Ne cherchez pas dans les dictionnaires, le terme « capitalien » n’existe pas ! Du moins, pas encore ! Je l’ai carrément inventé car je ne me suis jamais senti à l’aise avec celui de « capitaliste » qui est trop associé dans ma tête à d’autres termes comme « profiteur », « possédant », « exploiteur »… et j’en passe ! Mes racines familiales, les valeurs sociales issues de ma formation citoyenne et universitaire, mon implication syndicale et coopérative ont fait de moi un homme dit « de gauche », plus intéressé aux mécanismes de partage de la richesse qu’au processus de sa création. Tout au long des 45 années de ma vie professionnelle, je me suis profondément investi dans une multitude de projets sociaux, politiques et économiques visant tous, à divers degrés d’intensité et d’efficacité, à affranchir le plus grand nombre possible de mes concitoyens des « règles du jeu » pures et dures du système capitaliste.
De nouveaux propriétaires
Par un curieux retour des choses (et peut-être y ai-je contribué à ma façon ?), à la faveur d’une profonde mutation des économies occidentales, des millions de mes concitoyens, formés et motivés à s’affranchir des maîtres traditionnels de l’économie, sont devenus petit à petit d’importants bailleurs de fonds. Pendant un demi-siècle, ils ont épargné. Ils ont constitué et alimenté d’immenses réservoirs d’épargne collective, certains datant du début du XXe siècle, comme les coopératives d’épargne et de crédit ou les mutuelles d’assurance, d’autres plus récents comme la panoplie de régimes d’épargne (retraite, études, actions…) sans oublier une innovation purement québécoise, les fonds de travailleurs. Si on additionne aujourd’hui la valeur actuelle des actifs sous gestion de l’ensemble de ces instruments financiers, tant du domaine public que privé, on dépasse les mille milliards de dollars, soit plus de 125 000 $ par Québécois.
Qui sont ces nouveaux propriétaires de l’économie, des entreprises, des moyens de production de biens et de services, créateurs de richesse ? Vous et moi. Par notre patrimoine personnel et celui de nos caisses de retraite, nous sommes devenus les principaux fournisseurs de capitaux pour les gouvernements et les entreprises. Nous détenons la majorité des actions votantes et participantes d’un nombre important de grandes et moyennes entreprises à propriété canadienne ou québécoise. Partis de rien au tournant des années 1900, nous voilà devenus, un siècle plus tard, de « nouveaux capitalistes », propriétaires d’un riche patrimoine de titres financiers diversifiés et rentables. En ce sens, je préfère de loin ce vocable de « capitalien » qui intègre à mes yeux, l’acte d’épargner et d’investir à un ensemble de valeurs éthiques, environnementales, sociales et communautaires.
De nouvelles responsabilités
Mais avons-nous mesuré toute la responsabilité que ce statut d’actionnaire majoritaire nous impose ? N’avons-nous pas trop facilement abdiqué devant les défis et les efforts que notre statut de propriétaire nous commande ? Ou alors, tardons-nous à prendre conscience de tout le potentiel que ce revirement de situation entraînera dans l’avenir ? Nous attendons encore le changement venu d’en haut ou d’un messie, alors que nous tenons dans nos mains, chacun de nous, une partie de la solution. Mais soyons patients ! Les mentalités prennent souvent plus de temps à changer que les structures de la société.
L’objectif de cet essai est double :
- Faire le point sur la santé financière de ces nouveaux « capitaliens » que nous sommes devenus. Quel est l’état de notre épargne patrimoniale ? Dans quels conduits l’avons-nous logée ? Comment la fait-on fructifier ? Sommes-nous proactifs ou laissons-nous tout simplement des inconnus prendre les décisions à notre place ? La plupart des données utilisées dans ce dossier présentent la situation au 31 décembre 2008[1].
- Décrire une stratégie possible menant à l’émergence d’un nouveau capitalisme, animé par un « capitalien conscient et responsable », seul joueur en mesure de transformer en profondeur et de façon consistante les règles des marchés financiers et celles de la gestion de nos grandes sociétés.
