Vingt années dans la défaite ont-elles scellé le sort de l’indépendance ?

L’indépendance d’un peuple n’est évidemment jamais démodée. Ce qui peut souffrir des aléas quotidiens est l’élan, depuis la conscience de former un peuple jusqu’à la perspective de concrétiser réellement le projet, en passant par la « maudite rince » que ledit peuple s’est fait servir depuis vingt ans.

Les jeunes lâchent le Québec ?

Selon un sondage CROP préparé pour la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, rattachée à l’Université Laval, dont Le Devoir a obtenu copie (ce 28 octobre 2015), même les indépendantistes sont assaillis par le doute. Moins de la moitié d’entre eux croit que l’indépendance se fera un jour. Pour les électeurs fédéralistes, le projet est mort. Moins d’un dixième des opposants peut concevoir que le Québec puisse « accéder » à l’indépendance. Globalement, seulement un Québécois sur cinq (22 %) croit que le projet « indépendantiste mènera quelque part ».

Non pas que le Québec n’ait pas les capacités de réaliser l’indépendance. Sur ce point, indépendantistes comme fédéralistes sont d’accord : 47 % n’y voient aucun obstacle, révèle le sondage. Là où le bât blesse, notamment, c’est la faiblesse de la relève indépendantiste. Chez les jeunes (18 à 34 ans), sept sur dix auraient répondu NON à la question « Voulez-­vous que le Québec devienne un pays indépendant ? », alors que l’ensemble des répondants répondait plutôt favorablement par 36 % contre 64 %.

Bien sûr, on peut se poser des questions quant à la qualité de ce sondage réalisé par internet (comme ceux réalisés par robot téléphonique). Ces sondages, non probabilistes, diffèrent de ceux réalisés par téléphone, plus coûteux. Bien que comptant autant de jeunes et d’aînés que dans la population, autant de riches et de pauvres, autant d’instruits que de non instruits, etc., les répondants zigonnant sur Internet n’ont pas le même profil que les non-répondants. De plus, chose absolument discutable, le sondage CROP dont il est question a été réalisé entre le 15 et le 18 octobre, la veille de l’élection fédérale. La proximité de cette dernière ne peut qu’avoir contaminé les résultats de l’échantillon. De même, la répartition des électeurs discrets proportionnellement à la répartition des répondants qui ont révélé leur intention de vote ne tient pas, ce qui est de l’ordre du connu dans la « science » des sondages au Québec. Ce qui fait bien des réserves.

Il y a un autre type de situations qui peut éventuellement favoriser un réveil subit du nationalisme québécois. La moindre attaque contre une communauté politique donnée, minoritaire ou non, a toujours pour effet d’y resserrer les rangs autour du parti au pouvoir, qui devient alors identifié à la défense des intérêts de la communauté. Une chose archi-connue pour tous les partis politiques. Par exemple, l’attaque des Malouines par l’Argentine a été une bénédiction pour les conservateurs de Margaret Thatcher. La riposte de Londres a soudé les Britanniques derrière leur gouvernement, le temps de liquider le « problème argentin ». Le gouvernement Thatcher, qui s’en allait vers la défaite, en a profité pour s’assurer d’un nouveau mandat. La chose vaut aussi pour les régimes non démocratiques. Dans le contexte québécois-canadien, il y a là un potentiel de mobilisation autour de l’indépendance et de la liberté qui ne manquerait pas de s’exprimer en cas de manifestation d’hostilité du Canada anglais contre le Québec. Les critiques acerbes et le rejet des Accords du Lac Meech et de Charlottetown étaient de cette eau – mais non la Loi sur la clarté référendaire, qui fut plutôt considérée simple expression de positions politiques opposées.

Le sondage CROP révèle par ailleurs plusieurs faits troublants. Tout d’abord le fait que l’indépendance ne corresponde à aucune nécessité. Les jeunes, en particulier, ne voient aucun inconvénient à ce que se réalise l’indépendance. Mais ils ne croient pas à sa réalisation dans un avenir prévisible. Sans référents historiques (ce sont des jeunes), ils sont nombreux à croire en la possibilité de réviser la constitution canadienne et à espérer voir le Québec obtenir des pouvoirs correspondant à ses revendications « traditionnelles ». En outre, l’histoire des 35 dernières années a montré que le Canada anglais a raté les trois occasions de négociations pour satisfaire les moindres revendications significatives du Québec, soit en 1981-1982, avec Pierre Elliot Trudeau, en 1987-1990, lors de l’aventure de l’Accord du lac Meech de Brian Mulroney, et en 1991-1992, dans le triste épisode de l’Accord de Charlottetown, battu simultanément par référendum au Québec et au Canada anglais. Chaque fois, d’ailleurs, les revendications du Québec ont été dépouillées de leur contenu et détournées de leur sens. Tant et si bien qu’aujourd’hui, pour négocier quoi que ce soit, et cela vaut depuis les Accords du lac Meech et de Charlottetown, il n’y a plus aucun répondant dans la capitale fédérale ni dans les provinces pour entretenir le moindre dialogue avec le Québec au sujet de la répartition des pouvoirs et des ressources au Canada.

