Titre complet: Le Québec et ses universités. La petite politique d’un naufrage annoncé
Les derniers mois écoulés au Québec ont donné de ses universités un spectacle affligeant. La plus jeune d’entre toutes, créée en 1969 spécialement par l’État du Québec au cœur même de Montréal, semblait naufrager sans qu’aucun secours vînt à sa rescousse. Accablée d’une dette colossale amassée par une administration rectorale aventureuse, l’Université du Québec à Montréal (UQAM)1 avoisinait la faillite, dans un climat de grève étudiante qui laissait sourdre une révolte désespérée sans exutoire. Stoïque devant cet enlisement, le gouvernement du Québec a laissé la situation se dégrader, retenant une subvention considérable, comme s’il s’agissait de punir la communauté uqamienne tout entière pour les méfaits de son ancienne administration, après un procès sommaire dont les ministres libéraux de l’Éducation, Jean-Marc Fournier et Michelle Courchesne, furent à la fois les procureurs et les juges. Comme si les frais d’intérêt de la dette immobilière de l’UQAM n’étaient pas suffisants s’y rajoutèrent ceux résultant du manque à gagner ministériel. Les deux rapports préparés par le Vérificateur général du Québec ont heureusement permis de jeter une lumière crue sur le désastre uqamien et d’attester certes la part de responsabilité du recteur Roch Denis et de sa garde rapprochée dans ce cafouillage, mais aussi de révéler l’incompréhensible nonchalance du ministère de Jean-Marc Fournier. De toute évidence, deux institutions ont défailli : le rectorat et l’État.
Mais une fois qu’on aura départagé les responsabilités juridique et politique des uns et des autres dans cette affaire, la situation calamiteuse de l’UQAM ne sera pas plus avancée. Une énorme verrue de béton encore purulente de fraîcheur dépare le quartier latin de Montréal, narguant de son architecture ratée la Grande Bibliothèque aux tuiles tombantes. On ne sait toujours pas ce qu’il adviendra de ce projet, si l’État québécois en assumera véritablement les frais financiers et si, au bout du compte, l’UQAM finira par y loger.
Selon le syndicat des professeurs (SPUQ) et plusieurs associations étudiantes de l’UQAM, la crise de l’UQAM se résorberait par un investissement massif de l’État québécois dans l’éducation supérieure. Mais de quel investissement parle-t-on, à supposer qu’il se fasse ? D’un investissement sans modifier les règles actuelles du financement des universités ? Or, cette crise résulte pour une bonne part de ces règles mêmes, qui ont poussé un recteur imprudent à se lancer dans des projets coûteux en croyant pouvoir sortir ainsi son université de son chronique sous-financement. Ce rationnement imposé à l’UQAM n’excuse certes en rien les erreurs manifestes de Roch Denis, ex-trotskyste reconverti dans l’administration universitaire. Toutefois, la crise où a été plongée l’UQAM sous le regard presque ravi du ministère de l’Éducation, des médias et des autres universités qui ont continué leurs petites affaires habituelles est révélatrice de l’état de santé général du système universitaire québécois qui allie une formule de financement aux disparités byzantines avec la protection de chasses gardées dont le maintien à long terme est loin de servir les intérêts du Québec, en particulier de sa pseudo-majorité francophone. Faisons enquête sur ce monde baroque peuplé de redoutables citadelles. La volonté de la ministre Courchesne de réinjecter dans le système les nouveaux transferts fédéraux vers les universités sans rien modifier à la formule générale de financement universitaire rend plus que jamais urgent un débat de fond sur les principes, les effets et les iniquités que cette formule a suscités2. Débat qui, convenons-en, sera toujours difficile à mener au Québec, car il touche aux privilèges, aux nids douillets, aux prébendes, aux acquis, aux pointes de tarte de l’élite diplômée, de l’élite titrée, de l’élite qui parle avec jactance de ses droits inhérents à des temples du savoir gardés bien au chaud.
Le système québécois de financement des universités ou la formule « Air Transat »
Le système actuel est en réalité le bébé de François Legault, ministre de l’Éducation sous le gouvernement Bouchard, qui a annoncé en grandes pompes en février 2000 une nouvelle politique à l’égard des universités québécoises. Le ministre Legault a alors allongé plus d’un milliard de dollars supplémentaires aux universités québécoises moyennant des modifications substantielles apportées au système de financement des universités. La politique de Legault a ambitionné d’optimiser l’utilisation des ressources par les universités et de relever leur performance générale. Pour ce faire, la politique de Legault, qu’on pourrait appeler le système « Air Transat »3, transforme le réseau universitaire québécois en véritable marché de l’éducation. Le principe directeur est simple, la subvention publique suit l’étudiant inscrit; plus une université voit ses effectifs gonfler, plus son financement augmente. En fait, si on avait voulu introduire au Québec un système de bons d’éducation, on n’aurait pas fait autrement.
