Un nouveau pays surgira-t-il dans le Pacifique Sud?

À l’autre bout du monde, la question de l’indépendance sera posée le 4 novembre 2018 aux citoyens de la Kanaky–Nouvelle-Calédonie. Située à 2000 kilomètres à l’est des côtes australiennes, dans le sud de la Mélanésie, la Nouvelle-Calédonie est un ensemble d’îles, d’une superficie d’environ 18 500 km2 qui est équivalente au territoire de la Norvège. Ses 174 000 électeurs auront à trancher le destin de cette colonie française en répondant à la question suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » Le libellé de la question résulte d’un compromis adopté le 28 mars après quinze heures de débats à Matignon. Les indépendantistes voulaient qu’elle réfère à la pleine souveraineté et pas à l’indépendance alors que les loyalistes insistèrent pour inclure le mot indépendance avec l’intention de « faire peur aux gens1 ».

Ce référendum est reconnu non seulement par la France, mais aussi par les Nations unies. En effet, l’Assemblée générale des Nations unies a inscrit le 2 décembre 1986, par la résolution 41/41A, la Nouvelle-Calédonie sur la liste des pays à décoloniser. Le droit international reconnaît ainsi le droit du peuple kanak à l’autodétermination ce qui oblige l’État français à tenir un référendum et à en respecter les résultats. Le processus d’autodétermination a été approuvé par référendum le 6 novembre 1988 et est inscrit dans la constitution française.

En Nouvelle-Calédonie comme ailleurs, la domination coloniale se manifeste par des clivages ethnico-économiques entre le peuple kanak et les membres de communauté française installés sur l’île :

  • 26 % des chômeurs sont Kanaks comparativement à 7 % chez les non-Kanaks ;
  • 6 % des diplômés de l’enseignement supérieur sont d’origine kanake ;
  • 85 % des chefs d’entreprise sont des non-Kanaks ;
  • 75 % des ouvriers sont Kanaks ;
  • 90 % des prisonniers sont Kanaks alors qu’ils ne forment que 40 % de la population adulte2.

Sous toutes les latitudes, le colonialisme entraîne l’infériorité sociale des peuples colonisés. La conquête et la domination se font toujours au détriment des populations conquises quoiqu’en disent les colonisateurs.

Brève histoire du peuple kanak

La France a pris possession de cette île du Pacifique en septembre 1853. Il s’agissait pour l’empereur Napoléon III d’affirmer sa puissance dans le contexte de la rivalité avec la Grande-Bretagne. Les dirigeants français voulaient faire de ce territoire « l’Australie de la France » et y implanter une colonie de peuplement par une immigration massive qui remplacerait les populations indigènes. Ces nouveaux venus étaient pour l’essentiel des bagnards. On y a déporté des prisonniers de droit commun et des prisonniers politiques comme les Communards dont la célèbre révolutionnaire Louise Michel. Comme l’avaient fait les Britanniques au Canada et en Australie pour éliminer les Aborigènes, les Français s’emparèrent des terres et parquèrent les Kanaks dans des réserves. Ceux-ci furent dépossédés de 90 % de leurs terres. Il leur fut aussi interdit de parler leur langue. Cette spoliation des terres et de l’identité kanake engendrèrent un mouvement de résistance.

La principale insurrection kanake contre l’oppression coloniale eut lieu en 1878 et se solda par 1200 morts chez les Kanaks. Ils se révoltèrent ensuite contre la conscription obligatoire en 1917. Lors de l’Exposition coloniale de 1931 à Paris, 111 Kanaks furent exhibés en cage en tant que « cannibales authentiques3 ». Ce n’est qu’en 1946 qu’ils ont obtenu des droits civils comme le droit de vote et le droit de propriété et que l’identité kanake commença à se reconstruire.

