants dans une perspective d’intégration propre à la spécificité du Québec dans l’ensemble canadien.
Puis s’élabore le projet indépendantiste et social-démocrate qui met l’accent sur une prise en charge collective et une volonté de séduire les minorités. C’est l’esprit qui anime la construction du modèle québécois d’intégration, un projet unique en son genre qui témoigne d’une ouverture sans précédent à l’immigration et aux minorités. La Charte de la langue française (1977) en fait la langue commune et officielle du Québec. Le Livre blanc de 1978 intitulé Politique québécoise de développement culturel est le premier jalon et la première réflexion de fond dans le domaine de l’intégration de tous les citoyens à la nation québécoise. Selon la politique : « la culture française devrait servir de foyer de convergence pour les diverses communautés qui continueront par ailleurs de manifester ici leur présence et leurs valeurs propres » (Québec, 1978, p. 46). La Commission Gendron (1973) ayant noté la sous-représentation des minorités dans la fonction publique, l’État devra donner l’exemple et favoriser une égalité effective. On propose diverses mesures pour améliorer la qualité des services sociaux et de santé pour les immigrants et les minorités et favoriser l’adaptation des institutions à la diversité (ce qui annonce les futurs programmes d’obligation contractuelle et d’accès à l’égalité en emploi mis sur pied sous le PQ et le PLQ).
Le Plan d’action du ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration (1981), Autant de façons d’être Québécois. Plan d’action à l’intention des communautés culturelles (1981), présente un modèle audacieux, différent de la politique fédérale du multiculturalisme, soit celui de la « convergence culturelle » et du « dialogue interculturel » au sein de la « nation québécoise ». Les mots pour le dire ont leur importance ! Gérald Godin, ministre responsable de l’application du Plan d’action, tentera d’infléchir le discours défensif du nationalisme québécois et le propos est résolument neuf. À la fin de son mandat, il explique l’évolution de sa sensibilité à la question de l’immigration et des minorités. Le pays doit se faire avec toutes les composantes du peuple québécois :
J’ai appris à connaître [les immigrants] par mon métier, à approfondir un peu ce qu’ils étaient ici au Québec, donc à les aimer davantage […]. Ça a ouvert les yeux et les portes du Québec sur le monde. En ce sens-là, c’est la phase nouvelle du nationalisme québécois, un nationalisme beaucoup plus ouvert et beaucoup plus soucieux de respecter les autres qui sont ici et de faire en sorte que chacun d’entre eux apporte sa contribution à la construction du pays. Au début, on pensait qu’on ferait le pays tout seuls ou presque ; maintenant, on pense qu’on doit le faire avec les autres » (Godin 1993, p. 186).
Comme il l’écrira un jour : « Les immigrants font partie du pays d’une façon intime et intense, comme les pierres dans un mur scellé (idem, p. 187).
Le Plan d’action vise trois objectifs : assurer le maintien et le développement des communautés culturelles et leur spécificité ; sensibiliser les Québécois francophones à l’apport des communautés culturelles au patrimoine commun (je souligne) et favoriser l’intégration de ces communautés au sein des institutions publiques québécoises, notamment en facilitant l’accès à l’emploi (Québec, 1981). Un programme d’enseignement des langues d’origine (PELO) est intégré au programme régulier du système scolaire. Le gouvernement finance en partie les classes d’accueil pour l’apprentissage de la langue française, les écoles du samedi où l’on enseigne les langues d’origine, des centres communautaires (grec, italien, roumain, portugais), etc. Les fonds octroyés sont souvent en concurrence avec les fonds du multiculturalisme canadien. Une équipe spéciale du ministère des Communications alimente les médias des minorités pour qu’ils puissent diffuser l’action gouvernementale. Il met sur pied le Conseil des communautés culturelles et de l’immigration (1984) dont la fonction est d’aviser le ministre et dont la première présidente sera en 1985 Juanita Westmoreland-Traoré, une Afro-Québécoise anglophone de souche. Elle verra à l’implantation et au rayonnement du Conseil. En 1979, elle avait collaboré au rapport sur les attentes de la « communauté noire » relatives au système d’éducation publique pour le Conseil supérieur de l’éducation du Québec2.
Aux côtés de Québécois francophones, catholiques ou athées de gauche socialisants, des Québécois issus de l’immigration et des exilés politiques, indépendantistes, souvent reliés aux partis de gauche dans leur pays d’origine, militent auprès du gouvernement ou du parti, et seront particulièrement sensibles aux conditions de travail et à la syndicalisation des travailleurs immigrés. C’est l’époque des Arlindo Vieira (attaché politique de Godin et chargé de préparer le premier CCCI), Max et Adeline Chancy, Stephanos Constandinides, Michele Trozzo qui, au sein du Comité d’implantation du plan d’action pour les communautés culturelles (CIPACC), tentent de définir la notion de « communauté culturelle » avec difficulté cependant.
