Quelle communauté anglo-québécoise ?

Les définitions utilisées pour désigner la « communauté anglophone » varient grandement selon les objectifs politiques des acteurs. Certains cherchent à en élargir les effectifs, les autres, à les diminuer le plus possible. Comme il en va du partage des ressources financières de l’État du Québec, de l’usage des langues au travail autant dans le secteur public que dans le secteur privé, et de bien d’autres enjeux, tous ont intérêt à influencer la définition des frontières de chaque groupe. En réalité, la communauté anglo-québécoise, lorsque définie en tenant compte des impératifs de survie légitimes de la communauté francophone, est de taille extrêmement modeste : 3,5 % pour tout le Québec, 5,0 % pour la Région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal. Ces pourcentages incluent de surcroît des anglophones dont les parents peuvent être francophones, allophones ou immigrés. Quoi qu’il en soit, cette taille minuscule confirme la disparition du territoire québécois de la plus infime encore « minorité historique nationale », dont les – plus rares encore – effectifs d’origine ethnique britannique constituaient jadis le noyau primordial.

En réalité, celle-ci s’est fortement diversifiée avec le temps. Elle réunit aujourd’hui plusieurs sous-groupes principaux, chacun doté de valeurs, d’attitudes et de comportements qui lui sont propres unis dans leur hostilité envers l’intervention de l’État en matière de rapports intercommunautaires. L’addition pêle-mêle de tous ces sous-groupes à la communauté anglo-québécoise d’origine eu égard au partage des ressources de l’État québécois produit une puissante communauté anglophone et une faible majorité francophone, conséquemment propulsée vers sa minorisation sur les plans politique, économique, social et culturel. À l’inverse, quand la définition de la communauté anglophone limite l’apport des mouvements migratoires tout comme l’assimilation des populations natives, elle redonne à une « communauté francophone étendue » une place dominante dans le partage des ressources. Toutefois, la réduction de la communauté anglophone à la seule « minorité historique nationale » se heurte à des objections de taille. D’une part cette définition met en doute la légitimité des choix individuels et, d’autre part, elle classe les citoyens anglophones en deux catégories, les ayants droit en vertu de leurs ancêtres établis au Québec depuis plusieurs générations, et les non-ayants droit, les anglophones mal nés sans racines.

Entre une définition repoussant la sujétion des francophones et une autre qui protège les droits individuels de la minorité anglophone contre la domination de la majorité, une définition équilibrée peut être envisagée. Cela fait, la « communauté anglo-québécoise » peut être ensuite mesurée, tant pour les populations rassemblées en grands sous-groupes géographiques, pour celles rassemblées dans les 67 quartiers de la RMR de Montréal, celles des 19 arrondissements de la Ville de Montréal, des 80 villes de la RMR de Montréal, les deux arrondissements et les seize municipalités à statut bilingue (douze sur l’Île et quatre dans la Couronne de Montréal). Depuis ces portraits – auxquels il manque encore les portraits des circonscriptions fédérales et provinciales –, il devient possible de mesurer le fossé séparant la communauté anglophone de la communauté anglo-québécoise, et celui opposant la représentation de toutes les communautés dans le discours et la réalité démo-linguistique de chacune.

Une question bien réelle, mais contradictoire, n’a pas été abordée dans cette étude, soit l’influence considérablement plus élevée des non francophones sur l’échiquier électoral provincial et fédéral. Un prochain texte s’attaquera à la valeur du vote des uns et à la valeur du vote des autres.

1. Domination d’une langue et intervention de l’État

Pour chaque communauté ethnolinguistique, le point de départ renvoie à la conjonction entre l’histoire et l’identité (où la langue occupe une place primordiale). En outre, les racines de la communauté anglo-québécoise remontent à la Conquête en 1760, époque où ses premiers représentants ont commencé à s’installer dans ce qui sera plus tard le Québec et l’Ontario. Depuis, la situation a évidemment beaucoup changé. Des villes comme Montréal, Québec et Sherbrooke sont passées par une période à majorité anglophone avant de devenir majoritairement francophones. Les communautés humaines évoluent dans le temps, tant et si bien qu’elles peuvent s’éloigner considérablement de ce qu’elles étaient à leurs débuts. Par exemple, dans le Québec hors Montréal, la majorité des personnes d’origine ethnique britannique était, en 1991, de langue parlée française (tandis qu’environ le quart d’entre eux parlait français dans la RMR de Montréal).

Ce qui fait de la langue l’élément premier de la définition de la communauté anglo-québécoise. Non pas l’héritage historique ou parental, mais la réalité actuelle de chaque individu. Sur ce point, une part très importante de la communauté anglo-québécoise est issue de l’assimilation linguistique. Des locuteurs de langues maternelles diverses sont passés à l’anglais comme langue la plus souvent parlée à la maison. Ces locuteurs étaient soit des francophones ayant abandonné le français au profit de l’anglais, soit des allophones (de langue autre que le français ou l’anglais) immigrés ou descendants d’immigrés (d’origine italienne, chinoise, juive, grecque, portugaise, etc.) ayant adopté l’anglais comme langue d’usage à la maison (rappelons que, jusqu’aux années 1960, 90 % des enfants de parents immigrés fréquentaient l’école anglaise[1]). L’assimilation ne concerne pas seulement le(s) changement(s) de langue d’un individu au cours de son existence puisqu’elle est aussi intergénérationnelle. Plus difficile à mesurer, elle est néanmoins tout aussi réelle : de nombreux enfants d’immigrés sont élevés directement en français ou en anglais[2]. Si sept immigrés sur dix (environ 600 000 sur 840 000) se déclarent allophones de langue maternelle, les enfants d’immigrés sont plutôt sept sur dix (environ 300 000 sur 400 000) à se déclarer francophones ou anglophones de langue maternelle[3].

Au Québec, l’assimilation linguistique est un continuum allant de l’anglais au français. Sans intervention de l’État, l’assimilation en direction de l’anglais primerait de manière écrasante sur l’assimilation en direction du français. Le Québec l’a historiquement expérimenté à la suite des grandes vagues d’immigration d’après la Deuxième Guerre mondiale. La « loi de la langue la plus forte » est le libre rapport de forces entre deux groupes (francophone et anglophone) démographiquement, économiquement et politiquement inégaux. Il était clair, à la fin des années soixante, que cette loi désignait la langue de la minorité, l’anglais, comme la langue d’assimilation à la fois des francophones face à l’anglais, et des immigrés, pris à choisir entre le français et l’anglais.

Comme partout ailleurs dans le monde, les communautés démographiquement, économiquement ou politiquement dominées peinent à assimiler. Lorsqu’elles le font, elles le font généralement là où leur poids démographique devient écrasant, ou par le bas de l’échelle sociale, par les mariages mixtes ou en raison d’une conjoncture politique locale particulière. Pour renverser la vapeur et assurer leur avenir, les communautés dominées n’ont d’autre choix que de se tourner vers l’État. Par contre, les communautés dominantes assimilent « naturellement » les individus des autres communautés, et ce, même si leur poids démographique peut s’avérer très inférieur. Elles assimilent par le haut de l’échelle sociale, a fortiori quand elles sont soutenues par une communauté d’envergure continentale.

Les communautés minoritaires, mais dominantes ont naturellement beau jeu d’accuser les communautés qui sont en position de faiblesse de chercher à contraindre les choix individuels en mettant en place un cadre politique forçant l’assimilation en leur direction. Elles passent alors sous silence l’objectif vital de protection de la majorité contre l’assimilation et le rétablissement d’une plus grande justice économique entre minorité et majorité, et notamment l’établissement d’une division culturelle du travail qui place les membres de la majorité tout au moins à égalité avec les membres de la minorité.

C’est grâce aux interventions de l’État québécois que le français a pu redresser un tant soit peu (une question de mesure) une situation qui lui était défavorable. Mais à lui seul, cet interventionnisme serait demeuré insuffisant pour éviter le déclin de la communauté francophone. Seules les très coûteuses migrations interprovinciales, aux soldes annuels continuellement négatifs depuis plus de 40 ans, ont pu éviter le déclin du poids relatif des francophones au Québec. Rappelons que ces migrations interprovinciales ont constitué une saignée constante de citoyens formés au Québec et partis s’établir au Canada anglais et dans le reste de l’Amérique du Nord. En définitive, elles représentent de gigantesques subventions à la formation de la main-d’œuvre ontarienne, albertaine ou britanno-colombienne[4].

Outre les malheureux soldes migratoires interprovinciaux, les facteurs suivants ont joint leurs forces pour minimalement faire progresser le français et donner l’illusion de politiques assurant le maintien du poids relatif des francophones : l’envoi obligatoire des enfants francophones ou d’immigrés dans les écoles primaires et secondaires françaises, le choix de candidats à l’immigration davantage « francotropes » (c’est-à-dire de candidats issus de pays tournés vers le français), la valorisation du français au travail – quoique bien timide –, la disponibilité de services de santé, de services sociaux en français, la possibilité d’instruction en français jusqu’à l’université (notamment par le réseau des universités du Québec), le soutien d’une vie culturelle en français (notamment par Télé-Québec, les politiques culturelles et l’établissement, au niveau local, des bibliothèques et des maisons de la culture), etc. Tous ces facteurs ont rendu disponibles à la francisation des milieux de vie autrefois nettement dominés par l’anglais.

Pour les immigrés, l’appartenance plus ou moins prononcée à l’univers francophone ou anglophone, qui est en général l’une des étapes importantes de l’intégration, amène tôt ou tard l’assimilation linguistique, tantôt pour la première génération, tantôt pour la deuxième, constituée de leurs enfants nés au Québec. L’assimilation linguistique implique évidemment la langue, mais aussi des valeurs, des attitudes, des comportements et un vote de plus en plus calqués sur la communauté native de référence, la dominante et la dominée, l’anglophone et la francophone. Parler une langue dépasse la simple question de la compréhension mutuelle, car cela implique des échanges de plus en plus soutenus et complexes dans la nouvelle langue, des amitiés, des amours, du travail, des activités commerciales, des relations avec les gouvernements et les autorités, l’intégration des enfants, le choix d’un lieu de résidence ou la décision de repartir du Québec, bref, un apport réel au milieu de vie.

De l’appartenance à l’univers francophone découle naturellement un interventionnisme visant à contrebalancer les pressions naturelles auxquelles est exposé le français, tandis qu’au contraire, les anglophones considèrent le non-interventionnisme comme la voie leur permettant d’assurer leur maintien de domination dans la division culturelle du travail. Quant aux immigrés, plus une personne est intégrée à l’une ou l’autre communauté, plus elle tend à développer, pour elle-même ou ses enfants, une identité et une appartenance nationale, des attitudes politiques et des comportements électoraux conséquents. Le processus d’assimilation doit être considéré dans sa dimension intergénérationnelle puisque chez les personnes allophones de langue maternelle de la deuxième génération (c’est-à-dire chez les enfants d’immigrés), 27 % sont toujours allophones pour ce qui concerne la langue le plus souvent parlée à la maison. L’assimilation linguistique est la règle[5].

Chez les immigrés, nombreux sont ceux qui se retrouvent dans des partis canadiens prônant un non-interventionnisme plutôt hostile envers les partis québécois qui prônent la protection et l’avancement de la communauté francophone du Québec par le nationalisme, l’indépendance ou le simple interventionnisme politique. Ils le font pour quelques raisons principales : le désir de protéger les conditions qui leur ont permis d’avoir du succès dans leur nouveau pays ; la peur de l’État et du changement politique pour des citoyens arrivés pour la plupart de pays dotés de régimes autoritaires hostiles envers la critique ; le conservatisme politique hostile envers certaines positions libérales telles le divorce et l’avortement, les droits des femmes, des enfants, des célibataires, des athées, des minorités sexuelles, ainsi qu’envers les droits des minorités nationales (québécoises et autochtones), etc. Ceux qui ont vécu quelques décennies dans le pays d’accueil comme ceux qui ont vécu un statut minoritaire dans leur pays d’origine ont d’emblée ou développent plus facilement des sympathies pour une nation minoritaire (comme celle des Québécois) à la recherche de plus de justice.

2. La communauté anglophone, dominante et irrédentiste

La langue joue naturellement sur la formation des valeurs, des attitudes, des idéologies, des opinions, des comportements. C’est elle qui introduit au continuum d’idées politiques propre à chaque communauté politique, qui développe les appartenances et les sentiments d’allégeance. C’est elle qui forge les expériences de chaque groupe dans les univers scolaire et culturel, du travail et de la politique.

