La Coalition pour la liberté en éducation (CLE) regroupe des gens sérieux, qui se sont donné pour mandat de militer en faveur d’une liberté de choix en matière d’enseignement moral et religieux. Cette coalition est née suite à l’implantation du cours d’Éthique et culture religieuse, qui, comme on le sait, est obligatoire du primaire jusqu’à la fin du secondaire. Dans un article très discret du Devoir, on apprenait aujourd’hui que la CLE avait commandé un sondage à la firme Léger Marketing, où 69% des Québécois se disent en faveur de la liberté de choix. La CLE répliquait ainsi à un sondage du Devoir, fallacieux dans sa formulation, qui avait esquivé la question de la cohabitation en opposant frontalement le cours ECR au cours d’enseignement religieux, comme si le fond de l’affaire n’était pas la liberté de choix, mais l’élimination pure et simple du cours ECR.
Fait à noter, le sondage du Devoir avait fait la une et avait été largement commenté par ses éditorialistes, tandis que celui de la CLE ne fait tout au plus qu’un petit encart. C’est entendu, Le Devoir sur cette question a une position éditoriale très fixe, qui va dans le sens non seulement du cours ECR, mais de toute science pédagogique utile à la reconfiguration constructiviste de la société québécoise. C’est ce que j’ai appelé, dans mon livre1, le techno-progressisme, doctrine officieuse du nouveau régime politique sous lequel on vit depuis quelques années. Le techno-progressisme s’est implanté contre les fondements du politique, en pervertissant l’État de droit pour en faire un État des droits. La notion de liberté, telle qu’on la connaît dans la tradition occidentale, a été détournée au nom d’un despotisme « éclairé », celui de l’égalité « intercommunautaire » et « interculturelle ». La société civile, entendue comme socle de l’existence commune, se voit tassée par la société des droits civiques. L’individu n’est plus l’individu, mais un minoritaire, quel que soit l’angle sous lequel on le voit : handicapé, homosexuel, ethnique, chômeur, l’État techno-progressiste trouve toujours un moyen de minoritariser les individus pour mieux les « émanciper ». Au paradis de l’émancipation, n’est-ce pas, la liberté est futile. Elle est même suspecte.
Pour dominer le peuple, le techno-progressisme n’a nul besoin d’emprunter les habits caricaturaux du XXe siècle : il lui suffit de fabriquer « l’opinion publique ». « L’opinion publique » se construit et se déconstruit à l’infini, fluctuant selon les secousses provoquées par les ingénieurs médiatiques et les pasionarias communautaristes. L’opinion est une mise en scène de la volonté populaire, elle n’en est pas le reflet. Car la volonté collective n’existe pas en soi ; elle ne peut pas être reflétée, tout au plus peut-elle être médiatisée par les institutions politiques. À partir du moment où cette médiation est déviée de son orbite naturelle, et qu’elle se voit subordonnée à des impératifs technocratiques et sociologisants, le peuple peut légitimement prétendre à la dépossession. C’est ainsi que le schisme entre le peuple et les élites se creuse, en même temps que s’épanouissent, chacun de leur côté, le populisme du « Québec d’en-bas » et le despotisme élitaire du « Québec d’en-haut ».
La CLE, c’est tout à son honneur, a toujours maintenu des critères élevés de retenue et d’intégrité dans son discours. Ce discours, qui n’est pas populiste, se présente comme un appel au « dialogue » avec le « Québec d’en-haut ». Elle a cru pouvoir poser les termes de son combat dans un cadre rationnel et ainsi soulever un « débat de société ». Ainsi, la Raison, nourrie par les contributions de la société civile, trouverait son équilibre et pencherait fatalement du côté de la liberté contre l’arbitraire de l’État. Mais cela ne fut pas le cas. Il faut lire le site Internet Pour une école libre2, où s’exprime la position de la CLE, et constater la progression de leur colère au fil des mois. Exaspérés de ne pas réussir à faire passer leur message, systématiquement reformulé en public dans le langage biaisé du techno-progressisme, ils multiplient les sarcasmes, les points d’exclamation, les points de suspension. Colère compréhensible. En outre, la CLE se plaint de passer pour un regroupement de catholiques orthodoxes, alors que cette coalition touche d’autres appartenances confessionnelles que le catholicisme. Je dis « catholiques orthodoxes », parce que selon le Code du régime techno-progressiste québécois, il n’est tout simplement pas possible d’être un catholique ordinaire : on est soit un « catho », soit un « ultra-catho ». Ou bien un dangereux « intolérant ». Un catholique normal et sain d’esprit, sans arrière-pensée antidémocratique, ça n’existe pas.