Portrait de nos actifs financiers
Je rappelle la date de référence de ce portrait : le 31 décembre 2008. C’est la plus récente photographie de notre épargne collective où toutes les données disponibles convergent au moment de la rédaction de cet essai. J’ai puisé l’information à plusieurs sources : statistiques compilées par des organismes fédéraux comme la Banque du Canada et Statistique Canada ou québécois comme la Régie des rentes et l’Institut de la statistique du Québec. Chacun de ces chiffres a fait l’objet d’une validation par des experts en finance et en économie. Les sources consultées sont présentées globalement dans le site du MÉDAC[2] pour alléger la lecture du texte. Afin de donner une image plus concrète de ces chiffres, je les ai ramenés sur deux bases : « per capita » (montant global divisé par la population du Québec) et « par ménage » (montant global divisé par le nombre de ménages au Québec). Rappelons que selon l’Institut de la statistique du Québec, on comptait, en 2008, 7 753 476 habitants et 3 189 345 ménages, soit une moyenne de 2,43 habitants par ménage.
Actifs financiers totaux
Les actifs financiers totaux détenus par l’ensemble des épargnants du Québec s’élèvent à 601 milliards de dollars à la date de référence, soit une moyenne de 188 440 $ par ménage ou 77 514 $ per capita.
Tableau 1
Actifs financiers totaux au 31 décembre 2008
Population |
Par ménage |
Per capita |
|
Actifs financiers totaux |
601 000 000 000 |
188 440 |
77 514
|
Voyons dans quels conduits sont répartis les actifs financiers des Québécois.
Les dépôts bancaires
Le premier conduit utilisé pour canaliser l’épargne et la faire fructifier est le DÉPÔT BANCAIRE. C’est à coup sûr, le conduit financier le plus simple, le plus sécuritaire et le mieux connu. Dès que vous ouvrez un compte auprès d’une institution financière (caisse populaire, banque à charte) et que vous y déposez un montant, vous devenez un maillon du circuit de l’épargne.
Rappelons qu’au Québec, ces dépôts bancaires sont protégés par une assurance les garantissant jusqu’à concurrence de 100 000 $ par institution et par personne. L’Autorité des marchés financiers (AMF) gère cette assurance pour les dépôts auprès des caisses populaires et la Société d’assurance dépôts du Canada (SADC) couvre ceux auprès des banques à charte.
Le tableau suivant fait état des soldes de comptes bancaires détenus par les Québécois à notre date de référence.
Tableau 2
Valeur des dépôts bancaires
Population |
Par ménage |
Per capita |
|
Actifs financiers sous formes de dépôts |
135 000 000 000 |
42 328 |
17 411 |
Chaque ménage québécois possède des dépôts bancaires d’une valeur moyenne de 42 328 $ (ou 17 411 $ per capita). 53 % de cette épargne est logée auprès des coopératives d’épargne et de crédit (Caisses populaires Desjardins) et 47 % dans les banques à charte. Cette épargne sous forme de dépôts bancaires peut être répartie en 3 catégories distinctes : l’épargne à vue (sans contrainte de retrait) représente 22 % du total, l’épargne stable (avec divers délais de retrait) 8 % et les certificats de dépôts garantis (dont les échéances peuvent varier de 6 mois à plusieurs années) représentent près de 70 % de ce type d’épargne.
Tableau 3
Répartition des dépôts par catégorie de termes
Population |
Par ménage |
Per capita |
|
Dépôts à vue |
30 000 000 000 |
9 406 |
3 869 (22 %) |
Épargne stable |
12 000 000 000 |
3 762 |
1 548 (8 %) |
Certificats de dépôts garantis |
93 000 000 000 |
29 160 |
11 995 (70 %) |
Les placements en valeurs mobilières
Outre les dépôts bancaires, les épargnants peuvent utiliser de nombreux autres conduits pour faire fructifier leurs épargnes. Ils convertissent alors leurs liquidités en valeurs mobilières auprès d’un très grand nombre d’intermédiaires financiers. Ils peuvent le faire eux-mêmes avec l’aide d’un conseiller, courtier ou planificateur financier (ce qu’on appelle la « gestion directe » ou « autonome »). Ils peuvent au contraire confier ces épargnes à un gestionnaire de fonds de placement et d’investissement (ce qu’on désigne sous le vocable de « gestion déléguée »). C’est dans cette dernière catégorie qu’on retrouve les fonds communs de placement, mieux connus sous le nom de « fonds mutuels ».