Ces expériences varient évidemment dans chaque groupe, mais on peut toutefois distinguer les Anglo-Québécois des Canadiens anglais. En effet, les premiers sont nés et formés au Québec. Ils disposeraient d’une connaissance au moins fonctionnelle du français, qu’ils auraient appris dans leur cursus scolaire. Ils seraient globalement plus au fait de la situation politique et culturelle du Québec que les Canadiens anglais nés dans le reste du Canada. Même si ces derniers travaillent ou étudient au Québec, ils demeurent formés à l’extérieur. Du coup, leur connaissance du français et leur bilinguisme sont nettement moindres. Il en découle naturellement une vision et une expérience différentes des relations entre Québec et Canada hors Québec. À ces deux groupes s’ajoutent les groupes anglicisés (de langue parlée anglaise à la maison), qu’ils soient de langue maternelle française ou autre(s), nés au Québec ou à l’étranger. Parmi ces groupes, les personnes anglicisées nées au Québec partageraient une histoire mixte associant les mondes francophone et anglophone et où primerait ce dernier. Les personnes nées à l’étranger, anglophones, anglicisées ou anglotropes (tournées vers l’anglais), auraient plutôt vécu des expériences migratoires diverses ayant abouti à un processus d’intégration et d’assimilation culturelles et politiques au groupe anglo-québécois.

On aurait tort de croire que les anglophones nés et scolarisés au Québec seraient par définition plus familiers avec le concept de cohabitation entre francophones et anglophones. Les rapports se sont en effet succédé pour décrire une situation montrant la faible connaissance du monde francophone dans à peu près tous les aspects de la vie collective. Dans le réseau scolaire anglais québécois[6], cette faiblesse serait telle qu’une bonne moitié des jeunes Anglo-Québécois n’acquièrent jamais la capacité d’échanger dans la langue de Molière :

Plus de la moitié des étudiants qui obtiennent leur diplôme d’un des cégeps anglophones de Montréal n’ont pas le niveau nécessaire en français dans un contexte de travail, tant à l’oral qu’à l’écrit. La rédaction d’un courriel de 250 mots sera jugée incompréhensible. La lecture d’un rapport technique de 10 pages sera au mieux approximative et ne pourra mener à la rédaction d’un résumé digne de ce nom.

La participation à une réunion de travail avec trois ou quatre personnes en français sera impossible, car l’ex-étudiant ne suivra pas le débit. Il percevra le contexte général, mais pas les détails des enjeux en cause, ni les allusions, ni même la plupart des références au contexte socioculturel québécois francophone. De plus, il n’aura pas le vocabulaire pour exprimer sa pensée de façon spontanée, ni bien sûr l’assurance que permet une pratique régulière de la langue[7].

Année après année les Anglo-québécois qui poursuivent leurs études dans les institutions postsecondaires françaises ne constituent pas plus qu’un pour cent de leurs effectifs. Les décisions des francophones sont pourtant très différentes puisque de 20 % à 25 % des étudiants des universités McGill, Concordia ou Bishop sont de langue maternelle française. En milieu scolaire, l’interface entre les communautés se fait par le biais de francophones qui ont choisi de se rendre à l’anglais. Une bonne majorité des Anglo-québécois ne connaît que ces Québécois et ignore toutes les autres réalités qui reflètent la majorité, en particulier les Montréalais nationalistes et les Québécois des régions. Les premiers sont perçus comme minoritaires et intolérants tandis que les Québécois des régions sont perçus comme arriérés, religieux et conservateurs. Ces perceptions s’accentueraient chez les Anglo-québécois qui vivent dans la métropole – une écrasante majorité –, chez ceux socialisés hors du Québec, dans les milieux les moins francophones et parmi ceux qui visent à bâtir leur carrière dans les grandes métropoles anglophones nord-américaines.

On sait par ailleurs que les Anglo-Québécois se renseignent peu sur le monde français qui les entoure par le biais des quotidiens et des magazines, par la télévision, la radio et Internet. Leurs habitudes culturelles, incluant leurs choix en matière de littérature, de théâtre, de chanson, de cinéma, d’Internet, de télévision et de radio, révèlent des liens très ténus avec l’univers français[8]. Dans ces médias anglo-québécois auprès desquels ils s’informent et forgent leurs opinions, le portrait des francophones qui prônent l’interventionnisme étatique, en particulier, mais non seulement en matière linguistique, est globalement négatif. On y soutient notamment le rejet de l’anglais et de la communauté anglophone par la majorité et l’impossibilité pour les non-francophones et l’ensemble des citoyens de vivre et de s’épanouir à l’abri de l’« interventionnisme inquisiteur » du Québec. Mais les récriminations débordent le plan individuel puisqu’elles englobent aussi ce qui tente de modifier les rapports entre communautés, soit par le biais de la redistribution sociale et la sanctuarisation du syndicalisme socialiste défendue par le PQ[9]. Ces perceptions négatives des qualités et des intentions des francophones expliquent en partie le solde migratoire interprovincial (sorties du Québec moins entrées au Québec) négatif de près d’un demi-million d’Anglo-Québécois qui ont quitté le Québec depuis 1971.

Dans le monde du travail, la communauté anglo-québécoise reste toujours, en ce début de XXIe siècle, globalement plus instruite que la communauté francophone et au sommet de la division culturelle du travail. Elle est concentrée dans les secteurs industriels et dans les emplois les plus rémunérateurs de l’économie, d’où elle tire des revenus individuels moyens plus élevés que ceux des francophones, des taux de chômage inférieurs et de plus faibles proportions de bénéficiaires de la sécurité du revenu. Elle contrôle une part plus importante de l’économie québécoise que ce que son poids démographique aurait laissé entendre, ce qui se voit de manière éclatante dans les dons aux fondations des universités, aux hôpitaux universitaires comme dans les dons aux organismes de charité[10]. Les anglophones ne semblent pas être tentés par la fonction publique provinciale, alors qu’ils disposent d’une place nettement plus enviable au sein des grandes entreprises étrangères qui font des affaires au Québec.

La communauté anglo-québécoise s’est au fil des décennies dotée de puissantes institutions dont de nombreuses sont reconnues officiellement bilingues par le gouvernement du Québec. En outre, elle dispose de services d’éducation complets, de la maternelle jusqu’à leurs trois universités, d’hôpitaux, de services de santé complémentaires et de services sociaux indépendants, d’institutions culturelles propres (télévisions, radios, théâtres, cinémas). Adossée au monde anglo-saxon nord-américain, elle s’est historiquement retrouvée au paradis du travail, avec des institutions et des entreprises qui offraient davantage d’emplois que ce que la communauté ne pouvait couvrir en production de main-d’œuvre. C’est pourquoi elle s’est tournée vers la main-d’œuvre francophone, vers celle du Canada anglais et vers celle d’origine immigrée ou encore à l’étranger afin de pourvoir aux postes disponibles. Actuellement, plus d’un emploi sur deux au sein de la communauté anglo-québécoise est occupé par des francophones (telle la nouvelle chancelière de l’Université McGill, Suzanne Fortier, et Normand Rinfret, le directeur général et chef de la direction du CUSM) et des immigrés, le reste étant partagé par des Anglo-Québécois et des anglophones de partout au Canada. Cet appel de main-d’œuvre correspond à une structure institutionnelle et économique ancienne qu’aucun gouvernement québécois n’a remise en question en proposant plus d’équité dans le partage des ressources publiques d’abord, privées ensuite. En vertu de l’ignorance du français des Anglo-Québécois et de celle encore plus marquée des Canadiens anglais et des immigrés anglophones, le point de jonction entre les groupes linguistiques est resté sur les épaules des francophones et des allophones servant d’interface, c’est-à-dire capables de travailler en anglais en tant qu’intermédiaires linguistiques. Dans le monde scolaire comme dans le monde culturel ou le monde du travail, une nette majorité des Anglo-Québécois travaille, se fait servir et se réfugie dans un univers culturel parfaitement cloisonné par rapport à l’univers culturel français.

Le monde politique n’est pas très différent : les francophones y jouent encore le rôle d’interface au sein des partis fédéraux et chez les libéraux provinciaux. Ce sont eux qui défendent la place des uns et des autres dans la division culturelle du travail. C’est auprès d’eux, dans ces partis et dans les institutions politiques canadiennes fédérales et communes, que les Anglo-Québécois se rassurent quant au degré de satisfaction des Québécois face à leur statut politique. Il reste néanmoins vrai que la contestation de la division des pouvoirs et de la répartition des ressources au Canada a constitué un axe majeur de la politique fédérale depuis plusieurs décennies. Mais faute d’aboutir de nouveaux arrangements constitutionnels suffisants, le Québec a modestement été confiné au rôle de trouble-fête au Canada, de province centrée sur elle-même et insensible aux demandes de ses partenaires canadiens-anglais.

L’ex-premier ministre Jean Chrétien exprimait bien certaines idées circulant au Canada anglais qui lui permettaient d’éluder de douloureuses révisions des pouvoirs. Pour lui, les électeurs québécois, moins instruits, ont été facilement manipulés par une minorité raciste et xénophobe, aux commandes du PQ. Cette minorité n’avait d’autre objectif que de détruire le pays, le gouvernement fédéral, de forcer l’électorat à choisir l’indépendance et de mettre en place un nouveau gouvernement dont elle serait l’unique bénéficiaire. C’est appuyé sur ces préjugés bien ancrés qu’il a fait adopter par le Parlement d’Ottawa la « Loi sur la clarté référendaire » en 2000, qui précisait au nom du gouvernement fédéral les paramètres à respecter pour tout prochain gouvernement provincial québécois cherchant à tenir de nouveau un référendum consultatif sur l’indépendance. Les Canadiens anglais semblent d’ailleurs considérer plutôt pauvrement les Canadiens français, qu’ils placent à l’avant-dernier rang des grands groupes ethnolinguistiques au Canada (Canadiens anglais, Juifs, immigrés, Canadiens français et autochtones), tout juste devant les autochtones, groupe faisant tristement l’objet de moult discriminations et de bien des préjugés[11].

Le désir d’échapper et de se prémunir contre le gouvernement québécois est une constante dans le comportement politique et électoral des Anglo-Québécois. Il s’est tantôt manifesté par le recours de ces derniers au gouvernement fédéral pour « protéger » leurs droits (tel l’appui donné à la Charte fédérale des droits et libertés, à l’adoption de la Loi sur la clarté référendaire ou à la centralisation des pouvoirs au gouvernement fédéral – par le biais de l’Union sociale en 1999 –, ou encore à la promotion de l’idée de la partition du territoire québécois, le refus d’appliquer la Charte de la langue française aux entreprises du Québec sous autorité fédérale). Il se manifeste autrement quand les Anglo-Québécois se réfugient dans la politique municipale pour se soustraire à l’autorité du gouvernement provincial (ce qui leur permet d’outrepasser le gouvernement provincial et d’établir des liens directs avec le gouvernement fédéral pour des investissements dans les infrastructures municipales). Le désir d’échapper au contrôle des francophones de la scène provinciale s’est aussi traduit depuis plus de 50 ans par un vote monolithique en faveur des partis contrôlés par les anglophones canadiens et québécois ainsi que par un abstentionnisme supérieur en matière de politique provinciale lorsqu’aucune urgence (tels les référendums ou l’élection du PQ) n’exigeait un engagement étendu. Les défusions municipales de 2006 sont de cette même eau.

Pour de nombreux Anglo-Québécois, il reste préférable de voter pour un parti carrément ou vaguement corrompu (tel le PLQ) ou pour un parti centré sur des enjeux de classes ou pour tout autre enjeu universel dépouillé de conséquences sur les rapports de domination entre les groupes linguistiques. Mais l’intégration de francophones à leurs côtés s’accompagne d’abord de suspicion à l’endroit de ces derniers, puis nécessairement d’une profession de foi fédéraliste oblitérant tout débat sur les rapports de force entre anglophones et francophones au Québec ou même au Canada (ex : le Parti vert), ou encore, pour un parti provincial, une claire subordination à la direction d’un parti fédéral (tels le Parti conservateur du Québec, le Nouveau Parti démocratique du Québec). Puisque tout parti issu du Québec français reste susceptible de nationalisme, une profession de foi canadienne du chef doit obligatoirement être accompagnée d’une prise de contrôle par du personnel politique des autres partis fédéraux en vue de constituer une alternative acceptable (tel le parti Vision Montréal, de Pierre Bourque, alors candidat à la mairie de Montréal). Conformément à leur expérience dans le monde de l’éducation et des services publics, dans le monde du travail et dans celui de la culture, les Anglo-Québécois sont isolés des débats politiques qui ont cours chez les francophones. Il est peut-être vrai que certains groupes d’intérêts ont pu voir, dans l’effroi suscité par l’indépendance et le nationalisme, une occasion d’affirmer leur pouvoir et d’élargir leur influence en déployant d’énormes ressources pour s’assurer d’un vote monolithique chez les Anglo-Québécois. Ces mêmes groupes ont des intérêts pancanadiens et seraient d’ailleurs hostiles au nationalisme de quelque province que ce soit.

