François Legault: un nationalisme de pacotille

À quelques semaines des élections d’octobre 2022, le temps est venu de s’interroger légitimement sur les avancées ou les reculs du gouvernement de la CAQ.

Après quatre ans de règne et avec 76 sièges à l’Assemblée nationale, le premier ministre du Québec, François Legault, et la Coalition avenir Québec (CAQ) ont eu la voie pratiquement libre depuis leur prise du pouvoir en octobre 2018 pour gouverner et faire en sorte que le Québec tire son épingle du jeu face à un environnement idéologique, économique et géopolitique qui entretient un rejet quasi systématique de ses réalités profondes et de son cheminement historique.

À quelques semaines des élections d’octobre 2022, le temps est venu de s’interroger légitimement sur les avancées ou les reculs du gouvernement de la CAQ. Le premier ministre François Legault a-t-il cheminé depuis 2018 et même depuis son retour en politique en 2011 ? A-t-il tiré avantage de la confortable majorité parlementaire que l’électorat lui a conférée en chassant du pouvoir les libéraux de Philippe Couillard ? Au-delà d’une instrumentalisation patente de la langue française et de gauches déclarations en l’emporte-pièce sur sa future « louisianisation », au-delà des slogans nationalistes sur la défense de « nos valeurs », au-delà des quelques manifestations d’impatience passagères à propos des refus du gouvernement Trudeau de lâcher du lest en faveur du Québec dans le domaine de l’immigration, au-delà de quelques bons coups relatifs de son gouvernement dans divers dossiers dont ceux de la pandémie et de la laïcité, qu’aura fait concrètement le gouvernement de la CAQ pour assurer à ses quelque 8,6 millions de citoyens un mieux-être économique et une pérennité linguistique et culturelle ?

Le gouvernement Legault a-t-il freiné l’anglicisation du Québec ? A-t-il remis de l’ordre dans le chaos de notre système de santé ? A-t-il réussi à stopper la charge suprémaciste canadian pour faire du Québec « une province comme les autres », c’est-à-dire multiculturaliste et bilingue (lire anglophone) ?

Avant de répondre à ces interrogations, quelques rappels s’imposent.

Il faut d’abord se souvenir d’où vient François Legault. Il faut se souvenir – ce qui nous renseigne sur son rapport au réel – du virage à 180 degrés qu’il a opéré sur la question nationale alors qu’il claquait la porte du Parti québécois en 2009. À l’époque où il était ministre (de 1998 à 2009), il n’avait eu de cesse d’affirmer que le Québec en tant que simple province canadienne était ingouvernable, qu’il n’y avait aucun avenir au sein de l’entité canadian pour dynamiser les secteurs économiques stratégiques du Québec, qu’il s’agisse – pour ne nommer que ceux-là – de l’industrie forestière, manufacturière ou des ressources naturelles. François Legault était totalement convaincu que la nation québécoise ne pouvait affronter les défis à surmonter pour atteindre sa maturité qu’en accédant à la responsabilité politique pleine et entière que seul un État véritablement autonome peut conférer à un peuple. « Certains, disait-il, alors qu’il était le critique du caucus péquiste en matière de finances, peuvent être “fatigués” de travailler à faire la souveraineté, mais ce n’est pas une raison pour tout arrêter1. »

Une volte-face opportuniste

Or, François Legault arrêta tout  ! Il abandonna le navire et tourna le dos à ce qu’il avait toujours considéré jusque-là comme le premier véritable facteur de changement au Québec, l’accession à la pleine souveraineté. Il se tourna « le dos à lui-même dans une mutation politique invraisemblable qu’elle ne pouvait que pécher par manque de crédibilité2 ». Cela, déjà, nous en dit long sur la constance et la cohérence de la pensée du personnage. Nous savons aujourd’hui que François Legault n’a jamais hésité à changer sa posture en fonction des humeurs, des intérêts personnels, des modes et des sondages.

Cette volte-face, cette démission opportuniste, fut suivie par la création, avec son ami et homme d’affaires fédéraliste, Charles Sirois, de la Coalition avenir Québec (CAQ).

