Journaliste pendant 35 ans à la radio, à la télévision, dans deux quotidiens, deux hebdomadaires et plusieurs mensuels, Jean Chartier a aussi assumé des fonctions de conseiller en communication au sein du gouvernement du Québec, au moment du référendum de 1995, puis à la Délégation générale du Québec à Paris.
Le journal Le Jour naissait il y a 50 ans, le 28 février 1974, dans l’excitation et le sentiment qu’on allait changer la conjoncture politique en faveur de l’indépendance du Québec avec ce journal d’un ton nouveau. L’année d’avant, ça avait été la défaite terrible du Parti québécois aux élections, une raclée. Après l’électrochoc, Yves Michaud, René Lévesque et Jacques Parizeau lancèrent l’idée qu’il fallait un média fort et créatif pour donner des ailes au mouvement indépendantiste.
Des noms ont commencé à circuler, le caricaturiste Berthio, un grand talent du Devoir, Antoine Désilets, le photographe de tous les exploits de La Presse, Gilles Courtemanche, la vedette du magazine Format 60 à Radio-Canada animé par le charismatique Pierre Nadeau, avec Pierre Godin comme chef de pupitre. Une adresse postale fut fournie pour le contact. Je me suis empressé d’envoyer un mot à Yves Michaud, avec mon CV, offrant mes services pour les pages économiques, mentionnant que je serais honoré de travailler avec Gilles Courtemanche à ces pages. Je fus convoqué pour une entrevue.
J’avais déjà rencontré Jacques Parizeau à son minuscule bureau des HEC, avant les élections de 1973. M. Parizeau était entouré de classeurs, avec plein de chemises et de dossiers sur tous les sujets imaginables traitant du Québec. Il y avait à peine de la place pour s’assoir sur une chaise en face de lui, calé derrière son pupitre. L’homme était très accueillant. Il voulait tout savoir sur les Cantons de l’Est avant l’élection. Moi, j’étais agent d’information au Conseil régional de développement des Cantons de l’Est. On avait parlé de l’amiante, des textiles, des leaders syndicaux, de la forêt, de l’agriculture, du tourisme, des lacs. Il voulait tout connaître sur la conjoncture régionale. C’était à lui seul la centrale de renseignement du Parti québécois.
Cette fois, pour Le Jour, à mon grand étonnement, il me donna rendez-vous à son restaurant préféré, Chez Vito, sur Côte-des-Neiges. Monsieur Vito était aux petits soins avec M. Parizeau. Lui, en costume trois-pièces, s’était laissé conseiller par l’ancien résistant à Mussolini, ayant combattu dans les montagnes d’Italie, un autre gentleman. Les deux hommes s’estimaient de toute évidence. Cela me facilitait la vie parce que M. Parizeau était autant accaparé par M. Vito que par moi. À vrai dire, ce fut M. Parizeau qui parla d’abondance pour l’entrevue, il abordait très amicalement ce qu’il souhaitait comme couverture de l’économie.
Pour lui, c’était réglé, il m’offrait le poste. Il est vrai qu’avant l’annonce de la création du Jour, j’avais été retenu pour des entrevues au Devoir, avec Michel Roy, puis avec Claude Ryan, lui, derrière sa longue table de réfectoire, austère comme la table, moi soulignant avoir travaillé auparavant à la revue Commerce.
M. Parizeau me dit ce soir du début 1974 : « Ne vous en faites pas, j’ai formé Jean-Paul Gagné du Soleil, au début il fallait tout lui expliquer. » Puis, il éclata de son rire tonitruant. Il savait mettre en confiance, les jeunes, M. Parizeau, d’ailleurs il aimait s’entourer de jeunes, il les motivait.
Quand j’ai informé Michel Roy que j’irais plutôt au Jour, je l’ai senti très irrité, me prédisant, quasi-menaçant, que je regretterais mon choix, la voix émue, ajoutant que c’était stupide d’opter pour un journal partisan qui serait médiocre
À vrai dire, j’avais aussi rencontré M. Parizeau à une autre occasion, pour une entrevue à paraître dans l’éphémère revue Point de Mire. Il m’avait invité chez lui, à cette occasion, rue Robert, à Outremont. J’étais fort impressionné. Je m’assis, pour une heure et demie dans son salon très agréable, à lui poser des questions et à l’écouter, prenant des notes. À la fin, il m’avait dit : « Vous savez, moi, je veux faire l’indépendance du Québec, je veux prouver que c’est possible économiquement. Bien sûr, quand ça va devenir chaud, je ne serais pas surpris que nos adversaires essaient même de me mettre en prison. Mais, je vais aller jusqu’au bout ». Et il éclata d’un grand rire. C’était M. Parizeau tout craché.
