Il est certain que les campagnes électorales sont électrisantes. La certitude que les élections reviendront toujours a une dimension rassurante pour le militant ; on sait que l’on a l’opportunité de se reprendre, si on veut, et que c’est toujours à recommencer. Le « beat » électoral finit par devenir presque mécanique. C’est ce qui est confrontant, quand on soutient une cause comme l’indépendance, c’est que le métronome électoral n’agit plus comme un phare. Une partie des réponses, sur la suite des choses et sur ce qui doit être fait, doit émerger du mouvement indépendantiste en lui-même. Au courant de cette élection dont l’issue n’est pas connue, mais dont tous reconnaissent l’importance, il faudra poser le constat du mouvement dans son ensemble, pas seulement de celui des partis individuellement et se positionner pour sa relance.
En 2017, les OUI Québec ont proposé un chantier porteur, un laboratoire inédit depuis 1995 ; la table de concertation. Rappelons que cette table rassemblait à l’époque le Parti québécois, Québec solidaire, Option nationale et le Bloc québécois, dans l’objectif d’en arriver à une feuille de route commune vers l’indépendance. Bien que le projet n’a pas livré le résultat espéré, il faut nous permettre de revenir sur ces événements sans tabou, de façon à les analyser afin d’y trouver des pistes d’amélioration pour le futur. La propension à chercher un coupable fait de l’ombre sur l’objectif le plus important de cette proposition : celle de la réunification de tous les souverainistes. En soi, c’est nous les indépendantistes qui en payons le prix. Cette proposition aura certainement le mérite d’avoir rendu concrète la place du terme Convergence dans le vocabulaire souverainiste, ce qui en soi, est une bonne nouvelle pour la suite des choses.
Pour l’instant, nous ne pouvons même pas nous permettre de penser à des questions telles que le nom du chef du mouvement souverainiste ou du bien-fondé de chaque politique publique promise par chaque parti. Dans notre manque de cohésion, notre mouvement souffre alors que le contexte serait favorable à l’émergence d’un mouvement indépendantiste prolifique. À condition, bien sûr, que nous ayons un projet commun à proposer.
Plusieurs éléments nous rappellent les circonstances favorables qui ont mené à la tenue de référendums sur l’indépendance ; ne serait-ce que le fait que le salaire moyen des francophones est 20 % moins élevé que celui des anglophones ou le recul du français démontré par le recensement fédéral de 2016-2021. Malgré cela, les rues sont vides. Pourtant, ce n’est pas par manque de volontarisme des différents partenaires : la Fédération des travailleuses et travailleurs du Québec (FTQ) qui mène pendant l’été une campagne d’affichage majeure sur l’importance du français, par exemple, ou encore les alliés naturels de la protection de la langue qui se démènent pour raffermir les articles de la loi 96. Les appuis sont présents, mais pas concertés. Les enjeux, majeurs, ont soif de mobilisation.
Presque tous les sondages d’opinion qui sondent l’appui à la souveraineté dans les dernières années donnent des résultats similaires à ceux que l’on a connus, une année avant le référendum de 1995. Comme le rappelle sur toutes les tribunes le sondeur Jean-Marc Léger, il est possible de gagner 15 % en un mois de campagne électorale… À condition que l’humeur y soit.
Puis il y a les jeunes. Si les générations sont régulièrement théorisées sur une base cyclique, celle des millénariaux est étiquetée comme étant une génération pragmatique, voire matérialiste – dans tous les sens du terme. Quand on pense à cette génération de souverainistes, soit celle qui a mené la grève étudiante de 2012 et qui s’est mobilisée pour le parti Option nationale, dont les froids arguments de nature économique en ont charmé plus d’un, on reconnait bien-là les millénariaux. Ils veulent améliorer les institutions en place, mais ils perdent de vue les raisons pour lesquelles celles-ci ont été mises en place en premier lieu. Dans les faits, les revendications de la grève étudiante de 2012 visaient à réformer et améliorer les services des institutions scolaires, mais pas en une refonte systémique. Les millénariaux, c’est ma génération, mais je veux vous parler de ceux qu’on appelle la génération Z, née aux alentours de l’année 2000. Ils arrivent en fin de cycle1 ; les institutions sont épuisées, ils se sentent au bord de la crise, ils vivent une crise. C’est la mobilisation pour l’environnement, l’écoanxiété. Ils veulent révolutionner le genre et choisissent leurs employeurs en fonction de leurs convictions politiques. Étrangement, si on les a associés à la globalisation, ils sont plutôt nationalistes, et ce, partout à travers le monde2 ; ils sont à la croisée de la génération baby-boomers et de la génération silencieuse, à la fois dans la souffrance d’un système, qui à leurs yeux s’écroule, mais dans l’espoir de pouvoir le refonder. Ils sont marqués par des changements sociétaux majeurs, par un contexte de politique internationale en crise, par des taux de chômage similaires aux boomers, au même âge.