Le mouvement indépendantiste s’est constitué dans la foulée de la contestation étudiante de mai 68 et de l’accession à l’indépendance d’une kyrielle de nouveaux États dans cette région du Pacifique dans les années soixante-dix : Fidji obtint son indépendance en 1970, la Papouasie Nouvelle-Guinée en 1975, les îles Salomons en 1976, les Nouvelles-Hébrides devenues Ni-Vanuatu en 1980. Formé par des étudiants qui avaient étudié en France, le mouvement indépendantiste fut marqué par l’idéologie de gauche avec la création de deux groupes, Foulards rouges et Groupe 1878 qui s’unirent au congrès de Temala en décembre 1975 pour créer le premier parti indépendantiste : le Parti de libération kanak (Palika). La prise de conscience de la nation kanake s’est aussi cristallisée en 1975 à l’occasion du festival culturel Mélanésia 2000 où 50 000 personnes vibrèrent à cette manifestation de la renaissance culturelle kanake.

L’élection de François Mitterrand en 1981 avive les attentes des indépendantistes kanaks, car le futur Président leur avait promis l’indépendance. En 1984, le Front de libération national kanak socialiste (FLNKS), mécontent de l’avancée des négociations appelle au boycottage des élections territoriales et met en place un « Gouvernement provisoire de Kanaky » présidé par Jean-Marie Tjibaou. C’est le début de quatre ans d’un conflit politique et ethnique appelé les « Évènements » qui a fait des dizaines de morts et qui ne prit fin qu’avec la prise d’otage sanglante de la grotte de l’île d’Ouvéa où dix-neuf militants et deux militaires furent tués le 5 mai 1988, lors de l’assaut donné par GIGN et des commandos de l’armée.

Dans la foulée de ce massacre, grâce à la médiation du premier ministre Michel Rocard, les accords de Matignon-Oudinot sont signés le 26 juin 1988 et prévoient l’organisation d’un scrutin d’autodétermination dans les dix ans. Au terme de cette période, un nouvel accord est conclu en 1998. L’accord de Nouméa reconnaît au peuple kanak le droit à la décolonisation ce qu’aucun pays colonisé n’avait réussi à obtenir avant son indépendance. Cet accord reprend une idée bien connue au Québec, celle de la souveraineté partagée ou de la souveraineté-association qui s’incarne dans la désignation de l’entité politique appelée désormais Kanaky–Nouvelle-Calédonie. Cet accord accroît l’autonomie interne de l’île par le transfert progressif des compétences de Paris et la création d’institutions locales respectant le droit coutumier. Paris se réserve toutefois les pouvoirs régaliens pour les vingt prochaines années. L’accord prévoit aussi la tenue d’un référendum en 2018 et la possibilité jusqu’en 2022 d’en organiser deux autres si le NON l’emportait.

La symbolique du drapeau kanak

nouvellecaledonieLe drapeau kanak, hissé pour la première fois le 1er décembre 1984, comporte trois bandes horizontales, de bas en haut :

– vert pour la terre des ancêtres, la richesse du sol, l’espoir et le pays ;

– rouge pour le sang versé dans la lutte, le socialisme et l’unité du peuple ;

– bleu pour le ciel et le Pacifique environnant,

– avec, en son milieu, un soleil jaune qui comporte en son centre une flèche faîtière noire, comme celle qui est érigée au sommet des cases kanak.

La reconnaissance du drapeau kanak a été obtenue par les accords de Nouméa qui prévoyait que « La Nouvelle-Calédonie détermine librement les signes identitaires permettant de marquer sa personnalité aux côtés de l’emblème national et des signes de la République. » Il flotte habituellement aux côtés du drapeau français dans les communes indépendantistes, mais pas au fronton des institutions de la République.

Qui peut voter au référendum kanak ?

La définition du droit de vote conditionne les résultats de toute consultation référendaire parce que chaque vote compte. Dès lors, l’inclusion dans le corps électoral devient un enjeu capital qui peut faire la différence entre la victoire et la défaite. Cette réalité a été fatale au OUI au référendum québécois de 1995 où le NON l’a emporté par la faible marge de 54 288 votes, résultat d’autant plus contestable que le gouvernement canadien avait activé dans les mois précédents la machine à naturalisation des immigrants et que des Québécois d’origine résidant à l’étranger depuis plus de deux ans sont venus voter en grand nombre.

