Plus de 15 mois après le début de la pandémie au Québec et au Canada, nous devons nous interroger sur le degré de préparation du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) et des gouvernements fédéral1 et provincial.
Cet article vise à évaluer, dans le contexte politique Canada-Québec, le niveau de préparation et de gestion de la pandémie par les organismes canadien et québécois : l’ASPC, le MSSS, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), la Direction nationale de la santé publique (DNSP) sous la gouverne du sous-ministre adjoint Horacio Arruda, la Direction régionale de santé publique à Montréal (DRSPM) et les Centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD).
Dans le cadre de cet article, nous mettrons l’accent sur les difficultés de la gouvernance canado-québécoise pour contrer la pandémie et surtout, dans le contexte de la réforme Barrette, sur le MSSS et ses relations avec les organismes québécois de santé publique face à la pandémie. Nous n’aborderons pas la question de la préparation des CHSLD ; déjà plusieurs analystes ont dénoncé le sous-financement des CHSLD, laissés sans direction au sein des immenses bureaucraties que sont les CIUSSS et les CISSS. En dirigeant des centaines de malades des centres hospitaliers (CH) vers les CHSLD, le gouvernement Legault a précarisé encore plus les CHSLD déjà surpeuplés et avec, souvent, un personnel sociosanitaire fatigué, insuffisant et exposé à des risques de contagion mal évalués pour eux et les aînés vulnérables dont ils doivent s’occuper quotidiennement.
La pandémie met la majorité des pays à genoux, car au commencement nous l’avons ignorée, la confinant dans des pays lointains. En moins de quatre mois, elle est devenue nôtre. Une minorité choisit le déni, traquant les complots planétaires. Pourtant la majorité reconnaît sa nocivité.
Des principes de base qui guident la stratégie
Pourquoi face à ce virus inconnu, imprévisible et potentiellement mortel, n’avons-nous pas adopté immédiatement une politique d’action commune à l’échelle du Canada ? Il faut dire que le fédéralisme canadien produit une segmentation du champ sociopolitique, se concrétisant en au moins une dizaine de scènes politiques relativement autonomes. Contentons-nous d’observer la dualité Canada-Québec. Entre les années cinquante et soixante, l’intervention de type keynésien dans le domaine sociosanitaire a permis au fédéral de s’immiscer dans des juridictions provinciales, créant ainsi des conflits surtout avec le Québec. Depuis le début des années 2000, cet interventionnisme s’enfonce dans la crise sous le coup de politiques économiques parfois contradictoires (la mondialisation néo-libérale canadienne et son projet d’exploitation des énergies fossiles de l’Alberta versus le nationalisme économique québécois et son projet autonomiste). Ces deux entités politiques se combinent à des paradigmes différents, inspirés par des ensembles idéologiques antinomiques (le multiculturalisme canadien versus la laïcité québécoise).
Les principaux premiers ministres (Justin Trudeau, Jason Kenney, Doug Ford, John Horgan et François Legault) sont allés au front en adoptant des stratégies souvent disparates face à la pandémie. Le seul moment où les paliers gouvernementaux ont atteint un consensus politique minimal, c’est dernièrement, lors de l’opération de vaccination.
En contexte de pandémie, dans un cadre fédéral, cette segmentation ajoute des obstacles innombrables à un accord unanime sur la stratégie gouvernementale basée sur un consensus national. L’adhésion des différents paliers gouvernementaux est une condition sine qua non afin d’obtenir le consentement (de 80 à 90 %) des populations aux nouvelles normes sociosanitaires alors que ce pays est divisé autant par la question nationale que par l’affrontement des idéologies. De plus, en 2020, le Québec a subi nombre d’attaques frontales le désignant comme une terre sur laquelle vivent des racistes francophones ! Comment dans un tel contexte, pouvions-nous mettre en place une stratégie commune ?
Mais revenons à ces principes qui doivent guider le fonctionnement des gouvernements. D’abord face à un ennemi insaisissable, il faut mettre en pratique certaines notions de base : le principe de précaution, le principe de prévention, le principe de solidarité, le principe de protection des plus vulnérables, le principe de connaissance continue, le principe de cohérence intergouvernementale, le principe de cohésion sociale et le principe d’action dans le cadre de notre État-nation.