Quand ses éditorialistes sont fatigués de répéter les mêmes âneries, Le Devoir aime bien faire appel au courrier des lecteurs ou à la page Idées pour continuer la guerre culturelle. C’est également par le choix des textes publiés dans cette section que Le Devoir forge sa politique éditoriale. Ce que le journal ne peut pas dire par la voix de ses éditorialistes bien-pensants, il le fait dire par la voix de tous ces chevaliers de « l’opinion publique », qui, chaque jour, lui font parvenir une masse de « réactions » et de « points de vue ». Il suffit de se pencher et de ramasser. Alors peut commencer la mascarade du régime contre ses factions dissidentes, de la Tolérance contre l’Intolérance, de l’Inclusion contre l’Exclusion, du Vivre-ensemble contre le Vivre-pas-ensemble.
Le 22 octobre dernier, Le Devoir y allait d’une mise en scène type, en choisissant de publier trois textes, qui avaient tous la particularité de prétendre définir la position de la CLE en l’absence d’une signature de la CLE. Il y eut un « bibliste », Patrice Perreault, qui s’est livré à une très étrange psychanalyse sociologisante des « opposants au programme », en expliquant leur refus du cours ECR comme une « fermeture à l’altérité et au dialogue ». Son texte, écrit dans la novlangue techno-progressiste, donne une bonne idée du charabia décervelant que le régime imposera dans les classes à travers le cours ECR. Ensuite, il y eut le texte d’un militant laïque, qui s’est évidemment insurgé contre toute présence du religieux à l’école, et qui a sommé le ministère de l’Éducation de « faire taire les opposants » en épurant le cours du « volet culture religieuse » pour l’insérer dans le programme d’histoire. Le programme d’éthique, préservé de « l’obscurantisme » religieux, et fondé sur une « conception naturelle, complexe et scientifique des origines de la vie et des humains » (?), transmettrait une « éthique naturelle » qui se ferait un devoir de réaffirmer son indépendance absolue face à la religion. Doit-on comprendre, puisque le « volet culture religieuse » serait restreint à l’enseignement de l’histoire, que les valeurs judéo-chrétiennes sont choses du passé ? Et surtout, doit-on comprendre, puisque « l’éthique naturelle » du nouveau cours d’éthique se poserait explicitement contre la religion, que les valeurs judéo-chrétiennes seraient aujourd’hui devenues irrecevables dans la société québécoise ? Voilà des questions qui méritent d’être soulevées. Enfin, pour terminer, un troisième texte, intitulé « Le droit à l’intolérance », dénonce la tentative des « ultracatholiques » ( !) de la CLE de mettre en échec le « rôle de l’État en éducation » en « réclamant le droit à l’intolérance pour tout ce qui n’est pas leur religion ». Le souhait d’une éducation morale et religieuse autonome serait, selon l’auteur, une offense pour toutes les autres religions. Seul le « dialogue interculturel » obligatoire prôné par l’État garantirait « l’harmonie » et préviendrait « l’offense » intercommunautaire.
