Pourquoi avoir voulu commémorer la constitution qui nous a mis en minorité, il y a de cela 175 ans, par un colloque d’une journée à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal ? À priori, bien que cet événement fût traumatisant dans notre histoire collective, il était tout à fait indispensable, pour nous, de rappeler à notre mémoire ce pan de notre parcours historique qui façonna pour toujours notre identité en tant que peuple. Certains diront que c’est au lendemain de l’Union de 1840 que commença la dualité linguistique et religieuse au Canada, tandis que pour d’autres 1840 concrétisa la mainmise de l’Église sur le peuple canadien-français et le début du nationalisme culturel pour plus d’un siècle. Enfin, d’autres prétendront que ce fut le commencement de notre ambivalence identitaire qui se poursuit jusqu’à ce jour.
Nous devons, par ailleurs, indiquer que l’idée de ce colloque sur l’Acte d’Union de 1840 qui germait depuis un an dans nos têtes est venue se concrétiser lorsque nous avons pris connaissance, en novembre 2014, de l’image de l’exposition qui avait cours au Musée canadien de l’histoire à Gatineau sur laquelle était indiquée : 1867 – Rébellion et confédération. À notre grand étonnement, on avait tout simplement décidé d’occulter l’Union de 1840 dans le titre et l’illustration de cette exposition. Ainsi, on préféra mettre en image l’incendie du Parlement de 1849 et la Conférence de Charlottetown de 1864 pour présenter l’exposition sur cette période de l’histoire canadienne. Par conséquent, après avoir pris connaissance de cette représentation historique que le gouvernement canadien souhaitait faire de l’après 1840, nous avons rapidement convaincu le reste du conseil général de la SSJB de Montréal de soutenir ce projet.
D’une part, nous nous devions de réaliser ce colloque sur l’Acte d’Union de 1840 afin de nous rappeler à nous-mêmes qu’il y a plus de 175 ans nous avons été provincialisés et annexés en tant que nation minoritaire à une nation étrangère. D’autre part, nous souhaitions, également, réunir : historiens, politologues et sociologues pour approfondir les recherches sur cette période du régime britannique qui a été trop souvent délaissée par les historiens québécois des dernières décennies.
Pourtant, 1840 et les années subséquentes représentent une période charnière de notre histoire qui modifia à jamais le chemin historique des Canadiens français condamnés à une provincialisation qui ira irrémédiablement en s’accentuant avec la Fédération de 1867 et encore davantage quand le Canada se constituera en dix provinces en 1949. Et n’oublions pas que cette constitution de 1840 fut la première étape à l’édification de l’union fédérale où les principaux pouvoirs législatifs se retrouvèrent dans les mains du gouvernement central au détriment des gouvernements locaux.
Pour toutes ces raisons, ce colloque d’une journée devenait essentiel, à nos yeux, pour se souvenir de cette page sombre de notre histoire, mais nous souhaitions, aussi, réfléchir tous ensemble sur les conséquences à long terme de cette constitution sur le devenir de la nation québécoise, 175 ans plus tard. Il fut, par ailleurs, particulièrement réjouissant de constater l’intérêt qu’a suscité ce colloque auprès des historiens, politologues et sociologues sollicités pour venir faire une communication, mais également auprès des membres de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et de la population qui sont venus avec enthousiasme assister au colloque le 5 juin dernier à la Maison Ludger-Duvernay.
Des quinze conférenciers qui sont venus faire des présentations dans le cadre du colloque, neuf ont décidé de soumettre un texte pour les Actes du colloque. Je vous les présente brièvement. Tout d’abord, l’historienne Josiane Lavallée nous présente les différentes interprétations des historiens québécois en ce qui a trait à l’Union de 1840. Nous avons, ensuite, l’historien André Poulin qui s’intéresse depuis plusieurs années aux différents actes d’Union qui ont eu cours au Pays de Galles, en Écosse et en Irlande. Par la suite, l’historien François Deschamps nous explique comment l’Acte d’Union de 1840 a contribué à la jonction du discours radical tory montréalais avec l’impérialisme libéral anglais et Mylène Bédard nous explique quels furent les impacts de l’échec des Rébellions et de l’instauration de l’Union sur la pratique épistolaire ainsi que sur le rapport que Julie Bruneau-Papineau entretenait avec la sphère politique après 1840.
Par ailleurs, la politologue Lucille Beaudry nous présente la pensée politique d’Étienne Parent : une pensée nationaliste et libérale. Quant à l’historien Robert Comeau, à partir de l’interprétation néonationaliste de Maurice Séguin, il analyse et critique l’idéologie nationaliste-fédéraliste des réformistes post-union, tels Étienne Parent et La Fontaine, ainsi que les travaux de l’historien Éric Bédard sur les réformistes. Le politologue Danic Parenteau nous explique comment l’Acte d’Union de 1840 fut une réponse du pouvoir impérial britannique au projet républicain des Patriotes. Enfin, le sociologue Stéphane Kelly analyse comment lord Durham, en proposant l’assimilation des Canadiens en 1839, adoptait une solution contraire à la philosophie coloniale britannique qui préconisait la ségrégation plutôt que l’assimilation des peuples conquis.
Finalement, le politologue Denis Monière s’attarde aux effets politiques de l’Acte d’Union de 1840, tandis que Guy Bouthillier nous explique pourquoi lord Sydenham a choisi le 10 février 1841, comme date officielle de l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution de l’Union au Canada.