Les institutions politiques et leur fonctionnement sont au cœur de la démocratie de représentation et indiquent le degré de modernité d’une société. C’est par le changement des institutions qu’un parti peut durablement influencer l’évolution d’une société. Si ces postulats sont fondés, il faut donc se demander ce qui sera changé sur le plan institutionnel si un des partis en lice aux prochaines élections québécoises prend le pouvoir. Quels sont les changements institutionnels proposés afin d’améliorer la démocratie en instaurant une plus grande égalité des citoyens dans l’exercice du pouvoir ? Pour en avoir une idée, nous avons examiné les programmes des partis représentés à l’Assemblée nationale, les programmes ayant la vertu d’être plus élaborés que les plateformes électorales qui, elles, répondent à la conjoncture. Dans la plupart des cas, ils émanent aussi de la volonté exprimée par les membres en congrès ce qui n’est pas le cas des engagements électoraux qui sont fabriqués par la direction des partis sur les conseils des firmes de marketing. Nous nous concentrerons sur les offres de politique proposées par les partis représentés à l’Assemblée nationale.
On a vu aux élections fédérales de 2015 et à celles du Québec en 2018 que les partis qui ont été élus, soit le Parti libéral du Canada et la Coalition avenir Québec, avaient tous les deux proposé d’instaurer une forme de scrutin proportionnel s’ils étaient portés au pouvoir. On sait que le mode de scrutin est l’armature d’un système politique et que son changement modifie l’ensemble des rapports de force dans une société. Or, cette réforme n’a pas vu le jour, les deux partis au pouvoir ayant préféré trahir leurs promesses plutôt que de passer à l’action. Depuis la création de l’Assemblée législative en 1791, aucun parti n’a osé modifier le mode de scrutin même si celui-ci est un des plus biaisés au monde dans la représentation des forces sociales.
Que nous propose-t-on cette fois-ci ? Les offres de politiques sont essentielles à l’électeur qui veut faire un choix rationnel, car avant d’accorder sa confiance à un parti, il doit savoir ce que celui-ci a l’intention de faire une fois au pouvoir. Le choix politique éclairé suppose que l’électeur puisse comparer et évaluer les propositions d’actions gouvernementales futures en fonction de ses besoins et intérêts.
La Coalition avenir Québec
Comme cela se produit souvent avec un parti gouvernemental, la CAQ, à la fin de l’été, n’avait pas dévoilé de programme électoral proprement dit. Son discours est essentiellement centré sur son bilan qu’il saura émaillé au cours de la campagne d’engagements spécifiques aux divers électorats ciblés. Il n’est donc pas possible de savoir ce que ce parti nous réserve pour l’avenir. Le cahier des résolutions adoptées les 13 et 14 novembre 2021 est vague à souhait. Par exemple, on parle de revitaliser les régions, mais sans proposer de mesures précises qui donneraient plus de pouvoirs aux régions. Comme on dit souvent que le passé est garant de l’avenir, on peut donc conclure qu’il ne se passera rien sur le plan des institutions si la CAQ est ré-élue.
Le Parti libéral du Québec
Quel contraste lorsqu’on se tourne vers le Parti libéral du Québec qui présente des engagements détaillés pour l’élection de 2022. « Le livre libéral » couvre 102 pages. Se définissant comme le parti des grands projets, le PLQ centre son programme sur la lutte contre les changements climatiques qui est placée en tête de ses priorités et mise sur le développement de la filière hydrogène. Le PLQ se propose de nationaliser la distribution de cette énergie et de laisser la production au secteur privé. Mais, pince-sans-rire, on nous explique que ce n’est pas demain que l’hydrogène sera utilisé à grande échelle. Les libéraux se préoccupent aussi des régions et se proposent de faire adopter une charte des régions afin de permettre à chacune d’entre elles « de développer son plein potentiel en favorisant la décentralisation et en proposant des solutions provenant du terrain qui seront mieux adaptées aux réalités locales. » Il est difficile d’aller plus loin dans le style sibyllin. Le PLQ propose une seule mesure ayant une portée institutionnelle. Il s’agit d’inscrire le droit à la préservation de l’environnement et de la diversité biologique dans les droits fondamentaux protégés par le Charte des droits et libertés de la personne.
Le Parti conservateur du Québec
Ce parti, depuis sa fondation en 2009, n’a jamais réussi à dépasser 1,5 % des votes. Il a connu une popularité inattendue avec l’arrivée d’Éric Duhaime à sa direction et est crédité de 15 à 20 % des intentions de vote dans les sondages. C’est le parti le plus à droite de l’échiquier politique du Québec préconisant une baisse d’impôts des particuliers et une réduction de la taille de l’État. Il a adopté un programme de 88 pages, les 20 et 21 novembre 2021. Parmi ses propositions phares, nous en avons retenu deux : l’introduction du privé dans le système de santé et celle d’un système de concurrence pour le financement des écoles. Il n’y a aucune proposition de changements des institutions politiques du Québec.