Bref, il allait s’employer de toutes ses forces pour l’indépendance. C’était devenu l’affaire de sa vie, après qu’il eut agi, avec grand succès comme un acteur clé de la Révolution tranquille, tout comme M. Lévesque. J’étais sorti de là, gonflé à bloc. Dehors, il y avait la neige et de la glace, mais je volais au-dessus des plaques de glace.
Le choc Parizeau-Garneau
Quelques jours avant la parution, la maquette en main, le directeur du journal, Yves Michaud, avait eu un énorme succès parmi les journalistes quand il avait annoncé que le nom du journal reprenait celui utilisé par Jean-Charles Harvey, avant la Deuxième Guerre, mais dont la devise serait, cette fois, sous le logo, en bleu (comme le drapeau du Québec) : « Le Jour où nous serons maîtres chez nous ». Il fut acclamé frénétiquement par tous !
Après la parution de plusieurs éditions de ce nouveau Jour, M. Michaud est venu me voir à mon pupitre et m’a dit : « M. Chartier, c’était très bien vos deux pages sur les 25 ans de la grève de l’amiante, mais quand vous avez un dossier comme ça, bien documenté, venez-nous en parler à l’avance, à moi, à Evelyn Dumas, la rédactrice en chef adjointe ou à Paule Beaugrand-Champagne. On lui fera un pavé honorable en une ».
Il était très gentil, M. Michaud, d’ailleurs il causait souvent des attroupements autour de lui, assis sur un pupitre, racontant ses aventures incroyables qui faisaient rire tout le monde. C’était un conteur hors pair. Il y avait une super équipe au journal.
Un mois plus tard, on m’envoya pour mon premier budget à l’Assemblée nationale. J’étais positionné entre Monsieur Parizeau et Jacques Guay, chargé, lui, de la couverture politique au Parlement. M. Parizeau était l’éditorialiste attitré. Dès le début de la conférence de presse, M. Parizeau s’est levé pour poser une question à M. Garneau, le ministre des Finances.
Évidemment, Raymond Garneau était furax. Comment se faisait-il que M. Parizeau se tenait là, debout devant lui, dans la salle protocolaire, avec les journalistes, à poser des questions ? marmonna-t-il. Bien sûr, M. Parizeau ne s’est pas laissé impressionner, il a plutôt fait un exposé sur la nouvelle situation économique du Québec, avant de poser sa question sur les déficiences du budget Garneau.
Jacques Guay se tapait les côtes, et après la conférence de presse, il s’est promené longuement parmi les journalistes pour avoir leurs réactions sur l’affrontement Parizeau-Garneau. Ce fut son sujet principal. M. Parizeau écrivait son éditorial au stylo, biffant de temps en temps un mot. Jacques Guay et moi, nous avions nos machines à écrire pour écrire nos papiers, avant d’ajouter des corrections. C’était avant Apple !
Comme baptême à l’Assemblée nationale, on ne pouvait pas faire mieux. Après ça, je pouvais affronter n’importe quoi ! J’ai dû couvrir vingt autres discours du budget à Québec et à Ottawa, mais jamais un comme celui-là. C’était mon initiation. À la dure ! M. Parizeau était un homme très tolérant avec son entourage. Et puis, le buffet pour les journalistes avait été un festin. Je n’en ai jamais eu de meilleur pour un discours du budget. C’était bien sûr avant les coupes budgétaires, diverses et variées. M. Bourassa avait beaucoup de défauts, mais il savait vivre.