Le Québec se veut actif dans le dossier de la solidarité internationale. Estimant que l’adaptation des réfugiés doit relever du provincial, il met sur pied son propre programme de parrainage. On met en place des programmes d’accueil pour des Chiliens (1973), deux cohortes de réfugiés indochinois (1975-1976 et 1979). En réaction au désengagement du gouvernement fédéral dans le soutien aux réfugiés, le gouvernement crée la Table de concertation des organismes de Montréal au service des réfugiés (l’organisme deviendra la TCRI en 1999). Encore un signe d’ouverture et de solidarité du gouvernement péquiste.
Un sondage pancanadien révèle en 1979 que c’est au Québec que l’opinion publique se montre la plus favorable au parrainage de ces réfugiés. En 1980, l’engagement du Québec pour la régularisation de 4 000 immigrants illégaux haïtiens, de concert avec le Bureau de la communauté chrétienne des Haïtiens de Montréal, fera dire à son directeur Paul Déjean en guise de remerciements publics à Gérald Godin : « Nou pas manjé blié » (Je me souviens). Le premier Prix des communautés culturelles lui est accordé en 1983.
À la suite des revendications des associations de défense des travailleurs immigrants (grecs, italiens, portugais, etc.), le gouvernement péquiste signe en 1979 une première entente de réciprocité en matière de sécurité sociale avec l’Italie qui permet aux résidents québécois d’obtenir des rentes des pays où ils ont résidé et travaillé et auxquelles ils n’auraient pas eu droit en vertu de leurs seules années de contribution dans ces pays. Des ententes ont été signées avec 31 autres pays. En 1981, le ministère de l’Immigration devient le ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration, un changement significatif.
Le gouvernement péquiste appuie la Deuxième décennie de la lutte contre le racisme proclamée par les Nations Unies en 1983. La Déclaration sur les relations interethniques et interraciales adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 1986, sous un gouvernement libéral, condamne le racisme et engage tous les ministères.
Et il faut souligner que le « pluralisme culturel proprement québécois », ainsi que les notions de rapprochement et d’échanges, tels que l’entendait Gérald Godin, sont à l’origine de l’interculturalisme défendu par l’État québécois depuis et figuraient au programme du Conseil supérieur de l’éducation de la première époque péquiste. Élu en 1976 dans Papineau, le premier député de couleur de l’Assemblée nationale est Jean Alfred.
Tel est donc l’esprit, généreux, progressiste, qui anime cette période.
Période 2 : (1985-1994). Les libéraux au pouvoir
Les libéraux de retour au pouvoir prolongent la structuration de l’action du Québec en matière de sélection et de services d’accueil, de francisation et d’intégration. L’Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration (1990) poursuit notamment l’orientation interculturaliste antérieure. Par contre le discours politique change. Le mot « nation » ne figure pas dans les documents officiels. On parle d’intégration à la « société distincte québécoise » au sein de la fédération canadienne, grâce à un « contrat moral » proposé aux seuls nouveaux arrivants, ainsi qu’une « culture publique commune » à partager, notion plutôt floue.
Le modèle communautariste se consolide, auquel s’ajoute un vocabulaire racialisant. En effet, c’est à cette époque que l’on commence à parler de « minorités visibles », un terme emprunté au palier fédéral destiné à l’application des programmes d’obligation contractuelle (1987) et d’accès à l’égalité dans la fonction publique (1990). Un mot qui va se rediffuser dans l’espace public avec celui de « race », de « relations raciales », etc.
Période 3 : (1994-2003). Le virage à la citoyenneté du Parti québécois
Le modèle de la citoyenneté de l’après-référendum de 1995 représente un autre jalon fondamental. Pour le gouvernement indépendantiste, le peuple québécois forme une communauté politique propre. La citoyenneté québécoise transcende les appartenances politiques, ethniques ou idéologiques et s’exprime à travers les institutions, la vie démocratique, les lois et un ensemble de valeurs partagées. L’État place désormais au cœur de son action un « cadre civique » qui lie aussi bien ceux qui arrivent que ceux qui accueillent. Cela va beaucoup plus loin que le contrat moral des libéraux. Le ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration se donne trois orientations : promouvoir la solidarité dans l’espace civique québécois et partager le patrimoine civique commun ; favoriser l’exercice de la citoyenneté et soutenir la participation civique ; soutenir l’intégration et l’inclusion de l’ensemble des citoyennes et citoyens dans la société québécoise. La citoyenneté québécoise est alors définie comme « un attribut commun à toutes les personnes résidant sur le territoire du Québec ». Plusieurs programmes novateurs concernent chaque orientation (Québec, MRCI, 2000).