Québec solidaire
D’entrée de jeu, ce parti nous prévient que son programme ne dit pas ce qu’il entend faire s’il prend le pouvoir : « Rappelons qu’un programme est une vision à long terme et non un plan d’action ni un engagement à court terme. Il ne s’agit donc pas de la plateforme électorale qui, elle, affirme les engagements de Québec solidaire pour les quatre années à venir. » QS peut donc se replier sur des positions socialement plus acceptables durant la campagne électorale pour ne pas effaroucher les électeurs avec les positions radicales inscrites par ses militants dans son programme. Ainsi on peut parler de socialisme ou d’indépendance dans le programme sans avoir à défendre ces idées sur la place publique durant la campagne électorale. C’est sans doute une forme avancée de populisme qui cache les objectifs fondamentaux sous un épais manteau de propositions à court terme qui visent à séduire une large base électorale. Mais comme les engagements ne sont dévoilés qu’en campagne électorale, nous devons nous fier à son programme de 93 pages pour les fins de notre enquête.
Deux chapitres sont consacrés aux changements institutionnels : celui sur la démocratie et celui sur la souveraineté. Notons que ce programme date, il n’a pas été actualisé, car on y propose de tenir les élections à date fixe (p. 56) ce qui est déjà un acquis de la démocratie québécoise. Par ailleurs, QS propose de changer le mode de scrutin uninominal à un tour pour un mode de scrutin mixte avec compensatoire qui introduit la proportionnelle. « Ce nouveau mode de scrutin permettra l’élection de 60 % de la députation selon le mode actuel (uninominal à un tour) et les autres 40 % selon les résultats proportionnels des différents partis politiques au niveau national qui auront recueilli au moins 2 % des voix totales. » On propose aussi une décentralisation démocratique sur la base des communautés territoriales, mais l’architecture de ce niveau de gouvernance régionale reste floue. QS s’engage aussi à reconnaître la souveraineté des peuples autochtones sur les territoires qu’ils habitent. On reste vague toutefois sur les modalités d’exercice de ce droit à l’autodétermination.
Le changement institutionnel le plus important qui suivra l’élection du QS sera la convocation d’une assemblée constituante pour définir le projet de pays. (article 9,3,1) : « Un gouvernement solidaire proposera dans les plus brefs délais l’adoption d’une loi sur l’Assemblée constituante définissant son mandat, sa composition et sa démarche… Celle-ci aura pour mandat d’élaborer un projet de constitution d’un Québec indépendant, spécifiant les valeurs, les droits et les principes sur lesquels doit reposer la vie commune, ainsi que les institutions, les pouvoirs, les responsabilités et les ressources qui leur sont délégués. » (p. 90) Si cette démarche était mise en œuvre il en découlerait des « gestes d’affirmation » pour ne pas parler de gestes de rupture avec le Canada, comme l’adoption d’une loi-cadre qui remplacerait la constitution canadienne, l’abolition du poste de lieutenant-gouverneur, la perception de toutes les taxes et tous les impôts par le gouvernement du Québec.
On ne précise pas toutefois si l’accession à l’indépendance se fera dans un premier mandat. Mais on peut en douter puisqu’on explique curieusement que la période de transition sera consacrée au ralliement de la « gauche continentale » au processus constituant comme si implicitement on admettait une forme de souveraineté-association avec une improbable gauche canadienne au pouvoir ; mais on est avare de précision sur la suite des choses si cette gauche ne consent pas à l’accession à la souveraineté du Québec comme si on acceptait que le Québec ne soit pas entièrement libre de ses choix.
Le Parti québécois
Prendre connaissance du programme du Parti québécois n’est pas une mince affaire. Ce parti qui était reconnu auparavant pour avoir le programme le plus élaboré et qui a connu des batailles épiques à ses congrès pour fixer les orientations de son programme semble avoir rompu avec sa tradition. Au moment de rédiger ce texte autour du 15 août, le site web, qui est habituellement la voie royale pour savoir ce que pense un parti, ne contient pas de programme, sauf une rubrique intitulée : « La santé à votre portée », document fouillé de 28 pages. Lorsque j’ai googlé et cliqué sur l’onglet « programme », je suis arrivé à une page blanche. Un peu décourageant, je dois l’avouer. Et pourtant, on nous invite à fréquenter ce site pour découvrir la plateforme, les candidats et le chef. Nouveau mystère de la communication politique où il faut creuser profond pour trouver les idées essentielles.