Retouché en 2006 sous le ministère de Jean-Marc Fournier, le système « Air Transat » prévoit une subvention générale, répartie en trois postes budgétaires – enseignement, recherche et immobilisations – à laquelle s’ajoute un bonus pour récompenser le nombre de diplômés obtenus dans chacun des trois cycles et des subventions spéciales octroyées à certaines universités pour leurs missions particulières. Dans l’ensemble, 84 % des subventions reçues par les universités proviennent de cette subvention dite « générale », qui comprend les subventions normées et les subventions pour missions particulières. Environ 11 % des subventions échappent au système général, et 5 % trouvent leur source dans les fonds réinvestis ou placés en fiducie.
L’unité de mesure servant à calculer le montant des subventions normées est la notion d’effectif étudiant équivalent temps plein (EEETP), qui sert à uniformiser le calcul des effectifs étudiants en y incluant les étudiants à temps partiel. Pour chaque unité de EEETP, l’État verse un montant fixe, modulé en fonction du programme d’enseignement : les disciplines professionnelles, médecine, pharmacie, architecture, génie, foresterie, soins infirmiers, coûteuses à dispenser, reçoivent les enveloppes les plus conséquentes; les disciplines « de papier » telles que le droit, les sciences sociales et la littérature se contentent d’un plus maigre financement. De plus, les cycles supérieurs sont mieux financés que ne le sont les études du premier cycle. Environ 68 % des subventions de fonctionnement du MÉLS4 aux universités sont calculées sur la base des EEETP dits « pondérés ».
Un monde baroque de disparités
Bien loin de donner des résultats équilibrés, la formule « Air Transat » produit des effets pour le moins problématiques, qui révèlent que quelque chose ne tourne pas rond dans le beau néo-marché universitaire québécois. L’un des effets les plus saisissants est la part surprenante que les universités anglophones prennent dans les ressources affectées aux universités. Selon les chiffres fournis par le MÉLS, les trois universités anglophones (McGill, Concordia et Bishop) sont allées chercher 27,1 % des subventions normées pour l’année 2006-2007. D’après les chiffres fournis par la CRÉPUQ5 pour l’année 2004-2005, ces universités ont obtenu 32,3 % des fonds de recherche, 26,1 % des effectifs étudiants (en EEETP), 28,8 % des postes de professeurs réguliers, et diplômé 29,1 % des bacheliers, 25 % des maîtres et 31 % des docteurs. Selon la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université, les universités anglophones ont vu leur part du budget de fonctionnement total des universités passer de 29,3 % en 1997-98 à près de 30 % en 2004-2005. Les chiffres de la CRÉPUQ indiquent que les universités anglophones ont une avance marquée dans certains domaines : en 2003, 36,6 % des effectifs professoraux en médecine, 34 % en mathématiques, 32,3 % en informatique, 33,9 % en économie. Le rapport de la firme PricewaterhouseCoopers sur la situation financière de l’UQAM révèle, qu’en sus des professeurs réguliers, certaines universités possèdent un grand nombre de professeurs subventionnés ou suppléants, le record étant atteint par l’université McGill. Si on comptabilise l’ensemble des professeurs, toutes catégories confondues, McGill disposait en 2005-2006 de 41,4 % du corps professoral montréalais, Concordia 15,67 %, l’Université de Montréal 25,6 % et l’UQAM 17,3 %, soit un total de 57,1 % pour les deux universités anglophones. D’autres chiffres colligés par la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université révèlent que si les deux universités anglophones de Montréal ont attiré bon an mal environ 40 % des effectifs étudiants dans les trois cycles sur le total de la population étudiante montréalaise, Concordia et McGill ont réussi au cours des dernières années à obtenir 45 % du budget de fonctionnement global de l’ensemble des institutions universitaires montréalaises6. En somme, la prépondérance des institutions universitaires francophones à Montréal est précaire et toute relative. Elle existe par la population étudiante, mais point dans le corps professoral. Les universités anglophones sont plus riches, plus attrayantes, mieux dotées, les écarts étant certes très grands entre McGill, la princière, et Concordia, la roturière. Pour une minorité qui représente 8,6 % de la population québécoise et dont on ne cesse de dire qu’elle connaît les affres du déclin démographique, c’est pas mal.
