Robin Philpot. Le référendum volé

Robin Philpot
Le référendum volé, Les Intouchables, 2005, 205 p.

Un petit livre de 200 pages mais rare, trop rare hélas par l’acuité de l’intelligence qui pétille à chaque page. L’auteur a déjà publié en 1991 un livre qui a fait date sur la crise d’Oka : Oka. Dernier alibi du Canada anglais (réédité en 2000). Il y démontrait la forfaiture du ROC et de son gouvernement dans la manipulation des First Nations pour mieux nier et avilir la nation fondatrice. Il récidive cette année avec un essai non moins remarquable sur le référendum volé de 1995. Aveux à l’appui, il nous révèle les dessous de la vertu WASP, bien que les « barons ethniques » ne fussent pas les moins ardents à la besogne. 

On s’en doutait bien un peu : les faits et les témoignages se recoupent en un réseau très serré. Corporate Canada perpétue avec des moyens considérables la tradition du Family Compact. À la lecture de cette brillante démystification de notre libérale gouvernance, on se prend à rêver d’une commission Gomery, munie d’un large mandat qui, bien en amont des commandites, enquêterait sur le référendum de 95. Nul doute qu’elle se heurterait à des obstacles de taille. Par exemple nous savons de « source très sûres » que M. John Rae, vice-président exécutif chez Power et chargé des relations avec le comité du NON « a fait déchiqueter, peu après le référendum, au moins 30 boîtes de documents portant, entre autres, sur les dépenses effectuées pendant la période référendaire. Ces boîtes furent déchiquetées avant que les enquêteurs du DGE ne lui rendent visite le 23 avril 1996. » (p.59) Cependant, cette enquête pourrait faire à l’occasion quelques bonnes prises. À défaut de cette utopique enquête, Philpot nous livre quelques impressions d’une candeur désarmante sur la conception du patriotisme qui a cours dans le top inner circle : la fin justifie les moyens. L’un d’eux, John Honderich, propriétaire et directeur en 1995 du Toronto Star, admet volontiers que le love-in n’était en réalité qu’une opération assimilable à une opération de guerre. Il a notamment nolisé 10 autobus pour faire le voyage à Montréal et gonfler les rangs de la manifestation. Il s’honore de ce bon coup : « All’s fair in love and war, and this was war. » (p. 108)

Un peuple se ressent toujours des conditions de son origine ; celle du Canada sont britanniques et nous fournissent un fil conducteur pour comprendre sa dynamique passée et actuelle, y compris cette ultime péripétie. La démocratie n’est pas sa tasse de thé. John A. Macdonald ne s’en cachait d’ailleurs pas :

Puisque ce sera une province unie [le Canada] avec les gouvernements et les législatures locaux subordonnés au gouvernement central et à la législature [Ottawa en l’occurrence], il est évident que le chef exécutif de chaque province doit être subordonné aussi […] Le gouvernement central assume à l’égard de ces gouvernements locaux la même position que le gouvernement impérial de Londres assume actuellement à l’égard des colonies (p. 48).

C’est cette logique impériale qui présida aux référendums qui conduisirent au rattachement de Terre-Neuve au Canada. Le fair play britannique a simulé les apparences démocratiques. En réalité, tout a commencé par une poignée de main entre le Canada et le gouvernement britannique à Ottawa en septembre 1945.

Cinquante ans plus tard, le Canada gère mieux son image internationale que sa réalité. Les souverainistes eux-mêmes sont réticents à dénoncer cette image trop lisse. Le commissaire Philpot a rencontré quelques-uns des marionnettistes et les a interrogé sur 4,8 millions de dollars que Patrimoine Canada a accordé à Option Canada, le « bras politique » du Conseil de l’unité canadienne. À cette somme il faut ajouter 2,5 millions donnés par le Conseil privé au Bureau des relations intergouvernementales. Les calculs de la DGE vont bien au-delà : « Mon calcul que c’est 11,8 millions de dollars, plus les 4,8 millions, plus les 15 millions avant le référendum. » (p. 63)

On peut reconnaître avec R. Philpot que la déclaration de J. Parizeau fut « une erreur politique grave » car elle aura fourni au Canada l’occasion de se refaire une virginité à bon compte, de « faire la leçon à un Québec qui serait fondamentalement raciste » (p. 54). Pourtant, c’est le comité du NON qui a organisé la coalition des trois communautés ethniques les plus nombreuses du Québec (6%). Cette coalition a tenu une conférence de presse, le mardi 24 octobre, pour inciter les Grecs, les Italiens, et les Juifs du Québec à voter non. « Du même souffle ils ont mis en garde les dirigeants souverainistes de ne pas faire de distinction entre le vote des minorités et le vote de l’ensemble de la population québécoise » (p. 65).

Le NON joue ouvertement la carte ethnique, mais il est raciste de décrire le fait. Il est bien connu que le multiculturalisme canadien vise avant tout à noyer la dualité nationale – a nation within a nation (L. B. Pearson) – dans une mosaïque d’ethnies, les Canadiens anglais de souche échappant seuls à toute ethnicité. Cette nation exclusivement civique fabrique en hâte, y compris les samedi et dimanche, des milliers de citoyens instantanés avant le 20 octobre. Ceux qui disposent de la double nationalité ne sont pas oubliés, non plus que les citoyens résidant à l’extérieur du Québec : « Huit fois plus d’électeurs hors Québec ont voté le 30 octobre 1995 que 14 mois auparavant lors des élections québécoises » (p. 83).

