Réjean Bergeron. Homère, la vie et rien d’autre

Réjean BergeronHomère, la vie et rien d’autre ! Suivi de Quelques traces dans l’actualitéÉditions Les heures bleues, 2022, 280 pages Réjean Bergeron est connu dans le débat public pour ses prises de position dans le domaine de l’éducation. Le professeur de philosophie maintenant à la retraite remet en question plusieurs idées dominantes de notre temps, notamment l’empire des […]

Réjean Bergeron
Homère, la vie et rien d’autre ! Suivi de Quelques traces dans l’actualité
Éditions Les heures bleues, 2022, 280 pages

Réjean Bergeron est connu dans le débat public pour ses prises de position dans le domaine de l’éducation. Le professeur de philosophie maintenant à la retraite remet en question plusieurs idées dominantes de notre temps, notamment l’empire des écrans à l’école, l’absence d’intérêt pour la culture générale et le caractère toujours plus ludique des techniques d’apprentissage. Dans son dernier livre, Homère, la vie et rien d’autre !, il nous parle de sa passion pour l’œuvre d’Homère et de son intérêt à nous faire part de ses réflexions qui l’accompagnent. L’idée de cet ouvrage lui est venue suite à un atelier qu’il avait organisé à son cégep sur l’œuvre d’Homère et qui a été annulé faute de participants. Il offre ainsi au grand public par écrit cet atelier qui n’a jamais eu lieu, espérant montrer ainsi la pertinence et l’actualité de l’œuvre homérique.

Le livre est séparé en trois parties, portant d’abord sur L’Iliade, ensuite L’Odyssée, puis le tout se conclut par une collection de textes parus ces dernières années dans les journaux sur des enjeux de société. Dans la première partie sur L’Iliade, Bergeron adopte les thèmes importants de l’œuvre et fait des parallèles avec sa propre vie personnelle. Ainsi traite-t-il de la colère d’Achille, la mort glorieuse, la relation entre les dieux et les hommes, la nature et la honte en vulgarisant bien les textes, sachant trouver les passages révélateurs de l’œuvre pour les expliquer intelligemment. C’est ici qu’on note les talents du professeur pour éclairer le lecteur à des textes importants.

Cela dit, ce même lecteur peut trouver quelque peu étrange que le fil du livre soit systématiquement entrecoupé d’anecdotes personnelles sur la vie de l’auteur, comme si deux livres bien différents s’écrivaient en même temps. Ainsi, en seulement quelques pages, nous pouvons lire l’extrait d’un poème du chant XXII de L’Iliade qui commence ainsi :

Malheur à moi ! Si je franchis la porte et la muraille,
Polydamas sera le premier à m’en faire honte ;
Lui qui me pressait de mener les Troyens vers la ville,
Dans cette horrible nuit qui a vu se lever Achille.

Puis, quelques pages plus loin, l’auteur y va d’un moment autobiographique :

C’est l’été, il fait chaud et je suis en compagnie de Denis et Bruno Laprise, mes voisins immédiats sur la rue des Oblats à Chicoutimi. Assis autour de la table à pique-nique qui se trouve derrière leur maison, on se demande quoi faire de tout ce beau temps (p. 77 et 81).

On comprend ici la bonne intention de l’auteur de vouloir montrer la pertinence de l’œuvre d’Homère dans « la vie de tous les jours », mais il en résulte peut-être un essai hybride dont l’harmonie aurait pu être retravaillée. Le tout donne parfois l’impression de lire un livre sérieux et d’être interrompu de temps à autre par un quidam qui souhaite nous parler. Lire Homère, Platon ou tout autre penseur de l’antiquité requiert une plongée dans un état d’esprit qui est très différent de notre époque, voilà pourquoi il est difficile de faire un va-et-vient entre ces deux mondes. Ce n’est pas le présent qui éclaire le passé, mais le passé qui éclaire le présent. Avons-nous réellement besoin de rappeler des réalités quotidiennes pour bien comprendre l’époque d’Achille et d’Agamemnon ? Quoiqu’il en soit, cela n’empêche pas le livre d’avoir sa qualité pédagogique pour qui n’aurait jamais abordé l’œuvre d’Homère ou qui ne l’aurait pas relue depuis longtemps.