L’accueil de Jonquière
Deux mois plus tard, c’était la campagne de financement auprès des lecteurs qui battait son plein. À cette occasion, on envoya les journalistes à tour de rôle dans les régions. Pour ma part, je fus envoyé, avec Jacques Guay à nouveau, au Saguenay. Je me souviens de la roulotte minuscule de M. Lévesque et de l’accueil extraordinaire de Marc-André Bédard, un homme très généreux que tout le monde aimait. Le Jour avait recueilli un pactole cet été-là. Tout allait bien. Après Jonquière, j’ai prolongé en reportage à Forestville, à Tadoussac.
Cette première année au Jour, ce fut un rêve. On travaillait comme des dingues, des heures de fou, même si on gagnait des clous comme salaire, mais ça ne faisait rien, tout le monde planait, même les agents de publicité, les meilleurs de Montréal assurément, très méritoires, tous très gentils.
Même l’atelier de mise en page, qui avait fourni son local voisin pour la salle de rédaction, rue Lebeau, à Ville Saint-Laurent, était super accommodant, surtout quand la copie arrivait tard, avec trop de corrections. Et, puis avoir Réjean Ducharme comme l’un des correcteurs d’épreuves, c’était quand même un privilège exceptionnel. Je me souviens qu’il était venu me voir, très respectueux, pour me suggérer un changement. Très attentionné. Rare.
Et tout près, c’était l’imprimerie Transcontinental. Lors de la deuxième année, Le Jour est passé au format tabloïd. Moi, j’étais plutôt déçu. Je préférais le grand format. Mais M. Lévesque voulait s’inspirer du New York Post, le journal populaire que tout le monde lisait dans la métropole financière de l’Amérique.
Puis, Québec-Presse, fondé par Michel Chartrand, a cessé de paraître. Plusieurs journalistes de cet hebdomadaire tabloïd ont alors fait le saut au Jour. Quelques-uns de ceux-ci ont un peu foutu le bordel au Jour, je dois dire. Ils voulaient la tête de M. Michaud. C’était évidemment inacceptable. C’était Québec solidaire avant l’heure, avant l’apparition de mère Thérésa, pleurant pour casser le mouvement indépendantiste, faire une scission pour créer une agence de service social.
Le Jour a donné un envol formidable à la conjoncture des indépendantistes pendant trente mois. Même si ce journal était souvent bricolé sur un coin de table, on réalisait chaque jour un miracle.
Il m’est arrivé d’aller pour une consultation à la maison de campagne de M. Parizeau, aux environs de Bromont, sur sa ferme pas très loin de l’autoroute. Sa femme, Alice Poznanska-Parizeau m’avait reçu, très gentille. Pour me faire patienter, elle me demanda si j’étais bien conscient que M. Parizeau était un homme exceptionnel, qu’il allait faire de grandes choses pour le Québec. Elle avait un magnifique sourire en disant ça, une femme très généreuse. Elle était sa première « groupie », l’appuyant de toutes ses forces !
Le quotidien indispensable à la victoire !
Je dirais en rétrospective que ce quotidien fut indispensable pour relancer le débat public avec force sur l’indépendance du Québec. Et puis, il y a eu grâce à lui des échanges dans toutes les villes et tous les villages, avec des lecteurs qui prenaient contact spontanément auprès de M. Lévesque, le chroniqueur, tout comme auprès de M. Parizeau. Ce n’est pas pour rien qu’il y a eu un tel regroupement de personnalités fortes, de tous les milieux, pour les élections de 1976.
C’est ce qui a donné l’élan nécessaire à la victoire des indépendantistes. Le coup de fouet a été Le Jour, s’ajoutant à l’aile parlementaire minuscule du Parti québécois, une aile dirigée par Jacques-Yvan Morin, l’homme de la crédibilité juridique, en qui René Lévesque avait toute confiance, l’homme de loyauté parfaite ! Cela faisait une belle jonction !
À La Presse et au Devoir, ils avaient été furax de voir l’apparition de ce nouveau journal, mais pas les journalistes, avec qui nous avions de très bonnes relations, seulement les directions ; néanmoins, celles-ci étaient obligées de suivre les thématiques imposées par Le Jour. Évidemment, au moment du référendum de 1980, ils allaient plutôt suivre la ligne de The Gazette, le torchon des « Rhodésiens du Sud », comme M. Lévesque appelait ces journalistes.