En Nouvelle-Calédonie, les Kanaks, à la suite de la politique de peuplement de l’État français, sont démographiquement minoritaires sur leur territoire. Suite à la politique d’immigration appelée « planter du blanc » (par le maire colonialiste de Nouméa en 1970), la population kanake est passée de 51 % de la population totale en 1956 à moins de 40 % aujourd’hui selon le dernier recensement daté de 2014. Les Européens forment 30 % de la population alors que l’autre 30 % est constitué de personnes d’origines diverses (wallisienne, fidjienne, asiatique). Les Kanaks ne disposent donc pas de la majorité absolue, mais ils peuvent tout de même entretenir un faible espoir de l’emporter en raison de la composition du corps électoral référendaire qui obéit à des règles différentes de celles appliquées pour les élections normales.

En vertu des accords de Nouméa, le droit de vote au référendum ne sera pas universel. À la différence des élections nationales ou provinciales, tous les Européens et les étrangers n’auront pas le droit de vote du seul fait de leur présence sur le territoire. L’article 218 de la loi organique de la Nouvelle-Calédonie prévoit pour les non-Kanaks, soit les Métropolitains et autres étrangers, une durée minimale de 20 ans de résidence continue sur le territoire pour avoir le droit de voter au référendum. Ce gel du corps électoral à 1998 constitue une spécificité calédonienne dans le cadre républicain français qui contrevient au principe de l’égalité de tous les citoyens. Cette restriction du droit de vote a toutefois été validée par le Conseil d’État et par l’arrêt Py de la Cour européenne des droits de l’homme (Strasbourg, 11 janvier 2005).

La liste électorale référendaire est constituée sur la base de la liste électorale générale qui permet de voter aux élections nationales et provinciales ; celle-ci comprend toute personne âgée de 18 ans et plus qui habite dans une commune du territoire depuis au moins 6 mois. De façon générale, toute personne d’état civil coutumier, inscrite sur la liste générale, ou toute personne non kanake, ayant résidé dans l’archipel sans discontinuer depuis au moins le 31 décembre 1998 doit être inscrite automatiquement sur cette liste pour le référendum. De même, toute personne née en Nouvelle-Calédonie âgée de plus de 18 ans et présente sur la liste spéciale provinciale est inscrite d’office. La liste générale (présidentielle, législatives, municipales) compte 210 105 électeurs, de sorte qu’environ 35 000 d’entre eux ne pourront pas voter lors du référendum sur l’indépendance. Ainsi les nouveaux arrivants de fraîche date ainsi que les fonctionnaires et cadres des entreprises privées en poste pour un temps limité ne pourront pas exercer le droit de vote ce qui pourrait rééquilibrer les rapports démographiques à la condition que les Kanaks soient tous inscrits sur la liste référendaire et qu’ils se prévalent de leur droit de vote. Les dirigeants indépendantistes soutiennent que l’État français aurait oublié d’inscrire plusieurs milliers de Kanaks sur cette liste. Comme 25 % de la population kanake vit sous le seuil de pauvreté, cette marginalisation sociale risque de rendre problématique l’inscription sur les listes électorales surtout à Nouméa où cette population bien souvent n’a pas d’emploi et de domicile fixe. Ils sont donc dans l’incapacité de produire le justificatif de domicile nécessaire pour figurer sur les listes.

Un groupe de travail plénier regroupant des représentants des forces en présence travaille au cas par cas à la clarification de la situation des Kanaks qui sont absents de la liste référendaire. Ces personnes pourront s’inscrire sur la liste jusqu’au jour du référendum. Chez les indépendantistes on craint aussi un faible taux de participation de la population kanake qui est sous-scolarisée et qui habite dans des régions éloignées. Au 31 août, il y avait 174 154 personnes inscrites sur la liste4.