Quoi qu’il en soit, malgré tous les bons mots au sujet de la progression de la connaissance du français parmi les jeunes Anglo-Québécois, il est possible que ceux-ci soient plus indifférents, voire même plus négatifs, à l’égard des francophones que leurs aînés (encadré 1, section A1 en annexe). On peut voir que, du point de départ tordu qui révèle que les Anglo-Québécois sous-estiment le caractère francophone du Québec, ils rejettent par la suite l’idée qu’eux-mêmes ou les entreprises anglaises contribuent à la survie de la langue française ou alors d’accepter des contraintes quant à leurs décisions dans l’utilisation des langues. Leur rejet s’appuie d’ailleurs sur un pessimisme très net quant à la survie de la langue française et une acceptation d’une cassure entre Montréal et le reste du Québec.

Les résultats relatifs aux attitudes et idées politiques sont conséquents avec les portraits précédents. Par exemple, la campagne électorale provinciale de 2012 a montré comment des personnes sérieuses, en situation d’autorité dans des médias canadiens-anglais reconnus, peuvent offrir à leurs lecteurs de sérieux dérapages démocratiques susceptibles de nourrir les préjugés et les attitudes néfastes. Lors de la seule semaine se terminant le 15 août, les commentateurs de multiples quotidiens du Canada anglais ont fait de la chef du Parti québécois, Pauline Marois, une sorte de fanatique de la laïcité s’apprêtant à procéder à un nettoyage ethnique en règle du paysage culturel québécois (encadré 2, section A2 en Annexe). On aurait tort de négliger l’attentat dont elle fut l’objet le soir du 4 septembre en insistant que sur le fait qu’il n’a fait qu’un mort et un blessé. N’eût été un fusil d’assaut miraculeusement enrayé, l’attentat aurait sans doute fait des dizaines de victimes dans l’assistance. Or l’événement n’a pas été suivi d’une remise en question de la responsabilité des médias anglo-québécois dans l’avènement d’un climat d’hostilité envers le PQ, mais plutôt de débats sur la responsabilité de Mme Marois dans la détérioration du climat politique et l’attentat dont elle fut victime. Le dérapage s’est poursuivi jusqu’au 19 septembre alors que la station radio CJAD diffusait, au moment exact où Mme Marois présentait à la nation son conseil des ministres, des extraits d’une entrevue de 40 minutes accordée plusieurs heures plus tôt par l’auteur de l’attentat.

Doit-on toujours parler de deux solitudes ? Dans la mesure où les solitudes réfèrent à deux groupes aux comportements différents plutôt qu’opposés, l’expression reste exacte. Anglophones et francophones sont différents en ce que les premiers n’ont qu’une très faible connaissance de ce que sont les seconds, tandis que les seconds sont au contraire intensivement pénétrés de la culture des premiers. Or il aurait été logique de s’attendre à ce que les premiers présentent une connaissance supérieure des seconds, et inversement, comme toute minorité et toute majorité. À l’échelle canadienne, les différences sont également considérables. Les Canadiens anglais étaient peut-être nombreux jadis à croire dans la thèse des deux nations connaissant sans cesse de grandes difficultés à s’entendre, en lieu et place d’une réalité moins convenable appelée domination politique et économique. Or aujourd’hui il est un lieu commun que de dire qu’une immigration débridée a fait considérablement reculer cette thèse au profit du Canada multiculturel, mais anglais, de Pierre Elliot Trudeau et des libéraux fédéraux. Le rapport de domination du Canada anglais envers le Québec s’est ainsi doté d’un nouveau verni de légitimité centré autour du respect des droits individuels. L’État fédéral a donc pu brider les revendications québécoises, au lieu d’entrer en dialogue avec le partenaire minoritaire, et procéder à la construction d’un État central fort. L’immigration a transformé non seulement la démographie, mais aussi le sens de l’histoire passée et, surtout, le présent et l’avenir du Canada. Le Québec est entré en solitude pour discuter de son avenir alors que le Canada anglais a résolument abandonné le Québec. En ce sens, l’idée de deux solitudes ne vaut plus. Hors du Québec français, seuls les Anglo-Québécois à forte expérience franco-québécoise peuvent encore concevoir la thèse des deux nations.

3. De la communauté anglophone à la minorité historique nationale : définitions inadéquates

Les définitions de ce qu’est la communauté anglo-québécoise varient de l’extensif au restrictif, du maximum au minimum. Elles varient de la grande « communauté des locuteurs anglophones » à la toute petite « minorité historique nationale ». Sous la première définition, les partisans de la « communauté anglophone » incluent dans la communauté l’ensemble des personnes capables de comprendre et de converser en anglais, soit celles qui connaissent l’anglais ou au moins l’anglais et le français (ou une autre langue). Définie de la sorte, la « minorité » anglophone représente 45 % de la population québécoise et 59 % de celle de la RMR de Montréal.

3.1 La communauté anglophone

Ces proportions n’apparaissent fantaisistes qu’à ceux qui sont très éloignés d’une réalité majoritairement anglophone. Elles trouvent d’ailleurs de nombreuses applications bien réelles dans la vie quotidienne. Ces pourcentages permettent entre autres choses de justifier une offre de services publics ou privés d’abord en anglais plutôt qu’en français, réduisant d’un côté la nécessité pour les anglophones et les immigrés anglotropes (tournés vers l’anglais) de s’adapter au fait français. Elles augmentent par contre la nécessité, pour les francophones, de s’adapter au fait anglais. Parmi les tenants de cette définition se trouvent de nombreuses entreprises étrangères qui gèrent leurs affaires en anglais depuis le reste de l’Amérique du Nord ou depuis l’étranger et qui refusent plus ou moins négligemment de se conformer à la Charte de la langue française. Ces entreprises font comme si toute l’Amérique du Nord parlait anglais. Elles proposent leurs produits d’abord en anglais seulement (ex. : le cinéma), font souvent travailler leurs employés québécois majoritairement ou exclusivement en anglais, utilisent des logiciels, des manuels et des documents de référence en anglais seulement, parfois au détriment de la santé et de la sécurité des travailleurs et des consommateurs. Elles utilisent souvent des raisons sociales anglaises en lieu et place de raisons sociales adaptées à la clientèle québécoise, utilisent l’affichage unilingue anglais pour sauver quelques frais, contestent juridiquement les règles collectives valorisant le français au Québec et contribuent philanthropiquement aux institutions anglaises plutôt qu’aux institutions françaises.

Le gouvernement fédéral n’est lui-même pas loin de correspondre à cette définition d’un employeur réticent. À travers les initiatives qui ont valorisé un français de façade, on reconnaît une continuité entre le gouvernement fédéral qui prônait la suprématie de l’anglais jusqu’à la fin des années soixante, et celui d’aujourd’hui qui pousse ses fonctionnaires à travailler en anglais afin d’économiser quelques sous en services de traduction[12]. C’est le même gouvernement conservateur qui a fragilisé l’influence du français au Bureau du premier ministre fédéral comme à l’intérieur de nombreuses entreprises pancanadiennes (telle Air Canada) et ministères fédéraux (notamment la Défense nationale), qui a refusé d’implanter l’équivalent d’une loi 101 pour les entreprises à charte fédérale au Québec[13], qui a procédé aux nominations d’unilingues anglais à des postes majeurs, tels celui de juge à la Cour suprême du Canada et celui de Vérificateur général. C’est ce même gouvernement qui a sans cesse renouvelé son soutien disproportionné envers les universités anglaises du Québec, envers des entreprises pancanadiennes sans souci de respecter la langue française et envers les associations anglo-québécoises qui affirmaient que l’anglais devait avoir le statut de langue menacée au Québec et qui prônaient une extension de l’usage de l’anglais en conséquence.

Deux exemples importants qui reposent sur une définition de ce type impliquent l’État québécois lui-même. À son adoption, la Charte de la langue française opposait francophones aux non-francophones selon le critère de la langue maternelle. Tout ce qui n’était pas francophone de langue maternelle était considéré comme relevant de la communauté anglophone. Le statut bilingue, par exemple, était accordé à toutes les municipalités où les non-francophones représentaient au moins la moitié de la population, et non pas là où les anglophones représentaient au moins 50 % de la population. Un glissement aux conséquences considérables pour plusieurs municipalités, se revendiquant toujours de cette erreur initiale.

Un autre exemple plus proche de cette définition a servi de base à l’octroi à l’Université McGill de l’un des deux mégahôpitaux universitaires du Québec ainsi que du gigantesque territoire du « Réseau universitaire intégré de santé » (le « RUIS ») McGill. Ce territoire inclut non seulement l’un des deux mégahôpitaux universitaires, le Centre universitaire de santé McGill (ou « CUSM »), mais aussi la quasi-totalité des institutions de santé situées dans l’ouest de l’île de Montréal. Ce qu’on sait moins est le fait que le RUIS-McGill inclut bien davantage de citoyens, soit un peu plus du tiers de la population québécoise (35 %). Il accorde un droit d’intervention premier ou secondaire à l’université McGill dans tout l’ouest de l’île de Montréal, l’ouest de la Montérégie, la quasi-totalité des Laurentides, la totalité de l’Outaouais et de l’Abitibi-Témiscamingue, de la Baie James et du Nord-du-Québec. Ce territoire (RUIS-McGill premier et secondaire cumulés) ne compte pourtant que 15 % d’anglophones de langue maternelle[14], ou 19 % d’anglophones selon la langue parlée le plus souvent à la maison, 23 % des effectifs ayant l’anglais pour première langue officielle parlée (dont la moitié des répondants anglais-français), 26 % utilisant l’anglais exclusivement ou principalement le plus souvent au travail[15], contre une proportion de 58 % d’effectifs connaissant l’anglais seulement, soit essentiellement des personnes bilingues anglais-français (49 %) puisque les unilingues anglais ne représentent que 9 % de la population. Notons aussi la présence de 13 % d’immigrés, 7 % de personnes nées dans le reste du Canada et 1 % d’Indiens inscrits. Rien qui ne justifie que le RUIS-McGill fonctionne en anglais.

C’est donc grâce à la surconnaissance de l’anglais chez les patients et à la connaissance « sans doute exemplaire du français chez le personnel » que le territoire a pu être désigné territoire d’intervention majeur ou mineur du RUIS-McGill. Le territoire comptait pourtant une écrasante majorité (95 %) de personnes connaissant le français seulement, au moins le français ou aucune langue officielle (1 %). Même le territoire du RUIS-McGill sur l’île de Montréal comptait une écrasante majorité connaissant au moins le français (92 %). C’est pourtant une définition gonflant artificiellement la minorité anglo-québécoise qui a amené à partager la RMR de Montréal pour en octroyer la moitié au RUIS-McGill. En ces temps de corruption à la pelle, ces statistiques semblent illustrer non pas l’influence d’une minorité minuscule, mais la puissance de groupes financiers occultes (maintenant mieux connus) qui ont cherché à multiplier les structures à leur profit.

3.2 La minorité historique nationale

Le concept le plus souvent opposé à celui de « communauté anglophone » est celui de « minorité historique nationale ». Au contraire de la première, la minorité historique nationale restreint les effectifs de la minorité. Il est vrai que les associations anglophones préfèrent parler de minorité puisque ce concept permet d’augmenter les effectifs. On englobe alors pêle-mêle tous les anglophones sans égard à leur province d’origine, à leur pays de naissance ou à leur origine ethnique. La minorité n’a plus besoin d’être limitée aux origines ethniques britanniques. Elle embrasse dorénavant celles de toute(s) autre(s) origine(s) et même… de nombreuses personnes d’origine française. Ce faisant, cependant, la minorité historique ne représente plus qu’une fraction de la communauté anglophone visée. Elle n’est aujourd’hui ni nationale ni historique. De plus, le mot « minorité » s’applique difficilement lorsqu’il est question de la communauté anglo-québécoise. Selon le Comité des droits de l’homme des Nations unies, la communauté anglo-québécoise n’est en fait que le prolongement de la majorité canadienne-anglaise (voire nord-américaine) sur le territoire de la vraie minorité, le Québec français. Parler d’une minorité ne fait donc pas consensus. Il apparaît plus approprié de parler de « communauté anglo-québécoise ».

À l’opposé de l’expression « communauté anglophone » – la version extensive –, l’expression « minorité historique » est plutôt le fait de nationalistes francophones. Sous cette définition particulièrement limitative, la minorité historique nationale renvoie au noyau originel de la communauté anglophone, soit la communauté d’origine ethnique britannique venue s’installer au Canada français après la Conquête. Il est conséquemment impossible d’inclure les effectifs qui se sont joints à ce noyau au fil des générations et des migrations. Il est évident que l’utilisation de ce concept revient à nier l’évolution subie tant par cette minorité britannique, dont beaucoup se sont assimilés linguistiquement à la majorité francophone, que par les membres de cette dernière, les francophones, qui se sont assimilés linguistiquement à la minorité. Cela revient également à ne pas reconnaître l’usage légitime de l’anglais par des individus de langue maternelle anglaise dont les parents, les grands-parents ou les générations antérieures ont connu une assimilation linguistique. Le concept conduit aussi à rejeter l’assimilation linguistique de personnes issues de l’immigration, mais tolère davantage les migrations interprovinciales d’Anglo-Canadiens en direction du Québec. Bref, la référence à un pseudo noyau britannique originel implique la mesure pour chaque individu d’un degré de pureté britannique. Invraisemblable, illégitime, un tel concept engendrerait tant d’injustices qu’il discréditerait pour de bon les revendicateurs d’une plus grande justice dans la répartition des pouvoirs et des ressources.

