Une brève introduction à l’institution de la retraite au Québec

La retraite est une institution centrale dans la vie des Québécoises et des Québécois. Souvent réduite à une question de finances personnelles et de choix de vie, elle va bien au-delà de l’épargne individuelle. Non seulement la retraite génère-t-elle de gigantesques bassins de capitaux à travers l’épargne-retraite de millions de cotisants, mais elle constitue l’une des plus importantes institutions de solidarité sociale au Québec. Elle est en effet au cœur des enjeux associés à la répartition de la richesse, au travail, au logement, à la santé, aux choix de développement socio-économique et à bien d’autres choses. Or, en dépit de cette importance, peu de personnes s’y intéressent, notamment en raison de son caractère plutôt technique.

Cet article vise à introduire à la question de la retraite au Québec. Nous aborderons tour à tour les questions des relations entre la retraite et le travail, de « l’architecture » et de l’histoire du système de retraite, ainsi que de la nature des conflits sociaux qui les ont traversées jusqu’ici. L’objectif est de proposer une vue d’ensemble de la retraite qui vise à restituer ses dimensions structurelles et conflictuelles, afin de rendre visible le caractère « construit », c’est-à-dire social et politique, de cette institution au Québec. Cela permettra de mieux comprendre pourquoi cette institution est aussi complexe et composite.

Les étapes typiques de la relation au travail et la définition de la retraite

Au cours du siècle dernier, les sociétés occidentales ont adopté un mode de vie balisé par trois grands cycles que traversent, en règle générale, les individus, soit celui de la jeunesse et de l’éducation, du travail rémunéré et de la retraite. Or, force est de constater que l’importance de chacune de ces étapes a changé au cours des dernières décennies.

La période consacrée aux études s’est allongée et diversifiée, avec des offres de formation qui s’étalent aujourd’hui tout au long de la vie. La retraite devient elle aussi de plus en plus individualisée, avec les mesures de retraite progressive et anticipée, ainsi que la possibilité de recevoir ses rentes avant ou après l’âge de 65 ans1. Pourtant, à l’époque de la création des régimes publics, le caractère universel du système était un signe de progrès, car tous et toutes devenaient égaux par rapport à de nouvelles mesures de soutien au revenu2. Enfin, la retraite, définie comme sortie définitive ou comme « retrait » du marché de l’emploi après un certain nombre d’années, est une réalité qui tend à se nuancer. En effet, le retour en emploi après une période d’arrêt, ou encore le maintien en emploi tout en percevant des rentes de retraite sont des phénomènes de plus en plus visibles.

En somme, le découpage institutionnel de la vie des individus en une succession de cycles bien délimités tend à se complexifier. La définition traditionnelle de la retraite comme sortie définitive du marché de l’emploi après plusieurs décennies d’emploi(s) ne correspond plus à la fragmentation des parcours de vie. Cette refonte a des conséquences décisives : la retraite ne doit vraisemblablement plus être considérée comme un abandon de l’activité, mais plutôt comme des moments de la vie où l’activité cherche à s’épanouir en dehors de l’emploi.

Les sources de revenus à la retraite

De manière générale, les personnes retraitées au Québec peuvent compter sur différentes sources de revenus pour suppléer aux revenus d’emploi. Ces revenus proviennent généralement :

  • du programme de Sécurité de vieillesse (SV), financé par les impôts et administré par le gouvernement fédéral ;
  • du régime public obligatoire, soit le Régime de rentes du Québec (RRQ), qui est administré par Retraite Québec ;
  • d’un ou de plusieurs régimes complémentaires de retraite (RCR), selon les emplois occupés durant la vie active ;
  • de l’épargne personnelle, par exemple au moyen de régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER).

    La figure 1 présente ce que l’on nomme les « paliers » du système de retraite, c’est-à-dire les sources de revenus structurées pour les personnes retraitées.

    Figure 1. Le système de retraite au Québec et au Canada

    Source : Retraite Québec (2016), Consultation publique sur le Régime de rentes du Québec : Constats sur la retraite au Québec.

    Le premier palier est composé d’un régime public universel géré par le gouvernement fédéral, soit la Sécurité de la vieillesse (SV). Financé par les impôts, ce régime verse une rente universelle à toutes les personnes aînées de plus de 65 ans, qu’elles aient ou non occupé un emploi durant leur vie active. Les personnes désirant des prestations plus élevées peuvent choisir de reporter le versement de cette rente jusqu’à l’âge de 70 ans. Ce palier inclut également un soutien financier aux personnes ayant un plus faible revenu avec le Supplément de revenu garanti (SRG). Quant aux personnes de 60 à 64 ans à faible revenu ayant un conjoint décédé, elles peuvent demander l’Allocation au survivant.