L’attaque n’est-elle pas la meilleure défense ? Pour parer aux poursuites, Alliance Québec trouvera les fonds nécessaires pour traîner le Québec devant les tribunaux pour avoir osé tenir un référendum. Ottawa invitera également les autochtones à se séparer du Québec advenant une victoire du OUI. Mathew Coon Come apprendra à ses dépens ce qu’il en coûte de critiquer le Canada après avoir dénigré le Québec. Quant au fameux love-in, notre journaliste d’enquête retrace de nombreuses irrégularités. L’ironie de l’histoire veut que cette déclaration d’amour commençât par une petite guerre au sein du camp fédéraliste. Les « juniors », plus au fait de la sensibilité québécoise, redoutaient l’intelligence des Québécois. Cependant, dans la fièvre de l’action le naturel revient au galop. Malgré l’opposition du comité du NON, B. Tobin et ses amis appelèrent tout le monde pour organiser la manifestation sauf… Daniel Johnson. Dans Point de rupture J. Pelletier l’avoue sans détours : « Au moment où la guerre entrait dans sa phase cruciale nous n’avions de permissions à demander à personne. » En effet, quand la confrontation se corse c’est le head office qui prend les décisions importantes. « Les petits génies provinciaux » (S. Copps) sont tassés et jouent les rôles qui leur sont assignés. Le petit Johnson est vite remis à sa place très provinciale. Maigre consolation, l’ambassadeur américain Blanchard ne manquera pas de le remercier pour son fort appui (strong support)…

Pour couper court au regard indiscret de Québec, la Cour suprême dans une décision rendue le 9 octobre 1997 a invalidé presque toutes les dispositions de la loi québécoise sur la consultation populaire régissant les dépenses référendaires. Force est de conclure « qu’en matière de référendums québécois l’État, la politique et le judiciaire ne font qu’un ! » (p. 114)

Dans cette multitude de faits et de méfaits l’auteur ne perd pas de vue le plus grave et le plus structurant, le coup de force constitutionnel de 1982, réalisé sans mandat et jamais ratifié par Québec. Dès l’origine, la Cour suprême l’a déclaré illégitime. Le passage du temps n’a pas effacé cette violation, bien au contraire. Au risque de passer pour « pur et dur », faute grave par les temps qui courent, Philpot tire la seule conclusion conséquente :

Le Québec doit se soustraire systématiquement et fermement à l’application de la Constitution canadienne de 1982. Le Québec doit le faire positivement, au nom du droit international, au nom des droits de la personne et au nom de la souveraineté du peuple et de son Parlement, l’Assemblée nationale du Québec. Il doit le faire au nom des grandes chartes internationales dont le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par l’ONU en 1966, qui dans son article premier stipule : “Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes.” Pacte dont le Canada est signataire. Nous soustraire à la Charte canadienne des droits et libertés sera notre “charte des droits du peuple québécois” (p. 129).

Philpot ne perd jamais de vue non plus le but ultime du nouveau Canada à construire formulé par P. E. Trudeau dès 1964 : forger une identité canadienne a mari usque ad mare. One Canada, one Nation. Ce grand dessein implique l’ethnicisation de la nation fondatrice. C’est raté et de beaucoup ! Les Québécois s’identifient de plus en plus comme Québécois et de moins en moins comme Canadiens (voir K. McRoberts, 1997). Les trudeauistes sentent que lentement le Québec leur échappe. Les Québécois ont acquis une plus grande confiance en eux-mêmes, ils s’affirment. L’attaque frontale, l’intimidation économique ou territoriale n’opère plus comme avant. Certes, il leur arrive de marquer des points. L’aéroport de Montréal n’est plus un grand aéroport international, Toronto est devenu le centre financier et économique du pays, Calgary est la Mecque du sport canadien, on achète des artistes, des écrivains, des universitaires (bourses, chaires du Canada, etc.). « We create the programs and they follow the money » (S. Copps).

Certes, le PLC peut compter un allié inconditionnel au Québec, le PLQ. Toutefois, ce parti, qui fut au pouvoir durant neuf ans (1985-1994) et de nouveau en selle depuis 2003, n’a jamais osé ratifié le Canada Act. Le déficit de légitimité n’a jamais été comblé. Meech qui devait corriger cette constitution a lamentablement échoué. De plus, dans le fameux Renvoi, la Cour suprême ne s’est pas prêté au jeu que le gouvernement entendait lui faire jouer. D’où l’odieuse loi C-20 qui lui fait dire ce que la Cour n’a pas effectivement dit. De même, le gouvernement central dispose d’un budget imposant mais sa politique de domination et de corruption identitaire est fort coûteuse. C’est pourquoi Jane Jacobs n’exclut pas qu’il recoure à « un plan national de casinos de financement » (p. 171).

Pour s’arracher à la tutelle canadienne, il nous faudra faire preuve de lucidité et de caractère. Dans cet essai percutant, R. Philpot prêche par l’exemple.

Robin Philpot
Le référendum volé, Les Intouchables, 2005, 205 p.

Un petit livre de 200 pages mais rare, trop rare hélas par l’acuité de l’intelligence qui pétille à chaque page. L’auteur a déjà publié en 1991 un livre qui a fait date sur la crise d’Oka : Oka. Dernier alibi du Canada anglais (réédité en 2000). Il y démontrait la forfaiture du ROC et de son gouvernement dans la manipulation des First Nations pour mieux nier et avilir la nation fondatrice. Il récidive cette année avec un essai non moins remarquable sur le référendum volé de 1995. Aveux à l’appui, il nous révèle les dessous de la vertu WASP, bien que les « barons ethniques » ne fussent pas les moins ardents à la besogne. 

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