Tableau 4
Placements par type de gestion
Population |
Par ménage |
Per capita |
|
Gestion directe |
107 000 000 000 |
33 549 |
13 800 (56 %) |
Gestion déléguée |
83 000 000 000 |
26 024 |
10 705 (44 %) |
Total |
190 000 000 000 |
59 573 |
24 505 (100 %) |
Ce tableau indique que les épargnants québécois détenaient pour 190 milliards de dollars sous forme de placements en valeurs mobilières de différentes catégories (actions ordinaires ou privilégiées, obligations, billets, parts de fonds) dont 56 % faisaient l’objet d’une gestion directe par l’épargnant alors que 44 % étaient confiés aux gestionnaires de fonds communs de placement.
Fait intéressant à souligner : les épargnants québécois détenaient directement pour 50,7 milliards de dollars sous forme d’actions ordinaires ou privilégiées d’entreprises, soit 15 771 $ par ménage ou 6 487 $ per capita.
Les caisses de retraite
En plus des dépôts bancaires et des placements en valeurs mobilières (alimentés par l’effort individuel des épargnants), une proportion importante de l’épargne des Québécois est investie via les caisses ou régimes de retraite. Ce type d’épargne à long terme est généré par une volonté collective et structurée de groupes de salariés et d’employeurs (les cotisants) d’offrir des prestations à leurs membres durant leur vie de retraité. Les sources d’information sur les caisses de retraite des Québécois sont nombreuses et dispersées. La Régie des rentes du Québec, (dont l’actif net avoisine à elle seule les 26 milliards de dollars) compile chaque année des données sur les régimes publics en vigueur qui s’adressent aux salariés de la fonction publique québécoise. Elle supervise de plus l’état des régimes complémentaires de retraite des salariés du secteur privé. Cependant de larges secteurs n’y figurent pas, notamment les régimes de retraite des employés de l’administration fédérale qui résident au Québec.
Tableau 5
Épargnes sous gestion par les caisses de retraite
Population |
Par ménage |
Per capita |
|
Régimes publics |
82 000 000 000 |
25 710 |
10 575 (29,7 %) |
Régimes privés |
99 000 000 000 |
31 040 |
12 768 (35,9 %) |
Régimes divers |
95 000 000 000 |
29 786 |
12 252 (34,4 %) |
Total |
276 000 000 000 |
86 538 |
35 597 (100 %) |
Le plus important gestionnaire des caisses de retraite des Québécois est la Caisse de dépôt et de placement du Québec, avec un actif net sous gestion de 120 milliards de dollars au 31 décembre 2008 (43 % du total).
L’assurance-vie
Même si elle ne constitue pas un actif financier tangible à inscrire au bilan personnel d’un individu ou d’un ménage, l’assurance-vie souscrite par les résidents du Québec représente des sommes colossales. Les primes d’assurance souscrites et payées ont constitué au fil des années d’imposants réservoirs d’épargne collective gérée par une centaine de sociétés et compagnies d’assurance de personnes.
Tableau 6
Valeurs des assurances vie en vigueur
Population |
Par ménage |
Per capita |
|
Régimes individuels |
395 000 000 000 |
123 850 |
50 995 (58 %) |
Régimes collectifs |
285 000 000 000 |
89 360 |
36 757 (42 %) |
Total |
680 000 000 000 |
213 210 |
87 702 (100 %) |
La valeur des polices d’assurance-vie en vigueur au 31 décembre 2008 s’élève à 680 milliards de dollars dont 58 % provient de polices souscrites individuellement et 42 % de polices souscrites dans le cadre de régimes collectifs d’entreprises ou d’associations. Chaque Québécois possède en moyenne une valeur de 87 700 $ en assurance-vie et chaque ménage 213 210 $.