À ses derniers mois comme député du PQ en 2009, l’homme, qui avait toujours déclaré jusque-là que, dans la gestion des affaires régaliennes, il fallait « faire preuve de courage », proposa à ses collègues de mettre de l’avant dorénavant des mesures qui n’effaroucheraient pas la population (donc qui favoriseraient leur réélection) : priorité à l’éducation avec des investissements massifs, réfection du système de santé, réduction du fardeau fiscal des entreprises, etc. François Legault voulait à l’époque financer ces projets par une hausse de 2,5 milliards $ des tarifs d’électricité. Lors d’une mémorable réunion de l’aile parlementaire du Parti québécois à Bécancour, le 20 août 2008, François Legault déclara publiquement pour la première fois que le PQ devait mettre de côté la souveraineté pour s’occuper de ce qu’il appela les « vraies affaires », question de regagner la confiance de l’électorat. Le clientélisme façon Legault venait officiellement de voir le jour.

Lorsqu’il revint en politique en 2011, il fit sursauter ses anciens conseillers en préconisant les mêmes pistes de solution qu’il avait rejetées lorsqu’il était député du PQ. Plus question d’augmenter les taxes (« preuve de courage » dans son ancienne vie), plus question d’augmenter les tarifs d’électricité pour financer ses projets ; il oublie donc ses « convictions » anciennes et préconise alors, pour notamment financer ses politiques en santé et en éducation, de sabrer 4 000 emplois chez Hydro-Québec.

La chef du PQ à l’époque, Pauline Marois, rappela cette insistance avec laquelle l’ancien homme d’affaires la pressait d’augmenter les tarifs d’électricité au moment de quitter le parti en 2009. « C’est comme ça, révéla-t-elle par la suite, qu’il allait pouvoir constituer un fonds pour investir en éducation et en santé. Mais le courage qu’il me demandait d’avoir alors que j’étais sceptique, il ne l’a pas maintenant3. »

Ce manque de courage l’a fort bien servi puisqu’il fut porté au pouvoir en 2018 malgré le désenchantement de ceux qui l’avaient appuyé à l’époque. Et, à quelques jours d’une nouvelle échéance électorale, il peut envisager sereinement, à la lumière des récents sondages, une autre victoire le 3 octobre prochain. Or, si le seul but d’un homme politique consiste à se faire élire, le stratagème mis en place par Legault, celui du subterfuge des « vraies affaires », fonctionne à merveille. La majorité des électeurs n’y vit et n’y verra que du feu…

Mais à quel prix pour le Québec ?

Un incontournable constat s’impose donc à propos du style de gouvernance de l’actuel premier ministre du Québec : dépourvu de toute vision pour l’avenir du Québec, sinon celle d’un gestionnaire essentiellement comptable, François Legault gère le Québec au jour le jour comme un commerçant gère sa boutique ; s’il a abandonné l’idée d’indépendance du Québec, il n’a pas abandonné son modèle dit de nationalisme économique – triste copie de « l’autonomisme » de l’ancienne Action démocratique du Québec (ADQ) – qui maintient le Québec dans une dépendance toxique au régime canadian. Ainsi, malgré certaines réalisations qu’il faut certes souligner, le gouvernement Legault met de l’avant des politiques qui maintiennent le Québec dans l’illusion du changement, dans un état permanent d’aliénation.

Les bons coups

L’affirmation de la laïcité de l’État n’est pas la moindre des réalisations de la CAQ, une réalisation guidée énergiquement par le ministre Simon Jollet-Barette. C’est un important pas en avant pour le vivre-ensemble et c’est également un sérieux début d’affirmation du caractère résolument républicain et anti-multiculturaliste du Québec. La loi 21 est cependant une loi faiblarde (si on la compare à ce qui se fait dans certains pays européens, en particulier en France) puisque l’interdiction des signes religieux ne s’applique pas à toute la fonction publique ni à tout le personnel des écoles publiques. La loi ne s’applique pas non plus aux écoles privées ni aux Centres de la petite enfance. Elle n’interdit pas non plus le port de signes religieux aux députés de l’Assemblée nationale alors qu’elle a obligé au retrait du crucifix de cette même Assemblée nationale, une incohérence de taille. Sans compter que cette loi ne s’attaque d’aucune façon aux considérables avantages fiscaux dont jouissent les institutions religieuses. Elle n’établit pas totalement cette nécessaire séparation entre l’État et le religieux. Elle ne ferme pas complètement la porte à l’entrisme religieux au sein de l’appareil de l’État, en particulier à l’une de ses formes les plus virulentes de notre temps, celle de l’islam politique. Cette loi est ce que l’on pourrait qualifier de simple « premier pas » vers une pleine laïcité, une sorte de compromis qui malgré sa timidité n’a pas eu l’heur de calmer les ardeurs d’un Quebec bashing quasi général.

