Le départ de Pierre Vadeboncoeur constitue une perte incalculable pour le Québec actuel. Il est un écrivain unique qui a profondément marqué le Québec. Non pas que ses ouvrages aient remporté des succès de librairie. Ses livres se vendaient peu. Ils n’étaient pas très présents sur la place publique. Je parierais que la très grande majorité de nos hommes publics, des enseignants, des étudiants ne l’avaient à peu près pas lu. C’est par l’intermédiaire d’un petit groupe de lecteurs fervents qu’il rejoignait le grand public et a exercé sur le Québec une influence importante.
Le départ de Pierre Vadeboncoeur constitue une perte incalculable pour le Québec actuel. Il est un écrivain unique qui a profondément marqué le Québec. Non pas que ses ouvrages aient remporté des succès de librairie. Ses livres se vendaient peu. Ils n’étaient pas très présents sur la place publique. Je parierais que la très grande majorité de nos hommes publics, des enseignants, des étudiants ne l’avaient à peu près pas lu. C’est par l’intermédiaire d’un petit groupe de lecteurs fervents qu’il rejoignait le grand public et a exercé sur le Québec une influence importante.
Vadeboncoeur n’était pas un philosophe, mais un écrivain. Il n’avait pas de système de pensée. Il n’était pas un spécialiste qui se choisit un sujet de recherche et qui y consacre toute son énergie. Je dirais que son oeuvre n’est pas une construction dont le plan serait établi au point de départ. Elle est une démarche qui s’ajuste à la réalité à mesure qu’elle se poursuit. Il aimait à dire qu’il écrivait à partir de l’inconnu qui était en lui. Et c’est à partir de cet inconnu qu’il construisit peu à peu une oeuvre considérable dont je voudrais tenter de repérer les lignes de force.
Je parle de l’oeuvre de Vadeboncoeur. Je veux signifier que ces différents écrits ne sont pas des éléments d’un ensemble disparate. Ils forment un tout, s’appellent, s’annoncent, se complètent, se font écho. Cette oeuvre ne se développe pas selon les règles d’un système mais par approfondissement. Les premiers ouvrages annoncent les suivants et les derniers précisent les précédents. Quand, en 1995, je publiai mon livre, Un homme attentif, Pierre Vadeboncoeur, j’affirmais que cette oeuvre était loin d’être achevée, qu’elle annonçait plusieurs ouvrages à venir. Il m’avait répondu que je voyais juste et je compris qu’il entrevoyait déjà ce qu’il écrirait par la suite. Il faut dire de plus que cette oeuvre reste ouverte, qu’elle est inachevée. Nous en sommes encore trop proches pour en faire une lecture exhaustive, mais nous pouvons comprendre que la passion qui l’anime a une portée prophétique. L’oeuvre de Vadeboncoeur est immense, étalée dans plusieurs livres, dans des revues et des journaux. Une première tâche qui s’impose est de dresser la bibliographie de cette production unique. Il est à souhaiter aussi qu’une maison d’édition publie le plus vite possible une édition de ses oeuvres complètes, ce qui en faciliterait beaucoup la connaissance.
Le premier texte de Vadeboncoeur, qui avait alors vingt-cinq ans, est publié dans la revue La Nouvelle relève, en 1945. Il a pour titre : « La Joie ». C’est un texte hautement spirituel, celui d’un jeune homme qui s’interroge sur l’existence humaine, sur le sens de la vie, sur la place de l’homme dans l’Univers, et qui met la joie au-dessus de tout. La joie, je dirais qu’elle est ici la fine fleur de la culture et de la civilisation. Elle « intègre d’un seul coup le fait de l’univers dans une pensée métaphysique parfaite ».