Selon un sondage publié le 31 août 2018 dans La Dépêche Nouvelle-Calédonie, le taux de participation serait de 86 %. Le non l’emporterait avec 70 % des votes, mais le OUI serait majoritaire avec 52 % des votes chez les électeurs kanaks, le vote pour le OUI étant prédominant chez les hommes et dans la région nord de l’île où se concentre la population kanake.

Les forces en présence

Depuis 40 ans, la vie politique calédonienne est polarisée entre les forces indépendantistes et les forces loyalistes qui se situent respectivement à gauche et à droite du continuum des idéologies. Mais derrière ces oppositions constitutionnelles et idéologiques, se profile un conflit économique pour le contrôle des terres ; les Kanaks voulant reprendre leur bien et les Caldoches (nom donné aux résidents provenant de la France) voulant préserver leurs acquis et leur position dominante. La France pour sa part ne veut pas abandonner son contrôle politique sur ce territoire d’une part en raison de ses riches gisements de nickel (3e producteur mondial) et d’autre part en raison de sa position géostratégique dans cette région. Elle contrôle ainsi une zone d’exclusion économique de 1,4 million de kilomètres carrés qui lui permet de jouer un rôle de contrepoids à l’égard des puissances régionales comme la Chine et l’Australie sans compter qu’elle peut aussi disposer d’une base pour ses sous-marins atomiques.

Le camp des loyalistes

L’irruption du mouvement indépendantiste sur la scène politique à la fin des années soixante-dix a provoqué un choc en retour suscitant une réaction de loyauté à la France de la part des résidents métropolitains qui, sous le leadership de Jacques Lafleur, créèrent le 17 avril 1977 le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) pour s’opposer au mouvement indépendantiste. Ce parti, selon les époques, s’est affilié à la droite classique française : RPR-UMP-Les Républicains. Il est actuellement dirigé par Roger Frogier. Principal parti sur le plan électoral jusqu’en 2014, il a été supplanté par Calédonie ensemble parce qu’il avait signé un pacte de gouvernance avec les indépendantistes.

Calédonie ensemble est un parti créé en 2008. Parti de centre droit, il défend toutefois des positions progressistes en matière sociale. Ce parti est favorable au maintien de la paix et au dialogue avec la mouvement indépendantiste, il défend l’application de l’accord de Nouméa et se montre favorable à une négociation permanente avec les indépendantistes. Il se revendique d’un nationalisme calédonien sans indépendantisme et se réfère au Québec comme un exemple d’une nation dans un Canada uni. Il s’oppose l’usage conjoint des deux drapeaux sur les édifices publics.

Tous Calédoniens est un parti créé en 2015 par des dissidents d’Avenir ensemble qui se classe à droite de l’échiquier politique. Il se définit comme le parti des libertés individuelles et s’oppose à toute forme d’extrémisme. Il préconise le brassage communautaire, réclame un rééquilibrage économique et social pour réduire les injustices liées au colonialisme et souhaite que la décolonisation se fasse à l’intérieur du cadre de la République française.

Le camp des indépendantistes

La division règne autant chez les indépendantistes que chez les loyalistes, les clivages idéologiques et partisans fractionnant les allégeances politiques. Les scissions sont fréquentes dans l’histoire de ces partis qui sont parfois alliés à des partis métropolitains ce qui avive les conflits. Les trois principales forces politiques sont : le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), Libération kanake socialiste (LKS) et Fédération des comités de coordination des indépendantistes. Ces trois formations ont été accréditées pour participer à la campagne officielle.