3.3 Choisir l’une ou l’autre définition ? La nécessité d’encadrer les flux humains

Faut-il pour autant abandonner toute idée de contrôle des mouvements démo-linguistiques sur le territoire québécois ? Adopter le concept de communauté anglophone, qui revient à inclure tous les anglophones sans égard à leur pays ou à leur province d’origine, en renonçant à ne pas diriger l’immigration anglophone en direction de la majorité francophone, et à ne pas diriger les petits écoliers francophones et immigrés vers les écoles primaires et secondaires françaises ? Une définition élargie amène à renoncer à combattre institutionnellement la domination d’une langue sur l’autre et à récompenser la domination et l’expansion de facto de la « minorité historique ». Il est plutôt banal d’affirmer que toute communauté politique doit impérativement contrôler ses frontières face aux flux migratoires pour assurer son avenir. Il n’existe aucun pays souverain qui ait renoncé à cette prérogative. Certains pays – comme la Suisse – voient même leurs entités subétatiques contrôler de manière très stricte les flux migratoires infranationaux qui les concernent. Pour les petites nations dominées sur le plan politique et en situation précaire sur le plan linguistique, en particulier pour celles vivant au sein d’États plurinationaux comme le Québec au sein du Canada, ce contrôle des frontières est une pure question de vie ou de mort.

Il n’y a pas à chercher loin pour s’apercevoir que de telles actions visant à encadrer les mouvements migratoires et linguistiques existent déjà au Canada et au Québec. En effet, la Charte de la langue française se proposait à l’origine de moduler la répartition des ressources par le biais du contrôle de l’inscription des enfants dans les écoles primaires et secondaires publiques. La loi 101 prévoyait initialement de n’inscrire dans les écoles publiques anglaises que les enfants dont au moins un parent avait étudié au primaire et au secondaire en anglais au Québec, ce que l’on avait appelé initialement la « clause Québec ». Ce qui devrait être l’un des mécanismes les plus efficaces par lesquels l’État québécois espérait façonner les mouvements migratoires interprovinciaux et protéger les territoires les plus fragiles fut déclassé (le 26 juillet 1984) par un jugement de la Cour suprême du Canada au nom de la Charte canadienne des droits et libertés adoptée en 1982. La clause Québec fut ainsi remplacée par la « clause Canada », qui permettait aux familles dont au moins l’un des parents avait reçu son enseignement primaire en anglais au Canada (puis la majorité de son enseignement primaire, puis la majorité d’une partie de son enseignement primaire) d’inscrire leurs enfants dans les écoles publiques anglaises du Québec. Dès lors, libres de s’installer partout sur le territoire québécois, il ne restait plus, pour freiner les mouvements migratoires de Canadiens anglais vers le Québec depuis 30 ans, que la peur de l’indépendance et d’un gouvernement nationaliste et interventionniste (avec les impôts plus élevés qui s’ensuivaient). L’imposition de la clause Canada a donc renforcé la position de l’anglais dans les territoires québécois les plus fragiles. La levée de la menace référendaire et le refoulement du nationalisme interne (celui qui vise des objectifs internes à la portée du gouvernement du Québec) ont ouvert corollairement la porte à l’installation permanente de Canadiens anglais des autres provinces et à la modification de l’équilibre linguistique au Québec, en particulier en Outaouais et sur l’île de Montréal.

La communauté anglophone inclut donc une large partie des personnes d’origine britannique qui utilisent toujours l’anglais le plus souvent comme langue à la maison, mais aussi d’autres effectifs anglicisés, soit de langue maternelle française ou d’autre(s) langue(s), sans égard au pays d’origine ou à la province de naissance ou à l’origine immigrée des individus concernés, c’est-à-dire dont un ou les deux des parents sont nés à l’étranger. Cette définition (déjà moins large que la définition d’origine de la loi 101 qui donnait droit au statut bilingue) donne droit au partage des pouvoirs et des ressources de l’État, à des institutions et à des services en anglais même pour des populations non anglophones et nouvellement arrivées au Québec. Par conséquent, au lieu de freiner l’assimilation vers l’anglais, elle stimule et récompense de facto l’assimilation vers l’anglais, qu’il s’agisse d’allophones ou de francophones. Elle répond à des exigences de marketing (en se satisfaisant de vendre produits et services aux populations qui connaissent l’anglais), d’économie (tel le partage du territoire québécois entre quatre RUIS dont un, le RUIS-McGill, entend fonctionner en anglais) et à un clientélisme politique (reflétant la surinfluence électorale des non-francophones).

Bref, la définition de la communauté répond à des exigences politiques autant chez la majorité francophone que chez la communauté anglo-québécoise. Pour être équilibrée, la définition idéale devrait repousser toute référence unique à l’héritage britannique. Elle devrait aussi résister à la tentation de récompenser les mouvements migratoires interprovinciaux et internationaux et les pressions assimilationnistes supérieures de l’anglais face au français. Elle devrait tenir compte des exigences de protection de la communauté francophone, en difficulté au Québec et largement minoritaire au Canada. Si la Clause Québec en matière de scolarisation des enfants n’existe plus, rien n’oblige l’État québécois à rester paralysé devant une assimilation de facto et devant des mouvements migratoires aux conséquences potentiellement délétères sur l’équilibre démographique et linguistique.

Dans l’optique d’une plus grande justice sociale et d’assurer une paix politique entre communautés, l’État québécois est légitimé de définir la dévolution des pouvoirs et l’allocation de ses ressources humaines et financières en tenant compte de l’objectif de pérennité de la communauté la plus fragile. Il n’existe aucune obligation de satisfaire une surdemande de services publics en anglais basée sur des mouvements migratoires incontrôlés et sur une assimilation linguistique déréglée chez les natifs francophones et allophones, et encore moins chez les immigrés ou enfants d’immigrés. Dans les limites du respect des droits individuels, l’État québécois conserve le pouvoir légitime de mettre en place un cadre protégeant la communauté dominée et de favoriser l’intégration des immigrés à celle-ci. La définition de la communauté anglo-québécoise se précise.

4. Une définition équilibrée de la communauté anglo-québécoise

Dans la version restrictive, l’une des variables les plus souvent évoquées (mais non utilisée, puisque la variable a été détruite par Statistique Canada à partir du recensement de 1996) pour mesurer la taille de la communauté anglophone est l’origine ethnique britannique. Mais les critiques et les limites du concept sont telles qu’elles appellent de toute façon à sa discréditation et au repli vers une solution plus réaliste et plus politiquement acceptable. En guise d’alternative, les versions habituellement utilisées pour mesurer la communauté anglo-québécoise (tableau 1) utilisent la plupart du temps la langue maternelle (8,2 %), une variable qui mesure la taille de la communauté avant l’apport issu de l’assimilation linguistique individuelle, mais tout de même après l’assimilation intergénérationnelle : des personnes de langue maternelle anglaise elles-mêmes immigrées ou ayant choisi d’élever leurs enfants en anglais sont considérées comme de purs anglophones, au même titre que des personnes d’origine ethnique britannique. La langue maternelle devient du coup une définition extensive de ce qu’est la communauté anglo-québécoise.

Tableau 1 : Profil linguistique du Québec et de la Région métropolitaine de recensement (« RMR ») de Montréal, recensement de 2006

Indicateurs linguistiques

Anglophones

Francophones

Allophones

Total

Québec

Connaissance des langues officielles (définition étendue, note 1)

45%

95%

1%

141%

Connaissance des langues officielles (définition stricte, note 2)

25%

74%

1%

100%

Première langue officielle parlée (définition étendue, notes 1 et 3)

15%

87%

1%

103%

Langue parlée le plus souvent au travail (notes 2 et 4)

15%

85%

1%

100%

Première langue officielle parlée (définition stricte, notes 2 et 3)

13%

86%

1%

100%

Langue parlée le plus souvent à la maison (notes 2 et 3)

11%

82%

7%

100%

Langue maternelle (notes 2 et 5)

8%

80%

12%

100%

Communauté anglo-québécoise : effectifs de langue maternelle anglaise nés au Québec dont les deux parents sont nés au Canada (notes 5 et 6)

3,5%

66%

31%

100%

Connaissance des langues officielles (définition étendue, note 1)

59%

91%

2%

152%

RMR de Montréal

Connaissance des langues officielles (définition stricte, note 2)

33%

65%

2%

100%

Première langue officielle parlée (définition étendue, notes 1 et 3)

25%

79%

1%

105%

Langue parlée le plus souvent au travail (notes 2 et 4)

23%

76%

1%

100%

Première langue officielle parlée (définition stricte, notes 2 et 3)

22%

76%

2%

100%

Langue parlée le plus souvent à la maison (notes 2 et 3)

17%

69%

13%

100%

Langue maternelle (notes 2 et 5)

12%

66%

22%

100%

Communauté anglo-québécoise : effectifs de langue maternelle anglaise nés au Québec dont les deux parents sont nés au Canada (notes 5 et 6)

5,0%

54%

42%

100%

Notes : (1) Version étendue : addition des réponses uniques et des réponses multiples. (2) Version stricte : répartition des réponses multiples au prorata des réponses mentionnées (par exemple, moitié-moitié entre anglais et français pour les effectifs disant connaître ou parler à la fois l’anglais et le français). (3) Variable élaborée pour l’application de la Loi sur les langues officielles ; dérivée à partir de la connaissance des deux langues officielles, de la langue maternelle et de la langue parlée à la maison. (4) Chez les 15 ans et plus seulement. (5) Première langue apprise à la maison et encore comprise lors du recensement. (6) Ces effectifs incluent les enfants de francophones élevés en anglais et tous les enfants dont les deux parents sont nés au Canada, mais dont l’un des grands-parents (ou davantage) est immigré.
Sources : Statistique Canada, Recensement de 2006, Statistique Canada, fichier Beyond 20/20 94-581-XCB2006005. Les données proviennent de Statistique Canada, Recensement de 2006, compilations spéciales. « Cela ne constitue pas une approbation de ce produit par Statistique Canada. » RUIS : Québec, Santé et Services sociaux, Direction des affaires universitaires, Direction générale des services de santé et médecine universitaire, Unité gestion de l’information, Direction générale adjointe des ressources informationnelles (mai 2005), Carte des Réseaux universitaires intégrés de santé – Offre des services de 2e et 3e lignes (surspécialisés) et de formation.

Certains vont plus loin en retenant plutôt la « langue parlée le plus souvent à la maison », dont les effectifs représentent 10,6 % de la population totale. La langue parlée constitue à leurs yeux un élargissement minimal et sensé pour désigner la communauté anglophone puisqu’elle permet d’inclure ceux qui ont délibérément choisi d’opter pour l’anglais au cours de leur vie. D’autres sont plus englobants encore lorsqu’ils retiennent la « Première langue officielle parlée » (« PLOP ») pour mesurer la communauté anglo-québécoise. La PLOP mesure en effet les effectifs francophones hors Québec et anglophones au Québec à partir desquels seront fournis les services gouvernementaux fédéraux – là où le nombre le justifie – (cet indicateur dispose dorénavant d’une copie provinciale, la « langue d’usage public »). La PLOP compte deux variantes, l’une plus stricte (13,2 %), l’autre plus large (14,6 % ; voir les différences entre ces définitions aux notes 1 et 2 du tableau 1). Même élargie de la sorte, la PLOP demeure insuffisante pour les esprits les plus militants. Ceux-ci se tournent alors vers la « Langue la plus souvent utilisée au travail » (14,7 %) ou, surtout, vers la « Connaissance des langues officielles », soit avec une définition plus stricte des effectifs (24,7 %), soit avec une définition carrément plus étendue (45,1 % ; voir les notes 1 et 2 du tableau 1).

Dans la RMR (« Région métropolitaine de recensement ») de Montréal, où se concentre la communauté anglophone, les effectifs de langue maternelle anglaise représentent 12,5 % de la population totale. Mais il est facile de l’augmenter de manière considérable (presque 40 % de plus) en utilisant la langue parlée le plus souvent à la maison puisque celle-ci indique la présence de 17,4 % d’anglophones dans la RMR. La proportion gonfle avec la « Première langue officielle parlée » (22,3 %), puis avec la « langue la plus souvent utilisée au travail » (23,0 %). Elle bondit encore avec la « connaissance de l’anglais uniquement ou avec une autre langue » après répartition au prorata des réponses multiples (33,2 %) et encore après addition de tous les répondants mentionnant connaître au moins l’anglais (59,2 %).