Un projet sans pertinence ?

L’analyste de CROP, Youri Rivest, l’a clairement exprimé dans son rapport du sondage, le camp du Oui « doit notamment s’affairer à rendre “pertinent”, “actuel” et “tangible” le projet indépendantiste ». Comment diable le rendre pertinent, actuel et tangible s’il n’existe aucune revendication ni aucun interlocuteur pour entretenir quelque dialogue ? Pourtant, la première chose que l’on apprend dans les études sur le nationalisme dans les régimes démocratiques est l’importance de la relation entre le NOUS et le EUX, et cela quel que soit le point de vue que l’on puisse adopter. Pour « calmer le jeu », « satisfaire la minorité », « tromper la minorité », « écraser la minorité », il faut reconnaître une minorité et une majorité, deux identités et deux allégeances nationales. Se reconnaître collectivement impliqué dans une relation de ce type prépare à la compréhension de la vulnérabilité de l’état de minorité, à la compréhension de ce qu’est l’emprise de la majorité, la remise en cause la répartition des pouvoirs. Cela prépare à la revendication ferme du droit à l’autodétermination, à la revendication en tant que nécessité absolue du respect de l’identité minoritaire…

Pas de NOUS et de EUX, alors un bénéfice (un leurre ?) notable (secondaire ?) : pas d’accusations de racisme, de volonté de division, pas besoin de gérer les relations entre minorité et majorité à l’interne, c’est-à-dire au Québec. Seulement la possibilité de s’enfoncer dans l’expression du différend minorité/majorité à l’externe, avec le Canada anglais. En outre, cette posture évacue les accusations de « victimisation » et de « volonté revancharde » basées tantôt sur la conquête, tantôt sur l’histoire récente, tantôt sur… les sujets ne manquent pas. « Suprême accusation », laisser planer le dessein sulfureux d’obliger chaque individu, au Québec à porter un brassard indiquant ses droits linguistiques. Un brassard séparant les citoyens légitimes des futurs déportés au Canada anglais, advenant l’indépendance… Pathétique, drôle, outrageant ? Certains candidats libéraux n’ont pas hésité à se lancer dans de tels propos lors des campagnes référendaires de 1980 ou de 1995. Et d’autres propos tout aussi offensants. Avec un objectif, propager la terreur auprès des aînés, des petites gens et des immigrants.

Briser l’étiquette de perdants

Puis, cette autre vérité fondamentale livrée par le sondeur : « Le défi du camp du Oui, ce n’est pas tant de convaincre de la capacité [du Québec] d’être un pays indépendant, mais [de dire] : “On va le faire. On va arrêter de perdre” ». « Arrêter d’être des perdants » et « mettre fin à la démobilisation ». « Cesser de pleurnicher sur notre sort », disait Trudeau le père, et gagner notre combat individuellement là où il est possible de le faire, c’est-à-dire chacun pour soi, sans égard pour les oubliés, les simples de la classe moyenne, les entrepreneurs désireux d’obtenir l’appui de leur collectivité via leur État. Et sans réforme constitutionnelle. Tant pis pour les droits collectifs ! Pour le professeur de droit de l’Université Laval, Patrick Taillon, qui fut jadis président du Comité national des jeunes du Parti québécois, ces propos de M. Rivest apparaissent tout à fait « pertinents, actuels et tangibles ». Il y a « nécessité » pour les indépendantistes, dit-il, de trouver une façon de « se défaire de l’étiquette de perdants » qui leur colle aux basques depuis… 1980.

1980… On aurait évidemment pu reculer davantage, en embrassant les conclusions de la commission Laurendeau-Dunton qui révélait la piètre situation des Canadiens français au Canada en 1961 dont les revenus les positionnaient à l’avant-avant-dernier rang parmi quatorze groupes ethniques, accompagnant les groupes souffrant des pires situations économiques, les Italiens et les Autochtones. On pourrait aussi reculer aux conscriptions des deux grandes Guerres mondiales, à la guerre des Boers, aux règlements interdisant l’éducation en français dans toutes les provinces canadiennes-anglaises, à la création et à la colonisation des provinces de l’Ouest qui ont été réalisées dans le mépris des francophones et des Métis qui y vivaient déjà. Avec une pensée toute spéciale pour l’espionnage des citoyens indépendantistes, pour les interventions de l’armée au Québec et la Loi des mesures de guerre et, pourquoi pas, la Loi sur la clarté référendaire de Stéphane Dion et Jean Chrétien. Et cette autre pensée, consignée dans l’Acte d’union de 1840 puis dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, visant à circonscrire les pouvoirs de la seule province de langue française susceptible de malmener ses citoyens de première classe.