Enfin, cette loi est contestée de façon fanatique devant les tribunaux par les tenants d’une cabale anti-Québec, soutenue par Ottawa, par des provinces canadian, par de grandes municipalités du ROC (Rest of Canada) et par les apôtres du communautarisme victimaire. Est-il besoin de rappeler la création du mouvement lancé par le maire de Brampton et jadis aspirant au poste de premier ministre du Canada, Patrick Brown, qui fit appel en décembre dernier aux deniers publics des municipalités pour financer la contestation de cette loi 21 devant les tribunaux ? Les villes de Toronto, Brampton et London ont promis de se jeter dans la mêlée avec des apports de 100 000 $ chacune. Ces indécentes interventions font la démonstration on ne peut plus spectaculaire de l’inadéquation de l’intenable posture régalienne du Québec face à une pensée et à un système politique méprisant qui refuse notre approche universaliste et notre conception républicaine du vivre-ensemble. C’est ainsi que la clause dérogatoire utilisée par Québec pour protéger sa loi, clause pourtant bien enchâssée dans la Constitution canadienne, est contestée par cette anglophonie et ses suppôts – qui ont pourtant soutenu dans l’enthousiasme cette constitution en 1982 – et certains groupes de pression religieux.

Côté gestion de boutique par ailleurs, François Legault avait promis de remettre de l’argent dans les poches des contribuables. Il a donc réduit les taxes scolaires de 600 millions $ en leur appliquant un taux unique. Il a augmenté les allocations familiales et instauré un tarif unique pour les services de garde, bonifiant aussi l’aide aux handicapés et aux personnes âgées. Il a versé un chèque de 500 $ à 6,4 millions de Québécois pour contrer l’inflation. Il a mené à bien une réforme d’Investissement Québec et il a développé la filière des transports électriques. Il est parvenu à réduire – mais pour une année seulement – le nombre de nouveaux arrivants de 50 000 à 40 000. Il a finalisé quelques rares ententes administratives avec Ottawa dont le protocole de nomination des juges du Québec à la Cour suprême, un protocole soit dit en passant non contraignant qui n’a pas force de loi et qui conserve la primauté d’Ottawa à toutes les étapes de ces nominations. Soulignons enfin que Québec a conclu en 2021 un nouveau contrat d’exportation d’électricité avec l’État de New York, une entente presque routinière puisque la collaboration avec cet État américain remonte à au moins un siècle.

Pandémie et système de santé

Le bilan est mitigé au chapitre de la pandémie de la Covid-19 même si certains commentateurs ont reconnu que François Legault avait plutôt bien performé sur le terrain des communications, se faisant la plupart du temps rassurant malgré certains ratés importants, jouissant du coup d’une présence médiatique dont rêvent tous les politiciens et qui n’est pas étrangère à sa popularité actuelle. D’autres commentateurs et analystes n’ont guère prisé en revanche que François Legault se soit donné une note parfaite le 3 décembre 2020 pour sa gestion de cette crise sanitaire. Estomaqués par cette incapacité du premier ministre à prendre du recul sur ce difficile épisode de son mandat et de faire les constats qui s’imposent, la rédactrice indépendante Josiane Cossette et le gérontologue social Julien Simard, à la tête d’un collectif de rédacteurs, ont décidé de publier un ouvrage des plus critique « ne serait-ce qu’au nom des morts qui ne peuvent plus parler4 ».

Les auteurs de l’étude ont souligné certes le succès de la campagne de vaccination pour les premières et deuxièmes doses, mais ils creusent un peu plus du côté des errements du gouvernement Legault et de son directeur national de la Santé publique qui sont, écrivent-ils, « passés maîtres dans l’art de mettre de l’avant ce qui brille ».

L’étude met en lumière notamment les « zones d’ombre » de cette gestion étatique, zones d’ombre « dont l’ignorance volontaire s’est soldée par d’importants coûts sociaux, économiques et humains, à commencer par le déni répété de la transmission aérienne, digne d’une pièce de Ionesco5 ». La liste des faux pas étalée par ces experts est impressionnante. Je cite : mensonges sur les tests de qualité de l’air, mépris de la science, refus du gouvernement de protéger adéquatement ses « anges gardiennes », « négligence criminelle » dans les CHSLD, « silence radio » sur la Covid longue, « illusion » du couvre-feu, politisation de la santé publique, etc.

Autre constatation : cette pandémie a surtout remis au premier plan les lacunes et les incohérences de notre système de santé. Souvenons-nous que la santé fut l’une des cinq grandes priorités de François Legault en 2011. Une décennie plus tard et après quatre années au pouvoir, force nous est de constater les errements de la CAQ à ce chapitre.