Ces principes engendrent une conscience collective et cet accord de volonté crée alors des obligations civiques. Si ces normes, anciennes et nouvelles, ne sont pas toutes intériorisées, il faut alors, en vertu de l’intérêt général, exercer une contrainte sociale et aussi une contrainte pénale. Il y va de la vie de milliers de personnes !
Au contraire de ce que dit le premier ministre Trudeau, la contrainte pénale n’a pas comme objectif d’éduquer les récalcitrants, mais bien de garantir le respect dû au droit puisque la norme devient judiciarisée. Par exemple, dans le cas de la quarantaine supervisée, le fait que le gouvernement Trudeau ne la croit pas nécessaire donne à la majorité des voyageurs internationaux qui arrivent au Québec le prétexte de l’éviter et par conséquent de ne pas s’y conformer.
Pour vaincre cette pandémie, les autorités politiques doivent s’entendre sur des mesures-phares : port du masque et distanciation, quarantaine obligatoire des citoyens contaminés à leur domicile, confinement des régions les plus atteintes à l’intérieur du pays, contrôle des frontières avec l’extérieur du pays, couvre-feu et quarantaine obligatoire des voyageurs dans des hôtels supervisés. Comme je l’écris plus haut, les paliers gouvernementaux n’ont pas adhéré à ce plan commun ; face à ces contradictions, pouvions-nous nous attendre à ce que la population se rallie en masse derrière cette stratégie ?
Cet échec d’une action commune et globale est dû principalement au fait que le gouvernement Trudeau n’a jamais voulu d’un plan coercitif, mais de mesures surtout volontaires et que François Legault a agi en premier ministre provincial et non en homme d’État. Alors que les variants menacent depuis des mois la santé des Québécois, il ne ferme pas, ou si peu, les frontières interprovinciales et ne remplace pas le gouvernement fédéral trop passif dans sa gestion de la frontière nationale, de la circulation des voyageurs internationaux et de leur quarantaine obligatoire.
Une étude australienne met en évidence que le succès contre la pandémie dépend de deux facteurs primordiaux : une adhésion gouvernementale à un plan d’action combinant la distanciation sociale, le port du masque, la quarantaine obligatoire des voyageurs dans des hôtels désignés, la fermeture des frontières entre les états à l’intérieur de l’Australie, la quarantaine obligatoire des résidents qui ont été contaminés et un ralliement de 70 à 90 % de la population à cette nouvelle politique2. Le pays doit donc être un pays soudé par une conscience commune collective ; ce qui n’est pas le cas du Canada.
Le gouvernement Trudeau sous le regard amorphe et docile du gouvernement Legault
Dans les six premiers mois de la pandémie, le premier ministre Legault pouvait rassembler la majorité des Québécois autour d’une stratégie commune. Nous étions prêts à le suivre au sein du Québec, devenu notre État-nation. Il y a eu une adhésion majoritaire des Québécois. Par exemple, en avril 2020, Google considérait les Québécois comme les champions de la distanciation :
Une compilation des données de Google faite par La Presse suggère que les Québécois respectent effectivement le confinement beaucoup plus que dans d’autres provinces, États ou régions3.
Le premier ministre Legault aurait dû, dès les premiers mois, remplacer le discours fédéral incohérent, qui ne se traduisait pas par des prescriptions claires.
Par exemple, le premier ministre Justin Trudeau affirmait qu’il imposait les mesures de quarantaine les plus coercitives des pays occidentaux, alors que dans le rapport ci-haut cité, la vérificatrice, Karen Hogan, estimait que l’ASPC n’était pas suffisamment préparée à intervenir face à la pandémie et avait sous-estimé l’incidence possible du virus au début. De plus, suite à son étude sur la supervision de la quarantaine aux mois de mai et de juin 2020, elle confirmait que :
[…] l’Agence de la santé publique du Canada ne savait pas si, du 5 mai au 30 juin 2020, 66 % (108 800) des voyageurs entrés au Canada qui devaient se mettre en quarantaine avaient effectivement respecté cette ordonnance. Moins de la moitié des voyageurs soupçonnés de ne pas respecter leur quarantaine ont été signalés aux forces4.