    Le second palier est constitué du Régime de rentes du Québec (RRQ). Son équivalent fonctionnel au Canada est le Régime de pension du Canada (RPC). Ces deux régimes publics sont obligatoires, financés à parts égales entre les personnes salariées et les employeurs. La rente de retraite équivaut, globalement, à environ 25 % des revenus moyens. Ces régimes ont la particularité d’avoir deux volets, soit un volet de base et un volet supplémentaire. Progressivement mis en place à partir de 2019, le volet supplémentaire du RRQ vise l’augmentation des rentes des prochaines générations de personnes retraitées. Il vise à remplacer 33,33 % de ces gains en 2065.

    Le troisième et dernier palier comprend l’ensemble des sources de revenus que l’on qualifiera de « privées », dans la mesure où elles proviennent d’un ou de plusieurs régimes complémentaires de retraite ou encore de l’épargne personnelle accumulée durant la vie active de la personne. Plusieurs types de régimes d’employeurs existent, mais les deux principales familles sont :

  • les régimes dits d’accumulation de rentes, où le montant de la rente est défini et versé à vie, mais dont les cotisations versées peuvent fluctuer ;
  • les régimes dits d’accumulation de capital, où la cotisation est définie, mais où la rente peut fluctuer.

    L’épargne personnelle peut elle aussi se présenter sous plusieurs formes. La plus connue est le REER. Ce véhicule permet d’accumuler des sommes pour la retraite, tout en bénéficiant de déductions d’impôt sur les montants cotisés. Mentionnons que les sources de revenus personnels peuvent aussi prendre d’autres formes, comme les sommes contenues dans un Compte d’épargne libre d’impôt (CELI), les revenus de location d’immeubles à logement, etc.

    Ainsi, le système de retraite au Québec repose sur des sources de revenus de différents types et est partagé entre les juridictions québécoise et canadienne. Cet échafaudage est complexe au premier abord et résiste à une compréhension rapide de ses finalités et ses effets sur les personnes. Le fait est que ce système a été élaboré à travers une succession de politiques publiques, aussi bien québécoises que canadiennes, qui ne se sont pas toujours rattachées à un cadre intégré et cohérent de la retraite. De là l’importance d’avoir une vue d’ensemble de l’histoire de son institutionnalisation.

    Un survol historique de la retraite

    Bien qu’elle en donne parfois l’impression, la retraite n’est pas séparée la société. Elle est, au contraire, composée d’un ensemble d’institutions sociales dont les origines et le développement ont évolué avec les transformations des sociétés québécoise et canadienne. Si les premières mesures et initiatives spécifiquement axées sur la sécurité financière à la retraite remontent à la fin du XIXe siècle, l’évolution de cette dernière s’est accélérée au cours des années 1960. C’est dans les deux décennies suivant la fin de la Deuxième Guerre mondiale que les gouvernements ont jeté les bases d’un véritable système de retraite, doté de plusieurs institutions interreliées, duquel nous avons hérité. Regardons cela de plus près.

    Les premiers régimes de retraite offerts au Québec remontent au XIXe siècle. En 1870, les fonctionnaires de l’État fédéral commencent à bénéficier d’un régime de retraite, alors qu’il en sera de même avec les employés de l’État québécois à partir de 1876. Rappelons qu’à cette époque, l’Église et la famille sont les principales institutions vouées au soutien des personnes aînées. Il faudra ensuite attendre jusqu’en 1927 pour constater un élargissement des mesures destinées aux personnes retraitées avec l’adoption, au Canada, de la Loi des pensions de vieillesse. Ce premier programme de retraite, dont les frais étaient partagés à parts égales entre les provinces canadiennes et l’État fédéral, prévoyait le versement d’une pension d’un maximum de 240 $ par année aux personnes de 70 ans et plus ayant un faible revenu. Il s’agissait alors du premier programme d’assistance pour les personnes vieillissantes. Il est le fruit d’un choix collectif : au grand dam des compagnies d’assurance privées, cet enjeu a été au cœur des élections fédérales de 1926. Le Québec a été la dernière juridiction à se joindre au programme, à cause de l’opposition de l’Église et du gouvernement québécois de l’époque, qui y voyait de l’ingérence dans son champ de compétences3.

