La Coopérative de solidarité de service à bas seuil d’accessibilité communément appelé la coopérative SABSA, organisme à but non lucratif1, est un cas unique dans le système de santé québécois : non seulement s’agit-il d’une coopérative, mais elle présente de plus un modèle d’affaires original, une offre de service gratuit, essentiellement par des infirmières praticiennes à des populations fragiles.
Elle a été constituée en décembre 2011 par cinq personnes dont des intervenantes dans le domaine de la santé interpellées par l’ampleur de l’épidémie du VHC (Hépatite C) et du VIH sida parmi des populations vulnérables de deux quartiers populaires de la ville de Québec, les quartiers Saint-Roch et Saint-Sauveur situés dans ce que l’on appelle la basse-ville. Ce groupe incluait une infirmière praticienne en soins de première ligne (IPSPL) et a donc décidé d’apporter une importante innovation organisationnelle au système de santé avec son projet, confrontant du même coup les limites de ce système en termes d’offre de services à des populations marginales ou vulnérables et, par ricochet, le rôle des médecins.
SABSA a ainsi vu le jour pour offrir à cette clientèle un encadrement serré et un plus grand support psychosocial et médical. Aux yeux des fondatrices de la coopérative, cette formule est gagnante, car elle augmente de façon significative la réussite des traitements. Cette approche se voulait donc une alternative aux ressources alors en place dans l’environnement immédiat : une clinique publique, soit le Centre local de services communautaires (CLSC) dont les heures sont limitées et les effectifs réduits en raison des coupes budgétaires dans le réseau de la santé, et des cliniques privées, plus éloignées, donc, moins accessibles géographiquement, dont l’approche trop souvent basée sur un modèle walk-in, était jugée déshumanisante et incapable de prendre en compte les dimensions psychosociales ou l’impact des déterminants sociaux sur la santé des individus vulnérables. Son statut de coopérative de solidarité lui permet de regrouper dans son sociétariat, trois parties prenantes : les travailleuses et travailleurs, des usagers et des usagères, et des membres de soutien.
Depuis lors, de combat en combat pour assurer sa place dans le système de santé et des résultats incontestables sur l’impact de son action auprès de ses clientèles cibles, SABSA s’est finalement imposée comme un acteur incontournable non seulement à Québec, mais dans d’autres régions.
Durant ses premières années, la coopérative a pu compter sur un financement de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) qui y voyait un projet de démonstration portant sur l’apport des IPSPL dans notre système de santé, quelque chose qui n’était pas gagné en comparaison à la situation en Ontario ou ce type d’infirmière occupe un rôle plus significatif. À compter de 2016, après de multiples activités de représentation et une campagne média, SABSA obtient un financement partiel de ses activités par le MSSS.
L’espace manque ici pour présenter les diverses étapes du développement des services de SABSA depuis son origine2, mais soulignons quelques reconnaissances récentes de son rôle par le milieu institutionnel de la santé et les financements afférents autour de programmes ciblés :
- Depuis l’été 1999, l’obtention d’un financement du CIUSSS de la Capitale-Nationale via la Direction de la santé publique pour prévenir les surdoses. Avec l’achat d’un véhicule, le projet s’étend désormais aux régions de Portneuf et de Charlevoix.
- Un financement a également été obtenu de l’Agence de santé publique du Canada pour la mise en place d’un réseau de pairs aidants en prévention de l’hépatite C sur le territoire de la Capitale-Nationale. La coopérative a aussi un programme d’intervention auprès d’une communauté autochtone dans la région du Lac-Saint-Jean.
- Enfin, depuis mars 2021, après de multiples consultations et représentations, SABSA offre le tout premier service de consommation supervisé de la ville de Québec après avoir été choisi par le CIUSSS par suite d’un appel de projets. Comme la coopérative planchait sur ce service depuis des années, elle a eu le temps d’en faciliter l’acceptation sociale.