On aura remarqué, dans ces trois textes, que la référence aux « opposants du programme » était réitérée en dépit de sa formulation mensongère : ce n’est pas d’abord contre le programme ECR que la CLE agit, mais pour la liberté de conscience et la liberté de choix. Évidemment, la coalition méprise le cours ECR, et elle a raison, mais elle a décidé de mener son combat sur la liberté de choix plutôt que sur la critique du noyau idéologique du programme. C’était une erreur, on voit le résultat aujourd’hui. Le programme ECR n’est pas un programme isolé appelant une réplique pragmatique sur une question de principe. Le cours ECR fait partie de la doctrine techno-progressiste, c’est un programme dans le Programme. Toute opposition isolée à un programme dans le Programme ne peut que se traduire par une mise en scène de la lutte « anti-réac » : ainsi, la CLE peut bien se défendre d’être orthodoxe ou ultra, fermée d’esprit ou intolérante, il n’en demeure pas moins que c’est toujours sous cet éclairage qu’elle sera perçue. Il semble qu’elle en ait conscience, puisqu’elle a adopté, peut-être sans s’en rendre compte, le langage même du régime qu’elle devrait pourtant combattre. Après une manifestation au centre-ville, en octobre, où 2 000 personnes ont défilé pour la liberté de choix, des photos d’affiches en arabe, en anglais et en italien ont été publiées sur le site de la CLE, comme pour prouver aux apparatchiks du régime la conformité multiculturelle et « ouverte d’esprit » de l’organisme et de ses militants. Plus tôt, dans un commentaire précédent, on évoquait la logique minoritaire pour défendre le point de vue de la CLE en cour : si les parents réfractaires sont vus comme une « minorité », disait-on en substance, et qu’ils estiment être floués, alors ils devraient pouvoir obtenir gain de cause selon les lois garantissant la protection des minorités. La CLE, on le voit, est prisonnière du vocabulaire et des catégories du régime.
Le noyau idéologique du programme ECR a un nom : l’inter/multiculturalisme. La mise en place du cours ECR et son caractère obligatoire ne signent pas un commencement d’altération des libertés, mais signe la fin d’une longue manoeuvre d’anesthésie de toutes les fonctions vitales de transmission de la culture. Ça prenait un sacré culot pour imposer cette horreur du début du primaire jusqu’à la fin du secondaire ; que le régime se soit cru autorisé à aller de l’avant ne fait que confirmer son arrogance et sa conviction missionnaire. Critiquer le cours ECR sous l’angle de l’inter/multiculturalisme reviendrait à tisser la toile qui manque présentement à la CLE en touchant aux sujets limitrophes : politique d’immigration, enseignement de l’histoire, charte des droits, identité nationale, propagande festivo-multiculturelle, réforme socioconstructiviste de l’éducation, etc. Le régime veut fabriquer un nouveau peuple, un homme nouveau, une société utopique, et le cours d’ECR n’est que le point d’orgue de ce Programme de rééducation intégrale. L’erreur de la CLE est de véhiculer sa résistance antitotalitaire par la foi plutôt que par la nation, empêchant ainsi son combat de se lier aux autres poches de résistances qui se forment actuellement contre l’inter/multiculturalisme d’État.
L’inspiration antitotalitaire peut certes être chrétienne, elle l’a même été à plusieurs reprises dans l’histoire, mais son articulation politique, dans le contexte qui est le nôtre en 2009 au Québec, doit reposer sur un langage compréhensible par tous : celui de la nation. Ce n’est pas tout d’avoir raison sur le fond, encore faut-il être rassembleur sur la forme. Il est inutile de penser à obtenir des accommodements auprès du régime, car ces accommodements ne seront toujours que de petites victoires trahissant de grandes défaites. Il faut au contraire renverser tout le régime par la critique de l’inter/multiculturalisme d’État et du chartisme victimaire, une tâche colossale qui ne peut s’accomplir qu’à travers un programme de ressaisissement national.
1 L’État québécois et le carnaval de la décadence, Montréal, Éditions de L’Intelligence conséquente, 2008.
2 http://pourunecolelibre.blogspot.com.
* L’auteur est directeur du journal en ligne L’Intelligence conséquente