Front de libération nationale kanak et socialiste. Ce Front réunit quatre partis : l’Union calédonienne fondée en 1953 ; le Parti de libération kanak (Palinka) créé en 1975, l’Union nationale pour l’indépendance (UNI) formée en 1995 et l’Union progressiste en Mélanésie (UPM). Depuis les accords de Nouméa en 1998, le FLNKS a délaissé la rhétorique révolutionnaire et accepté le principe d’une indépendance négociée ce qui l’a amené à participer au gouvernement de Nouvelle-Calédonie de 2004 à 2007. Il est apparenté à la gauche socialiste métropolitaine. C’est la force politique dominante de la coalition indépendantiste, car le FLNKS contrôle 19 des 33 mairies que compte la Nouvelle-Calédonie.

Libération kanake socialiste (LKS) a été créé en 1981 à la suite d’une scission du Parti de libération kanak pour cause de trop grande proximité avec le Parti socialiste français. Ce parti est d’obédience marxiste et est implanté essentiellement aux Îles Loyauté. Il défend maintenant l’idée d’une indépendance-association avec la France et a fait occasionnellement alliance avec le RPCR.

Fédération des comités de coordination des indépendantistes fut fondée en 1998 et représente la tendance modérée du nationalisme kanak. Après l’accord de Nouméa, il opte pour un moratoire dans la lutte indépendantiste pour faciliter sa collaboration avec les anti-indépendantistes du RPCR. Il s’oppose aussi à l’indépendantisme ethnique défendu par le FLNKS.

Le Parti travailliste fut fondé en 2007 et se définit comme un parti indépendantiste radical et révolutionnaire. Il est le bras politique du mouvement syndical. Il a appelé à la non-participation au référendum qu’il qualifie de « tromperie coloniale » et de « farce électorale » parce que de nombreux Kanaks ne sont pas présents sur la liste référendaire (communiqué du 9 août 2018). Il accuse le FLNKS de faire le jeu de « l’État colonial ».

Les groupes parlementaires se répartissent ainsi au Congrès de la Nouvelle-Calédonie qui est composé de 54 conseillers.

Loyalistes= 28

Indépendantistes= 22

Non-inscrits = 4

Républicains-Rassemblement-MPC = 6

FLNKS + nationalistes = 13

 

Calédonie ensemble = 15

Union nationale pour l’indépendance = 9

 

Républicains calédoniens* = 7

   

* Ce groupe parlementaire a été créé en 2017 à la suite de défections dans différents partis à l’occasion des élections législatives françaises.

La décolonisation à la française

À l’heure de la rectitude politique et de la repentance pour les crimes contre l’humanité, il ne fait pas bon d’être classé dans le camp des colonisateurs. La France cherche donc à se dédouaner de son passé colonial et à montrer patte blanche devant la communauté internationale. Elle a mis au point la stratégie des concessions pour endiguer les revendications d’indépendance. Il s’agit de donner toutes les assurances que le peuple kanak pourra exercer son droit à l’autodétermination dans des conditions démocratiques tout en conservant le contrôle sur les moyens de communication et les ressources économiques ce qui lui permet d’influencer le choix des citoyens en fonction de ses intérêts. Elle préserve ainsi les apparences de bonne foi en acceptant des compromis sur la composition du corps électoral et en multipliant les consultations référendaires pour bien montrer que les Kanaks ont pu exprimer leur volonté d’autodétermination tout en s’assurant qu’ils exerceront leur droit en consentant à la domination de la France.

Le concept d’autodétermination est ambigu, car il signifie que le peuple peut choisir son régime politique, mais cela ne signifie pas qu’il choisira nécessairement l’indépendance. On peut aussi s’autodéterminer en niant sa propre existence comme peuple et en acceptant librement de se soumettre à une puissance tutélaire. Un peuple qui se dit non, cela s’est vu au Québec à deux reprises, et cela pourrait bien aussi se produire en Kanaky. L’astuce, c’est de faire accepter cet échec comme étant la volonté du peuple soumis, de déculpabiliser de la sorte la puissance occupante et de légitimer les effets de la colonisation sans modifier le rapport de domination. Cette stratégie vise à désamorcer les sentiments de révolte et d’injustice et de rendre le résultat négatif acceptable, d’autant plus que dans le cas kanak, on a prévu qu’ils auront la chance de se reprendre. On espère ainsi qu’en attendant le prochain référendum, ils auront tout le loisir de se décourager, de se démobiliser et de renoncer à l’indépendance pour accepter une solution autonomiste dans le cadre de la République française. La France ira peut-être jusqu’à instituer un régime fédératif pour garder le Caillou dans son giron.