En somme, la quarantaine obligatoire décrétée le 25 mars 2020 et réaménagée en février 2021 par le gouvernement Trudeau est une fable politique que François Legault a cautionnée. En plus d’être une passoire pour les voyageurs qui entrent par les aéroports, le gouvernement fédéral néglige totalement de contrôler la frontière terrestre. Encore là, Justin Legault répète son refrain : « […] Nous n’essayons pas de punir les gens, mais de protéger tous les Canadiens5. »
En mars 2020, il a tardé à fermer les frontières et à mettre en place des mesures de précaution dans les aéroports du Canada (juridiction fédérale) qu’il aurait dû fermer. Cette situation grotesque perdure encore aujourd’hui sans que le gouvernement Legault dénonce le ridicule de l’opération fédérale. L’entrée au pays de la COVID-19 et ses variants est directement liée à cette quasi-absence de surveillance des voyageurs internationaux. Du 13 au 25 mars 2020, environ 1,7 million de voyageurs internationaux sont entrés au Canada et ont été invités à se mettre volontairement en quarantaine pendant 14 jours. De plus, la semaine de relâche du Québec s’est échelonnée entre le 2 et le 10 mars 2020 et près de 580 000 voyageurs internationaux sont entrés au Québec pendant cette période. Cette décision de maintenir la semaine de relâche sans une véritable quarantaine allait plonger le Québec et surtout Montréal dans cette pandémie cauchemardesque.
Au Québec entre avril 2020 et janvier 2021, les voyageurs internationaux, entrés à l’aéroport Trudeau, ont augmenté de plus de 200 %, passant de 36 766 voyageurs en avril 2020 à 78 865 en janvier 2021, sans que la quarantaine soit effectivement mise en œuvre de façon rigoureuse, puisque cette opération a toujours été sous-financée.
Le premier ministre Legault refait la même erreur en 2021, une semaine de relâche scolaire sans une vraie quarantaine. L’arrivée des variants démontre que les principes de prévention et de précaution ne sont pas à la base des actions des gouvernements. Où sont les organismes de santé publique pour dénoncer cet aveuglement ? Nous ne sommes pas dans la fatalité, mais dans la bêtise.
La pandémie de COVID-19 de 2020 ne pouvait pas être prévue, mais en 2018, nous avions vu la défaillance de la DRSPM lors de la canicule de 2018 à Montréal. Pouvions-nous penser alors que notre système de santé publique, chamboulé par la réforme Barrette, était prêt à faire face à ce virus ?
Le gouvernement québécois, le MSSS, l’INSPQ, les directions régionales de santé publique.
Le directeur national de santé publique, Horacio Arruda, s’est adressé aux médias en février 2020. Il a rappelé qu’aucun cas du COVID-19 n’avait encore été déclaré en sol québécois et que le risque de contamination demeurait faible. Il va quitter le Québec, entre le 28 février et le 7 mars 2020, se rendre à un congrès et prendre des vacances au Maroc. Pendant ce temps, le 7 mars, dans le monde, la Chine continentale compte plus de 3 000 morts, la Corée du Sud, une vingtaine de décès et plus de 3 000 personnes contaminées, des dizaines de décès et des milliers des personnes contaminées en Europe (France, Espagne, Italie, etc.). Les principes de précaution et de prévention ne guident pas les autorités en place. Le 27 février 2020, la ministre McCann se fait rassurante. Dans son communiqué, elle écrit :
[…] par ses expériences passées, le Québec a fait face à ce type de situation. Plusieurs mesures ont été mises en place afin de prendre en charge ce cas probable et de limiter la transmission communautaire. Nous réitérons que nous prenons la situation au sérieux, bien que le risque global demeure faible6.
La canicule de l’été 2018 à Montréal
L’entrée en vigueur de la réforme Barrette le 1er avril 2015 a sabordé et démoralisé pour plusieurs années les directions régionales de santé publique, principalement la DRSPM. À l’été 2018, un événement majeur va illustrer le délabrement de la DRSPM, unilatéralement rattachée en 2015 au CIUSSS du Centre-Sud.
La canicule de l’été 2018 va nous révéler les carences du système de santé publique. Au printemps 2018, madame Mylène Drouin est nommée directrice de la DRSPM. Elle remplace le Dr Massé, qui avait fait, entre 2016 et 2018, un premier mandat. Au Québec, une canicule désigne une période de trois jours et trois nuits consécutifs au cours desquels la température atteint ou dépasse les 30 degrés le jour et se maintient au-dessus de 20 degrés la nuit. Selon le ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) : « L’été 2018 a généré une chaleur sans précédent en 146 ans d’observations dans le sud du Québec. […] Jamais le sud de la province n’avait connu deux mois consécutifs aussi chauds7. »
D’ailleurs, Environnement Canada confirme les constats émis par le MELCC. L’organisme fédéral nous dévoile que nous avons eu affaire à plusieurs canicules pendant l’été 2018, en juillet : onze jours de 30 degrés et onze nuits avec des minima de plus 20 degrés (1er, 2, 3 et 4 juillet, 14, 15 et 16 juillet et 21, 22, 23 et 26 juillet) ; en août, huit jours avec 30 degrés et 7 nuits avec des minima de plus 20 degrés (1er août, 5 août, 12, 13 et 14 août, les 25, 28 et 29 août)8.
