Stéphane Paquin. Paradiplomatie identitaire de la Catalogne

Stéphane Paquin
Paradiplomatie identitaire de la Catalogne, Presses de l’Université Laval, 2003, 133 p.

Chercheur à l’Association internationale de science politique et diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, Stéphane Paquin s’intéresse depuis déjà longtemps à la présence internationale des petites nations sans États. Son dernier livre, La revanche des petites nations (VLB éditeurs, 2001), avait été fort apprécié au Québec. Paquin y développait la thèse selon laquelle les petites nations comme le Québec, l’Écosse ou la Catalogne profitaient de la mondialisation pour accroître leur présence internationale. Davantage flexibles que les vieux États, bénéficiant d’une grande cohésion sociale et d’une forte identité culturelle, les petites nations tiraient profit de la croissance des échanges pour développer une véritable « paradiplomatie ».

Avec la Catalogne, Paquin choisit un sujet fort susceptible d’intéresser le lecteur québécois. Forte de six millions d’habitants, la communauté autonome est la région la plus riche d’Espagne, dont elle génère 20 % du PIB. Depuis la fin de la dictature franquiste (1975) et la renaissance de la Generalitat de Catalunya (1977), la région s’est dotée d’une politique internationale active. C’est principalement grâce au leadership de Jordi Pujol et des nationalistes du parti Convergencia i Unió (CiU), au pouvoir de 1980 à 2003, que la Catalogne est parvenue à s’affirmer en tant que nation : « La CiU et Jordi Pujol, s’appuyant sur une lecture autonomiste du texte constitutionnel espagnol, vont rapidement développer une politique symbolique d’affirmation de la nation catalane sur leur territoire. » (p. 24)

Afin de rendre la compréhension de la politique extérieure catalane plus aisée, Paquin fait précéder son exposé d’une brève (mais très utile) mise en contexte politique et historique. Il analyse ensuite le développement de l’activité internationale de la Catalogne et les réactions plus ou moins épidermiques de l’Espagne face à celle-ci. La question qui guide son analyse est la suivante : « Est-il possible que les relations centre-périphérie deviennent routinières et normalisées lorsqu’une région autonomiste au sein d’un État fédéral ou à structure décentralisée met en œuvre une paradiplomatie identitaire […] ? Est-il possible que dans de telles conditions tous les acteurs y trouvent leur compte ? » (p. 13) Paquin répond à ces deux questions par l’affirmative. Selon lui, les relations Catalogne-Espagne sont aujourd’hui moins conflictuelles qu’autrefois. Elles se sont peu à peu normalisées, alors que les deux administrations ont appris à mieux coopérer.

Paquin décrit de manière convaincante les causes circonstancielles de l’accalmie Barcelone-Madrid. La première est à trouver dans la spécificité du système électoral espagnol : « L’instabilité du système politique espagnol, qui oblige les partis politiques à faire des alliances avec les partis régionalistes comme la CiU présidée par Jordi Pujol, contraint le gouvernement espagnol à mettre de l’eau dans son vin et à mettre en œuvre une politique étrangère qui est acceptable pour les communautés autonomes. » (p. 19) C’est effectivement ce qui s’est passé en 1996, lorsque le Parti populaire de José Maria Aznar a eu besoin de l’appui des nationalistes basques et catalans pour atteindre la majorité aux Cortès. L’année précédente, les nationalistes catalans de la CiU avaient laissé tomber la gauche du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), obligeant le Premier ministre Felipe Gonzalez à organiser des élections anticipées.

Outre la capacité des nationalistes catalans à jouer les trouble-fête au Parlement espagnol, la normalisation des rapports Barcelone-Madrid s’explique également par la forme spécifique d’implication des autorités catalanes sur la scène internationale. Si la politique étrangère catalane se concentrait autrefois sur l’affirmation nationale, elle se tourne aujourd’hui davantage vers le commerce et l’affirmation culturelle. Si « le gouvernement catalan a, depuis une vingtaine d’années, ouvert près d’une cinquantaine d’antennes à l’étranger, [la] vaste majorité de ces antennes concerne les questions commerciales. » (p. 110) Paquin n’hésite pas à contraster la stratégie catalane avec celle favorisée par d’autres petites nations : « Contrai­rement aux organisations flamandes et québécoises qui fonctionnent plutôt selon la logique d’une ambassade, les organisations catalanes sont généralement basées sur des partenariats public-privé. » (p. 110) L’activité extérieure de la Generalitat prend généralement la forme d’agences ou de consortium représentant à l’étranger les principales organisations catalanes. L’Agence de promotion culturelle de la Catalogne (COPEC) ou le Patronat Català pro-Europa, par exemple, possèdent des représentations dans les principales villes européennes.