Il y a eu les paroles ; il y a eu la promesse en 2011 de réformer le système de santé du Québec, promesse réitérée depuis maintes fois. Il s’agissait déjà à l’époque de « donner à tous les Québécois un médecin de famille, [de] décentraliser le réseau de santé et [de] contrôler le coût des médicaments6 ».

Aujourd’hui, les résultats ne sont pas au rendez-vous malgré l’augmentation des dépenses en santé de plus de 4,1 %. Le Québec est à court de quelque 1 000 omnipraticiens, les listes d’attente pour obtenir des services s’allongent sans cesse, près d’un million de Québécois n’ont donc pas de médecin de famille, le délai maximal promis de 36 heures pour consulter un médecin n’a pas été atteint pas plus que la promesse d’un délai de 90 minutes d’attente moyenne aux urgences n’a été concrétisée. Certes, des efforts ont été faits pour donner aux pharmaciens et aux superinfirmières le pouvoir d’accomplir des actes médicaux qui étaient habituellement réservés aux médecins, mais cela n’est pas suffisant pour répondre aux problématiques récurrentes qui paralysent le système de santé du Québec.

L’illusion d’une troisième voie

La fameuse « troisième voie » cultivée par la CAQ depuis son apparition dans le paysage politique du Québec entretient ainsi l’illusion de pouvoir livrer la marchandise en santé alors qu’elle masque en réalité la source du problème. Le maintien du Québec au sein de la fédération canadienne est la cause fondamentale du sous-financement de notre système de santé. François Legault, dans sa recherche de la solution miracle à ce chapitre (par exemple un report des soins à hauteur de 20 % vers le secteur privé), n’a guère concrètement cheminé dans sa capacité à admettre que l’État québécois ne peut continuer à assumer 78 % de la facture en santé.

Prises à la gorge, les provinces ont certes réclamé du gouvernement Trudeau cette année une hausse de 22 % à 35 % de la contribution fédérale en santé, mais cette demande fut brutalement refusée par le premier ministre canadien Justin Trudeau malgré la situation intenable pour les provinces. Admettre autrement qu’en paroles l’existence de ce problème structurel, se libérer de cette cécité accommodante semble impensable pour François Legault qui préfère – sans doute pour des raisons électoralistes – ne pas regarder la réalité en face. Ce ne sont pas ses quelques manifestations théâtrales d’irritation face à l’arrogance du gouvernement fédéral qui redonneront au Québec le moyen de ses ambitions en santé. Les paroles ne sont jamais suivies chez lui de gestes concrets qui leur donneraient une emprise sur le réel.

Face au discours irrémédiablement en opposition avec l’engagement soi-disant « nationaliste » du premier ministre François Legault, ce dernier choisit immanquablement, depuis son renoncement à la voie de l’indépendance du Québec voici une dizaine d’années, le repli et l’attentisme, le déni du réel qui n’est d’aucune façon favorable à l’épanouissement de la nation québécoise, comme si la stagnation dans laquelle le pouvoir canadien hostile enfonce le Québec allait comme par magie disparaître toute seule.

La langue commune

La loi 96 sur la langue officielle et commune du Québec en est encore une fois la parfaite illustration. Avec cette loi, François Legault nous fait prendre des vessies pour des lanternes. L’intention était en somme de mettre un terme une fois pour toutes au déclin du français au Québec – démontré et prouvé maintes fois par la grande majorité des experts sur cette question –, d’autant plus que la Charte de la langue française a été charcutée et rendue caduque au fil du temps, faut-il le rappeler, par quelque 200 amendements imposés par la Cour suprême du Canada.

La loi 96 ne peut mener à bien ce projet ; elle tient du mirage. Ses faiblesses sont criantes ; elles font en sorte que l’objectif de contrer la minorisation systématique des francophones par l’État canadien ne pourra être atteint. Mentionnons seulement le refus du gouvernement d’étendre l’application de la loi au cégep, le droit donné par la CAQ aux municipalités de fonctionner dans les deux langues, même si la proportion d’anglophones y est négligeable, l’impasse faite sur le coup de force d’Ottawa de ne pas astreindre les entreprises fédérales du Québec à travailler en français, le surfinancement du réseau scolaire anglophone sans compter les échappatoires enchâssées dans la loi qui exemptent les écoles passerelles et les écoles privées à caractère religieux de l’application de la loi, même pour les élèves qui ne font pas partie de la minorité anglophone.