Évidemment, sans histoire, foin non seulement de l’indépendance, mais aussi de l’identité québécoise.

Pourtant, malgré l’adversité, l’Écosse et la Catalogne avancent. Même après un référendum sur l’indépendance perdu par 45 % pour la première et, pour la seconde, après un référendum sur l’indépendance interdit par un jugement de la Cour suprême espagnole supprimant leur droit à l’autodétermination, et une élection, le 27 septembre dernier, remportée par une majorité des sièges, mais une minorité des voix (47,3 %).

Au fond, ce qui différencie l’Écosse et la Catalogne du Québec, réside dans leur volonté collective, celle exprimée par les urnes. Cette volonté exprimée à la proportionnelle1 représente, en cas d’atteinte d’une majorité des voix en Écosse et en Catalogne, une véritable menace envers les régimes de Londres et de Madrid, malgré toutes les mesures répressives que ces deux capitales peuvent adopter. Non pas que le vote bloc d’une minorité d’origine anglo-britannique ou catalane ou immigrante n’existe pas. Dans le cas écossais, ce n’est pas la langue, évidemment, mais l’identité et l’allégeance nationales qui séparent les citoyens écossais des citoyens anglo-britanniques vivant en Écosse. Dans le cas catalan, on retrouve sur le territoire des citoyens d’identité et d’allégeance catalane, mais aussi d’autres citoyens d’identité et d’allégeance espagnoles. Pas plus en Écosse qu’en Catalogne, la langue n’est le marqueur identitaire définitif. Il n’en reste pas moins, et les immigrants anglo-britanniques, espagnols ou de l’étranger en sont les témoins privilégiés, que chaque nouveau citoyen écossais ou catalan a un choix à faire entre l’identité nationale minoritaire et l’identité nationale majoritaire.

Sauf que… il n’y a pas de mode de scrutin majoritaire en Écosse ou en Catalogne. Pas de parti libéral écossais ou catalan sous influence du vote bloc de la minorité locale, celle appartenant à la majorité anglo-britannique ou celle appartenant à la majorité espagnole. Pas de parti paqueté d’élus sous influence, capables de forcer leur parti ou leur État d’embrasser une identité et une allégeance étrangères, capables de mobiliser localement les simples citoyens. Pas de ces élus triomphants qui refusent l’intégration à la communauté politique minoritaire, écossaise ou catalane… de ces élus qui nient l’histoire et qui sont prêts à noyer la minorité dans le grand tout national anglo-britannique ou espagnol.

En lieu et place, des modes de scrutin proportionnel, sensibles au moindre écart éthique des partis en place… des systèmes de représentation capables de récompenser les courants contestataires par une députation. Sensibles également aux attaques de la communauté majoritaire, l’anglo-britannique ou l’espagnole. La communauté minoritaire écossaise a perdu son référendum, la communauté minoritaire catalane s’est fait imposer le silence. Fort bien, se dit-on à Édimbourg ou à Barcelone. En démocratie, après les épisodes référendaires ou électoraux récents, les communautés majoritaires anglo-britannique et espagnole ont dorénavant à livrer. À défaut de quoi, ce sera la clé des champs. Sans référendum.


1 Une proportionnelle mixte en Écosse et, en Catalogne, une proportionnelle de liste, avec redistribution suivant le plus grand reste (la méthode d’Hondt).

L’indépendance d’un peuple n’est évidemment jamais démodée. Ce qui peut souffrir des aléas quotidiens est l’élan, depuis la conscience de former un peuple jusqu’à la perspective de concrétiser réellement le projet, en passant par la « maudite rince » que ledit peuple s’est fait servir depuis vingt ans.

Les jeunes lâchent le Québec ?

Selon un sondage CROP préparé pour la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires, rattachée à l’Université Laval, dont Le Devoir a obtenu copie (ce 28 octobre 2015), même les indépendantistes sont assaillis par le doute. Moins de la moitié d’entre eux croit que l’indépendance se fera un jour. Pour les électeurs fédéralistes, le projet est mort. Moins d’un dixième des opposants peut concevoir que le Québec puisse « accéder » à l’indépendance. Globalement, seulement un Québécois sur cinq (22 %) croit que le projet « indépendantiste mènera quelque part ».

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