Le mouvement premier de l’intellectuel Vadeboncoeur qui s’interroge sur sa place dans l’univers, sur le sens de l’existence humaine, est de placer la liberté spirituelle au-dessus de tout, et implicitement d’envisager sa propre existence comme une recherche, une poursuite de cette liberté. Cette démarche est fondamentale, elle est au principe même de la vie personnelle et de la vie intellectuelle, et elle s’enracine dans l’histoire. Le jeune Vadeboncoeur croyait que la modernité, fondamentalement, était synonyme de liberté, que notre époque effectuerait une profonde révolution démocratique dans le sillage de la Révolution française qui avait donné le pouvoir au peuple. Il avait beaucoup d’admiration pour la Révolution française, et croyait, fidèle en cela à un de ses maîtres, Charles Péguy, que l’esprit démocratique finirait par l’emporter, que « l’autorité du peuple » finirait par s’imposer. Il a confié à Michel Rioux que dans son syndicalisme de terrain, il était « largement inspiré par une conscience qui ne s’isolait pas du rêve social universel ». Pour lui, une révolution était en marche dans la société moderne, et elle finirait par s’imposer. Le sens de cette révolution, c’était l’avènement de la liberté, de l’égalité, de la justice. Cette révolution se manifestait par le remplacement des régimes autoritaires ou aristocratiques d’autrefois par la démocratie, mais aussi par différents mouvements souvent aveugles, confus, comme les grèves, les contestations de la jeunesse, qui étaient l’expression des forces obscures ou souterraines de l’histoire. Il a cru pendant un certain temps que le mouvement syndical contribuerait activement à cette révolution, mais il s’aperçut très vite que le syndicalisme était emporté dans la tourmente. Dans un texte publié en 1961, dans Écrits du Canada français, « Projection du syndicalisme américain », texte repris dans La Ligne du risque, il montre que ce syndicalisme a perdu sa force révolutionnaire pour devenir une institution au service du capitalisme. Au lieu de défier le capitalisme, il lui fournit des bases. Il ne travaille pas à inventer une nouvelle société, il fait le jeu de la démocratie américaine qui est en fait une ploutocratie. « Il est, écrit-il, comme un phénomène nouveau, imprévu, sans culture, inconscient du passé, comme tout ce qui existe en Amérique du Nord. » Vadeboncoeur militera pendant de nombreuses années au sein du syndicalisme québécois, mais il aura bien conscience que l’intention révolutionnaire portée par le mouvement syndical n’atteindra pas ses objectifs. J’y reviendrai plus loin.
Donc le jeune Vadeboncoeur qui rêvait d’une révolution en profondeur, qui voyait la modernité comme l’avènement de la libération de l’homme, sera très déçu. Très tôt, comme il l’écrit dans Les deux royaumes, il s’est « trouvé dans un conflit tout intérieur avec le monde ». Il était « entré sans le savoir dans une opposition avec l’univers ambiant ». Lui qui rêvait de culture, de connaissance, de liberté, il se retrouve dans un monde qui a coupé le lien avec le passé, qui se dissipe dans une actualité vide, qui est tout dans l’instant. Ce que le processus historique a fait de nous ne compte plus. On ne se soucie plus de l’âme et de ses aspirations, de ses rêves, de ses soucis. Elle n’a plus droit de cité. « Le sacré qu’on porte en soi » est bafoué, l’âme est « livrée à plus bas qu’elle ». L’idée de bien, de vérité, de justice de l’âme, d’amour même est rejetée, et avec elle l’appel au dépassement ou à la perfection qu’elle éveillait et stimulait. Il faut relire les Trois essais sur l’insignifiance pour comprendre la sévérité du jugement que Vadeboncoeur porte sur la modernité. J’écris « sévérité », mais je corrigerais en utilisant « lucidité ». Ce qu’il décrit de façon magistrale dans ces trois essais, c’est le monde actuel, le règne de l’inculture, l’époque de la télé, du slogan, de la publicité, de la communication. Dans ce contexte, même les courants d’idées deviennent des événements qui se succèdent, les tensions historiques se résorbent en bagarres. La parole renonce à toute élaboration de sens pour se mettre au service du fait brut. Les informations diffusées par les médias forment un discours erratique, discontinu. On fixe le public sur le présent le plus court, sur l’instant. C’est le règne de l’aléa, la fin de la pensée, la mort de la culture.
