Sarkozy et la banalité du mépris

Chronique internationale (Chercheur postdoctoral, Chaire Mondialisation, Citoyenneté et Démocratie (UQAM))

Après le prince Desmarais, il était entendu que le croupion Jean Charest soit décoré de la Légion d’honneur. L’ordre des célébrations et des distinctions fut en tout cas assez révélateur : le pouvoir économique y a eu doublement préséance sur le politique ! Malgré l’insulte et l’injure, les souverainistes devraient remercier secrètement le turbulent petit Français pour ses propos intempestifs : ils annoncent peut-être le début de la fin de la mauvaise conscience souverainiste.

Car les déclarations de Sarkozy n’annoncent pas la fin de notre relation privilégiée avec la France. Elles illustrent plutôt le décalage qui s’agrandit de jour en jour entre le peuple français et son gouvernement. Les Français réalisent que ce gouvernement est taillé de toutes pièces pour répondre aux désirs irrationnels des élites économiques. L’improvisation avec laquelle le président tente de réformer son pays l’illustre quotidiennement. Loin d’apporter des solutions cohérentes aux problèmes de la France, les énergies déployées par Sarkozy n’ont pour seul résultat que de tout déstabiliser, de l’université à la poste…

Concernant l’importance des déclarations de Sarkozy pour les indépendantistes québécois, Robin Philpot a raison sur le fond : « En banalisant la relation entre le Québec et la France, Nicolas Sarkozy vise à renforcer la relation entre le Canada et la France, encore une fois dans le sens voulu par les Desmarais » (Le Devoir, 4 février 2009). L’épisode prouve l’étendue de l’influence de Power Corporation à l’extérieur du Québec et du Canada. Mais la congruence de vues entre les Canadiens et Sarkozy est somme toute assez banale. Car les forces patronales se coalisent naturellement contre les nationalismes qui résistent à l’oligarchisation tranquille des sociétés. Dans le contexte d’une lutte de libération nationale, le pouvoir politique qui n’appartient pas aux libérateurs est aux mains des exploiteurs. La mascarade sur l’harmonie camoufle à peine les directives des charognards mondiaux de la finance, de l’armement et de l’énergie.

En fait, les déclarations de Sarkozy sont autrement plus révélatrices. Depuis le référendum de 1995, le mouvement souverainiste a été l’objet d’un canonnage idéologique constant. Au lendemain de la défaite, les déclarations de Parizeau furent le prétexte pour la mise en place d’une stratégie globale pour dilapider le capital de sympathie (local et international) du mouvement souverainiste. Placées quotidiennement sous le feu de la rhétorique de l’ouverture, les élites péquistes, fragiles et déstabilisées, sont vite devenues des apôtres non critiques d’une rectitude politique opportune à l’unité canadienne. Particulièrement en éducation et dans les médias, le multiculturalisme canadien est devenu le paradigme de la reconstruction de la société québécoise. Cette rééducation a pour conséquence de priver graduellement les Québécois des ressources axiologiques leur permettant de percevoir les effets de leur minorisation dans l’espace canadien. Et cette culture de l’anomie préside aujourd’hui à la négation de notre sens historique (400e de Québec, réitération des plaines d’Abraham), à la désocialisation de notre métropole (accommodements raisonnables, déclin de la francisation) ainsi qu’à la désagrégation de nos institutions collectives (privatisations annoncées en énergie, en santé et en éducation).

Lorsque Sarkozy assimile le mouvement souverainiste québécois à la fermeture et à l’intolérance, il ne fait que réitérer l’idée maîtresse de la stratégie concoctée par les fédéralistes après leur courte victoire de 1995. Ce n’est donc pas tant le contenu de ces déclarations que leur manque de subtilité qui explique le malaise ressenti par Charest et les autres ténors fédéralistes, des déclarations qui auraient pourtant été accueillies avec enthousiasme par les inconditionnels du Canada il y a quelques années à peine. Mais entre-temps, l’opération « Mauvaise conscience » a atteint un raffinement idéologique peu banal. Sans le savoir, Sarkozy vient donc de mettre à jour la banalité du mépris dans l’appareil de propagande qui encadre le langage quotidien de notre vie publique. Ces dernières années les maîtres de la culpabilisation collective sont graduellement parvenus à nous inquiéter de nous-mêmes, puis à prendre le pouvoir pour dilapider nos institutions. Lorsqu’un dignitaire étranger se permet lui aussi de rosser le souffre-douleur, alors la réalité de la domination devient plus évidente, et l’horizon de la liberté, un peu plus clair.