Tableau synthèse des actifs financiers
En ne tenant pas compte de la valeur de l’assurance-vie en vigueur, les actifs financiers totaux détenus par les épargnants québécois atteignent ainsi la somme de 601 milliards de dollars répartis entre les différentes catégories suivantes :
Tableau 7
Actifs financiers totaux
Population |
Par ménage |
Per capita |
|
Dépôts bancaires |
135 000 000 000 |
42 328 |
17 411 (22,5 %) |
Placements en valeurs mobilières |
190 000 000 000 |
59 573 |
24 505 (31,6 %) |
Régimes de retraite |
276 000 000 000 |
86 538 |
35 597 (45,9 %) |
Total |
601 000 000 000 |
188 440 |
77 514 (100 %) |
Ainsi, à notre date de référence, 22,5 % des actifs financiers des ménages et individus québécois sont constitués de dépôts bancaires, 31,6 % sont sous forme de titres de placements en valeurs mobilières et 45,9 % sont sous gestion dans les caisses et régimes de retraite. La valeur moyenne des actifs financiers détenus par les ménages s’élève ainsi à 188 440 $, soit 77 514 $ par habitant, tout groupe d’âge confondu.
Pour compléter ce tableau dans la colonne des actifs, nous pouvons aussi y ajouter les actifs non financiers, comme la valeur foncière des résidences. Au 31 décembre 2008, une valeur de 472,6 milliards de dollars figure au rôle d’évaluation global des ménages québécois. Nous atteignons alors un total d’actif de 1 073,6 milliards de dollars. La valeur moyenne des actifs financiers et non financiers détenus par les ménages du Québec s’élève alors à 336 643 $, soit 138 479 $ par habitant.
L’endettement et la valeur nette des ménages
Nous pouvons également tenir compte de l’endettement en dressant le tableau des passifs afin de dégager la valeur nette moyenne des Québécois. Le tableau suivant nous indique une valeur nette qui dépasse les 282 000 $ en moyenne par ménage québécois ou 116 000 $ per capita.
Population |
Par ménage |
Per capita |
|
Actifs financiers |
601 000 000 000 |
188 440 |
77 514 |
Actifs immobiliers |
472 000 000 000 |
148 203 |
60 965 |
Actif total |
1 073 000 000 000 |
336 643 |
138 479 |
Prêts hypothécaires |
120 300 000 000 |
37 719 |
15 515 |
Crédit consommation |
52 700 000 000 |
16 524 |
6 797 |
Passif total |
173 000 000 000 |
54 243 |
22 312 |
Valeur nette |
900 000 000 000 |
282 189 |
116 077 |
Conclusion
Nous sommes beaucoup plus riches qu’on le pense ! Du moins, collectivement. Et la richesse n’est malheureusement pas répartie équitablement entre les individus et les ménages. Mais le fait est que nous avons constitué au cours des dernières générations d’importants réservoirs d’épargne, de façon individuelle ou collective. Cette épargne est notre richesse et représente un levier indispensable à notre prospérité et à celle de nos descendants. Bien sûr, notre premier devoir est de s’assurer qu’elle fructifie de façon stable et régulière afin d’en préserver la valeur intégrale au fil des années. Mais l’autre devoir tout aussi indiscutable que nous avons en tant que détenteurs de ces actifs financiers est d’influencer et d’orienter les choix stratégiques que font les administrateurs et dirigeants des entreprises lorsqu’ils font appel à ces épargnes. Nous leur déléguons trop facilement nos prérogatives de propriétaires.