    De cette première période d’institutionnalisation de la retraite, une première ligne de fracture entre deux groupes apparait d’ores et déjà, laquelle pèsera lourdement sur l’évolution des politiques sur la retraite jusqu’à aujourd’hui. Cette ligne est celle qui oppose les intérêts des travailleuses et travailleurs et ceux du secteur financier. Alors que ce dernier souhaitait plutôt préserver l’offre de produits financiers lucratifs pour les institutions financières4, le mouvement syndical revendiquait de meilleurs revenus de retraite pour les travailleuses et les travailleurs au travers de régimes publics.

    Dans l’immédiat après-guerre, plusieurs institutions de la retraite sont mises en place. D’une part, ce système s’inscrit dans la foulée de l’élaboration de l’État social, qui sort de l’espace marchand toute une série de biens et services. La retraite, tout comme l’éducation, la santé et le travail par exemple, fait partie des domaines qui seront pris en charge collectivement.

    C’est dans ce contexte que le gouvernement fédéral a créé dans les années 1950 deux programmes importants, qui ont persisté jusqu’à aujourd’hui. Le premier est la Sécurité de la vieillesse, un programme universel de pension pour toutes les personnes de 70 ans et plus. Ce programme est financé par les impôts des contribuables et est versé à tous les Canadiens, peu importe leur situation d’emploi dans la vie active. Jusqu’en 1970, l’âge d’admissibilité à ce programme a été abaissé graduellement à 65 ans. Le deuxième programme est le régime enregistré d’épargne-retraite (REER), créé en 1957 pour les travailleurs autonomes et ceux qui ne participent pas à un régime de pension agréé (RPA). En 1970, les avantages fiscaux associés au REER ont été étendus à l’ensemble de la population, y compris aux personnes qui cotisent à un RPA

    En ce qui concerne le Québec, les années 1960 ont été décisives pour l’évolution du système de retraite comme dans le reste. Alors que les syndicats canadiens militaient pour un régime fédéral obligatoire de retraite avec des cotisations des travailleurs, le Québec cherchait une voie qui lui soit propre et qui refléterait ses ambitions et ses besoins. À cette époque, le Québec était en plein essor économique et culturel et cherchait à accroître substantiellement son autonomie politique. C’est ainsi que le Québec a mis sur pied son propre régime de retraite public après des négociations ardues avec le gouvernement fédéral. Ce régime allait s’articuler au programme fédéral de la Sécurité de la vieillesse. Le Régime de rentes du Québec (RRQ) et le Régime de pensions du Canada (RPC) ont donc été créés en 1966. Le Québec a eu la possibilité de créer et de gérer son propre régime, mais les prestations devaient être équivalentes à celles du RPC afin que les travailleurs changeant de provinces puissent recevoir les mêmes rentes. Ces deux régimes de retraite sont toujours en vigueur aujourd’hui5.

    Dix ans après sa création, le RRQ a commencé à verser ses premières pensions complètes. Ce régime est géré par la Régie des rentes du Québec (aujourd’hui Retraite Québec) et a été le premier grand déposant à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), qui a été créée en 1965. Ces deux entités ont été conçues de manière complémentaire pour offrir à la fois un filet de sécurité financière aux personnes âgées et un véhicule d’investissement pour soutenir la modernisation de l’économie québécoise. En utilisant l’épargne-retraite des Québécois pour capitaliser la CDPQ, toute la population active pouvait indirectement contribuer au financement de la nationalisation de l’électricité et d’autres projets de développement économique menés par l’État québécois6.

    L’institutionnalisation du système de retraite à partir de l’après-guerre au Québec a mis en lumière une seconde ligne de fracture, qui préexistait, mais qui s’est trouvée magnifiée à travers ce processus. Cette ligne de fracture est celle qui oppose les volontés du Québec et celles du gouvernement fédéral de développer de nouvelles institutions. Le résultat de cette opposition est la création d’un système de retraite hybride avec des enchevêtrements de programmes et de responsabilités qui affectent sa cohérence, sa lisibilité et son efficacité globale.

    Les deux décennies qui ont suivi ont vu la naissance de deux institutions importantes pour le système de retraite québécois. La première est celle des fonds de travailleurs, avec la création du Fonds de solidarité FTQ en 1983, pendant une période de crise économique et la création de Fondaction en 1996, pendant une période de croissance de l’économie sociale québécoise. Les fonds de travailleurs offrent un crédit d’impôt supplémentaire aux épargnants qui achètent des actions dans un REER et ils s’engagent à investir principalement dans les petites et moyennes entreprises québécoises tout en promouvant l’éducation économique des travailleurs et l’économie sociale. La seconde institution importante de cette période est l’entrée en vigueur en 1990 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, qui a remplacé la Loi sur les régimes supplémentaires de rentes. Cette loi détaille les dispositions législatives pour les RCR7.