Paquin n’hésite pas à décrire le développement des relations entre la Catalogne et l’Espagne sous la forme d’un processus d’apprentissage, au cours duquel les deux administrations se sont peu à peu apprivoisées : « L’État espagnol et les communautés autonomes ont mis sur pied des conventions cadres, des conférences sectorielles et des commissions ad hoc afin de faciliter et de coordonner les rapports entre l’État et les communautés autonomes en matière de politique étrangère. » (p. 123) À Madrid, les appréhensions d’autrefois se sont peu à peu calmées, alors que les nationalistes catalans se déclarent plutôt satisfaits de leur niveau d’autonomie actuel. Avec la participation de son parti au gouvernement de Madrid, Jordi Pujol a même été jusqu’à soutenir qu’il souhaitait « catalaniser » l’Espagne.

Cet apaisement des relations Barcelone-Madrid devrait se poursuivre encore quelques années, alors que la CiU vient de perdre le pouvoir en Catalogne au profit du Parti socialiste (beaucoup moins nationaliste) de l’ancien maire de Barcelone, Pascal Maragall. Paquin voit dans l’exemple de la Catalogne une résolution satisfaisante de la question nationale. Il n’hésite pas à en tirer un enseignement plus général et à soutenir que le développement d’une paradiplomatie identitaire […], n’est pas obligatoirement synonyme de désordre et de conflits. (p. 121) C’est peut-être cette idée (avec laquelle se conclut l’exposé de Paquin) qui laissera le plus de doutes dans l’esprit du lecteur québécois.

Dans quelle mesure peut-on parler d’une normalisation entre Madrid et Barcelone ? Peut-il y avoir normalisation lorsqu’un désaccord demeure au sujet de l’essentiel ? Paquin construit son exposé autour d’une définition contestable de la paradiplomatie identitaire qui, pour lui, « est une paradiplomatie ou une politique étrangère subétatique dont l’objectif fondamental est le renforcement ou la construction (nous soulignons, B.D.) de la nation minoritaire dans le cadre d’un pays multinational. » (p. 12) Même si le « renforcement » de la nation peut effectivement être l’objectif de la paradiplomatie, il s’agit généralement d’un objectif secondaire. Le langage utilisé par les nationalistes catalans n’est pas d’abord celui de la force, mais bien celui de la liberté politique, c’est-à-dire celui de la non-subordination de la nation catalane à un principe qui lui serait extérieur.

Or, selon Paquin, les limites de l’Espagne en terme de concession, c’est précisément la liberté politique de la Catalogne : « En 1991, le Tribunal constitutionnel va accorder à la Generalitat de Catalogne le droit de faire la promotion de sa culture et de ses valeurs à l’extérieur de l’Espagne à la condition que cette politique ne mette pas en danger la souveraineté nationale et qu’elle ne crée pas d’obligations réciproques avec des États étrangers. » (p. 58) Par conséquent, si entente il y a, elle repose davantage sur des énoncés délibérément ambigus que sur un accord véritable au sujet des rapports entre Barcelone et Madrid.

Un modus vivendi peut être perçu comme une normalisation, un compromis ad hoc sur le partage des pouvoirs ou sur une participation au cabinet peut générer une stabilité temporaire, mais ce n’est pas le principe sur lequel se fonde généralement la démocratie. Même si les théoriciens de l’identité se plaisent à affirmer qu’on peut être à la fois Espagnol et Catalan, en bout de ligne, si c’est Madrid qui décide, et bien la nation catalane n’est pas libre. Puisque entre la liberté et la subordination, il n’y a pas de moyen terme.

Benoit Dubreuil, étudiant

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