Dès le début de juillet, les médias rapportent que des aînés ont été retrouvés morts dans leur logis, surtout dans les quartiers pauvres de Montréal. C’est le 7 juillet que le Dr Jean Brochu, coroner de Montréal, reconnaît la gravité de cette première canicule à Montréal ; il fait le lien entre la chaleur extrême et les conditions matérielles dans lesquelles vivent les personnes retrouvées mortes (de petits logements ou chambres non ventilés et non climatisés). Il ajoute ceci : « Nous avions plus de 15 corps qui arrivaient presque tous les jours. Cela ne prend pas de temps à remplir les 128 places de la morgue. » C’était la première fois qu’il voyait la morgue débordée de la sorte en temps normal. Certains corps n’avaient pas encore été réclamés9.
Il a dû s’entendre avec des compagnies privées pour avoir accès à d’autres places réfrigérées. À une seule occasion, le 4 juillet, le ministre Gaétan Barrette émet un commentaire à la hauteur de l’homme qu’il est et je le cite en entier :
[…] malheureusement, on a des gens qui, selon la base de leur condition physique, vont décéder de cette situation-là. Je pense qu’il ne faut pas minimiser ça, il faut réitérer l’importance des mesures de prévention, comme l’ont fait la Ville de Montréal et particulièrement le CIUSSS du Centre-Sud10.
Le ministre n’évoque jamais les conditions de vie dans lesquelles ces personnes vivent. Il indique aussi que le CIUSSS du Centre-Sud est l’acteur principal dans ces situations climatiques extrêmes en omettant de mentionner le rôle essentiel de la DRSPM qu’il a charcutée. En nous en tenant aux statistiques d’Environnement Canada et du MELCC, nous savons que l’été 2018 constitue le plus chaud jamais enregistré, spécialement à Montréal. Demandons-nous maintenant comment la DRSPM va réagir à cet été particulièrement torride ?
Pendant la saison estivale, il y a quatre niveaux de surveillance : veille saisonnière du 15 mai au 30 septembre, veille active, alerte et intervention. Au départ, dès le 30 juin, la DRSPM se mobilise face à cette première canicule. Elle se met en mode d’alerte active et intervient dans les médias pour prévenir les gens, principalement les personnes âgées et les personnes qui vivent dans des îlots de chaleur des possibles effets nocifs d’une telle canicule marquée surtout par son intensité.
Dans un document publié le 14 juillet11, le CIUSSS du Centre-Sud donne une chronologie de son action : veille saisonnière (15 mai 2018), alerte (30 juin 2018), intervention (3 juillet 2018) et veille saisonnière (le 8 juillet) ! Le 3 juillet, la DRSPM se met en mode d’intervention (niveau maximal de surveillance). Pourquoi retourner au premier niveau dès le ٨ juillet (seulement cinq jours après le déclenchement du quatrième niveau de surveillance) ? Surtout, pourquoi la DRSPM se maintient-elle à ce premier niveau à partir du 8 juillet jusqu’à la fin septembre 2020 ?
Contre toute logique, la DRSPM considère que la canicule du 30 juin au 5 juillet est la seule de l’été et ce comportement irresponsable va coûter la vie à des dizaines de Montréalais entre le 8 juillet et la fin du mois d’août. Nous avons eu un été exceptionnellement chaud avec plusieurs canicules en juillet et en août, pourquoi la DRSPM, ce sonneur d’alerte, devient-elle complètement silencieuse ? Nous ne sommes pas dans l’anodin.
En 2015, l’Organisation mondiale de la santé (OSM) reconnaît déjà que nous aurons, selon les pays, à faire face, dans l’avenir, à des vagues de chaleur plus longues et répétées qui auront des effets négatifs surtout les personnes vulnérables.