À la lumière des remarques formulées antérieurement, toutes ces définitions élargissent indument la taille de la communauté anglo-québécoise, que ce soit avec l’inclusion des effectifs nés à l’étranger, les effectifs nés dans les autres provinces canadiennes, ou les effectifs nés au Québec, dont un ou les deux parents sont nés hors du Canada[16]. Or il apparaît que l’équilibre entre francophones et anglophones serait effectivement rompu si la communauté anglo-québécoise pouvait librement inclure des effectifs canadiens nés hors du Québec ou des effectifs natifs ou immigrés de langue maternelle anglaise, ou assimilés à l’anglais ou élevés directement en anglais. Sous peine de placer cette dernière en situation périlleuse, l’État québécois ne devrait pas considérer que toute personne née à l’extérieur du Québec ait droit à des services complets en langue anglaise. Pas plus que les immigrés issus de pays anglais (telles la Jamaïque, les Bermudes ou la Barbade et autres pays des Antilles), les immigrés anglicisés ou issus de pays « anglotropes », c’est-à-dire tournés vers l’anglais (comme l’Italie, les pays est-européens et nord-européens, la Chine, la Grèce, Israël, l’Inde, le Pakistan, le Bengladesh et le Sri Lanka, l’Iran et les Philippines, etc.), ou les enfants d’immigrés élevés directement en anglais (récompensant et stimulant le choix des parents en faveur d’une assimilation directe de leurs enfants), l’État ne saurait accorder des droits particuliers en faveur des immigrés provenant des « bons » pays occidentaux anglais (tels les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Irlande, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, etc.). Et comme il est vital de prémunir le Québec contre des migrations interprovinciales susceptibles de perturber gravement l’équilibre entre les communautés, l’État ne saurait se considérer dans l’obligation de fournir des services publics complets à tous les Canadiens anglais nés hors du Québec et installés au Québec. Des régions dont l’équilibre linguistique est aussi fragile que l’Outaouais ou l’ouest de l’île de Montréal courent le risque d’une anglicisation rapide advenant l’absence de remparts institutionnels protégeant le français, ou simplement le relâchement des pressions sociales ou politiques nationalistes.

5. Géographie de la communauté anglo-québécoise

Les données commandées spécialement auprès de Statistique Canada ont permis de constituer différents portraits de la communauté anglo-québécoise. Les prochaines sous-sections de cet article présentent les portraits de 1) la communauté anglo-québécoise pour le Québec et la RMR de Montréal, 2) ses sous-ensembles géographiques compte tenu de la concentration de la communauté anglo-québécoise dans la RMR de Montréal et 3) la RMR de Montréal divisée en 67 quartiers géographiques de population à peu près égale.

5.1 Portrait du Québec et de la RMR de Montréal

La « communauté anglo-québécoise » est d’abord située par rapport aux autres indicateurs de la communauté anglophone (tableau 2). Il couvre le Québec et la RMR de Montréal. Les sources sont doubles ; les données relatives aux variables autres que la langue maternelle sont tirées du recensement de 2006 de Statistique Canada tandis que les données impliquant la langue maternelle proviennent de commandes spéciales. Celles-ci, sous leur forme originale, ventilent les effectifs de langue maternelle anglaise (après simplification des réponses multiples) âgés de 15 ans et plus. Cette ventilation a servi de base pour estimer la répartition des moins de 15 ans, lesquels ont été ajoutés aux premiers effectifs pour dresser le portrait de toute la population pour chaque entité géographique.

Des 45,1 % que compte la communauté élargie à son maximum au Québec – 59,2 % dans la RMR de Montréal – , la communauté anglo-québécoise ne compte plus que pour 3,5 % de la population totale du Québec, lorsque déterminée selon la langue maternelle, le lieu d’origine et le statut des générations. Les Anglo-Québécois, c’est-à-dire les anglophones de langue maternelle nés au Québec dont les parents sont nés au Canada, ne comptaient donc que 250 942 personnes en 2006. Dans la RMR de Montréal, ils ne représentaient que 5,0 % des Montréalais, soit un maigre 167 849 personnes (ce qui laisse 83 093 personnes hors RMR de Montréal, ou 2,2 % de la population).

Ces nombres et ces proportions comptent, il convient de le souligner, plusieurs effectifs de personnes d’origine française ou d’origine immigrée de par l’un – au moins – de leurs parents. Par exemple, sous cette définition, des membres éminents de la communauté anglo-québécoise tels le président du Quebec Community Groups Network[17] ou la directrice générale de ce même groupe de pression, ou encore la moitié des douze membres du conseil d’administration du QCGN sont considérés de faire partie de la communauté anglo-québécoise malgré l’assimilation linguistique de leurs aïeux francophones. L’affirmation du président du QCGN reste parfaitement valable sous la définition retenue de la communauté anglo-québécoise : son biculturalisme se veut une « preuve vivante de la dualité culturelle et linguistique du Québec et du Canada[18] », un apport vivant de la majorité francophone à la vitalité de la minorité anglophone.

5.2 Les sous-ensembles régionaux de la RMR de Montréal

La décomposition du territoire de la RMR de Montréal en ses entités géographiques primaires indique une réalité bien différente de ce que l’on connaît de la communauté anglophone (tableau 3). Si, dans la RMR de Montréal, la communauté anglo-québécoise atteint 5,1 % des effectifs, ces proportions n’atteignent que 6,8 % pour l’Île de Montréal, un maigre 11,3 % pour l’ouest de l’île de Montréal (à l’ouest du boulevard Saint-Laurent), un rachitique 18,5 % pour l’extrême ouest de l’île (dont Dorval, Pierrefonds-Roxboro et toutes les municipalités de l’île situées plus à l’ouest).

L’est de l’île de Montréal sidère par la faiblesse de la communauté anglo-québécoise. Avec une proportion anémique de 1,6 % de la population totale, l’Est compte légèrement moins d’Anglo-Québécois que Laval (2,7 %), la Montérégie (4,5 %) et la Couronne de Montréal (Laval, Montérégie, Laurentides et Lanaudière) dans son ensemble (3,4 %). Ces mesures tranchent singulièrement avec celles portant sur la connaissance de l’anglais (première colonne du tableau). Ces dernières montrent à quel point la prédominance de l’anglais peut aller loin lorsque cet indicateur est choisi (ex. : 1,6 % d’Anglo-Québécois dans l’est de Montréal, mais 52 % de la population connaissant au moins l’anglais).

Enfin, pour l’ensemble de la RMR, l’augmentation du poids de la communauté anglo-québécoise se fait de la manière suivante : un apport représentant 5 % d’anglophones par le biais des « substitutions linguistiques » (ces substitutions linguistiques proviennent des effectifs de langue maternelle française ou autre(s) nés au Québec de troisième génération, c.-à-d. dont les parents sont nés au Canada), un apport de 4 % d’anglophones provenant des « enfants d’immigrés nés au Canada », de 2 % d’anglophones provenant des « immigrés » et 2 % provenant des « Canadiens hors Québec ». L’île de Montréal et la couronne s’opposent de manière marquée : les apports respectifs d’anglophones provenant des « substitutions », des « enfants d’immigrés », des « Canadiens hors Québec » et des « immigrés » étaient de 2 %, 2 %, 1 % et 1 % pour la couronne. Dans l’ile, ils atteignaient partout le triple de ces proportions, soit respectivement 6 %, 6 %, 3 % et 3 %. L’ouest était plus tranché, avec des apports respectifs de 8 %, 9 %, 5 % et 5 %, tandis que l’extrême ouest l’était encore davantage (respectivement 13 %, 13 %, 5 % et 5 %).

5.3 Les 67 quartiers de la RMR de Montréal

L’état de la situation passe par la comparaison de territoires géographiques de population de taille relativement semblable, ce qui permet ensuite d’éviter d’insister sur des microsituations ou d’en négliger d’autres d’importance démographique pourtant plus imposante. La RMR de Montréal a donc été divisée en 67 quartiers (voir les cartes jointes, avec numéro et définition des quartiers en section A3 de l’annexe), comptant chacun une population moyenne de 50 000 personnes plus ou moins 2400 personnes (un écart-type). Le tableau 4 présente les dix quartiers comptant les plus fortes proportions de membres de la communauté anglo-québécoise (les données pour les 57 autres quartiers se trouvent en section A4 en annexe).

Les effectifs d’Anglo-Québécois comptent pour moins de 20 % de la population dans ces quartiers sauf un, Pointe-Claire-Beaconsfield. Seuls trois autres quartiers comptent au moins 10 % d’Anglo-Québécois, soit Châteauguay (11,3 %), LaSalle-Ouest (10,8 %) et Pointe-Saint-Charles (10,4 %). Ils étaient d’ailleurs six de plus à en compter au moins 5 %. Si faibles soient-ils, ces pourcentages n’empêchent pas de voir que sept de ces dix quartiers comptent une population dont au moins 84 % disait connaître au moins l’anglais.

Cette connaissance de l’anglais est remarquable pour une population dont moins de la moitié est de langue maternelle anglaise (tous les quartiers sont dans cette situation sauf un, Pointe-Claire–Beaconsfield). Il s’agit d’un rayonnement plutôt spectaculaire de la langue anglaise. En termes clairs, ces dix quartiers les plus anglo-québécois peuvent donner l’impression à ceux qui y habitent que l’anglais y est la langue commune et que l’écrasante majorité des citoyens y parle l’anglais. Ces quartiers sont cependant bien différents des communautés anglo-québécoises d’origine, qui n’y représentaient en moyenne que 15 % de la population totale. La croissance de la communauté anglo-québécoise provient d’anglophones ajoutés par le biais des enfants d’immigrés (11 %), des substitutions linguistiques (10 %), des Canadiens hors Québec (6 %) et des immigrés (6 %). Pour obtenir une majorité de locuteurs anglophones, la définition devait s’élargir jusqu’à comprendre les locuteurs ayant l’anglais pour Première langue officielle parlée. Mais c’est surtout l’utilisation de la connaissance d’au moins l’anglais qui fait que 43 des 67 quartiers sont alors des lieux où l’anglais est connu d’une majorité de la population, ce qui laisse 15 autres quartiers où l’anglais est connu de 40 % à 50 % de la population, et 9 quartiers, en deçà de 40 %.

C’est au niveau des entités politiques et juridiques que l’utilisation de définitions élargissant les effectifs de la communauté anglo-québécoise a sa portée la plus grande.

6. La communauté anglo-québécoise dans les entités juridiques et politiques

Les entités politiques jouent un rôle de premier plan dans la dynamique politique qui s’enclenche notamment en matière de dynamique linguistique et démographique de Montréal, de la RMR de Montréal et, au-delà, du Québec. En guise d’entrée en matière, la section 6.1 donne le portrait de la Ville de Montréal d’avant les fusions municipales de 2001 et celui actuel, à l’issue des défusions de 2006. La section 6.2 présente le portrait des anciens et des nouveaux arrondissements de la Ville de Montréal, notamment l’usage des langues sur le plan local en regard à l’expansion possible du statut bilingue à certains d’entre eux. Poursuivant dans cette lancée, les sections 6.3, 6.4 et 6.5 présentent respectivement les données sur la situation des Anglo-Québécois dans les municipalités de l’Île de Montréal, puis dans les municipalités de la Couronne de Montréal et, enfin, dans les arrondissements et les municipalités à statut bilingue de la RMR.

6.1 La nouvelle ville et l’ancienne Ville de Montréal

Grâce à l’ajout de douze anciennes villes de banlieue, la nouvelle Ville de Montréal d’après les défusions de 2006 a vu la communauté anglo-québécoise augmenter sa part de la population totale à 4,8 % alors qu’elle n’en représentait que 3,6 % avant les fusions de 2001 (tableau 5). Les fusions municipales ont donc eu un impact à la baisse sur le caractère français de la Ville de Montréal. Tel n’est pas le cas des villes de banlieue de l’Île de Montréal. Chez les quinze qui ont défusionné d’avec Montréal en 2006, le caractère anglo-québécois a en effet augmenté. De 10,7 % chez les 27 villes de banlieue, la communauté anglo-québécoise est passée à 20,0 % dans les quinze villes défusionnées en 2006. De même, la connaissance de l’anglais ou de l’anglais et du français y a progressé de manière marquée, passant de 74 % à 93 % en 2006.