Au cours de cette période, le MRCI met sur pied la Semaine d’action contre le racisme, le Prix de la citoyenneté, la Semaine québécoise de la citoyenneté et recommande la valorisation du patrimoine historique, l’éducation à la citoyenneté, l’enseignement de l’histoire, l’augmentation de la représentativité de l’ensemble des organisations, la lutte contre le racisme, etc. Entre en vigueur en 2001 la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics qui emploient 100 personnes et plus.
Désormais on privilégie les termes de « citoyens de diverses origines », de « citoyens issus de l’immigration », à celui de « communautés culturelles », terme qui consiste à assigner aux Québécois issus de l’immigration une identité dont ils ne veulent pas nécessairement, parce que réductrice. Quant aux communautés dites culturelles, elles ne sont pas des groupes homogènes. Une importante différenciation sociale, politique, culturelle et religieuse interne les caractérise. Le Conseil des Relations interculturelles (CRI) souhaite que : « dans l’ensemble des secteurs de la vie publique, les efforts soient intensifiés afin que tous les citoyens se sentent reconnus comme des Québécois à part entière et nommés spontanément ainsi (je souligne) quelle que soit leur origine » (1997). Les Carrefours d’intégration remplaçant les COFI s’inscrivaient dans cet esprit.
En 2002, le gouvernement lance la politique L’Action communautaire : une contribution essentielle à l’exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec.
Le changement d’orientation politique du gouvernement québécois provoque une vive polémique. Pour les indépendantistes issus des minorités ethnoculturelles, un tel virage citoyen est revendiqué depuis longtemps. Mais certains fulminent (Labelle, 2008). Des leaders associatifs et des intellectuels clameront haut et fort que le discours sur la citoyenneté québécoise témoigne de la « nature » ethnocentrique du « mouvement séparatiste » québécois. Ils vilipendent l’objectif soi-disant assimilationniste que poursuivrait l’État québécois depuis l’adoption de la Charte de la langue française. On y voit une posture inspirée de l’idéologie républicaine et jacobine à la française.
Le 13 avril 2013, sous l’intermède du gouvernement de Pauline Marois (2012-2014), le projet de loi 60, projet de charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’état ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement est présenté par le ministre responsable des Institutions démocratiques et de la participation citoyenne, Bernard Drainville. Il suscitera le même genre de controverse, alimentée d’arguments semblables. Et pourtant ce projet avait le mérite de proposer une solution à un problème historique et un véritable débat.
Période 4 (2003-2018) : L’interculturalisme soft et le virage utilitariste des libéraux
Une autre période s’amorce qui mettra graduellement à mal les acquis antérieurs.
Le ministère redevient ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (2005). On adopte une nouvelle politique La diversité : une valeur ajoutée (2008), ainsi qu’un Plan d’action quinquennal qui vise la lutte contre le racisme, mais sans oser l’identifier comme tel. Une Déclaration portant sur les valeurs communes de la société québécoise doit être signée lors de la demande de certificat de sélection du Québec3.
Parallèlement à l’éloge de la diversité, une idéologie économiciste, néolibérale et utilitariste s’affirme de plus en plus. À la suite de la « réingénierie » de l’État, le Conseil des relations interculturelles est chamboulé ; sur 14 membres nommés en 2004, 10 proviennent des milieux d’affaires et des chambres de commerce. Il sera aboli en 2011. Imaginons ce qui se serait passé si le PQ avait aboli le Conseil ? Le gouvernement tente de confier le recrutement et les démarches d’intégration à l’Appel juif unifié, au nom des partenariats publics-privés. Ce délestage des responsabilités de l’État a provoqué un tollé. On encourage la création de DEC bilingues. Le MICC devient le ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (2014).