Jusqu’à Les deux royaumes, Vadeboncoeur croyait à l’action. Il croyait qu’il pouvait changer le monde. Il croyait à la révolution. Cette croyance s’est évanouie. Il annonce qu’il se détourne du monde. Mais ce n’est pas si facile. Jusqu’à la fin de sa vie, il militera dans l’actualité. D’ailleurs, comme l’écrit Jean-Marcel Paquette, sa pensée n’est « que tendresse – elle ne condamne pas, elle souffre ». Ce qu’elle affirme, ce n’est pas la démission, c’est la liberté. Une liberté qui est un retour aux réalités premières, fondamentales, par-delà les conformismes modernes. Au coeur de cette démarche, ce qu’effectue Vadeboncoeur, c’est moins un refus qu’un acte de transgression. « J’ai commencé peu à peu de faire le contraire de l’époque actuelle… Je fais des choses absolument prohibées ». Il s’agit en quelque sorte d’un recommencement. C’est ce que nous verrons un peu plus loin.
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Comment se situe ce que j’appellerais l’engagement nationaliste de Vadeboncoeur dans ce contexte ? Il faut dire tout de suite que là aussi sa déception a été très grande.
Vadeboncoeur a participé à la revue La relève, il a été associé très étroitement à la revue Cité libre animée par Gérard Pelletier et Pierre Elliott Trudeau. À la fin de sa vie, il affirmait qu’il était loin de tout cela…
Pour Vadeboncoeur, la revue Cité libre, qui avait dressé la critique du régime conservateur de Duplessis, aurait dû normalement déboucher sur la promotion de l’indépendance du Québec. Or, au lieu de se lancer dans cette opération, elle est passée, avec Trudeau et les « Colombes », du côté du pouvoir fédéral. Le mouvement indépendantiste était porté par une volonté d’émancipation politique, mais aussi par la poursuite d’une société plus juste, par une volonté de contestation de la modernité bureaucratique, par une critique du capitalisme, de l’enfermement de la société québécoise dans un système asphyxiant. En 1976, il affirme que c’est pour travailler à la protection de l’intégrité de l’homme qu’il est indépendantiste. Selon lui, pour nous, l’indépendance est le moyen de répondre « à la manière particulière de notre âge, sous toutes les latitudes, à la menace de l’automatisme de l’histoire présente et à venir, et de la mécanique impérialiste, totalitaire, technocratique, cupide, aveugle, impersonnelle, cynique, pervertie, effrayante ». Et Vadeboncoeur développe sur le Québec, sur son histoire, son identité, une réflexion des plus lucides, des plus pénétrantes, une réflexion fortement imprégnée d’un sentiment d’urgence. Le Québec est menacé de toutes parts. Il risque de manquer le tournant. Les titres de ses livres à ce moment sonnent l’alarme : Indépendances, Un génocide en douce, Chaque jour l’indépendance, La Dernière heure et la première, To be or not to be, that is the question, Gouverner ou disparaître.
Vadeboncoeur réfléchit à ce moment, de façon angoissée, sur le présent, sur l’avenir, sur le passé, sur le destin du peuple québécois. Pendant deux siècles, le Québec était en quelque sorte indépendant, en marge de l’histoire, chez lui, sur ses terres, dans la paroisse, la famille. Or, avec l’avènement de la modernité, il n’est pas en sécurité, il est pénétré de partout. Il ne peut plus se contenter de l’espèce de nonchalance qui lui allait jusqu’à tout récemment. Il doit se prendre en main, « Gouverner ou disparaître ». J’aime à citer un passage éloquent et prémonitoire de La dernière heure et la première, et qui est repris dans Gouverner ou disparaître : « Il y a ceci de tout à fait nouveau : culture, liberté et pouvoir sont aujourd’hui absolument indissociables. Il n’y aura plus un jour ici de langue et de culture françaises, de liberté et de pouvoir, que munis de toute la force politique à laquelle nous puissions prétendre ». Pour Vadeboncoeur, il est clair que si le Québec ne se prend pas en main, s’il ne fait pas l’indépendance, il disparaîtra.