C’est précisément l’objet de la deuxième partie de cet essai que d’identifier les gestes à poser par ces millions de petits épargnants et investisseurs qui le souhaitent (que nous désignerons dorénavant sous le vocable de « capitaliens ») afin qu’ils exercent pleinement leurs droits et responsabilités dans la gouverne des sociétés et de l’économie en général.
La stratégie du capitalien
Pour bien marquer la différence entre le capitaliste traditionnel et le nouveau qui se profile à l’horizon, il importe de définir une stratégie spécifique au capitalien. Cette stratégie se déploie essentiellement autour de quatre principes d’action et d’intervention :
- le capitalien est un investisseur à long terme, formé et bien branché ;
- le capitalien sait conjuguer recherche du rendement, critères éthiques et impacts sur le développement durable ;
- le capitalien connaît ses droits et les exerce ;
- le capitalien est un acteur responsable et engagé, militant pour une démocratie actionnariale renforcée.
Avant de décrire plus en détail chacune des composantes de cette stratégie, il est essentiel d’insister sur une notion indispensable, voire incontournable, celle de la conscience. Conscience de son pouvoir d’influence, conscience de ses forces et faiblesses, conscience de ses capacités d’analyse et de prises de décision en matière d’investissement. Cette conscience donne naissance au statut de capitalien. Elle déclenche une attitude de confiance, de fierté et de combativité. Elle transforme l’individu méfiant et craintif envers les marchés financiers en investisseur aguerri, assumant pleinement le rôle qui lui revient.
Un investisseur à long terme formé et branché
L’expérience récente des marchés financiers nous a brutalement rappelé qu’un danger permanent guette l’investisseur : l’éclatement des bulles spéculatives. Tels des moutons de Panurge, quand les valeurs boursières grimpent, tout le monde achète des actions. Quand ça commence à baisser, tous vendent en catastrophe, ce qui amplifie l’effet de spirale descendante. Pour sa part, le capitalien se tient loin des vagues moutonnières. Il garde le cap sur ses choix de titres et ses objectifs à long terme. Il ne liquide pas ses positions à la moindre secousse boursière, toujours forcément passagère. Il analyse périodiquement l’évolution de ses titres, s’intéresse à l’actualité pouvant avoir un impact sur eux, lit la documentation disponible et prend ses décisions de les acheter, les conserver ou les vendre en fonction de ses objectifs et de son seuil de tolérance au risque.
Pour atteindre son objectif de devenir un investisseur à long terme, le capitalien doit s’inscrire dans une démarche de formation continue. Chaque jour, de nouveaux produits financiers sont introduits sur le marché. D’autres deviennent de plus en plus complexes. D’astucieux promoteurs et leurs représentants font miroiter des rendements juteux à faible risque. Le capitalien ne se laisse pas séduire par toutes ces sirènes commerciales. Il n’achète que des produits qu’il connaît et comprend. Les plus simples sont toujours les meilleurs : des certificats de dépôts garantis, des actions ordinaires de grandes sociétés bien établies, des obligations négociables, des parts de fonds d’investissement bien gérés et à faibles frais de gestion… Le capitalien identifie ses sources d’information privilégiées. Il est branché sur l’actualité financière générale et celle qui touche particulièrement ses titres financiers.
Un investisseur prospère et socialement responsable
La rentabilité d’un investissement – et le niveau de risque qu’il comporte – demeure le premier objectif du capitalien. À chacun de déterminer les objectifs qui lui conviennent. La rémunération des capitaux propres, investis sous formes d’actions ordinaires ou privilégiées et matérialisée par des dividendes ou des plus-values, est tributaire de la performance économique de l’entreprise et de ses perspectives d’avenir. Une bonne connaissance des comptes d’exploitation de l’entreprise, de son bilan et des principes d’analyse financière constitue un atout indiscutable pour tout capitalien. Il pourra actualiser son analyse, raffiner son diagnostic et prendre lui-même les décisions d’y investir ou de s’en retirer.