Le gouvernement s’emploie à construire un système d’immigration compétitif, mise sur l’engagement du milieu économique et sur une stratégie internationale d’attraction et de mobilité tous azimuts (investisseurs, entrepreneurs, travailleurs qualifiés, étudiants étrangers, permis temporaires de travail) (Québec, MIDI, 2016). Les meilleurs conseillers semblent être des gens d’affaires. Le modèle obéit au nouveau paradigme de la mobilité qui s’est imposé dans les universités et les ministères, à commencer par le palier fédéral (Labelle, 2015). Les employeurs peuvent recruter dans le cadre de deux programmes qui relèvent en fait du fédéral : le Programme des travailleurs étrangers temporaires, avec ses emplois peu rémunérés et le Programme de mobilité internationale pour le recrutement d’une main-d’œuvre hautement qualifiée. Ce système fonctionne à deux vitesses : il facilite la transition des travailleurs temporaires qualifiés ou spécialisés à la résidence permanente, ce qui n’est pas le cas pour les travailleurs manuels à bas salaire et non qualifiés (travailleurs agricoles saisonniers, aides familiaux résidants).
Or depuis 2011, l’immigration temporaire a dépassé annuellement l’immigration permanente : « avec cette montée en force de l’immigration temporaire, on assiste à un changement radical tant sur le plan quantitatif que qualitatif de l’immigration au Québec, il est étonnant de constater l’absence totale de débat public (ou même de consultation publique) sur cette question » (TCRI, ٢٠١٦, p. 12). De plus, le Centre international de solidarité ouvrière et la CDPDJ ont démontré que « le système de travail temporaire (…), parce qu’il suppose et nourrit une double précarisation, celle du migrant et celle du travail, est générateur d’inégalités et d’injustice sociale » (idem). Soulignons que les descendants des travailleurs migrants temporaires échappent à la loi 101 et peuvent donc scolariser leurs enfants dans les écoles anglaises. D’ailleurs les autorisations particulières accordées sous la catégorie séjours temporaire sont en nette augmentation : de 7 % entre 1977-1989 à 11 % entre 2002 – 2015 selon l’OQLF.
Un règlement sur l’immigration annoncé le 2 août 2018 met en place un nouveau système d’immigration basé sur la déclaration d’intérêt, afin de sélectionner en continu des personnes dont le profil correspond aux besoins des entreprises dans les différentes régions du Québec. Il remplace le système du premier arrivé premier servi. Le « programme des entrepreneurs » a aussi été revisé afin de faciliter l’accueil des entrepreneurs étrangers qui souhaitent y établir le siège social de leur compagnie ou créer une filiale québécoise de leur entreprise : un « visa start up » qui peut se modifier en résidence permanente sans aucune connaissance du français.
Le vocabulaire change encore une fois. Le gouvernement parle désormais de « diversité » qui couvre large : ethnoculturelle, religieuse, sexuelle. Par exemple les mesures contre l’homophobie qui relèvent en partie du ministère du MIDI, ce qui est un non-sens à mon avis. Le mot « nation » a pour ainsi dire disparu du dernier énoncé de politique, Ensemble, nous sommes le Québec (2016). Les immigrants devront s’intégrer à une « société démocratique dotée d’un caractère distinct et francophone ». Le débat migratoire se recentre sur la culture et la religion. Apparaît une nouvelle communauté « musulmane ». Pourquoi pas une communauté catholique ou protestante ? L’étiquette raciale « Noir » persiste (ex. le Mois de l’histoire des Noirs ; la « communauté noire », etc.) (Québec, 2016). On peut dire que sur ce plan, l’État ne donne pas l’exemple. L’« inclusion » devient un leitmotiv aussi imprécis que vertueux. Que signifie être inclus ? À quoi ? À qui ?
Sur la laïcité, inachevée, on assiste à une véritable capitulation. L’interculturalisme demeure un modèle théorique. En dépit des centaines de recommandations contenues dans les 124 mémoires présentés lors de la consultation Vers une politique gouvernementale de lutte contre le racisme et la discrimination en 2006 et d’un plan d’action quinquennal contre le racisme, on assiste à une évolution hésitante de la politique sur les plans préventif, curatif et répressif, ce qui fait en sorte que le niveau de préparation et d’ouverture de la société d’accueil reste faible alors que des tendances populistes anti-immigration se manifestent. De son côté, la commission Bouchard-Taylor (2008) que l’on a créée pour faire diversion a contribué à mettre le sujet sous le tapis, avec son salmigondis de mesures hétéroclites.
Aujourd’hui l’antiracisme, l’interculturalisme et la promotion de la diversité persistent à être faire l’objet d’enchevêtrements et de confusion, ce constat ayant eu pour effet de diluer le traitement politique du racisme (Labelle, 2011).
Remarques finales. Deux héritages inégaux
Dans un premier temps, le PQ voulait séduire, démontrer l’incompatibilité du nationalisme ethnique avec le projet d’indépendance qu’on pouvait être Québécois, peu importe l’origine. Avec le virage de la citoyenneté, le gouvernement n’a pas osé nommer un ministère de la Citoyenneté, mais l’idée fondamentale était de donner à chacun et chacune la même opportunité et la même égalité.