Pour sa part, M. Ryan avait été tellement fâché par l’apparition du Jour, n’étant plus « le pape de l’éditorial », qu’il passa du journalisme pseudo-objectif du Devoir à la politique. Et il fut hyper mesquin au lendemain du référendum de 1980, perdu en raison de la promesse non tenue de Pierre Elliott Trudeau dans la dernière semaine !
M. Parizeau, lui, s’est rodé en 1976 et au référendum de 1980, il n’allait plus s’arrêter. Après l’élection flamboyante de 1976, à titre de ministre des Finances, il eut l’idée de créer un Régime d’Épargne-Actions, pour inciter les citoyens à investir dans les compagnies québécoises, à titre de crédit d’impôt. Les entreprises du Québec furent très enthousiastes à cette idée, cela leur donnait un sérieux coup de pouce. L’économie du Québec allait avoir le vent dans les voiles. Monsieur fut aussitôt considéré comme le plus grand ministre des Finances de l’histoire du Québec.
Le Jour cessa de paraître en août 1976, car certains exigeaient la destitution du directeur du journal pour faire du Jour un brûlot de gauche. Je soupçonne M. Bourassa d’avoir décrété aussitôt des élections prématurées pour prendre M. Lévesque par surprise. Mais M. Lévesque était préparé. C’est plutôt M. Bourassa qui s’est pris la plus grande veste de sa carrière politique, le 15 novembre 1976. M. Landry était tellement enthousiaste qu’il appela son voilier le 15 novembre ! Ce fut l’âge d’or du Parti québécois.
M. Lévesque a souffert au référendum de 1980. Félix Leclerc était derrière la scène de l’aréna Maurice-Richard pour donner les résultats, mais M. Lévesque l’en dispensa en disant à Félix que le discours de la défaite, c’était pour lui-même. La tâche de crève-cœur, M. Lévesque la prit sur lui.
M. Parizeau a souffert, lui aussi, au référendum de 1980. Il n’allait pas refaire les mêmes erreurs ! Vingt ans après Le Jour, M. Parizeau obtint au référendum de 1995 le score extraordinaire de 60 % de OUI pour la souveraineté chez les Québécois de langue française. Ce fut ce jour-là une décision collective très nette des Québécois de souche, tout particulièrement chez les ouvriers, très, très massivement pour le OUI, à quasi 80 %. Pierre Drouilly en fit une analyse stupéfiante.
Jacques Parizeau a été extraordinaire en 1974, comme en 1995, il a tout préparé méticuleusement. Monsieur Parizeau s’occupait des détails, il était prêt pour le lendemain de la victoire, ses hommes étaient sur le pied de guerre en 1995 avec une stratégie imparable pour le matin du 31 octobre.
Évidemment, il ne savait pas que le référendum allait être volé aux Québécois par M. Chrétien et ses acolytes, au moyen d’une centaine de milliers de régularisations accélérées d’immigrés très récents à Montréal, qui eurent droit de vote très prématurément, de manière plus que discutable, illégale même, en violation de la loi canadienne en vigueur.
En outre, en raison de l’absence de carte d’identité, il y eut la venue massive de résidents des autres provinces, qui se firent inscrire chez des amis ou des membres de leurs familles, dans le West Island de Montréal, renversant du coup le résultat final, grâce à ces 200 000 inscriptions illégales par rapport à celles de l’élection de l’année précédente, 1994.
Peu de temps après, une journaliste de Radio-Canada trouva un Italien de Saint-Léonard qui expliqua en ondes, au Téléjournal, qu’il avait voté seize fois au référendum. « Facile », ajouta-t-il. 1995, ce fut le référendum du NON par le vol !
Le vote positif des Québécois de langue française se trouva transformé du OUI en un NON par ces ignominies. Ainsi, la victoire du NON par 42 000 votes survint-elle en raison d’une grande injustice historique, de tricheries empilées tout au long de 1995 par Ottawa !
Dommage que Le Jour n’ait pas existé après le référendum de 1995, pour faire enquête sur enquête là-dessus précisément ! Pour faire enquête sur l’immigration, Le Jour serait aujourd’hui très utile, car Le Devoir et La Presse ne traitent pas correctement ce sujet et ne publient pas les lettres ouvertes qui leur sont envoyées à ce propos ! Les deux journaux défendent dorénavant le multiculturalisme de Pierre Elliott Trudeau !