Bref, tout porte à croire que cette génération porte en elle le pouvoir de soulever le mouvement souverainiste. En 1980, la génération silencieuse était opposée à l’indépendance, faisant de nous un mouvement mieux positionné que nous l’étions à l’époque, sur cet aspect au moins.
De tout temps, et c’était vrai en 2012, c’était vrai lors des manifestations pour l’environnement de 2019, c’était vrai aussi dans les années 60, les jeunes sont à l’avant-garde des grands mouvements sociaux et des nouvelles idéologies. Le mouvement souverainiste, depuis les années 2000, s’est régulièrement demandé comment mobiliser les jeunes. Ils ne doivent pas assurer une présence dans nos événements simplement pour rajeunir nos salles, parce que ça parait bien. Ils doivent faire partie de notre stratégie globale et ils doivent développer cette stratégie avec nous. Les parents de la génération Z ne leur ont jamais parlé de souveraineté. Ils n’y sont pas hostiles, mais ils n’y sont pas initiés. Pour qu’ils soient 350 comme lors de notre exposition du mois de mai dernier, pour qu’ils soient 1000 comme à notre Saint-Jean indépendantiste, ils doivent sentir qu’ils sont en mesure d’exercer leur influence et leur vision du Québec. Si on veut un mouvement pour eux, faut que ça passe par eux.
En ce sens, l’urgence de la protection de l’environnement et l’importance d’intégrer les questions autochtones à notre action politique ne peuvent pas être mises de côté. Ces questions constituent, à quelques détails près, des consensus au sein de nos troupes et peuvent jouer le rôle de base pour un programme collectif. En bref, ce sont des exemples de ce que peut nous apporter la jeunesse en intégrant leurs idées. Surtout, pour les militants qui ont un long historique de militantisme, ils nous permettent de nous projeter dans leur bonheur de s’impliquer pour la première fois et de mettre de côté nos guerres intestines. Bien sûr, qu’elle est belle la jeunesse. Surtout, nous avons besoin d’elle pour gagner.
Et gagner, c’est ce que nous devons vouloir à nouveau. Former l’opposition officielle n’est pas un objectif d’intérêt. Modeste, peut-être. Mais nous devons recommencer à planifier former le gouvernement et avoir le mordant de vouloir réaliser l’indépendance d’une façon qui est crédible. Pour ce faire, il n’y a qu’une seule solution : faire élire un maximum d’élus souverainistes à l’Assemblée nationale, qui se présentent avec le mandat de faire l’indépendance. En ce sens, même si le gouvernement caquiste a le mérite d’avoir soufflé sur le sentiment de fierté des Québécois, ils n’ont pas et n’auront pas ce mandat.
On maintient un peu, dans le mouvement souverainiste, le fantasme d’une décomposition de l’unité chez la CAQ sur la base, essentiellement, de potinage. Un tel serait secrètement souverainiste. C’est vrai, que cette coalition peut sembler fragile tant les divergences idéologiques, sur la question nationale entre autres, sont profondes. La question n’est pas de savoir si la CAQ est souverainiste, ou non, ou si elle va le devenir. Pour les OUI Québec et pour le mouvement souverainiste, notre mission première est que la cause indépendantiste soit un incontournable, qu’elle soit la seule issue possible. C’est ce qui s’est vu en Catalogne dans les dernières années, où la société civile a poussé sur le parti nationaliste au pouvoir jusqu’à ce qu’il devienne souverainiste. Cela s’est fait parce que la société civile s’était bâti un rapport de force immense, largement supérieur aux formations politiques. Rêvons !