L’héritage du passé est donc inégal. Les modèles péquistes étaient novateurs, stimulants, courageux. Il fallait et il faut encore gagner la clientèle captive du PLQ, une chasse gardée qui requiert moins d’efforts. Défendre un projet indépendantiste dans le cadre d’une fédération où deux cadres de légitimité coexistent représente toujours un défi.
Que feront Québec solidaire et la CAQ face à cet héritage inégal ?
L’air du temps a changé. Pas tant que cela puisqu’on constate la résurgence de la catégorisation raciale (Blancs/Noirs ; Blancs/Autochtones) dans les médias et le grand public à propos des affaires Slav et Kanata.
La conjoncture mondiale a aussi impacté les acquis. L’ascension de Daech et l’entrisme des islamistes, la résurgence du religieux, la montée du conservatisme et de l’extrême droite, la crise migratoire, l’afflux des migrants irréguliers, les organisations mafieuses de traite posent de nouveaux défis dans tous les pays démocratiques.
Les indépendantistes doivent faire face à ces réalités dans un monde globalisé tout en renouant avec l’esprit émancipateur et progressiste du passé et avec l’approche basée sur la citoyenneté. Le Québec est reconnu internationalement pour son modèle d’accueil et de parrainage des réfugiés sélectionnés. Il possède l’infrastructure et l’expertise en matière d’intégration des immigrants. Le Québec souverain pourrait contrôler ses frontières, rapatrier tous les pouvoirs de sélection détenus par le fédéral, s’affirmer comme seule société d’accueil et d’intégration, poursuivre la lutte contre le racisme en appuyant l’action des organisations internationales et nationales, sélectionner les réfugiés à l’étranger, naturaliser et accorder la citoyenneté, s’engager dans la solidarité avec les pays sources d’émigration. Et il aurait les mains libres pour prendre part aux débats sur la scène internationale et signer des traités et des conventions.
Bibliographie
Godin, G. (1993). Écrits et parlés II, Montréal, l’Hexagone.
Labelle M. (2015). « Le paradigme de la mobilité propose-t-il une perspective adéquate de l’immigration internationale ? », Éthique publique, Penser l’ouverture des frontières, vol. 17, no 1, http://ethiquepublique.revues.org/1590
Labelle M. (2011). Racisme et antiracisme. Discours et déclinaisons, Québec, Presses de l’Université du Québec, 212 p.
Québec (1978). La politique québécoise de développement culturel. Volume 1. Perspectives d’ensemble : de quelle culture s’agit-il ? Québec.
Québec, Ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration (1981). Autant de façons d’être Québécois. Plan d’action à l’intention des communautés culturelles, Montréal, Direction des communications.
Québec, Ministère des Communautés culturelles et de l’Immigration (1990). Au Québec pour bâtir ensemble. Énoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration, Montréal, Direction des communications.
Québec, Ministère des Relations avec les citoyens et de l’Immigration (2000). La citoyenneté québécoise. Document de consultation pour le Forum national sur la citoyenneté et l’intégration. Montréal, Direction des affaires publiques et des communications.
Québec, Ministère de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion (2016). Ensemble, nous sommes le Québec. Politique québécoise en matière d’immigration, de participation et d’inclusion, Montréal, Direction des communications.
TCRI (2016). Pour la planification de l’immigration cohérente avec la capacité d’accueil et de rétention de la société québécoise. Mémoire présentée par la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) dans le cadre de la consultation gouvernementale sur la planification de l’immigration au Québec 2017-2019, août.
http://tcri.qc.ca/images/publications/memoires/2016/Memoire_TCRI_niveaux_2017-2019_aout_2016.pdf
1 Je remercie Arlindo Vieira, Anne Michèle Meggs et Jean-René Plante pour leur lecture attentive de ce texte et leurs suggestions.
2 En 1996, le CCCI devient le Conseil des relations interculturelles.
3 « Le Québec est une société libre et démocratique ; les pouvoirs politiques et religieux au Québec sont séparés ; le Québec est une société pluraliste ; la société québécoise est basée sur la primauté du droit ; les femmes et les hommes ont les mêmes droits ; l’exercice des droits et libertés de la personne doit se faire dans le respect de ceux d’autrui et du bien-être général ». Elle souligne aussi que la société québécoise est régie par la Charte de la langue française qui fait du français la seule langue officielle du Québec.