L’erreur de la démission de M. Parizeau
M. Parizeau fit comme de Gaulle après ce référendum négatif. Il n’y avait pas d’autre issue pour lui, il allait se retirer et laisser la place à un autre, plus populaire dans l’opinion à ce moment-là. Beaucoup dans son entourage s’étaient d’ailleurs chargés de le lui suggérer. Ce fut là sa principale erreur, cette démission.
S’il était resté aux commandes de l’Assemblée nationale, je me dis souvent qu’il aurait amené les députés québécois à prendre de nouvelles initiatives, à bâtir une revanche parlementaire, pour que l’indépendance du Québec survienne quand même, par une série de votes successifs à l’Assemblée nationale, avec sa majorité de députés confortable, sur des sujets forts, puis, qu’il aurait pu, au moment opportun, mener une nouvelle consultation auprès de la population du Québec sur un sujet conflictuel avec Ottawa.
Cette fois, bien entendu, il n’aurait fait ce référendum, qu’après avoir imposé une carte d’identité pour certifier que les votants étaient bien Québécois depuis cinq ans, qu’ils résidaient au Québec depuis une telle durée, qu’ils parlaient français, la langue nationale du Québec, ce qui en faisait des citoyens québécois. C’était la carte d’identité à la française, telle que défendue par Guy Chevrette, malheureusement abandonnée peu avant le référendum, en raison d’attaques minables par le Rat Pack des libéraux à Québec.
M. Parizeau était un kamikaze. Il était prêt à tout, même à se sacrifier comme de Gaulle avant lui, en 1946, puis en 1969. Lui, M. Parizeau était prêt à laisser la place à un homme plus populaire pour que la victoire de l’indépendance du Québec survienne rapidement.
S’il était resté au poste de premier ministre, en 1996, M. Parizeau aurait su quoi faire économiquement pour réaliser la souveraineté du Québec, dans la douceur, sans encombre. Cette crainte des vieux pour leur pension, cela avait été grotesque ! Et puis la perte du statut de British Subject sur le passeport canadien, pitoyable !
Aujourd’hui, je rêve que, si Jacques Parizeau était resté au pouvoir de 1996 à 2000, le Québec serait un pays indépendant depuis vingt ans, un pays prospère et français. Montréal serait une grande métropole française d’Amérique, pas une ville multiculturelle !
Notre de Gaulle, notre Général de Lévis
Jacques Parizeau, ce fut notre Charles de Gaulle à nous, Québécois, un héros national qui nous appartient et nous inspire, une référence suprême, au même titre glorieux que le Général de Lévis, Louis-Joseph Papineau, et Honoré Mercier.
Je me souviens de M. Lévesque, racontant que, lors de la nationalisation de l’électricité, il avait été tassé dans un coin à Toronto, par plusieurs financiers de Bay Street, qui s’opposaient aux nationalisations des diverses compagnies d’électricité. Ils l’avaient menacé de sanctions financières, d’arrêt de financement des obligations du Québec voire de la faillite de l’État du Québec, s’il poursuivait son objectif. C’était en 1962. M. Lévesque ajoutait qu’il n’avait nullement été traité comme ça à New York, ni à Boston. Il n’y avait pas ce mépris aux États-Unis !
Je me dis que ces déménageurs de Sun Life et de Canadian Pacific n’auraient pas osé avec M. Parizeau, en 1995, car il les aurait renvoyés dans les cordes, allègrement, il les aurait sanctionnés de manière financière par un appel aux Québécois. C’était lui l’homme du combat économique. Il était très bien préparé pour ça. C’est lui qui les aurait bloqués dans un coin, ces financiers canadiens, car M. Parizeau les connaissait bien. Pendant sa traversée du désert, il s’était fait les dents d’ailleurs, conseillant des compagnies, notamment dans les pâtes et papiers, sa spécialité. Il savait comment traiter les dirigeants de compagnie mal élevés.
Lors de la création du Jour, M. Parizeau s’était conduit en grand seigneur, guide et source d’inspiration pour nous. Personne ne l’aurait contesté, il était social-démocrate, une caution pour les syndicalistes. Il voulait réunir tous les Québécois, M. Parizeau, et la gauche et la droite. Il avait appris ça, dès ses études au London School of Economics, la faculté rose, dans les années cinquante, celles de la reconstruction du Londres de l’après-guerre. Il connaissait aussi par cœur son Churchill, M. Parizeau. Il ne craignait pas de tenir, lorsque nécessaire, une ligne intransigeante, dans la bonne humeur et l’enthousiasme. C’était un vrai leader. Et un homme de courage !