Parce que le capitalien est un investisseur de longue haleine et patient, les facteurs non financiers (respect de l’environnement, comportement éthique et impact sur le développement durable) deviennent pour lui de première importance. La pérennité de l’entreprise et sa capacité à croître et à dégager des marges bénéficiaires seront d’autant plus grandes que ces facteurs seront pris en compte en priorité. De saines et harmonieuses relations sociales, tant à l’interne entre dirigeants et employés qu’à l’externe (clients, fournisseurs, collectivités…) concourent à éliminer les risques de conflits et d’affrontements perturbateurs.
Un investisseur conscient de ses droits et apte à les exercer
Le grand absent de la « démocratie actionnariale », c’est l’actionnaire lui-même ! Voilà un constat que viennent de faire les analystes et autorités réglementaires de tous les pays à économie de marché, suite aux récents déboires qu’ont connus les marchés financiers mondiaux. Et tous appellent à une « revalorisation du statut de l’actionnaire », à « réinventer la relation entre les actionnaires et l’entreprise dont ils sont propriétaires ». Le capitalien s’inscrit d’emblée dans cette démarche de valorisation. Il en fait même une revendication permanente et souscrit à toute réforme réglementaire ou législative qui y concoure.
En conséquence, il connaît bien ses droits fondamentaux prescrits par les lois et règlements sur la gestion et la gouvernance d’entreprise et s’applique à les exercer. S’il ne peut le faire physiquement, en participant aux assemblées annuelles des actionnaires par exemple, il mandate un fondé de pouvoir afin d’exercer ses droits de vote en fonction de ses choix et critères d’évaluation personnels. Le capitalien n’est pas indifférent à l’élection des membres du conseil d’administration. Pour aiguillonner les administrateurs à jouer pleinement leur rôle de surveillance des dirigeants et surtout, à ne pas laisser confondre les intérêts de ces derniers avec ceux de la société et des actionnaires, le capitalien analyse les candidatures proposées et exercent ses droits de vote en fonction de ses propres critères de sélection. Il demande avec insistance que le processus de mise en candidature aux postes d’administrateurs soit structuré de façon à offrir un choix de candidats plus nombreux que de postes à pourvoir.
Les droits des capitaliens sont en pleine mutation. Par exemple, en 2010, dans une vingtaine de grandes sociétés québécoises et canadiennes, ils ont pu se prononcer par un vote consultatif sur la structure et l’approche du conseil d’administration en matière de rémunération des hauts dirigeants. C’est une occasion unique et privilégiée qu’ont eu alors tous les capitaliens, propriétaires de titres de ces entreprises d’exprimer leur accord ou désaccord sur cette épineuse question.
Afin de saisir la progression récente des droits du capitalien, je vous réfère à notre site.
Un investisseur engagé et militant
Tout capitalien digne de ce nom doit s’engager et militer pour l’élargissement de ses droits, pour l’amélioration des principes de saine gouvernance et pour le développement d’une authentique démocratie actionnariale. La présentation de propositions à l’occasion des assemblées annuelles des actionnaires est une méthode très efficace de le faire. Des dispositions législatives le permettent déjà depuis plusieurs années pour les sociétés détenant une charte fédérale. Il sera également possible de le faire lors des assemblées annuelles des compagnies à charte québécoise, suite à la refonte de la Loi des compagnies du Québec (LCQ) adoptée par l’Assemblée nationale en décembre 2009.
Le MÉDAC fut un pionnier dans ce domaine il y a 15 ans. Plus de 80 propositions ont été présentées et discutées. Plusieurs d’entre elles, d’abord rejetées lors des assemblées, sont devenues aujourd’hui réalité. Certaines ont aussi été appuyées par une majorité des actionnaires, malgré la recommandation négative de la direction et du conseil d’administration.
La façon la plus simple, la moins coûteuse et la plus efficace qu’un capitalien puisse utiliser pour présenter une propositin est de devenir membre du MÉDAC. Pour 35 $ par année, non seulement pourra-t-il compter sur des services de formation continue et de référence dans le domaine financier, mais il s’assurera que ses droits et intérêts seront bien représentés à tous les paliers de décision. Il pourra exercer ses droits de vote en désignant le MÉDAC comme son « fondé de pouvoir » lors des assemblées annuelles où des représentants seront présents. Il sera convoqué périodiquement à participer à des forums, conférences et colloques afin de compléter son information et exprimer son opinion.