Dans les archives de la DRSPM, nous avons retrouvé le communiqué du 3 juillet dans lequel la directrice Mylène Drouin augmente le degré de surveillance en passant du mode alerte à celui d’intervention, mais, malheureusement, le communiqué du 8 juillet qui mettait fin au stade intervention et au retour à celui de veille saisonnière est introuvable.
Malgré les canicules qui s’accumulent, la DRSPM reste muette. Au début de juillet, devant tous ces drames humains, les ministres Barrette et Charlebois tentent de calmer le jeu ; ils annoncent qu’il y aura un bilan de cette canicule. En promettant un tel rapport dans quelques mois, on repousse les questions, surtout que ce rapport n’arrivera qu’après les élections du 1er octobre 2018.
Cette étude sera finalement publiée le 15 mai 2019. À sa lecture, nous sommes sidérés par son contenu malgré son titre prometteur : Vague de chaleur, Été 2018 à Montréal12. D’emblée, le titre est trompeur, car ce rapport ne porte pas sur l’ensemble de l’été comme le titre l’indique, mais seulement sur la période comprise entre le 30 juin et le 5 juillet. Ce bilan est une tentative maladroite et malhonnête de réduire l’été 2018 à sa première canicule.
La DRSPM a-t-elle reçu la directive de se mettre en « veille saisonnière » par le ministre Gaétan Barrette, qui est bien capable de gestes autoritaires, surtout lorsque des élections provinciales se profilent au début octobre 2019 ?
Ainsi, la DRSPM a manqué à son premier mandat d’alerter les populations du danger des canicules à répétition. Devant tout ce gâchis, il devient difficile de déterminer le nombre supplémentaire de décès à Montréal. Partons des 66 décès, une donnée fournie par la DRSPM dans son rapport.
L’observation des statistiques de l’ISQ13, « Décès dans la région de Montréal et Laval, Québec, 2010-2021 » démontre que l’été 2018 connaît une plus grande amplitude, par rapport aux années entre 2010 et 2020, qui se traduit par trois pics distincts, l’un (le plus élevé) se situant entre le 30 juin et le 7 juillet (périodes 26 et 27 CDC14) et les deux autres, plus modestes, entre le 14 et 23 juillet (périodes 29 et 30 CDC) et entre le 12 et 14 août (période 33 CDC).
Toujours selon l’ISQ, pendant les périodes entre CDC 27 et CDC 33, la somme de décès, pour la région Montréal-Laval, en 2018, se chiffre à 2 348 morts, soit la période la plus meurtrière des 11 années observées (2010-2020), après 2019 (2 200 morts), la deuxième année la plus fatale.
De plus, en examinant le 24 septembre 2018, la liste des corps non réclamés au bureau du coroner de Montréal, on constate qu’il y a eu surmortalité au moins pendant toute la période du mois de juillet. Sur la liste des 25 personnes décédées en juillet et non réclamées, 13 des morts ont été signalés au coroner entre le 8 et 31 juillet 2018. La très grande majorité des personnes étaient âgées, pauvres, isolées dans des îlots de chaleur, comme celles que la DRSPM avait dénombrées avant le 7 juillet.
Si la DRSPM n’était pas prête à faire face à l’été caniculaire de 2018, pouvait-elle 19 mois plus tard, affronter un événement mille fois plus exceptionnel que cette canicule ?
Horacio Arruda, les DRSP et spécialement la DRSPM ne sont pas prêts
Voyons ce à quoi les organismes québécois et montréalais de santé publique auront à faire face entre le 1er avril et le 31 mai 2020 : plus de 50 000 personnes infectées confirmées au Québec dont près de 58 % à Montréal, 4 450 décès au Québec dont 61,7 % sur l’île de Montréal (2 746 morts). Au 31 mai 2020, le Québec était au second rang parmi les pays occidentaux après la Belgique pour le nombre de morts par 1 000 000 habitants (530) et au sein des grandes villes du monde, Montréal, avec 1 351 personnes décédées par 1 000 000 d’habitants approche New York, qui détient le premier rang.
Il y avait beaucoup de ressentiment au sein de la santé publique contre le sous-ministre Arruda qui ne s’était pas opposé aux coupures effectuées par le ministre Gaétan Barrette ni au le rattachement unilatéral des directions de la santé publique aux CIUSSS et aux CISSS. L’affront est encore plus cuisant lorsqu’il est confirmé en février 201715 comme sous-ministre adjoint et Directeur national de santé publique du Québec pour la période comprise entre le 1er août ٢٠١٧ et le ٣١ juillet ٢٠٢٠ avec un salaire de base de ٢٧٣ 800 $ ; il recevait la récompense pour son silence et les nombreux remplacements intérimaires qu’il avait réalisés entre 2015 et 2017 après la démission de plusieurs directeurs régionaux de santé publique.