Vadeboncoeur défendra avec véhémence la cause de l’indépendance et il sera très déçu, à la fin de sa vie, de constater que l’indépendance ne se réalise pas, que le Québec sombre dans l’inconscience et la nonchalance. Pourquoi en est-il arrivé à cette démission, alors que tous les autres peuples de l’Amérique se sont pris en main ? Dans Un génocide en douce, il donne une explication qui me semble tout à fait séduisante. Le peuple québécois, dit-il, ne s’est jamais pris en main, il n’a jamais disposé du pouvoir. Il n’a jamais administré ni son territoire, ni ses relations internationales, ni la guerre. Sous le régime français, il était administré par la France. Sous le régime anglais, il était administré par l’Angleterre. Et jusqu’au milieu du vingtième siècle, cela ne l’incommodait pas trop. Il vivait chez lui, en marge de la grande société, en marge de l’histoire. Il a fini par « oublier qu’il est un peuple ». Il n’a pas conscience qu’il ne peut plus vivre en s’en remettant aux autres. Il vit dans une espèce de nonchalance qui lui sera fatale.
Une autre cause, selon Vadeboncoeur, de l’échec de la démarche vers l’indépendance, c’est le manque de fermeté de nos hommes politiques qui n’y sont jamais allés à fond, qui ont agi avec timidité. Le gouvernement québécois, écrit-il en 1976, n’oppose qu’une « assistance minime » aux « volontés du gouvernement central ». En 2007, il écrit : « La défaite cuisante, la dangereuse défaite du PQ s’explique. Ce n’est pas un mystère. Depuis quelques années, ce parti, dirait-on, fonctionne dans une espèce d’abstraction ». Et il faudrait parler de l’éducation, de l’absence de l’enseignement de l’histoire, de la littérature, de la langue… Jusqu’à la fin de sa vie, Vadeboncoeur, même s’il a annoncé plusieurs fois qu’il se détournait du combat politique, y revenait sans cesse, avec fermeté et indignation. Son dernier article dans L’Action nationale est à ce point de vue significatif. Il se termine par cette courte phrase : « Nous n’avons pas dit notre dernier mot ». Notre situation n’en est pas moins dramatique. Qu’on se rappelle le titre qu’il donnait à son recueil de textes en 1993 : « Gouverner ou disparaître » !
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Il y a de l’utopie chez Vadeboncoeur. Il a espéré une révolution sociale et culturelle qui ne s’est pas produite. Il a souhaité l’indépendance du Québec et y a travaillé, mais elle ne s’est pas réalisée. La révolution sociale, politique et culturelle qu’il souhaitait ne s’est pas produite, mais il persistait à y travailler dans le syndicalisme, à la production d’une oeuvre intellectuelle impressionnante. Vadeboncoeur était un esprit critique très lucide, mais non pessimiste. Il avait la conviction que l’homme n’est pas tout entier dans le social, la culture, la politique. L’homme était pour lui dans une relation tout à fait spéciale avec l’univers, une relation que je ne peux qualifier autrement que spirituelle. C’est ce qu’exprimait de façon tout à fait éloquente son tout premier article « La Joie », dont j’ai déjà parlé. Plus tard, il écrira dans L’absence : « Nous relevons sans le savoir d’une ontologie stable et lumineuse ». Dans la première partie de son oeuvre, il a souvent dénoncé ce qu’il appelait « le scepticisme » moderne. Le sceptique, c’est celui qui ne « croit » pas, celui qui, pour prendre l’expression de son dernier article dans Le Devoir, ne croit pas « à un autre règne que celui des choses qui passent ». Celui qui est fermé à ce qu’il appelle « cette ontologie stable et lumineuse » dont nous relevons. Celui qui est fermé à ce qui est au-delà de la rationalité, de la mécanique sociale.