Même s’ils savent la victoire improbable, les indépendantistes profiteront de la campagne référendaire pour maximiser leurs appuis et pour négocier en meilleure position un nouvel accord de Nouméa qui élargirait leur influence dans la gestion de leur territoire. Les gagnants et les perdants auront intérêt à se montrer conciliants pour préserver la paix civile chèrement acquise depuis l’accord de Nouméa. À quoi servirait à la France et aux loyalistes de gagner le référendum si cette victoire remettait en cause le vivre ensemble tissé depuis trente ans ?

Le jour d’après

Un État sérieux ne laisse rien au hasard et tente de prévoir l’avenir. Le gouvernement français réfléchit depuis un certain temps déjà aux scénarios de l’après-référendum. Il a même commandé une étude qui examine quatre hypothèses de remplacement de l’accord de Nouméa qui deviendra obsolète le lendemain du référendum. Si on met de côté les scénarios d’accès à la souveraineté qui sont peu probables dans le contexte actuel, le rapport au premier ministre s’arrête sur l’hypothèse d’une négociation visant à élargir le processus d’autonomisation. On postule que depuis l’accord de Nouméa les composantes de la société néo-calédonienne ont appris à dialoguer et à négocier et qu’elles voudront prolonger le climat de bonne entente ce qui impliquera des concessions de part et d’autre. En relançant le processus d’émancipation, on espère endiguer les effets de la déception politique et pérenniser les transferts de compétence acquis grâce à l’accord de Nouméa qui étaient qualifiés d’irréversibles.

L’enjeu de cette négociation sera de savoir où s’arrêtera le curseur de la souveraineté ou du transfert des compétences. Le rapport Courtal prévoit que cet élargissement de l’autonomie devra se faire toutefois dans le cadre du droit national français. En échange de pouvoirs supplémentaires en matière de communication, d’éducation supérieure et de représentation internationale, les forces politiques de Kanaky devront abandonner les restrictions au principe d’égalité devant la loi qui avaient été concédées comme mesures transitoires et accepter le rétablissement de l’universalité du suffrage ce qui consacrerait de façon définitive la minorisation politique du peuple kanak. Le prochain référendum pourrait ainsi porter sur un nouveau statut dans le cadre de la République française. Cette logique d’autonomie étendue, si elle était mise en œuvre, impliquerait aussi des modifications à la constitution française et un autre référendum constitutionnel pour inclure une fédéralisation du système politique français.


1 http://www.lecourrieraustralien.com/nouvelle-caledonie

2 https://npa2009.org/actualite/international/kanaky

3 Voir Frédéric Angleviel, La France aux antipodes, Paris, Vendémiaire, 2018, p.218-219

4 Rapport des experts des Nations Unies 31 août 2018

 

 

À l’autre bout du monde, la question de l’indépendance sera posée le 4 novembre 2018 aux citoyens de la Kanaky–Nouvelle-Calédonie. Située à 2000 kilomètres à l’est des côtes australiennes, dans le sud de la Mélanésie, la Nouvelle-Calédonie est un ensemble d’îles, d’une superficie d’environ 18 500 km2 qui est équivalente au territoire de la Norvège. Ses 174 000 électeurs auront à trancher le destin de cette colonie française en répondant à la question suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » Le libellé de la question résulte d’un compromis adopté le 28 mars après quinze heures de débats à Matignon. Les indépendantistes voulaient qu’elle réfère à la pleine souveraineté et pas à l’indépendance alors que les loyalistes insistèrent pour inclure le mot indépendance avec l’intention de « faire peur aux gens1 ».

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