Conclusion : le chercheur Gilbert Paquette l’a fort bien démontré dans un ouvrage publié l’année dernière7 : « la loi 96 ne pourra freiner l’érosion du français au Québec8 ».

D’autant plus que le projet de loi 96 fait aussi l’impasse sur les liens existentiels qui existent entre immigration et francisation. Pourtant François Legault semblait vouloir faire de l’enjeu du rapatriement des pleins pouvoirs en immigration un enjeu majeur du prochain rendez-vous électoral. Il n’a pas le courage de tirer les leçons qui s’imposent des refus cinglants du gouvernement Trudeau de lâcher du lest au profit du Québec en matière d’immigration. François Legault est aujourd’hui Gros-Jean comme devant en regard de ce dossier. Et il se berce de l’illusion qu’un mandat « fort », qu’il réclame à hauts cris, lui permettra de faire infléchir le premier ministre canadien. Dans un contexte de radicalisation du pouvoir fédéral, il est clair que l’immigration, comme elle est administrée et contrôlée par Ottawa, continuera à servir de cheval de Troie pour l’assimilation et la minorisation de la nation québécoise.

On constate ainsi que cet aveuglement volontaire est un comportement récurrent chez François Legault ; depuis au moins une décennie, il s’écrase lorsqu’il se voit contraint à poser des gestes de rupture avec le Canada, sans doute pour ne pas heurter l’aile fédéraliste de son parti politique. Il s’interdit donc de franchir le Rubicon, préférant s’en tenir à la parole « nationaliste », une parole dépourvue, encore une fois, de gestes concrets pour la soutenir. Il continue de vivre dans la nébuleuse du « dire sans le faire ».

Le parti qu’il a créé, un parti constitué d’un étrange amalgame de souverainistes et de fédéralistes, est en soi, par sa nature hybride, un empêcheur de tourner en rond. Toute mesure radicale risquerait en effet à tout moment de provoquer des dissensions internes telles que l’éclatement de la formation politique en serait l’inévitable résultat.

Mais la liste des paralysies systémiques du gouvernement Legault ne s’arrête pas là. Des vingt et une demandes présentées à Ottawa en 2015 dans le cadre de son programme constitutionnel, aucun des gains annoncés ne fut concrétisé. La CAQ essuya vingt et un refus.

Sur le plan de la fiscalité notamment, le désir maintes fois réitéré du gouvernement Legault d’obtenir d’Ottawa une déclaration fiscale unique administrée par le Québec (qui aurait permis des économies d’environ 600 millions $) n’a pas été exaucé.

Le gouvernement de la CAQ n’a pas réussi non plus à obtenir les pouvoirs réclamés dans les domaines de l’agriculture, de l’environnement et de la culture. La camisole de force du régime fédéral est solidement sanglée à tous ces égards.

Sans compter que l’économie des hydrocarbures, prépondérante dans la pensée ottavienne, mine les tentatives du Québec – timides il est vrai – d’atteindre les cibles climatiques qu’il s’est fixées.

On le constate et le reconstate, le mal caquiste le plus profond, dans le parcours cahoteux de sa courte existence, est ce refus de voir en face les murs qui sont érigés sans cesse par le pouvoir fédéral pour freiner l’avancement du Québec. Cette cécité commode et volontaire fait en sorte que l’heure de vérité ne sonne jamais pour François Legault. Ce renoncement mènera à coup sûr à l’indigence politique de la nation québécoise.

Donc, reposons la question : y’a-t-il eu cheminement chez François Legault depuis 2018 et même depuis 2011 ? Comme la grande majorité des gouvernements qui ont précédé celui de la CAQ depuis les années 70, François Legault s’est cantonné dans l’approche provincialiste, une approche qui confine et limite le Québec « dans le cadre restreint des responsabilités provinciales défini par la constitution canadienne9 », renonçant du coup à l’exigence de liberté et d’identité qui devrait être l’apanage de toute nation aspirant en toute légitimité à sa pleine autonomie.

Le Québec envoie 1 milliard $ par semaine de ses revenus au gouvernement fédéral alors que près de 80 % de son budget est consacré à la santé et à l’éducation, contraignant ses dirigeants à tenter de résoudre la quadrature du cercle pour satisfaire tous les autres postes budgétaires. C’est le sempiternel constat du déficit fiscal en croissance continue, un constat qui persiste depuis le fameux rapport de la commission Séguin en 200110.

