Sylvain Gaudreault
Pragmatique. Quand le climat dicte l’action politique
Montréal, Éditions Somme toute, 2021, 152 pages
Le 14 septembre dernier, Sylvain Gaudreault faisait paraître Pragmatique, un essai sur sa vision de la lutte contre les changements climatiques, aux Éditions Somme toute. À tous ceux qui en doutaient encore, ce livre rappelle que l’environnement est la cause de la vie du député péquiste de Jonquière, qu’il cherche depuis quelques années à marier avec le projet d’indépendance du Québec. C’est dans la continuité de sa course à la chefferie du Parti québécois, où il disait vouloir faire du Québec « le premier pays vert à l’ONU », qu’il faut situer cet ouvrage, misant sur le langage du pragmatisme pour convaincre de la nécessité d’une action sur le climat.
Un pragmatisme environnemental
Annonçant lui-même vouloir s’éloigner du discours apocalyptique et « éco-anxieux » de certains environnementalistes aujourd’hui, la grande thèse que défend Gaudreault est que le pragmatisme serait aujourd’hui du côté de la lutte aux changements climatiques. Avec la connaissance du dossier qu’on lui connaît, il énumère les risques réels que font planer les changements climatiques sur des secteurs aussi variés que l’agriculture, l’eau potable, les côtes, les forêts et la santé publique, pour en venir à la conclusion qu’il est plus risqué de ne rien faire que d’agir pour renverser la tendance.
Soucieux d’éviter tant que possible la polarisation entre écologistes radicaux et modérés, entre urbains et ruraux, le discours de Sylvain Gaudreault rappelle les raisons profondes derrière le consensus aujourd’hui généralisé en faveur d’une action environnementale : la menace que pose la crise climatique à notre mode de vie. Ces risques très réels sur nos milieux de vie et la volonté de les préserver sont au cœur de la mobilisation sans précédent pour l’environnement, bien avant toute volonté révolutionnaire.
Incohérence identitaire
Le sentiment auquel le député de Jonquière souhaite faire appel chez les citoyens est conservateur au sens pur : il s’agit de la crainte de perdre un certain mode de vie, de même que certains milieux et paysages qui se voient aujourd’hui menacés par la crise écologique. En ce sens, il est résolument pragmatique d’agir pour les préserver, et un tel discours a de bien meilleures chances de rallier une majorité qu’un certain altermondialisme qui semble davantage vouloir faire payer l’Occident qu’éviter la catastrophe.
Cependant, on se demandera pourquoi Gaudreault, qui trouve cette crainte fort légitime en matière environnementale, y semble allergique lorsqu’il est question d’identité québécoise, et en particulier d’immigration. Pour un élu péquiste de surcroît, il serait tout naturel de constater que la crainte légitime des Québécois de devenir étrangers chez eux, en raison de l’anglicisation et de l’immigration de masse, est éminemment compatible avec la crainte de perdre son mode de vie en raison des changements climatiques.
Malgré cela, tout comme durant sa course à la chefferie menée sous le signe d’un « nationalisme civique » à la Gérard Bouchard, Sylvain Gaudreault demeure insensible au discours identitaire. Sonnant l’alarme voulant que jusqu’à un milliard de « réfugiés climatiques » puissent devoir immigrer à l’échelle mondiale d’ici 2050, il appelle les Québécois à accepter béatement cette « réalité inévitable », assimilant toute volonté de baisser les seuils d’immigration à un « sentiment xénophobe ». Il postule même que, d’ici à l’indépendance, le Québec devrait inciter Ottawa à accueillir davantage de migrants pour des raisons climatiques.
Pourtant, la lutte des Québécois pour préserver leur identité n’est-elle pas, tout comme la lutte contre les changements climatiques, un combat à contre-courant qui nécessite justement de ne pas accepter une réalité trop souvent présentée comme inévitable ?
Oublier le sens du pays
Fidèle à lui-même, Sylvain Gaudreault conclut Pragmatique avec un plaidoyer pour l’indépendance du Québec au nom de l’environnement, tout en faisant un effort supplémentaire pour dissocier le projet de ses fondements identitaires. Disant vouloir faire du pays un projet « positif », il répugne à l’idée d’en faire un « projet de survivance » ou de se placer dans une « posture défensive ». Qu’importe que ce soient les raisons fortes ayant toujours motivé le mouvement souverainiste !
Encore une fois, cette logique incohérente frappe un mur. Gaudreault parle volontiers du Canada comme « risque climatique et financier » pour le Québec, et appelle à l’action climatique dans un esprit essentiellement « défensif », soit pour éviter les pires conséquences des changements climatiques. Pourquoi alors se refuse-t-il à parler du Canada comme risque identitaire pour le Québec ? Sur ce point, il est d’ailleurs en porte-à-faux avec son chef, Paul St-Pierre-Plamondon, qui débutait son essai Rebâtir le camp du OUI en affirmant que l’indépendance est avant tout « une question de survie linguistique et culturelle pour le Québec14. »
Dans le cas de l’écologie comme celui de l’identité québécoise, le sentiment est le même : cette crainte foncièrement conservatrice de perdre quelque chose de précieux auquel on est profondément attaché. Sylvain Gaudreault a mille fois raison de clamer qu’il est pragmatique de vouloir sauvegarder notre mode de vie face à la crise climatique. Mais pourquoi ne pas oser en dire autant de la lutte pour un Québec français ? Ces deux combats sont éminemment compatibles, et ils ont tous deux leur place au sein du discours nationaliste et indépendantiste aujourd’hui.
14 Paul St-Pierre Plamondon, Rebâtir le camp du Oui, VLB, 2020, p. 7.