Comme le rappelle constamment le président du MÉDAC, M. Claude Béland, à l’occasion des nombreuses conférences qu’il prononce à travers le Québec : « Malheur au petit actionnaire isolé et inconscient. Seul le regroupement, l’entraide et la mise en commun de nos ressources peut nous permettre de bâtir une économie plus juste, plus prospère et plus respectueuse de nos valeurs collectives. »
Merci aux gens du MÉDAC
L’idée et l’inspiration à écrire cet essai proviennent de diverses sources. Trois années à titre de conseiller en formation au sein du MÉDAC[3] m’ont donné la chance de mieux connaître les problèmes et aspirations de centaines de petits épargnants et investisseurs québécois désireux de s’initier aux rouages complexes des marchés financiers[4]. Une multitude de lectures a aussi forcément accompagné ce mandat de formation, tant celles sur l’actualité économique quotidienne, prompte et nerveuse, jusqu’aux ouvrages universitaires de plus longue portée, dont un en particulier m’a particulièrement séduit et est devenu en quelque sorte ma « bible du capitalien[5] ».
Mais d’abord et surtout, le contact avec toutes ces personnes qui militent au sein du MÉDAC, y consacrant un temps fou à scruter l’actualité, à prononcer des conférences, à préparer des mémoires, à présenter et à débattre des propositions d’actionnaires lors d’assemblées annuelles de banques ou de grandes sociétés… C’est à elles que je dédie cet essai. Pour n’en mentionner que deux, je pense à celui qui au départ, les a rassemblées, M. Yves Michaud, le président fondateur et à M. Claude Béland, qui en préside les destinées depuis janvier 2009.
Je remercie aussi du fond du cœur la secrétaire du conseil d’administration, Madame Louise Champoux-Paillé qui nous alimente quotidiennement en informations, études et statistiques relatives à la saine gouvernance de nos sociétés et entreprises. Son travail de vigie et d’analyse m’a permis de toujours demeurer à la fine pointe de l’actualité.
Je suis redevable finalement à la perspicacité et la ténacité de mon ami de longue date, Fernand Daoust afin que j’accouche d’un texte sur les notions les plus élémentaires du domaine financier à l’intention de nos concitoyens les plus néophytes en la matière. C’est en pensant à eux que j’ai entrepris la rédaction d’une deuxième version de cet essai, et que j’ai respectueusement intitulée : « la finance capitalienne expliquée aux nuls ».
[1] Nous nous trouvions alors au creux de la pire débâcle boursière depuis le crash de 1929. Bien sûr, depuis ce temps, les marchés financiers se sont redressés, si bien qu’aujourd’hui le bilan risque de s’être nettement amélioré.
[2] Banque du Canada, Répartition régionale des actifs et passifs des banques à charte, tableaux C5 et C6, Édition de novembre 2009. Rapport annuel du Mouvement des Caisses Desjardins, Bilan cumulé au 31 décembre 2008, page 118. Institut de la statistique du Québec, Actif sous gestion des sociétés de courtage au détail, Compilation 2009. Régie des Rentes du Québec, Évolution de l’épargne au Québec 1999-2005. L’assurance de personnes au Québec, Évaluation foncière uniformisée, exercice financier 2009, Affaires municipales et occupation du territoire, Québec
[3] Le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires est une association à but non-lucratif vouée à l’éducation financière des petits investisseurs du Québec et à la promotion et défense de leurs droits et intérêts. Plus d’informations sont disponibles sur le site : www.medac.qc.ca
[4]Passeport MÉDAC est un programme de formation de 12 heures offert par le MÉDAC en collaboration avec l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.
[5] S. Davis, J. Lukomnik, D. Pitt-Watson, The New Capitalist, Harvard Business School Press, 2006.