Ruse souverainiste ?

Reste la question des motivations secrètes de François Legault. Dans les milieux politiques et chez les commentateurs de tout acabit, il est souvent fait allusion à la « ruse souverainiste » de François Legault. Le grand jeu du premier ministre consisterait, selon cette théorie, à placer ses pions pour faire la démonstration à terme de l’ingouvernabilité du Québec à l’intérieur de l’entité canadienne ; démontrer ainsi à dose homéopathique et sur le temps long que la radicalisation du régime fédéral à l’encontre du Québec fait de l’autonomie du Québec une illusion. Cette stratégie mènerait ainsi à terme à une prise de conscience collective de la nation et au rejet du régime paralysant et aliénant d’Ottawa.

Ainsi François Legault serait en son for intérieur resté fidèle à ce qu’il écrivit jadis dans une lettre ouverte ? « La souveraineté peut être conçue comme une fin, disait-il. Le Québec possède une histoire, une langue, une culture, des institutions, une pratique de la solidarité qui le distinguent des autres nations du monde. Il est tout à fait légitime de militer pour que cette nation d’Amérique puisse un jour maîtriser tous les leviers de son développement. Ce combat pour le pays n’a rien de passéiste. Ce sont les nations qui font le monde aujourd’hui, non les provinces11. »

Comment donc aujourd’hui concilier cette profession de foi indépendantiste enthousiaste avec cette déclaration sentie – à la Elvis Gratton – du 2 juin dernier : « Moi, affirmait-il, je suis nationaliste à l’intérieur du Canada. Il n’y a pas d’appétit pour la souveraineté ». Il est préférable de laisser aux amateurs de boules de cristal l’interprétation de ces contorsions verbales. Mais il n’en demeure pas moins que cette récente déclaration du premier ministre entrouvre une porte. Est-ce à dire que s’il y avait un appétit au sein de la population pour la souveraineté François Legault s’empresserait de s’en faire une nouvelle fois un phare et un drapeau ? Nous sommes évidemment sur le terrain des conjectures et des hypothèses… Il n’en demeure pas moins que ce genre de passe-passe oratoires n’est pas sans abîmer la crédibilité de la parole du chef du gouvernement qui professe une chose et son contraire.

Depuis qu’il a pris le pouvoir en 2018, la réalité consternante du fédéralisme, on l’a vue, ne cesse de rattraper le premier ministre Legault. Sa réponse à cet état de fait est celle de l’ambiguïté, de la tergiversation, de l’attentisme qui, à l’image de la grenouille qui agonise lentement dans sa marmite chauffante sans s’en rendre compte, engourdit le Québec, inconscient de sa lente marche vers la folklorisation, inconscient de son effritement et inconscient de la privation des outils et des moyens dont il a besoin pour progresser.

François Legault, empêtré dans ses contradictions, fait fi des exigences de la réalpolitique. Il semble aujourd’hui incapable de penser le Québec dans sa totalité et dans sa réalité existentielle fondamentale. u


1 Gilles Toupin, Le Mirage François Legault, vlb éditeur, Montréal 2012, p. 36

2 Ibid., p. 8

3 Le Devoir, « Coalition avenir Québec – Un manque d’engagement et de courage, selon le PLQ et le PQ », 15 novembre 2011.

4 Traitements-chocs et tartelettes – Bilan critique de la gestion de la Covid-19 au Québec, ouvrage collectif sous la direction de Josiane Cossette et de Julien Simard, éditions Somme Toute, Montréal ٢٠٢٢, ٢96 pages.

5 Ibid.

6 Op. cit., Le Mirage François Legault, p. 58.

7 « L’indépendance nécessaire à la pérennité et à l’essor de la langue française au Québec », par Gilbert Paquette, L’Action nationale Éditeur, Montréal 2021, 71 pages.

8 Ibid., p. 32.

9 Gilbert Paquette, Le sens du pays, refonder le combat indépendantiste, éditions Liber, Montréal 2020, p. 165.

10 https://www.groupes.finances.gouv.qc.ca/desequilibrefiscal/fr/document/rapport_final.htm

11 François Legault, « Cap sur la souveraineté », Le Nouvelliste, 8 mai 2003, p. 6.

* Journaliste à La Presse (1972 à 2009), a publié Le déshonneur des libéraux, Le scandale des commandites (VLB 2006), Gilles Duceppe, entretiens avec Gilles Toupin (Richard Vézina éditeur 2010) et Le Mirage François Legault (VLB 2012).

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