Il est évident que pendant la période comprise entre 2015 et 2018, la DRSPM et l’INSPQ sont perturbés par des conflits incessants avec le MSSS et son ministre. Un rapport de l’INSPQ sur la situation des directions de santé publique en mars 2018, rapport demandé par Gaétan Barrette, évoque les difficultés de la réorganisation des directions de santé publique depuis sa réforme.
Il se dégage de nos observations que la réorganisation des services de Santé publique a été vécue, de manière générale, mais à des degrés divers, difficilement. Il s’avère aussi que l’exercice de l’autorité fonctionnelle, en particulier dans les régions où il y a plus d’un CISSS-CIUSSS, est difficile et parfois source de tensions. […] Les résultats ont démontré que les directions de Santé publique éprouvent des difficultés pour assurer le suivi des ressources (humaines et financières) lorsqu’elles sont confiées à d’autres directions16.
Ce rapport, qui était affiché sur le site web de l’INSPQ pour consultation, a dû être retiré à la demande du ministre Gaétan Barrette ! Il n’a été réaffiché qu’en 2019, après son départ.
Le 29 mai 2020, la directrice Mylène Drouin va évoquer ces réductions de personnel à Montréal.
Le Dr Barrette pensait que la santé publique, c’était du travail administratif. Et depuis, les coupes se sont poursuivies dans le budget de la santé publique. Depuis deux ans, on est coupés année après année. […] De plus, l’arrimage avec les cinq CIUSSS de l’île a été difficile. Les choses étaient plus simples du temps où l’Agence de santé et services sociaux chapeautait les établissements. Il y avait une agence régionale, il y avait un pilote régional dans l’avion pour coordonner le déploiement d’une opération aussi gigantesque17.
Le Docteur Poirier, directeur de la santé publique de l’Estrie, confirme en déclarant :
Tout le monde savait que c’était impossible à gérer, la Santé publique à Montréal. Au cœur du problème : la direction de Santé publique de Montréal n’a pas d’autorité sur les PDG des CIUSSS nés en 2015 […] La Direction de santé publique, qui gère toutes les questions relatives à la santé de la population, a un mandat qui s’étend à l’échelle de l’île. Mais dans les faits, elle n’a pas d’autorité sur les CIUSSS18.
Le sous-ministre Arruda a tardé à venir officiellement à Montréal, il y sera seulement le 8 mai 2020 ! Depuis le 13 mars, il est devenu une vedette médiatique avec ses expressions et sa gestuelle. Ces nombreux comportements à la limite de la bouffonnerie plaisent aux Québécois qui aiment bien les humoristes. Il est devenu une vedette pendant que des directeurs de santé publique mènent au quotidien le combat avec les mains vides.
Cette situation crée beaucoup de frustrations. Par exemple, le sous-ministre soutient que les directions font le dépistage des éclosions et des enquêtes très serrées et un suivi de toutes les relations d’une personne contaminée. À Montréal, avec ses effectifs réduits, la DRSPM ne peut pas faire ce retraçage de tous les liens d’une personne contaminée avec le nombre important de contaminations quotidiennes. La DRSPM le reconnaît. En outre, elle souvent est blâmée pour ses retards dans ses interventions dans les quartiers chauds dont Côte-St-Luc, Montréal-Nord, Pointe-aux-Trembles, etc.
Le désarroi de la DRSPM et les relations tendues entre le directeur national Arruda et ses employés ajoutent à la démobilisation du personnel. Si la DRSPM est incapable de gérer les canicules de l’été 2018, pouvait-on s’attendre à ce qu’elle trouve les ressources afin de faire face à cette pandémie ?
Avec ses nombreux remplacements des autres directeurs démissionnaires, Horacio Arruda a-t-il eu le temps d’actualiser le plan d’intervention contre toute pandémie ? A-t-il eu le temps, en tant que directeur national de santé publique, de faire une supervision efficace des inventaires en quantité et en qualité d’équipements de protection (les différents masques, surtout le N 95, les tuniques, les désinfectants, etc.) ? A-t-il été ce lanceur d’alerte ? Entre juin et septembre 2020, a-t-il pris le temps de mettre à niveau toutes les directions régionales, même celles qui n’avaient pas connu l’hécatombe de la première vague ? La réponse est évidemment négative. La deuxième vague frappe des régions qui avaient été épargnées (Québec, Chaudière-Appalaches. Outaouais, etc.) et crée ainsi une seconde vague très soutenue. En tant que directeur et coordonnateur de toutes les directions de santé publique, le sous-ministre n’a pas été capable de mettre à niveau toutes les directions de santé publique.