6.2 Les arrondissements de la Ville de Montréal

Le portrait de la communauté anglo-québécoise dans les arrondissements de Montréal débouche sur des débats on ne peut plus actuels (tableau 6). De son côté, l’arrondissement de Pierrefonds-Roxboro (13,8 % d’Anglo-Québécois contre 86 % de personnes connaissant au moins l’anglais) dispose du statut d’arrondissement bilingue. De l’autre, plusieurs autres arrondissements qui appuient Pierrefonds-Roxboro dans la défense de son statut bilingue pourraient, dans la foulée de ces discussions politiques, le réclamer pour eux-mêmes. Au fur et à mesure que se fera la prise de conscience des anglophones de leur pouvoir au sein de la Ville de Montréal, plusieurs arrondissements se considérant déjà comme massivement anglophones (en utilisant la définition la plus élargie de la communauté, la connaissance d’au moins l’anglais) seraient tentés d’emboiter le pas à plus ou moins brève échéance. On note les arrondissements de Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce (84 % de personnes connaissant l’anglais), LaSalle et L’Île-Bizard-Sainte-Geneviève (chacun 78 %), Saint-Laurent (77 %), Ville-Marie (le centre-ville névralgique de Montréal, avec 74 %), Verdun (70 %), Lachine et le Plateau-Mont-Royal (chacun 69 %).

Quatre de ces arrondissements dans l’antichambre d’un statut bilingue ne comptent pourtant qu’environ 10 % à 12 % d’Anglo-Québécois (Verdun, 11,1 %, LaSalle, 10,9 %, Lachine, 10,7 %, Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce, 10,1 %). Certains ont moins de 10 % d’Anglo-Québécois (L’Île-Bizard-Sainte-Geneviève, 8,7 %, Sud-Ouest, 8,0 %) tandis que d’autres affichent des proportions négligeables (Saint-Laurent, 5,7 %, Ville-Marie, 4,8 % et le Plateau-Mont-Royal, 2,8 %). La croissance de la communauté anglo-québécoise, dans les nouveaux arrondissements (les anciennes villes de banlieue nouvellement fusionnées), s’est faite par le biais des substitutions linguistiques (7 %), par l’apport des enfants d’immigrés (6 %), l’apport d’immigrés anglophones (3 %) et l’apport de Canadiens nés hors du Québec (2 %). Les proportions sont plus faibles dans les anciens arrondissements de Montréal : les apports respectifs sont de 4 % pour les substitutions, 4 % pour les enfants d’immigrés, 2 % pour les immigrés et 3 % pour les Canadiens hors Québec.

Il n’existe donc aucun arrondissement montréalais qui puisse légitimement réclamer un statut bilingue, pas même Pierrefonds-Roxboro (13,8 % d’Anglo-Québécois). Considérant le climat de peur qui sévit dans les milieux les moins francophones, considérant la méfiance envers tous les gouvernements quels qu’ils soient et quoi qu’ils fassent pour protéger le français, il apparaît quasi certain que tout nouvel arrondissement bilingue sera lui aussi, dans les faits, soulagé de l’obligation de protection du français (plus de trente ans après les avoir exigés, l’État québécois attend encore les plans de francisation des municipalités bilingues) et n’aura que peu d’intérêt à le faire. De même, la révocation du statut bilingue d’une municipalité ou d’un arrondissement, même en dépit d’une évolution linguistique contraire, semble être une garantie peu prometteuse pour le français a fortiori parce que la décision dépend toujours du bon vouloir des populations locales. Il y a fort à douter que jamais celles-ci ne jugeront nécessaire de révoquer leur propre statut. Cela transforme donc un pur statut juridique accordé en août 1977 par la loi 101 en un statut… éternel.

6.3 Les municipalités de l’île de Montréal

Le portrait d’ensemble des quatorze municipalités défusionnées de l’île de Montréal (sauf L’Île-Dorval, six habitants) s’inscrit dans la foulée des portraits des anciens puis des nouveaux arrondissements : affichant de plus importantes communautés anglo-québécoises, ils montrent aussi une prédominance plus prononcée de l’anglais selon les autres indicateurs. Toutefois, dans ces municipalités défusionnées, la communauté anglo-québécoise ne constitue qu’une faible moyenne de 21 % de la population. Son poids relatif varie de 31 % à Montréal-Ouest jusqu’à 3 % à Montréal-Est. (Celle-ci, minuscule municipalité en population, mais dotée d’un gigantesque parc industriel, fait figure d’exception. La connaissance d’au moins l’anglais n’y est que de 38 % alors que la proportion minimale pour toutes les autres municipalités défusionnées s’élève plutôt à 88 % à Mont-Royal et à Sainte-Anne-de-Bellevue.)

Certaines municipalités présentent des communautés anglo-québécoises exceptionnellement faibles. C’est le cas de Mont-Royal, avec 6,9 % de sa population. Cinq autres demeurent en deçà des 20 %, soit Senneville (14,6 %), Côte-Saint-Luc (15,5 %), Kirkland (19,5 %), Dollard-des-Ormeaux (19,6 %) et Sainte-Anne-de-Bellevue (19,7 %). Westmount n’en a guère davantage (22,7 %), à l’instar de Beaconsfield (23,0 %), Dorval (22,3 %) et Baie-d’Urfé (22,1 %).

Grâce à l’apport des anglophones nés de parents d’immigrés (16 %), à celui des anglophones nés dans le Canada hors Québec (9 %), à celui des anglophones nés à l’étranger (7 %) et à celui des assimilés nés au Québec de parents nés au Canada (12 %), les communautés anglo-québécoises passent de 21 % de la population à 65 % selon la langue parlée le plus souvent à la maison (53 % selon la langue maternelle). Elles augmentent à nouveau à 68 % pour l’anglais selon la Première langue officielle parlée et à 94 % pour ceux qui connaissent au moins l’anglais.

Décrit comme l’écart entre la proportion d’Anglo-Québécois et la proportion de la population connaissant au moins l’anglais, le rayonnement de l’anglais est supérieur à celui retrouvé dans les arrondissements montréalais, y compris les nouveaux arrondissements issus des villes fusionnées. Il varie de 66 % jusqu’à 84 %.

6.4 Les municipalités de la couronne de Montréal

Plusieurs communautés anglo-québécoises se sont historiquement implantées dans la couronne de Montréal, plus particulièrement dans l’ouest de la RMR, autour des lacs Saint-Louis et Deux-Montagnes. Ces communautés comprennent notamment Châteauguay, Deux-Montagnes, L’Île-Perrot, Léry, Vaudreuil et Candiac. Elles en incluent d’autres, un peu plus éloignées, telles Saint-Lambert, Saint-Bruno-de-Montarville, Saint-Lazare, etc. Chacun de ces noms évoque des communautés anglophones considérées a priori solidement établies. Elles sont le plus souvent de statut socio-économique supérieur aux populations des municipalités plus francophones avoisinantes, et elles affichent d’ailleurs des taux de substitutions linguistiques lourdement favorables à l’anglais depuis le début des années soixante-dix tout au moins.

Le tableau 8 démystifie pourtant ce qu’est ce Montréal anglophone de banlieue. On y identifie les quatorze plus importantes communautés anglo-québécoises parmi les 65 municipalités de la couronne de Montréal. (Les municipalités à statut bilingue que sont Rosemère, Hudson, Pincourt et Otterburn Park complètent naturellement ce portrait, mais elles ne figurent pas au tableau 8 puisqu’elles sont traitées dans la section suivante sur les municipalités bilingues.) Comme auparavant, en dépit de leur importance évocatrice, ces municipalités comptent d’infimes communautés anglo-québécoises. Saint-Lazare, qui est une municipalité ayant littéralement connu une explosion démographique récente, est la municipalité qui compte la communauté anglo-québécoise au poids relatif le plus important de la couronne de Montréal, avec 17,4 % de sa population. Châteauguay suit, avec 14,7 % d’Anglo-Québécois. À l’exception de Notre-Dame-de-l’Île-Perrot (10,7 %) et de Deux-Montagnes (10,4 %), les deux seules autres municipalités qui se situent au-dessus de la barre des 10 %, on ne compte que dix autres municipalités qui comptent plus de 5 % d’Anglo-Québécois, ce qui laisse les 51 autres en deçà de 5 %. Parmi ces municipalités se retrouvent notamment Brossard, avec 4,9 %, Longueuil (4,0 %), Lorraine (3,7 %), Chambly (3,5 %) et Laval (2,7 %).

Comme pour les arrondissements et les municipalités précédentes, l’importance de l’anglais croît avec l’élargissement de la définition de la communauté. Les quatorze municipalités comptent des communautés anglo-québécoises représentant en moyenne 9 % de la population totale, 17 % d’anglophones de langue maternelle, 21 % d’anglophones selon la langue parlée le plus souvent à la maison et 65 % de personnes connaissant au moins l’anglais. L’apport des substitutions linguistiques vers l’anglais prédomine légèrement dans l’accroissement du poids des communautés anglo-québécoises, tandis que l’apport des immigrés semble la plus faible voie permettant l’expansion des communautés locales.

6.5 Les arrondissements et les municipalités à statut bilingue de la RMR de Montréal

La RMR de Montréal compte deux arrondissements à statut bilingue, l’un à Montréal, l’arrondissement Pierrefonds-Roxboro, l’autre à Longueuil, l’arrondissement Greenfield Park. Douze municipalités de l’île de Montréal s’ajoutent au nombre des municipalités à statut bilingue, et quatre autres dans la couronne de Montréal. Globalement, ces « seize municipalités et deux arrondissements bilingues » présentent de faibles communautés anglo-québécoises représentant en moyenne 18 % de la population totale. Pourtant, leurs effectifs de langue maternelle anglaise représentent en moyenne 44 % de leur population tandis que leurs effectifs de langue parlée le plus souvent à la maison atteignent 56 %. La proportion de leur population connaissant au moins l’anglais atteint presque neuf citoyens sur dix.

Dans ces seize municipalités et deux arrondissements, le maintien du statut bilingue pour des communautés anglo-québécoises qui ne représentent que 18 % de la population locale dépend entièrement de l’apport en locuteurs anglophones de sources externes aux communautés anglo-québécoises : 14 % d’enfants d’immigrés, 12 % de substitutions linguistiques en provenance des allophones comme des francophones, 6 % pour les immigrés et autant pour les Canadiens d’autres provinces. Ce portrait vaut pour tous les arrondissements et toutes les municipalités à statut bilingue, sauf pour Hudson, Senneville et Baie-d’Urfé, où l’apport des Canadiens hors Québec est la première source d’expansion des communautés anglo-québécoises.

Partout où les communautés anglo-québécoises ont de l’importance, le français semble être seul, à titre de langue commune, de langue des affaires, de la consommation et du travail, à faire les frais de « la politique de la gouvernance locale », de la « dévolution des pouvoirs », de la « décentralisation des pouvoirs », du « principe de l’autonomie municipale », de la « démocratie de proximité ». Or les écrits scientifiques ont montré que, lors des élections dans ces milieux sous statut bilingue ou à présence notable de communautés anglo-québécoises, les candidats qui désirent protéger le français et les populations francophones sont politiquement impuissants parce qu’écartés du pouvoir à tous les niveaux de représentation, provincial, fédéral, municipal et autres instances locales. Seules les populations francophones vivant en milieu essentiellement francophone peuvent accéder à la représentation et contrebalancer les pressions politiques favorables à l’anglais. Malheureusement, cette solidarité souffre de ce que les seconds sont peu intéressés par la défense de leurs droits et la question linguistique du fait qu’ils ne ressentent ni les pressions de l’anglais dans leur milieu ni la nécessité de redresser la situation du français. Les lois linguistiques ont jusqu’à présent plutôt débouché sur la protection des enclaves anglophones les plus assimilationnistes, le rejet de l’activisme francophone et la reproduction d’une structure du pouvoir qui rend les francophones impuissants.

7. Concilier disparition de la communauté historique nationale avec extension du pouvoir de la communauté anglo-québécoise
7.1 Définir la communauté anglo-québécoise

La définition de ce qu’est la communauté anglo-québécoise est l’objet de pressions continuelles pour le choix d’un indicateur privilégié. Du point de vue anglophone, la définition la plus large possible doit primer. Sont alors considérés anglophones tous ceux qui connaissent cette langue, ou tous ceux choisissent cette langue de préférence au français (première langue officielle parlée ou langue parlée le plus souvent à la maison) ou tous ceux qui sont de langue maternelle anglaise, qu’ils soient immigrés, enfants d’immigrés ou nés dans le Canada hors Québec.