En sus de ces résultats, après une remarquable campagne de sociofinancement en 2016, il faut souligner la performance de la Fondation SABSA qui a obtenu son statut de bienfaisance en 2018. Depuis lors, la Fondation a pu compter sur des administrateurs très engagés et réseautés qui ont su mobiliser des fonds importants venant ainsi compléter les assises financières de la coopérative et lui donner des ressources pour mieux supporter son développement tout en maintenant la gratuité des services, une règle d’or pour l’organisation. En ce sens, il n’y a aucune obligation d’adhérer à la coopérative pour faire usage de ses services ni de paiement de cotisation annuelle.
Des résultats éloquents
L’impact de cette coopérative s’exprime à plusieurs niveaux. Avec ses 3600 personnes d’inscrites, dont 60 % qui n’ont pas de médecins de famille, elle a contribué à prendre en charge des gens qui souvent, sont orphelins de ressources dans le système de santé. De façon plus spécifique pour les personnes atteintes d’hépatite C, par le suivi adéquat, on reconnaît l’efficacité de son modèle. Les gastroentérologues ne veulent pas se trouver avec des personnes instables et SABSA démontre son efficacité avec ces gens même s’ils sont désorganisés.
SABSA a développé une expertise unique dans les traitements de l’hépatite C et ce, nonobstant que les personnes soignées se trouvent dans une situation de grande instabilité. Au fil du temps, SABSA a mis en place des collaborations avec des spécialistes de divers hôpitaux de la Capitale-Nationale. Les gastroentérologues viennent à la clinique pour débuter les traitements, les infirmières font le suivi hebdomadaire. Enfin, les travailleurs de rue vont chercher les personnes là ou elles se trouvent que ce soit dans la rue ou à leur domicile pour les amener à la clinique. Statistique percutante, depuis sa constitution en 2011, plus de 1100 personnes ont ainsi été traitées avec un taux de succès de 95 %.
Plus globalement, eu égard à son l’ensemble de son action, SABSA a fait la démonstration de sa pertinence comme ressource alternative de premières lignes, car il n’y a qu’environ 5 % des cas qui nécessitent une référence à un autre professionnel de la santé, par exemple, un médecin.
Et la pandémie
Devant le succès de son action, SABSA tentait, depuis quelques années, de se trouver un nouveau toit pour mieux accueillir sa clientèle et fournir plus d’espace à ses travailleuses. En janvier 2021, en pleine pandémie, la clinique de proximité s’est installée au 265, rue de la Couronne. Ce changement a permis de regrouper à la fois la clinique et les locaux administratifs, y compris les salles de repos et de réunion. Pour les usagers, il s’agit d’une distance de moins d’un kilomètre avec les anciens locaux, il n’y a donc pas un véritable enjeu de délocalisation et d’accès.
Face à la pandémie, et ses vagues successives, SABSA a fait le choix délibéré de garder ses portes ouvertes tout en appliquant les règles de la santé publique (distance, couvre-visage), ce qui tranche avec des GMF du territoire qui ont plutôt opté pour le télétravail. Pour la coopérative, il était incontournable de conserver ce lien physique, cette proximité avec sa clientèle. On peut émettre l’hypothèse que la coopérative était ainsi sensible à la fracture numérique d’une partie de sa clientèle et ne voulait pas les pénaliser en fermant ses portes et les contraignant à utiliser des plates-formes numériques. En outre, la coopérative s’est assurée qu’il n’y ait pas de retard dans les rendez-vous de ses clientèles.
Voici un exemple fort inspirant, au diapason des besoins de son milieu et perméable à la situation de ses clients les plus vulnérables.
1 Au Québec, une coopérative qui s’engage à ne pas verser de ristourne ni payer d’intérêts aux parts peut être reconnue par les autorités fiscales québécoises comme organisme à finalité non lucrative donc exempté de payer de l’impôt. C’est le cas de cette coopérative.
2 Cet article est tiré d’une étude de cas produite pour HEC Montréal avec la collaboration de la professeure Martine Vézina qui n’a pas encore été publiée.
Responsable du dossier Pandémie : premiers enseignements.