À Montréal, la réforme Barrette continue à avantager les citoyens du centre-ouest et de l’ouest. La directrice Mylène Drouin renforce les inégalités et le panier de services offert aux populations de l’ouest s’amplifie au détriment de celles du nord et de l’est.
Dès le début de l’opération de dépistage de la COVID-19 sur l’île de Montréal, les territoires du centre-ouest et ouest comptent neuf centres de dépistage alors que ceux de l’est et du nord, se voient octroyer que cinq sites (avec 300 000 habitants de plus que le centre-ouest et l’ouest). Le 26 avril 2021, la part de la population des territoires du nord et de l’est dans la contamination sur l’île de Montréal s’élève à 57 % (+ 8,7 %) alors que sa population représente 48,3 %. de celle de toute l’île. C’est le contraire dans les territoires du centre-ouest et de l’ouest : la part de ces territoires dans la contagion montréalaise est seulement de 30 % (-6,7 %) alors que la proportion de sa population s’établit à 36,7 % de celle de l’île de Montréal.
Depuis le début de la pandémie jusqu’au 26 avril 2021, le taux cumulatif de cas de contagion pour 100 000 habitants de Côte-St-Luc (8 154,6) est moins élevé que celui d’autres arrondissements à Montréal : Montréal-Nord (10 182,3), Saint-Léonard (9 471,9) et équivalent à l’arrondissement Rivière-des-Prairies Pointe-aux-Trembles (8 041,7). Dans les territoires de l’ouest et du centre-ouest, seul, Côte-St-Luc est touché gravement par la contagion communautaire. Les arrondissements sur l’île de Montréal qui ont un taux cumulatif de cas de contagion de plus de 7 200 cas pour 100 000 habitants sont situés tous dans l’est et le nord de l’île de Montréal : Anjou (7 820,8), Saint-Laurent (7 770,1) et Ahuntsic-Cartierville (7 294,9).
Dans le cas de la vaccination, nous retrouvons toujours cette même iniquité et elle devient encore plus intolérable. Au départ, sur le territoire de l’est, il n’y a qu’un seul site ! On vaccine d’abord les aînés de 85 ans et plus dans cet immense Atrium du Stade Olympique, alors que, dans le secteur centre-ouest, cinq centres de vaccination fonctionnent et à l’ouest, trois sites ouvrent. Dans l’est, la grogne est tellement forte que trois semaines plus tard, on démarre deux autres centres, l’un à Saint-Léonard et l’autre à Pointe-aux-Trembles.
C’est la même situation dans le secteur centre-sud dans lequel on doit déployer deux autres sites, l’un à Pointe-St-Charles et l’autre, au CLSC La Visitation. L’ignorance de ces iniquités est tellement ahurissante qu’une porte-parole du MSSS de Montréal affirme candidement : « Les plages de rendez-vous sont bien comblées dans l’est de l’île de Montréal, mais plusieurs plages sont disponibles dans l’ouest de Montréal. La prise de rendez-vous est donc possible pour ces secteurs19. » Allez vers l’ouest, si vous voulez des services ; oui, nous en sommes rendus là !
Conclusion
Ne voulant pas admettre que le Canada est un pays fracturé et qu’un consensus est chimérique, le premier ministre Legault met toutes ses énergies à l’opération de vaccination massive : la terre promise !
Finalement, la pandémie aura le mérite de nous faire voir, d’une part, que la fédération canadienne ne fonctionne pas. Justin Trudeau est le premier ministre d’une idéologie plutôt que le protecteur des Canadiens et des Québécois. La quarantaine, ce sont les millions de Québécois qui l’ont vécue pendant des mois et non les voyageurs internationaux. D’autre part, elle illustre de façon claire que la réforme Barrette à Montréal, est essentiellement politique répondant aux demandes de la communauté anglophone au détriment des citoyens de l’est et du nord (à un moindre degré, la population du centre-sud). Elle a amplifié les écarts de soins et de services, avantageant les populations sur les territoires de l’ouest au détriment de celles sur les territoires surtout du nord et de l’est de Montréal : dépistage, vaccination, soins et services sociaux.