Sur le site internet, on nous explique dans huit vidéos les 51 raisons de faire l’indépendance. Mais ces capsules brillent par leur discrétion sur le comment se fera l’indépendance et sur ce que deviendra sur le plan institutionnel le Québec indépendant. La nature du régime politique d’un Québec indépendant n’y est pas définie. On s’en tient à des propos nébuleux : « Jusqu’à l’adoption d’une nouvelle constitution, un Québec indépendant évoluera dans le cadre des institutions politiques actuelles, auxquelles seront seulement apportées les modifications requises par le changement de statut politique, par exemple celles qui concernent les responsabilités du lieutenant-gouverneur. »
Il faut, paraît-il, se référer à un autre document intitulé Projet national (34 pages), pour avoir une idée de ce que le PQ se propose de faire dans un premier mandat. Je ne veux pas être chicanier, mais encore là, on joue sur les mots. On ne nous dit pas que le PQ s’engage à faire des choses, mais plutôt qu’il aspire à… une aspiration étant beaucoup moins déterminée, affirmative et contraignante qu’un engagement : « Le Parti Québécois aspire dès le début du premier mandat d’un gouvernement du Parti Québécois, à déclencher la démarche de préparation du prochain référendum sur l’indépendance du Québec en formulant l’inventaire de toutes les étapes qui arriveront avant, pendant et après ce référendum. » Il faudra donc attendre après l’élection pour connaître la feuille de route et rien ne dit que l’indépendance adviendra dans le prochain mandat. On entretient le flou artistique.
Pour expliquer la démarche, on s’en tient à des généralités comme faire des études sur la souveraineté et sur les finances d’un Québec indépendant. Il faut toutefois saluer ce qui semble la nouvelle approche du PQ dans le processus référendaire où on semble vouloir dépasser l’angélisme ou la candeur du passé. On aspire maintenant à utiliser les moyens financiers de l’État pour préparer adéquatement le référendum. On se propose aussi d’instituer une carte d’électeur pour voter lors du référendum afin d’éviter les fraudes.
Il faut souligner une autre grande innovation dans ce projet national où, pour la première fois, on précise certaines politiques que le Québec pourra adopter lorsqu’il sera indépendant. Ces propositions impossibles à réaliser sans l’indépendance du Québec sont soulignées en bleu et précédées d’une fleur de lys. À titre d’exemple, même s’il est plutôt sibyllin, citons « le projet d’utiliser stratégiquement la politique monétaire afin de financer la transition écologique. » Le seul parti à avoir jusqu’à présent décrit ce que l’on peut faire en obtenant l’indépendance était Option nationale. Sous la direction de Martine Ouellet, le Bloc québécois avait aussi adopté un programme qui faisait la promotion de l’indépendance en présentant les politiques que l’indépendance permettrait d’adopter. Mais le Bloc a viré capot pour revenir à une logique provincialiste qui ne fait pas activement la promotion de l’indépendance.
Comme les autres partis, le PQ aspire aussi à une plus grande décentralisation et se propose de favoriser la mise en place d’une instance de concertation et de gouvernance dans chaque région, selon les spécificités du milieu ; on ne se perd pas dans les détails. On prévoit aussi innover sur le plan des institutions en créant un poste de directeur parlementaire du budget, poste qui à ma connaissance existe depuis 2018, et en insérant une composante proportionnelle mixte régionale dans notre mode de scrutin ; là encore on ne croule pas sous les détails.
Si le PQ est avare de détails sur le processus d’accession à l’indépendance, il se montre toutefois plus explicite lorsqu’il s’agit des autochtones. Il se propose de remplacer la loi sur les Indiens pour instaurer un nouveau partenariat « dans le respect de notre autodétermination respective, la recherche de nos intérêts communs et notre rayonnement culturel ». On évoque aussi clairement l’idée d’établir un régime républicain au Québec avec une présidence élue au suffrage universel ce qui entraînera l’abolition de la monarchie. Au moins, une chose est claire ; l’élection du PQ ouvrira la route à la tenue d’un troisième référendum. Pour le reste, ne dit-on pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions ?
Cette revue des programmes montre que les partis sont les champions des discours ambigus. Éviter d’être trop précis est leur marque de commerce. Il y a fort à parier que la question des changements institutionnels nécessaires pour améliorer la démocratie québécoise passera aux oubliettes dans les discours qui seront tenus en campagne électorale. Les partis préfèrent en dire le moins possible, être le plus vague possible et se contenter d’indiquer des orientations pour l’avenir de telle sorte qu’ils pourront toujours les renier une fois élus sans être accusés d’avoir trompé l’électorat. u