Du côté nationaliste, la communauté anglophone devrait être limitée à la seule minorité historique nationale. Si cette définition pose quantité de problèmes qui en appellent irrémédiablement le rejet, elle met néanmoins le doigt sur de nouvelles dimensions liées à la survie et à la vitalité de la langue française :

  • La communauté anglo-québécoise, si elle n’est ni minoritaire, ni historique et ni nationale, doit-elle pour autant inclure les effectifs nés à l’étranger, au risque de compromettre l’équilibre général entre francophones et anglophones ?
  • Doit-elle inclure les enfants d’immigrés élevés directement en anglais (notamment les immigrés arrivés ailleurs au Canada et les enfants des travailleurs temporaires), récompensant ainsi les parents qui ont fait le choix de l’anglais ? Des enfants dont on sait que même la fréquentation obligatoire des écoles françaises primaires et secondaires ne parvient pas à en faire des membres à part entière de la communauté francophone ?
  • Doit-elle inclure les Canadiens nés (ou les immigrés admis) dans les autres provinces qui migrent vers l’Outaouais et vers Montréal, au risque d’anglicisation massive de ces régions, via notamment les fonctionnaires, les travailleurs et les étudiants temporaires ?
  • Même ainsi restreinte, la communauté anglo-québécoise inclut toutes les personnes de langue maternelle anglaise dont les parents sont nés au Canada, ce qui inclut notamment une part impressionnante de personnes d’origine française ou immigrée. Les 3,5 % d’Anglo-Québécois à l’échelle du Québec, 5,0 % dans la RMR de Montréal et 2,2 % pour le Québec hors Montréal surestiment de moitié la proportion de la population de langue maternelle anglaise et d’origine britannique née au Québec : la minorité historique nationale est disparue. Coupée de ses sources d’immigration, en proie à un faible dynamisme démographique interne (faible natalité et forte émigration), la communauté anglo-québécoise est elle aussi à peu près disparue à l’échelle du Québec et dans la RMR de Montréal.

Toute définition met en jeu la survie de la majorité francophone. Pour faire face à l’avenir, celle-ci a pour tâche de moderniser ses lois afin d’assumer la disparition de la communauté historique nationale, et de créer un creuset d’intégration francophone, notamment par la création d’un encadrement favorable au changement des comportements individuels et l’établissement du plein contrôle des affaires de la cité par les francophones. Quels que soient les critères choisis, chacune des définitions a des impacts considérables dans l’allocation des ressources financières, qu’il s’agisse des fonds dépensés en santé, en services sociaux ou en éducation, mais également en culture et loisirs, etc.

En chaque domaine, l’État québécois conserve toute latitude pour décider de ce que sera le Québec de demain. La constitution canadienne ne prévoit pas qu’un Réseau universitaire intégré de santé couvrant 35 % de la population doit être confié à l’Université McGill, que 35 % à 40 % des chaires de recherche du Canada doivent être allouées aux universités anglaises, que la Charte de la langue française devait considérer, à l’origine, que les effectifs allophones étaient à ajouter aux effectifs anglophones pour l’octroi du statut bilingue, ou que Brossard doit couvrir les besoins en livres anglais pour sa bibliothèque publique pour une population à 31 % de première langue officielle parlée anglaise alors que sa communauté anglo-québécoise n’atteint même pas 5 %. Chaque jour, des travailleurs nés ici ou venus s’y établir font face à la domination de l’anglais au travail. Chaque jour, des choix sont faits.

7.2 Une communauté anglo-québécoise si faible, mais plus puissante que jamais ?

Évidemment, le fait que la communauté anglo-québécoise ne pèse pour presque plus rien démographiquement dans le décor québécois ne correspond pas à l’hypothèse pour la communauté francophone d’une perte d’influence dans la dynamique politique. La communauté anglo-québécoise ne correspond pas aux frontières réelles de la communauté. Sur le plan politique, elle additionne tous les effectifs ayant opté pour l’anglais comme première langue officielle parlée. En outre, ces effectifs comprennent les natifs anglophones de langue maternelle, ceux qui se sont joints au groupe par assimilation linguistique, ceux qui, parmi les immigrés, sont soit anglophones, soit anglicisés ou soit tournés vers l’usage de l’anglais (les « anglotropes ») plutôt que vers l’usage du français. Or comme les volumes d’immigration ont augmenté au cours des quinze dernières années, la proportion d’anglophones, d’anglicisés et d’anglotropes a elle aussi augmenté, et ce qui augmente en faveur d’une langue d’une part le fait nécessairement aux dépens de l’autre. Certains quartiers ont vu augmenter de manière marquée le poids de l’anglais dans leur population. C’est le cas des quartiers du Plateau-Mont-Royal, gagnés par l’expansion du nombre d’étudiants de l’Université McGill, de la transformation des quartiers de Laval maintenant directement desservis par le métro, etc.

Étant donné le vote bloc des non-francophones et la répartition particulière de ceux-ci, compte tenu également des effets multiplicateurs du mode de scrutin majoritaire, les non-francophones disposent d’une influence considérable puisque la majorité francophone, comme le fait toute majorité sur son territoire, vote de manière divisée entre les différents partis. Ainsi, à Montréal, ce vote bloc constitue un obstacle quasi insurmontable à l’élection de partis nationalistes. Celle-ci ne devient possible qu’à partir du moment où les francophones votent massivement en faveur d’un parti nationaliste, lorsque suffisamment d’entités électorales (circonscription, municipalité, arrondissement, etc.) comptent chacune une proportion suffisante de francophones pour battre le vote bloc non-francophone (il faut d’ailleurs au moins 75 % de francophones sur l’île de Montréal, 80 % dans la couronne de Montréal et 90 % dans le Québec hors Montréal pour faire élire quelques candidats nationalistes, mais davantage pour faire élire un gouvernement nationaliste). À moins de ces trois conditions, aucun parti nationaliste, dans un cadre bipartisan, ne peut accéder au pouvoir. Dans un jeu électoral impliquant trois partis ou plus, comme celui prévalant depuis quelques élections au Québec, les possibilités de faire élire de tels partis diminuent puisqu’alors que le vote francophone s’éparpille tandis que le vote non francophone se maintient sur un seul parti.

Si le système électoral permet au vote bloc des non-francophones d’étendre son influence en la multipliant par un facteur de six, un peu comme s’ils étaient six fois plus nombreux dans l’électorat (ou que les francophones y étaient six fois moins nombreux), le contexte multipartisan actuel en étend encore davantage l’influence. Au moment où tous les partis francophones majeurs renient le nationalisme, l’électorat francophone se divise entre davantage de partis qu’auparavant. D’un système bipartisan à parti dominant, le PLQ, le Québec a maintenant évolué vers un système multipartisan à parti dominant, le PLQ. Bref, le système partisan québécois est aujourd’hui tout occupé à se reproduire. Les uns misent sur la promotion du rêve de l’indépendance, les autres misent sur le rêve de l’enrichissement. Mais aucun ne s’engage à livrer bataille pour la réforme des structures de pouvoir qui, pourtant, les définissent. q

Annexe

A1 – Encadré 1 : Perceptions des anglophones et des allophones relativement à la survie de la langue française, Québec, janvier 2012*.

Items

Par groupe d’âge

Langue maternelle

Anglaise

Autre(s)

Anglaise-

Autre(s)**

Ont parlé en français une heure ou moins durant la semaine.

Tous : 48%

18-34 ans : 46%

35-54 ans : 41%

55 ans et + : 60%

50 %

38%

58%

A personnellement vécu toute sa vie au Québec sans avoir de conversations significatives en français.

Tous : 52%

18-34 ans : 47%

35-54 ans : 52%

55 ans et + : 56%

51 %

55 %

49 %

En accord avec « Possible de vivre au Québec sans avoir de conversations significatives en français. »

Tous : 63%

18-34 ans : 59%

35-54 ans : 66%

55 ans et + : 63%

65 %

53 %

64 %

Estime que 60 % de la population québécoise ou moins parle français.

Tous : 33%

18-34 ans : 42%

35-54 ans : 35%

55 ans et + : 25%

33 %

35 %

41 %

« À votre avis, les grandes entreprises montréalaises devraient-elles avoir le droit d’embaucher des unilingues anglophones comme cadres supérieurs, même si cela signifie que les salariés francophones devront travailler en anglais ? »

Tous : 63%

18-34 ans : 74%

35-54 ans : 64%

55 ans et + : 53%

63 %

67 %

69 %

« Compte tenu de la mondialisation et du pouvoir de la langue anglaise, ce n’est qu’une question de temps avant que l’essentiel du travail soit réalisé en anglais à Montréal. »

Tous : 54%

18-34 ans : 65%

35-54 ans : 55%

55 ans et + : 42%

51 %

60 %

66 %

En accord avec « j’espère que le français demeure à Montréal mais je crois qu’il s’agit d’une bataille perdue. »

Tous : 31%

18-34 ans : 32%

35-54 ans : 30%

55 ans et + : 31%

29 %

39 %

33 %

« La position prédominante du français est la composante clé de l’originalité de Montréal. Sans elle, la ville perdrait son âme. »

Tous : 62%

18-34 ans : 67%

35-54 ans : 64%

55 ans et + : 57%

62%

60%

73%

« Je suis en paix avec l’idée que Montréal deviendra une ville où l’anglais prédominera, alors que le reste de la province conservera son charme francophone. »

Tous : 59%

18-34 ans : 77%

35-54 ans : 56%

55 ans et + : 46%

58 %

65%

57%

« En tant que citoyen du Québec, je ne crois pas qu’il est de mon devoir de faire en sorte que le français demeure la principale langue du Québec » Tous : 72% ; 18-34 : 79 % ; 35-54 : 75 % ; 55+ : 63 %

Tous : 72%

18-34 ans : 79%

35-54 ans : 75%

55 ans et + : 63%

73 %

68 %

75 %

* Sondage CROP-L’Actualité-98,5 FM réalisé du 11 au 14 janvier 2012 par l’intermédiaire d’un panel Web. Sur les 752 participants qui ont rempli le questionnaire, on comptait 560 dont la langue d’usage n’était pas le français et qui étaient âgés de plus de 18 ans (répartis en trois groupes selon la langue maternelle : 438 anglophones, 88 allophones, 34 anglophone/allophone). Deux sur trois étaient nés au Canada ; dans l’autre tiers, 56 % y habitaient depuis plus de 20 ans et 72 %, depuis plus de 10 ans. Comme l’échantillon était non probabiliste, le calcul de la marge d’erreur ne s’appliquait pas. ** Individus ayant au moins l’anglais comme langue maternelle, et une ou deux autres langues maternelles.
Source : * Jean-François Lisée, « Que veulent les Anglo-Québécois ? », dans L’Actualité, 5 avril 2012.
A2 – Encadré 2 : Des dérapages incompréhensibles : une semaine durant la campagne électorale des élections provinciales du 4 septembre 2012
  • « C’était à prévoir, la reprise du débat autour de la laïcité et des accommodements raisonnables a valu une pluie de critiques à la chef péquiste. Au National Post […] Chris Selley […] comprend la situation différente du Québec, mais cela ne l’empêche pas d’y voir de l’intolérance […] “la peur d’un quelconque ressac n’a jamais été une bonne raison pour justifier le silence des Canadiens face à l’intolérance. Ce serait humiliant. Si le pays ne pouvait survivre au fait d’exposer les tendances xénophobes et étroites d’esprit du Québec, nous aurions au moins conservé notre fierté”. Son collègue Jonathan Kay : “La loi serait plus claire si on remplaçait le mot ‘ostentatoire’ par ‘ethnique’. Mme Marois n’a aucun problème avec la religion en soi, seulement avec celles qui viennent avec un accent et une peau bronzée.” » (Manon Cornellier, Le Devoir, samedi 18 août 2012)
  • Pour Tasha Kheiriddin, toujours du Post (et commentatrice régulière au service des nouvelles télé de Radio-Canada), « la xénophobie se porte bien au Québec ». Elle en veut pour preuve les remarques de François Legault au sujet des enfants asiatiques, l’interdiction de certains symboles religieux envisagée par Pauline Marois et les déclarations du maire de Saguenay, Jean Tremblay, au sujet de Djemila Benhabib. Selon elle, tout cet épisode met « en relief le fait qu’il y a deux Québec, l’un pluraliste à Montréal et l’autre, plus homogène, c’est-à-dire blanc, francophone et catholique, dans les régions ».
  • À « …l’agence QMI, on trouve Pauline Marois « pire » que René Lévesque, car « s’il y a toujours eu un élément raciste au projet de Lévesque de diviser le Canada et de préserver la domination francophone, il n’avait pas cette mauvaise odeur qui entoure le sécuralisme outrancier de Marois ». […] Le fossé qu’elle creuse est entre les Québécois eux-mêmes. Un projet, poursuit l’agence, digne du Front national français.
  • « Odieux, c’est la seule façon de décrire la dernière tactique du Parti québécois pour protéger son avance », affirme le Toronto Star. « Encore une fois, le parti se positionne comme le champion de l’identité québécoise en opposant la majorité aux minorités. » Selon le quotidien, « c’est un aspect malsain et générateur de divisions du nauséabond débat identitaire québécois et de sa peur exagérée des minorités. Et Marois est maître en la matière. »
  • Le Globe désapprouve aussi. Selon lui, la situation particulière du Québec, où les francophones sont minoritaires au sein du Canada, impose un devoir supplémentaire aux leaders politiques. « Les Québécois doivent avoir l’assurance que la protection de leur identité et la protection des droits des musulmans, juifs et autres minorités ne sont pas des buts mutuellement exclusifs. » À son avis, Marois a passé la campagne à faire le contraire. Elle a pris la défense de Djemila Benhabib face au maire Tremblay, mais « sa condamnation, dit le Globe, a peu de poids étant donné que ses propres propositions créeraient un environnement encore plus toxique pour les minorités ».
  • Dans l’Ottawa Citizen, Robert Sibley : « La rectitude politique exige de Marois qu’elle soit inclusive, écrit-il, mais elle ne peut résister elle non plus à un certain tribalisme. » « Revue de presse – Marois dans la mire », dans Le Devoir, 18 août 2012
  • Pour le Commissaire fédéral aux langues officielles, Graham Fraser, c’est le ton utilisé en campagne par Mme Marois qui serait responsable des inquiétudes vécues dans la communauté. Pour le vétéran de la politique provinciale, le libéral Reed Scowen, ce sont les propos de Mme Marois qui ont constitué « une véritable déclaration de guerre » à l’endroit des Anglo-Québécois (Le Devoir, 15 septembre 2012).
A3 – Données complémentaires : les 67 quartiers de la RMR, numéros de quartier et définition