Qui aura le courage politique de repartager les territoires des CIUSSS ou bien de créer le CIUSSS du Centre-Est qui avait été prévu au départ de la réforme ? L’équité entre les différentes populations de l’île quant à l’offre de soins et de services sociaux devait être le fondement de toute la réforme. Sciemment, Gaétan Barrette, avec les données qu’il possédait, n’en a pas tenu compte, dans le but de satisfaire sa clientèle politique. Il faut corriger ces injustices qui font que maintenant et surtout dans l’avenir, les CIUSSS du Nord et de l’Est ne pourront pu décemment répondre aux besoins en santé et en services sociaux de leur immense population de près de 1 000 000 de résidents qui sont devenus des citoyens de second ordre.
1 Mme Karen Hogan est vérificatrice générale du Canada. Le 25 mars 2021, elle publie trois rapports sur la gestion de la pandémie, dont celui qui porte sur le degré de vigilance des instances fédérales qui ont le mandat de nous préparer au danger que représente la pandémie : la Préparation en cas de pandémie, surveillance et mesures de contrôle aux frontières. Ce rapport est très critique sur l’ASPC et confirme nos propos sur l’absence du principe de précaution dans l’évaluation de la gravité potentielle et sur les déficiences graves de la gestion de la quarantaine par les autorités canadiennes. Nous reviendrons sur certains aspects quand nous survolerons la gestion de la pandémie par Justin Trudeau. https://www.oag-bvg.gc.ca/internet/Francais/parl_oag_202103_03_f_43785.html
2 Chang, Sheryl L, Harding, Nathan, Zachreson, Cameron, Cliff Oliver M. and Prokopenko Mikhail (2020). «Modelling transmission and control of theCOVID-19 pandemic in Australia». Nature Communications. 5710, p.2| https://doi.org/10.1038/s41467-020-19393-6
3 Péloquin, Tristan (2020, 6 avril). « Les Québécois respectent les consignes selon Google », La Presse.
4 Vérificatrice générale du Canada (2021, 25 mars). La Préparation en cas de pandémie, surveillance et mesures de contrôle aux frontières, Ottawa.
5 Desplanques, Anne Caroline (2021,12 février). « Voyages non essentiels : quarantaine à l’hôtel dès le 22 février », Journal de Montréal.
6 McCann, Danielle (2019, 27 février). « Cas de COVID-19 probable au Québec ». Communiqué du MSSSQ.
7 Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (2018). Faits saillants en 2018. https://www.environnement.gouv.qc.ca/climat/faits-saillants/2018/aout.htm.
8 Environnement Canada (2018). Rapport de données quotidiennes pour juillet et août 2018.
9 Ouellette-Vézina, Henri (2018, 7 juillet). « Canicule : le bilan des décès augmente encore », Le Soleil.
10 Normandin, Jean-Pierre, Croteau, Martin (2018, 4 juillet). « Canicule : six morts depuis le début, “tragique”,dit Couillard », La Presse.
11 DRSPM (2018, 14 juillet). Canicule juillet 2018- Montréal. Bilan provisoire, Montréal, 2018.
12 Lamothe, Félix, Roy, Maxime et Racine-Hamel,Sarah-Émilie (2019). Enquête épidémiologique- Vague de chaleur à l’été 2018 à Montréal, Montréal, DRSPM, 33 pages.
13 Institut de la statistiques du Québec (2021, 25 mars). Décès par semaine selon le regroupement de régions, Québec, 2010-2021.
14 Le sigle CDC est utilisé pour périodiser hebdomadairement les morts dans l’année, selon la semaine se terminant toujours le dimanche. Par exemple, le CDC 26, en 2018, s’échelonne entre le 24 juin et 30 juin inclus, le CDC 27, en 2018, se continue jusqu’au 7 juillet et ainsi de suite.
15 Décret 102-2017, 21 février 2017, Gazette officielle du Québec, 15 mars 2017, 149e année, no 11.
16 Poirier, Léo-Roch, Pineault, Raynald, Gutièrrez, Marcio, Vien, Louis-Philippe et Morisset, Josée (2019) Évaluation de la mise en œuvre du Programme national de santé publique 2015-2025 – Analyse de l’impact des nouveaux mécanismes de gouvernance, Québec, INSPQ. p.39.