Or, il y a une réelle possibilité que la CAQ réussisse son pari de l’unité. Réalistement, l’option d’une réforme du mode de scrutin ne figure pas dans les cartons de la CAQ pour les prochaines années. Cela ne veut pas dire de baisser les bras quant à la nécessité d’une telle réforme. Mais l’échec de ce projet, la domination d’un très important parti au pouvoir et la multiplication des oppositions a pour effet de maintenir la CAQ de façon quasi éternelle au pouvoir. Dans les faits, le mode de scrutin uninominal à un tour favorise le bipartisme. Ainsi, cette situation de division de l’opposition permet à la CAQ de maintenir sa cohésion. Tant que le parti de François Legault pourra assurer une réélection à ses élus, il pourra maintenir son unité. Surtout, penser que le gouvernement fédéral sera suffisamment maladroit pour piloter les dossiers de la loi 96 et de la 21 de façon à créer une révolte populaire trahit plutôt notre désir. Encore, le Canada a vu à quel point le dossier de la langue n’a pas mobilisé des foules ici, du moins pour l’instant.
Depuis le dernier référendum, les souverainistes ont souvent basé leur stratégie sur des circonstances extérieures, sur lesquelles nous n’avons que peu de pouvoir. Toujours est-il qu’à chaque fois que nous avons réussi à prendre le pouvoir et à proposer un référendum, c’est parce que nous avons pris les choses en main nous-même et que nous avons imposé notre agenda. C’est ce leadership là que les OUI Québec peuvent jouer. Dans des moments d’incertitudes, le véritable leadership, c’est d’être capable de mettre sur la table des propositions structurantes qui ont le potentiel de changer le cours des choses, c’est-à-dire de donner une direction claire pour tous les indépendantistes québécois.
Et des propositions audacieuses, aux lendemains de la prochaine élection, il y en aura probablement beaucoup. En effet, notre mouvement est connu pour voir naître régulièrement des initiatives visant à nous renouveler, par exemple un nouvel argumentaire pour l’indépendance, de nouveaux mouvements ou partis, et j’en passe. Il faut être prudent, mais en tendant toujours l’oreille avec ouverture. Comme souverainiste, nous avons maintenant la responsabilité d’analyser ces propositions en fonction d’une question, d’un pilier : est-ce que cette initiative favorise l’unité de tous les souverainistes, peu importe leurs bannières ?
Cette question devra aussi être omniprésente dans les interactions des militants pendant les élections. La campagne risque de laisser des cicatrices partisanes chez les militants. Si nous jugeons l’unité de la CAQ fragile, imaginons la nôtre comme mouvement souverainiste. Plus que jamais, nous avons le devoir de protéger l’unité de notre mouvement et j’en appelle aux partis indépendantistes d’éviter les attaques en bas de la ceinture. Ces attaques ne font que creuser encore davantage le fossé que l’on sait déjà trop profond entre les partisans des différentes formations politiques. Elles font mal à l’unité de la famille indépendantiste au grand complet, car n’oublions jamais que ce sont nous, les indépendantistes, qui faisons les frais de cette division et de ces querelles stériles. Imaginez ensuite les dommages sur le plan de la crédibilité de notre cause auprès de la population.
Évidemment, les OUI Québec appellent tous les indépendantistes à voter pour un parti souverainiste, qu’il s’appelle le Parti Québécois ou Québec Solidaire, par exemple. Par contre, si notre objectif final est de réaliser l’indépendance, nous savons tous qu’il faudra la somme de tous les souverainistes. Il nous a manqué 40 000 voix à notre dernier rendez-vous. Une chose est certaine, le statu quo ne peut plus durer et nous avons des opportunités majeures devant nous, mais il faudra les saisir.
En somme, il faudra tout mettre en œuvre pour que l’élection québécoise de 2022 soit la dernière élection de division du mouvement souverainiste, et les suivantes, celles du début de la force de frappe dont nous avons besoin pour gagner.
1 Generations: The History of America’s Future, 1992, William Strauss & Neil Howe
2 «Identifying What Matters Most to the Next Generation» International Federation of Accountants. 2019
* Présidente OUI-Québec.