    D’autres ajouts ont eu lieu depuis les années 2000. En 2007, les régimes de retraite à financement salarial (RRFS) ont été créés pour améliorer la couverture des régimes complémentaires de retraite et résoudre les difficultés liées aux régimes à prestations déterminées. Les RRFS permettent à plusieurs petits employeurs qui n’ont pas suffisamment de ressources pour opérer leur propre régime de retraite d’offrir un véhicule d’épargne de qualité à leurs employés. Par exemple, en 2019, plus de 700 employeurs avaient adhéré au RRFS des groupes communautaires et de femmes, ce qui permet à près de 7 600 personnes de bénéficier d’une meilleure perspective de retraite grâce à la mise en commun des cotisations8.

    En 2014, le gouvernement du Québec a instauré les régimes volontaires d’épargne-retraite (RVER), qui ont permis d’élargir la couverture des régimes de retraite à plusieurs milliers de travailleurs supplémentaires. La loi stipule que depuis 2017, les employeurs qui ont 10 employés ou plus doivent leur offrir l’accès à un régime complémentaire de retraite, un RÉER, un CELI ou un RVER. Le RVER est similaire au REER, mais ni l’employeur ni l’employé n’est obligé de cotiser. Les travailleurs sont automatiquement inscrits et doivent cotiser, sauf s’ils décident de se retirer. Le bilan de l’implantation des RVER est jusqu’ici très mitigé.

    Enfin, en 2020, les régimes à prestations cibles (PC) sont implantés au Québec. Il s’agit d’un régime de retraite où un objectif de rente, une rente « cible », est promis aux personnes participantes en fonction des cotisations qui ont été fixées lors de l’établissement du régime. La viabilité financière du régime détermine si la rente cible peut être atteinte ou non. Si les cotisations ne sont pas suffisantes pour honorer les engagements envers la rente cible, les cotisations des participants peuvent être augmentées et les prestations des personnes retraitées réduites. Contrairement aux régimes à prestations déterminées, les cotisations de l’employeur sont fixes et le risque de déficit repose sur les participants, qu’ils soient actifs ou retraités. Toutefois, comme les régimes à prestations déterminées, ces régimes mutualisent le risque de longévité, calculent le niveau de rente selon une formule préétablie et ont une stratégie de placement à long terme.

    Conclusion

    Comme toute autre institution sociale, la retraite est forgée par les débats et les transformations de la société. C’est ainsi que les différents paliers concourant au revenu des personnes retraitées, allant de programmes universels comme le programme de la SV à des RCR seulement accessibles à certaines catégories de travailleurs, sont la cristallisation de compromis sociaux réalisés suite à des conflits. Si la « mécanique » du système de retraite au Québec est davantage complexe que dans d’autres domaines de la vie sociale, cela doit notamment être expliqué par les résultats de ces conflits. La réponse se trouve donc quelque part dans les dynamiques réelles issues des lignes de fracture entre le mouvement syndical et le secteur financier, mais aussi entre la société québécoise et le gouvernement canadien. Parler de la retraite comme d’une institution, c’est parler des compromis qu’elle cristallise aussi bien que des désaccords de fond dont elle fait l’objet. u


1 Retraite Québec (2022), Consultation publique sur le Régime de rentes du Québec : Un régime adapté aux défis du 21e siècle.

2 Gaullier, X. (2003), Le temps des retraites : Les mutations de la société salariale, Paris, Éditions du Seuil.

3 Descheneau-Guay, A. (2017), Le Régime de rentes du Québec : aux origines d’un régime solidaire et structurant, Rapport de recherche, Observatoire de la retraite. Repéré à : http://observatoireretraite.ca/publications/dossiers-de-lor

4 Lizée, M. (2014), « Le système de retraite canadien et québécois : un système dualiste, fruit de la confrontation depuis 100 ans entre le mouvement syndical et le secteur financier canadien », Revue Droits et Libertés, vol. 33, no 2. Repéré à : http://liguedesdroits.ca/?p=2352.

5 Descheneau-Guay, A. (2017), Le Régime de rentes du Québec : aux origines d’un régime solidaire et structurant, Rapport de recherche, Observatoire de la retraite. Repéré à : http://observatoireretraite.ca/publications/dossiers-de-lor

6 Idem.

7 Michaud-Beaudry, R. (2022). La retraite en commun. Fondements, enjeux et propositions, Québec, Presses de l’Université Laval. p. 29-30

8 Idem.

* Observatoire de la retraite.

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