Une prescription basée sur ce qu’on sait déjà

Il devrait commencer à être évident que la tragédie des CHSLD n’est qu’un symptôme additionnel et affligeant de l’inadaptation de notre système de santé. Le système de santé du Québec est malade. Malade depuis longtemps, mais les symptômes s’aggravent et les coûts augmentent. Aucune des prescriptions données à ce jour n’a guéri le malade.

Une prescription non renouvelée qui date de 50 ans : les CLSC

L’idée des CLSC était très bonne. Malheureusement, elle ne s’est pas concrétisée pour donner les résultats attendus. Manque de financement, absence de choix clair de mission, tensions internes entre les tenants d’une approche « service » et les défenseurs d’une approche « intervention communautaire », repliement sur la gestion de programmes gouvernementaux pour finalement être avalés par la machine qu’ils devaient remettre sur la bonne route des services de première ligne, du maintien à domicile et du lien avec la communauté.

Une prescription oubliée qui date de 30 ans : Rochon et Clair

Le rapport Rochon date de 1988. Le rapport Clair date de 2013. Ils sont encore tellement d’actualité qu’ils auraient pu être écrits hier pour éclairer ce que nous voyons maintenant tous les jours aux nouvelles télévisées en matière de problèmes de santé et de problèmes sociaux. Ils ont été malheureusement oubliés. Leurs dénonciations, avertissements et recommandations sont largement restés lettre morte.

Le système de santé et de services sociaux a donc continué sur sa lancée comme si de rien n’était pour devenir ce que nous observons aujourd’hui.

Le diagnostic aujourd’hui

Notre système de santé est hospitalo-centrique. Tout est concentré (budgets compris) dans les hôpitaux au détriment des autres points de services : première ligne, maintien à domicile, CHSLD, organismes communautaires.

Notre système de santé est centré sur des institutions ou sont répartis tous les « cas » (les jeunes, les vieux, les infirmes, les malades mentaux, etc.). Quand ils ne sont pas en institution, ils sont dans la rue grâce au délestage du virage ambulatoire.

Notre système de santé est médico-centrique. Tout commence et finit par un médecin comme tout commence et finit à l’hôpital alors qu’on sait, de l’aveu même du ministre, que plus ou moins 75 % des personnes qui se présentent à l’urgence n’ont pas besoin de voir un médecin et qu’un autre professionnel de la santé (infirmière, IPS, physiothérapeute, psychologue, etc.) pourrait plus rapidement, sans attente et à moindre coût régler leur problème de santé.

Notre système de santé est centré sur l’intervention curative plutôt que sur la prévention. Les principaux déterminants de la santé sont d’abord biologiques, ensuite environnementaux, puis liés aux habitudes de vie et, enfin, à l’état du système de soins de santé et de services sociaux.

Une prescription remplie et administrée : Barrette

La « réforme Barrette », menée tambour battant en dépit des préavis contraires du premier ministre Couillard et des représentations des experts du domaine, a donné un élan supplémentaire à cette dynamique délétère qui n’a fait qu’empirer l’état du système. La maladie a progressé sous l’œil vigilant des docteurs Couillard, Barrette et Bolduc.

Tout cela nous mène aujourd’hui à un système de santé hypercentralisé, à bout de souffle, exsangue, en sous-capacité, sous-performant, déserté par des professionnels épuisés, découragés et désengagés. Système qui ne trouve d’autre solution que dans l’injection de primes de rétention et d’augmentations de salaires comme si la piastre allait faire oublier la peine et la liasse cacher l’éléphant.

Une prescription basée sur la savoir accumulé

Il faut prendre acte de ce que les commissions Rochon et Clair et tous les experts en santé énoncent, dénoncent et recommandent depuis 30 ans.

Il faut un nouveau consensus pour structurer, organiser et pousser le système vers des unités plus humaines et donc plus petites dans une approche populationnelle, centrée sur les résultats et multidisciplinaire dont la gouvernance et l’imputabilité seront plus proches des communautés desservies. Sans refaire, mais en réinventant les CLSC qui ont connu l’échec autant par manque de financement que par leurs dynamiques et tensions internes et sans réparer les GMF qui font figure d’analgésiques à effet temporaire. À cette fin : distinguer les services de santé des services médicaux.

Les médecins du Québec sont mal utilisés ; plusieurs de leurs actes réservés peuvent très bien être accomplis plus économiquement, rapidement et commodément par d’autres professionnels de la santé. Ils sont aussi surchargés pour la même raison. Ils sont enfin sous utilisés parce qu’ils réduisent, surtout les spécialistes, leur temps de travail en proportion directe de l’augmentation de leur revenu. Pourquoi en faire plus quand tu en fais déjà plus qu’assez ? Plus que bien pourvus au chapitre de l’enrichissement de leur porte-feuille, il est temps pour eux de penser, bon gré mal gré, à l’enrichissement de leur tâche.

Des services de santé dissociés des services médicaux existent déjà partout sur le territoire québécois. Cliniques sportives, cliniques de physiothérapie, de podologie, de massage, d’acupuncture, de chiropractie, etc., mais elles sont privées et payantes. La question de l’accessibilité est donc posée. Elle pourrait se résoudre de diverses façons : coop de santé, partenariats, APS (allocation personnalisée de soins), etc.

Rappelons que :

– les services de santé sont préventifs ou curatifs ;

– le maintien à domicile est approximativement à 80 % logistique, 19 % en services de santé, 1 % en services médicaux ;

– les services de santé préventifs sont le lieu de l’intervention sur l’environnement de vie et sur la productivité des patients (habitudes de vie) sans lequel le système ne pourra jamais répondre à la demande ;

– les services de santé curatifs désengorgent les services médicaux et maximisent leur accessibilité et leur valeur ajoutée ;

– pour assurer l’interdisciplinarité, la continuité et le suivi des services, il faut un dossier patient informatisé disponible pour tous les professionnels intervenants ;

– pour administrer cette prescription, une enquête sur les CHLSD ne suffira pas. Il faudra beaucoup de courage politique pour générer un nouveau consensus. Peut-être en enclenchant des États généraux ou un Sommet sur le système de santé québécois.

 

 

* Médecin, ex-principal et vice-chancelier, Université Bishops.