M. Parizeau savait prévoir les coups d’après, il y pensait constamment, sauf une fois. II ne sut pas comment réagir à la défaite d’un cheveu, infligée par une série de tricheries, par le vote de quelques quartiers non français sur l’île de Montréal, un vote en bloc pour le NON, à plus de 97 % parfois, au soir du 30 octobre 1995, le soir de la défaite la plus significative de l’histoire du Québec, depuis la guerre de Sept Ans, dirais-je. Ce fut un choc comparable à cette défaite militaire survenue après des centaines de combats meurtriers, en Nouvelle-France, livrés par des milliers de nos héros français, de 1754 à 1760, contre une armée anglaise nombreuse, sa marine bleue et ses rangers d’Amérique. C’est une épopée qui reste à raconter, après l’abbé Casgrain, après Guy Frégault, après Gaston Deschênes, après Dave Noël.
Cette défaite de M. Parizeau en 1995 fait mal encore chaque jour, comme la défaite de 1759 fit mal. Monsieur Parizeau était certain de le gagner ce référendum ! Il était prêt pour la victoire du lendemain. Mais ce n’est pas lui qui contrôlait la campagne référendaire à la fin, pendant les deux dernières semaines d’octobre. Le stratège Parizeau avait été tassé, mais il ne craignait jamais de dire la vérité !
Le Jour a ouvert la voie à la grande victoire de 1976
Sous son impulsion et celle de M. Lévesque, Le Jour a été le journal de référence du Québec, un journal de combat après une défaite cinglante, celle de 1973, préparant dès lors une grande victoire ! Ce journal a nourri l’espoir, le rêve d’indépendance au sein du peuple québécois. Je me souviens des propos fabuleux de Félix Leclerc au premier référendum, de Gilles Vigneault au deuxième référendum. Le Jour, ce fut d’abord le journal de l’appel aux forces personnelles de chacun, un peu comme L’Action nationale aujourd’hui.
II nous faut retrouver le René Lévesque de courage, prêt à prendre des risques, ce joueur de poker jusque tard dans la nuit, avec ses partenaires, Yves Michaud et Gilles Courtemanche, il nous faut retrouver le Jacques Parizeau de l’époque des combats économiques du Jour et du premier gouvernement péquiste, le Yves Michaud enthousiaste des caractères « Kebec », s’affairant à l’atelier d’imprimerie. Ces trois hommes ont eu un enthousiasme communicatif, ils ont redonné du tonus et la fierté à tout un peuple. René Lévesque était l’arbitre, Jacques Parizeau pariait sur les jeunes et Yves Michaud leur facilitait la tâche à tous deux !
En France, à l’Académie française, les écrivains deviennent des immortels. Jacques Parizeau est un immortel pour les Québécois de langue française. Désormais, Monsieur Lévesque et Monsieur Parizeau vivent en nous, Québécois de langue française. Ils nous inspirent pour les prochains combats.
Monsieur Parizeau, qui aurait dû être le vainqueur du référendum de 1995, inspirera nos leaders à un nouveau référendum, j’en suis certain ! La route a été tracée, bien droite ! Le chemin du Québec libre est beaucoup plus long qu’anticipé à la fin des années cinquante et au début des années soixante, lors de la fondation de La Revue socialiste pour l’indépendance du Québec de Raoul Roy, du Rassemblement pour l’indépendance du Québec d’André D’Allemagne avec mon ami Jacques Bellemare, plus long que prévu aussi lors de la création du Parti québécois en 1968.
Néanmoins, oserais-je, la création du Jour en 1974 marque une étape décisive pour obtenir la victoire de 1976, la plus grande victoire indépendantiste de l’histoire du Québec !
Il est temps de reprendre le combat flamboyant de René Lévesque et de Jacques Parizeau. Le combat de la nation française d’Amérique reprend 50 ans plus tard avec de nouveaux protagonistes de choc. C’est vrai à chaque génération depuis 1760 !