Dans la deuxième partie ayant pour sujet L’Odyssée, Bergeron nous montre que l’histoire racontée est bien différente de celle de L’Iliade. Ulysse n’est pas sur un champ de bataille, il doit faire preuve de ruse pour revenir dans son Ithaque natale, alors que tous les défis se mettent sur son chemin. Des thèmes comme la mémoire, l’hospitalité, la fidélité, la maîtrise de soi jonchent cette partie de l’essai. Lorsque Ulysse doit faire face au Cyclope, l’auteur y voit une absence d’hospitalité, enjeu qu’il croit toujours pertinent aujourd’hui dans les débats concernant l’immigration. De retour à Ithaque, après plusieurs années d’absence, le héros de l’Odyssée doit également faire l’épreuve du temps, qui a changé son apparence et celle de ses proches. Sa maison assaillie par des prétendants malappris, il les élimine pour restaurer l’ordre et retrouver ses droits. Bergeron nous rappelle ici que notre identité se fonde sur la mémoire de qui nous sommes (p. 142), nous permettant ainsi de savoir dans quelle direction nous souhaitons évoluer. Cette partie se conclut sur la mort dans l’œuvre d’Homère, thème qui fait réfléchir l’auteur sur sa propre expérience personnelle, sincère et touchante.

Dans la dernière partie de ce livre, l’auteur additionne les textes publiés dans différents journaux québécois. S’opposant aux technophiles en éducation, il dénonce la propagande qui s’effectue en la matière pour vendre des engins électroniques qui n’aident en rien à la réussite des étudiants. Pour lui, le cellulaire en classe est un problème majeur, qui devrait être évacué pour préserver une ambiance plus propice à l’apprentissage. Dans le même ordre d’idées, Réjean Bergeron s’oppose aux cours en ligne, omniprésents lors de la pandémie, qui empêchent d’entretenir une relation saine entre le professeur et les étudiants. L’auteur fait preuve de combativité pour montrer au grand jour de graves problèmes dans le monde de l’éducation. Il rappelle l’importance d’une instruction en personne, loin des écrans et des nouvelles techniques pédagogiques qui évacuent l’effort et le travail sérieux. Il s’en prend également à l’absence d’intérêt pour la lecture et l’écriture qu’il trouve trop souvent chez ses étudiants. Convaincu des bienfaits de ces pratiques pour l’apprentissage, il défend la transmission de classiques de la littérature sans avoir peur de bousculer les sensibilités de chacun. Opposé au wokisme et autres lubies politiquement corrects, il ne voit pas pourquoi certains mots devraient être bannis en raison d’une lutte aux microagressions. Ne se laissant pas intimider par les militants radicaux de notre temps, l’auteur affirme sans gêne ses opinions qui vont à rebours de l’idéologie dominante.

En conclusion, le dernier livre de Réjean Bergeron est intéressant pour s’introduire à l’œuvre d’Homère et mieux connaître le contexte de l’antiquité. Un étudiant peu enclin à la lecture pourrait comprendre que son professeur a bien raison de vouloir l’initier à une œuvre aussi majeure de la civilisation occidentale, dont plusieurs scènes et personnages permettent de mieux comprendre le monde, l’époque et la nature humaine. Sans la connaissance de nos classiques, et plus particulièrement de ces deux piliers fondamentaux que sont L’Iliade et L’Odyssée, nous sommes amputés d’une bonne part de notre héritage civilisationnel, et de ce fait même, d’une richesse incommensurable. Également, les réflexions de l’auteur sur notre époque demeurent essentielles face à la multiplication des initiatives vers une école toujours plus ludique, soumise à l’écran, puis qui doit aujourd’hui faire face aux défis de l’intelligence artificielle. Nous pouvons compter sur Réjean Bergeron pour rappeler certains principes qui seront toujours pertinents à n’importe quelle époque.

Philippe Lorange
Étudiant à la maîtrise en sociologie à l’UQAM

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