Numéro de quartier

Les 67 quartiers

Secteurs de recensement par quartier

1

Ahuntsic-Est-Montréal-Nord

271 à 278 et 613 à 615 et 618 à 619

2

Ahuntsic-Ouest

264,01 à 270 et 279 à 281

3

Anjou

192 à 194 et 195,03 et 590 à 594

4

Beloeil–Mont-Saint-Hilaire

900 à 902, 929 à 930,02

5

Blainville

709 à 710,01,03,04 et 735

6

Boisbriand–Sainte-Thérèse

704,04,05,06 et 725 à 726

7

Boisbriand–Saint-Eustache

704,01,08,09 et 705 à 708 et 710,02

8

Boucherville–Longueuil

876,05 à 877 et 887 et 889

9

Brossard

825,01 et 826,02 à 826,12 et 827,03

10

Cartierville-Saint-Laurent

282 à 288 et 410 et 421

11

Chambly

850 à 852 et 853,03,04 et 926

12

Châteauguay

775 à 777, 800 à 805

13

Côte-des-Neiges-Snowdon

109 à 114 et 116 à 119, 122 à 123

14

Côte-Saint-Luc–Mont-Royal

120 à 121, 370 à 385, 400 à 404

15

Deux-Montagnes–Oka

727 à 732

16

Dollard-des-Ormeaux

511 et 520 à 521 et 523 et 530

17

Hochelaga-Maisonneuve

14,01 à 31 et 187

18

Kirkland

470 à 500 et 515 et 522

19

Lachine

330 et 390 à 397 et 430 à 431

20

LaSalle-Ouest

322 à 325,02 et 326 à 329

21

Laval

640 à 646 et 651

22

Laval-Centre

630,02 à 632 et 637,01 et 660

23

Laval-Chomedey

647 à 650 et 652,01,04,05

24

Laval-des-Rapides

629 à 630,01 et 633 à 636 et 637,02 à 639

25

Laval-Est

625 à 628 et 661 à 662

26

Laval-Ouest

652,06,07 à 656 et 657,02,03

27

Lavaltrie–L’Assomption–L’Épiphanie

677,06,08 et 681 et 690 à 694 et 1000 à 1001

28

Laval-Vimont

657,01 et 658 à 659

29

Le Gardeur–Mascouche

682 à 683 et 685

30

Longueuil-Centre

856 et 870,02 à 871,01 et 873,02 à 875 et 878 à 882

31

Longueuil-Rive

862 à 864 et 883 à 886

32

Longueuil-Saint-Hubert

857,11,12 et 865 et 867 et 869 à 870,01 et 871,02 à 873,01 et 876,01,03,04

33

Mascouche–Les Plaines

686 et 687,02 et 688 à 689

34

Mercier–Saint-Constant

806 à 807 et 830,01 et 831 et 834

35

Mirabel

733 à 734 et 740 et 790 à 792

36

Montréal-Nord

610,01 et 612 et 616 à 617

37

Notre-Dame-de-Grâce

96 à 107, 340

38

Outremont-Mile End

124 à 127,01 et 163 à 170 et 360 à 367

39

Parc Extension-Villeray

220 à 238

40

Petite Patrie-Villeray

209 à 219 et 239 à 247

41

Pierrefonds-L’Île-Bizard

512 à 514 et 540 à 550

42

Plateau Mont-Royal

140 à 162, 171 à 178

43

Pointe-aux-Trembles

570 à 585,02

44

Pointe-Claire–Beaconsfield

432 à 462

45

Pointe-Saint-Charles

55,01,02 et 67 à 84 et 94,01,02 à 95

46

Repentigny

675 à 677,01,02,03,05,07

47

Rivière-des-Prairies

290,01 à 291

48

Rosemont

179 à 186 et 188 et 202 à 208

49

Saint-Bruno–Sainte-Julie–Saint-Basile

853,02 et 854 à 855 et 903,01,04,05,06

50

Sainte-Catherine–Delson–Candiac

827,02,04 et 828 à 829 et 830,03,04 et 833

51

Sainte-Marie

32 à 53 et 56 à 61 et 132 à 139

52

Saint-Hubert

857,01,02,06,07,08,09,10 et 858

53

Saint-Jérôme

780 à 789

54

Saint-Lambert–Brossard

825,02,03,04,05 et 859 à 861 et 866 et 868

55

Saint-Laurent

412 à 420

56

Saint-Lazare–Les Cèdres–Hudson

756,02,03 et 757 à 758 et 760 et 1003 à 1005

57

Saint-Léonard, ptie nord

600 et 603 à 605

58

Saint-Léonard, ptie sud

190 à 191 et 195,01,02 et 196 à 201 et 601 à 602

59

Saint-Michel-Villeray

249 à 263

60

Terrebonne

684,03,04,05,06 et 687,04,07 et 700

61

Terrebonne–Rosemère

687,01,03,06 et 701 à 703

62

Tétreaultville

1 à 13

63

Varennes–Sainte-Julie

888 et 903,07,08,09,10 et 904 et 1002

64

Vaudreuil

750 à 755 et 756,04,05

65

Verdun-LaSalle

306 à 307 et 311 à 321 et 325,03,04

66

Verdun-Saint-Henri

85 à 93 et 300 à 305 et 308 à 310

67

Westmount–Ville-Marie

62 à 66 et 108 et 115 et 128 à 131 et 350 à 356

[1]Marcel Rioux (1987), La Question du Québec, Montréal, L’Hexagone, p. 158. Première édition en 1974.

[2] Certains n’ont jamais été déclarés « allophones » par leurs parents – donc pas d’assimilation linguistique. D’autres considèrent avoir toujours été anglophone ou francophone, jamais allophone, et ne déclarent donc aucune langue tierce au titre de langue maternelle – aucune assimilation là non plus. Ici, la définition même de langue maternelle, soit la « première langue apprise et encore comprise », élimine de nombreux cas d’assimilation linguistique dès lors que les répondants ne se souviennent plus de leur langue maternelle. 97-555-XCB2006042-LM-LP-GÉN_RMRAR

[3]Statistique Canada, données du Recensement de 2006, cat. 97-555-XCB2006042, langue maternelle par langue parlée le plus souvent à la maison par génération, Québec et RMR/AR du Québec.

[4] Voir le cas de la formation des médecins au Québec : Patrick Sabourin, Frédéric Lacroix, « L’art d’obtenir un médecin pour le prix de deux », in L’Action nationale, vol. CXVI no 10, décembre 2006.

[5]Statistique Canada, données du Recensement de 2006, cat. 97-555-XCB2006042, langue maternelle par langue parlée le plus souvent à la maison par génération, Québec et RMR/AR du Québec.

[6]Les extrêmes cohabitent dans le système scolaire anglais, incluant les enfants de mariage mixte comme les jeunes tout fraîchement arrivés en provenance du reste du Canada.

[7]Voir Le Devoir, 27 août 2012.

[8]Pour les données sur la langue de consommation de certains médias (radio, télévision, journaux, livres, Internet) par les anglophones du Québec en 2006, voir Statistique Canada, Jean-Pierre Corbeil, Brigitte Chavez et Daniel Pereira (2012), Portrait des minorités de langue officielle au Canada : les anglophones du Québec, cat. 89-642-XWF, 21 mars 2012.

[9] Ces amalgames entre l’individuel et le collectif ainsi qu’entre la langue, la redistribution sociale et les préjugés favorables du PQ envers le syndicalisme ont été éloquemment illustrés par les propos du milliardaire Stephen A. Jarislowsky, président de la prestigieuse firme de cotation Jarislowsky Fraser Limitée, à l’occasion d’un texte publié dans Le Devoir du 21 septembre 2012.

[10] En 2008-2009, 47 % des donations privées aux universités au Québec étaient dirigées vers les trois universités anglaises ; voir Gouvernement du Québec, ministère des Finances (2011), Budget 2011-2012. Un Plan de financement des universités équitable et équilibré. Pour donner au Québec les moyens de ses ambitions, p. 27. L’objectif de l’Université McGill était de 750 millions $ pour 2012 (http ://francais.mcgill.ca/campaign/about/) tandis que l’Université de Montréal avait ramassé 230 millions $ dans sa dernière campagne de financement (http ://www.ledevoir.com/societe/education/332364/parisella-dirigera-la-campagne-de-financement-de-l-udem) le montant s’élevait à 220 millions $ pour l’Université Laval en 2010 (http ://www.ful.ulaval.ca/les_campagnes/), 22 millions $ pour l’Université du Québec à Trois-Rivières (Radio-Canada, 13 juin 2012 http ://www.radio-canada.ca/regions/mauricie/2012/06/13/003-campagne-financement-uqtr.shtml).

À la fin de septembre 2012, la campagne de financement du CHUM avait amassé 150 des 300 millions $ fixés en objectif, tandis que le CUSM (Centre universitaire de santé McGill) en avait amassé 270 millions $ sur 300 millions $ (La Presse, 25 septembre 2012 et http ://www.radio-canada.ca/regions/Montreal/2012/09/25/006-chum-campagne-financement.shtml).

Voir le cas de Centraide-Fédération CJA, Le Devoir, 1 novembre 2003.

[11]Selon un sondage Léger Marketing réalisé en novembre 2009 auprès de 1500 répondants Internet pour le compte de l’Association d’études canadiennes, 84 % des Canadiens avaient une bonne perception des Canadiens anglais, 70 % des immigrés, 69 % des Juifs, 65 % des Canadiens français et 56 % des autochtones. Source : « À travers le Canada… Les immigrants [sic] préférés aux francophones », agence QMI, 26 janvier 2010.

[12]Voir Le Devoir, 19 mars 2013.

[13]C’est le ministre de l’Industrie Christian Paradis, pourtant Québécois et francophone, qui s’est fait le fossoyeur de cette idée (voir Le Devoir, 11 mars 2013).

[14]Les données sur la langue maternelle incluent les résidents permanents et non permanents.

[15]Dans la population âgée de 15 ans ou plus, incluant la totalité des effectifs ayant répondu l’anglais exclusivement ou l’anglais et une tierce langue, plus la moitié des répondants anglais-français et anglais-français-autre.

[16]Une définition basée sur les personnes nées au Québec plutôt que sur les personnes nées au Canada eut été juste, mais ces données n’étaient pas disponibles.

[17] Organisme subventionné par Patrimoine canadien avec pour mandat de promouvoir l’anglais au Québec. Le président, Dan Lamoureux, est appuyé dans son travail par la directrice générale, Sylvia Martin-Laforge (également membre du conseil d’administration du Conseil supérieur de la langue française), et un conseil d’administration de douze membres parmi lesquels, Mmes Gosselin et Labadie, MM. Garneau et Toupin.

Chercheur Ph. D. science politique
pspedrito9@gmail.com

Les définitions utilisées pour désigner la « communauté anglophone » varient grandement selon les objectifs politiques des acteurs. Certains cherchent à en élargir les effectifs, les autres, à les diminuer le plus possible. Comme il en va du partage des ressources financières de l’État du Québec, de l’usage des langues au travail autant dans le secteur public que dans le secteur privé, et de bien d’autres enjeux, tous ont intérêt à influencer la définition des frontières de chaque groupe. En réalité, la communauté anglo-québécoise, lorsque définie en tenant compte des impératifs de survie légitimes de la communauté francophone, est de taille extrêmement modeste : 3,5 % pour tout le Québec, 5,0 % pour la Région métropolitaine de recensement (RMR) de Montréal. Ces pourcentages incluent de surcroît des anglophones dont les parents peuvent être francophones, allophones ou immigrés. Quoi qu’il en soit, cette taille minuscule confirme la disparition du territoire québécois de la plus infime encore « minorité historique nationale », dont les – plus rares encore – effectifs d’origine ethnique britannique constituaient jadis le noyau primordial.

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