Pour Vadeboncoeur, l’artiste est le non-sceptique par excellence. Il écrit dans L’autorité du peuple :« Aussi, le salut, dans la culture non chrétienne et non révolutionnaire contemporaine apparaît-il comme un destin individuel, dont le prototype est celui de l’artiste ». Vadeboncoeur croit à l’influence bienfaisante du christianisme dans l’histoire, à la validité de l’expérience mystique comme à la qualité de la démarche révolutionnaire. Mais l’artiste mène seul un combat contre le scepticisme, on pourrait dire contre l’incroyance, contre la stagnation sociale, contre l’immobilisme. Pour lui, Borduas est le croyant par excellence, parce qu’il a cru à la puissance de l’art capable de renouveler la société, parce qu’il a exprimé une réalité nouvelle. Pour Vadeboncoeur, Borduas est un des principaux artisans de la Révolution tranquille. Par ailleurs, cette Révolution tranquille s’est transformée en une capitulation tranquille. La démarche de Borduas aurait donc échoué. Il serait trop long de discuter ici de la relation de Vadeboncoeur à Borduas, mais il faut au moins tenter de décrire en quel sens, pour lui, l’art est un agent du salut de l’homme. Le mot qui résume peut-être le mieux le sens de l’art chez lui, c’est « révélation ». L’art est révélation de l’être. Il n’est pas l’effet d’un raisonnement, d’une recherche intellectuelle. Il n’a rien à voir avec les automatismes, le fonctionnalisme de la société moderne. Il est « voyant ». Il « éclaire tout », il nous enseigne que « seul, en définitive, l’imprévu arrive, la réussite comme l’échec ». Il nous permet de vivre dans le monde sans être possédés par lui.
Dans son dernier article publié dans Le Devoir, Vadeboncoeur présente la démarche artistique comme une rencontre de ce qu’il appelle la forme. La forme est la dimension éternelle de la réalité. Elle n’est « pas une idée, elle est réelle et fait partie des choses, mais dans un état parfaitement assuré dans l’être. L’intelligence, à son contact, touche à l’éternité ». Et c’est pourquoi il peut écrire que « l’art, fût-il noir, ne s’accommode que de la joie et cette leçon est éternelle ».
En 1978, Pierre Vadeboncoeur publie Les deux royaumes. C’est un livre qui a un accent dramatique et qui annonce une étape dans la vie de l’écrivain. Il se produit alors chez Vadeboncoeur une prise de conscience nouvelle. « Pour la première fois, dit-il, je me suis trouvé dans un conflit intérieur avec le monde ». Pourtant, ce conflit était déjà présent dans les oeuvres précédentes. Il faut croire qu’il connaît une intensité inédite.
Vadeboncoeur annonce alors qu’il se détourne du monde actuel, qu’il quitte le monde actuel. On dirait qu’il entre en religion ! Mais il ne se connaît pas ! Il ne sait pas que le Québec lui colle aux pieds, que le monde moderne lui colle à la peau. Ce n’est pas une question d’idées, d’idéologies. C’est une question d’être. Vadeboncoeur est un intellectuel, un homme d’action, un penseur. Il est immergé dans la réalité, et cette réalité l’habite. Il souhaiterait peut-être se détourner de l’actualité, mais il en est incapable. Il l’observe, la critique avec lucidité, avec passion, avec colère. Se conjuguent chez lui une grande capacité d’indignation et une grande capacité de contemplation.
Ce qui fait l’objet de l’indignation de Vadeboncoeur, c’est que la révolution québécoise, qui devait être une révolution spirituelle, qui devait éliminer le conservatisme, l’immobilisme de la société traditionnelle, s’est fourvoyée et a évacué ce qui aurait dû constituer l’âme même de la révolution. « Le scepticisme, écrit-il, a engendré la crédulité et la présomption. Le monde moderne s’est construit sur cette base précaire ». Il remarque qu’on a évacué les dogmes qui, indépendamment de leur vérité objective, « soutenaient la voûte du ciel de l’homme ». Ce passage annonce en quelque sorte un autre essai qui paraîtra en 2008, La clef de voûte, qui traite de la fidélité à une certitude qui est là depuis toujours, mais qui est compromise par la modernité. Si on enlève la clef de voûte, l’édifice s’écroule, la liberté n’a plus de sens, la cathédrale n’est plus qu’un tas de pierres !
Mais ce militant est aussi un contemplatif. Il s’intéresse beaucoup à l’art, non pas comme critique, mais comme artiste. Ses écrits sur l’art sont de l’ordre de la démarche artistique. D’ailleurs, il faut dire que toute son oeuvre relève plus de l’art que de la pensée. Elle est l’expression d’une grande aventure personnelle. C’est pourquoi il convient plus de la lire que de l’expliquer. C’est pourquoi aussi, que cette oeuvre traite de la société, de l’art ou de la foi, elle est toujours empreinte d’une très haute spiritualité.