Je voudrais dans un premier temps réitérer mes très sincères condoléances à la famille d’Andrée, plus particulièrement à sa fille Lucia et à son fils Vincent qui, à l’instar de beaucoup d’enfants de militants de la cause nationale ont renoncé à de précieux moments avec leur militante de mère, moments en grande partie consentis par elle à la cause qui lui était chère entre toutes : l’accession du Québec à sa pleine et entière indépendance.
Deux fois dans ma vie, j’ai eu le sentiment que le Québec se dépeuplait tout d’un coup. La première fois, c’était le 14 décembre 1996, au moment de l’annonce de la mort du poète Gaston Miron. La deuxième fois, beaucoup plus récemment, à l’annonce de la mort d’Andrée Ferretti.
Pourquoi ces deux-là occupaient-ils dans mon imaginaire un si large pan de l’espace québécois que leur absence s’assimile à une forme de douloureuse, colossale et irréversible amputation ? Une amputation de la mémoire, une amputation de l’engagement dans ce qu’il a de plus pur et de plus noble, une amputation de la connaissance intime qu’ils avaient tous deux de leur peuple et pour lequel ils avaient des élans de tendresse infinie bien qu’ils désespéraient parfois de le sortir de la torpeur dans laquelle les trop nombreuses années d’occupation et le contexte ambiant semblaient l’avoir plongé.
Andrée Ferretti et Gaston Miron respiraient le même air ; ils avaient les mêmes soubresauts de colère, d’angoisse, d’espoir, d’enthousiasme, de rébellion. Mais jamais au grand jamais ne leur serait venue l’idée d’abdiquer. Renoncer : jamais. Trahir, abandonner, déserter : jamais. Difficile dans mon esprit de dissocier les deux auteurs de l’anthologie des Grands textes indépendantistes tellement ces deux intellectuels militants constituaient de précieux repères, ensemble et séparément. Des repères qui balisaient l’action de gens comme moi, une militante inspirée par deux géants d’une intégrité et d’une authenticité telles que je ne peux qu’être immensément reconnaissante des traces qu’ils ont laissées, des graines qu’ils ont semées et de l’inestimable héritage qui est le leur.
Andrée était une militante, une intellectuelle et une merveilleuse écrivaine. Dans le dernier paragraphe de son livre Renaissance en Paganie, elle fait dire à son personnage, Élaine Rivière : « J’admets que je me tiens à l’écoute difficile de leurs voix, par nécessité, par besoin et désir de me rappeler à tout instant que si je veux mourir en vie, je dois vivre à en mourir, car, me répètent-elles inlassablement, sauf à la mettre sans cesse en jeu, la vie se remplit de minuties et de soumissions qui l’étouffent à sa source et à notre insu ».
Andrée Ferretti est morte en vie, elle a vécu à en mourir et elle a sans cesse mis sa vie en jeu. Celle qui nous a quittés n’avait pas une vie remplie de soumissions étouffantes, elle était libre et jusqu’à la fin, elle l’est demeurée : insoumise, libre et debout. Et cette vie qu’elle a sans cesse mise en jeu, elle l’a mise au service de son peuple, un peuple auquel elle appartenait corps et âme et qui un jour, je le souhaite de tout cœur, quand il aura enfin quitté les limbes du non-avènement et qu’il se retrouvera en pleine lumière saura se souvenir que c’est, en grande partie, à cause de femmes de sa trempe qu’il peut toujours prétendre enfin vivre sa vie de peuple. u
* Nicole Boudreau est devenue en mars 1986 la première femme présidente de la SSJB de Montréal et elle a été responsable de la reprise du défilé de la Fête nationale du Québec, rue Sherbrooke. Avant le référendum de 1995, elle a été porte-parole des « Partenaires pour la souveraineté ».