Pour une bonne part, cette fortune des universités anglo-québécoises s’explique par l’avantage qu’elles ont sur les universités francophones dans le recrutement des étudiants. Le premier avantage des universités anglophones est indéniablement le haut taux de scolarité universitaire des Anglo-Québécois, parmi les plus élevés chez les groupes sociolinguistiques au Canada. Selon les données du recensement de 2001, environ 13,3 % des Anglo-Québécois détenaient un baccalauréat, contre 9 % pour les francophones et 12 % pour les allophones. À la maîtrise, l’avance des anglophones québécois est encore plus marquée. En proportion, deux fois plus de maîtres que chez les francophones. Au doctorat, l’avance est du simple au triple pour les Anglo-Québécois. Au total, si l’on compte les trois cycles et les formations courtes (certificats), la diplômation des Anglo-Québécois atteignait un taux de 23,2 %, et celle des Franco-Québécois, à peine 15,9 %, pour une moyenne canadienne de 17,9 %.
Fortes du haut taux de scolarité universitaire des Anglo-Québécois, les universités anglophones peuvent compter sur l’afflux important des étudiants étrangers et canadiens-anglais, ainsi que des francophones et allophones du Québec. À l’automne 2005, les trois universités anglophones ont accueilli plus de 44,2 % des étudiants étrangers reçus au Québec, la part de ses étudiants dans les effectifs de McGill dépassant même celle qu’on observe dans plusieurs grandes universités américaines. Cette fortune des universités anglophones s’est aussi illustrée dans l’évolution des inscriptions dans les réseaux francophone et anglophone d’universités. Comme vient de le constater une étude de l’Office de la langue française, la part des effectifs étudiants recueillis par les universités francophones a baissé de 1986 à 2003, passant de 78,2 % à 75,3 %, alors qu’elle a augmenté dans les universités anglophones, allant de 21,8 à 24,7 %. Dans cette même période, environ 18,8 % de la clientèle de ces dernières universités étaient de langue maternelle française, alors que la proportion des étudiants de langue maternelle anglaise n’a pas dépassé 1,7 % de la clientèle des universités francophones. En 2003, plus de 49 % des étudiants québécois de langue maternelle tierce fréquentaient les universités anglophones, une diminution en pourcentage par rapport à 1986, mais une augmentation en nombre absolu.
Les universités anglophones ont d’autres atouts que l’afflux d’étudiants de toutes provenances, qu’aucune université francophone ne semble pouvoir concurrencer. Dans le cas de McGill, ce sont ses fonds propres alimentés par un puissant mécénat, qui financent jusqu’à 6 % de ses activités courantes et ses facultés professionnelles (médecine, génie, agronomie) pour lesquelles l’université obtient un financement royal. Les universités québécoises titrent en moyenne 1,1 % de leurs revenus des dons privés.
Outre ce déséquilibre linguistique, la formule « Air Transat » crée une distorsion régionale qui avantage les multiples constituantes de l’Université du Québec au détriment de l’une d’elles, l’UQAM. Comme nous l’avons vu, cette formule accorde à certaines universités, en sus de leurs subventions générales « normées », un financement ad hoc. Ces subventions représentaient environ 87 millions $ en 2006 -2007 et profitaient à 81,45 % au réseau de l’Université du Québec. Or, toutes les constituantes régionales de l’UQ ont droit à leur part du gâteau, cependant que l’UQAM ne reçoit presque rien et l’ÉTS (École de technologie supérieure), rien du tout. On peut résumer les conséquences de ce traitement de faveur par le tableau suivant :
UQAC |
UQAM |
UQAR |
UQAT |
UQO |
UQTR |
|
Revenus totaux/ |
9915,80$ |
7517,33$ |
9091,59$ |
10 481,13$ |
8399,41$ |
8820,52$ |
Nb d’étudiants/professeurs |
29,27 |
43,44 |
30,10 |
25,39 |
32,79 |
32,53 |
Nb d’étudiants (EEETP)/professeurs |
19,36 |
27,75 |
18,35 |
14,32 |
21,02 |
22,84 |
UQAC : Université du Québec à Chicoutimi
UQAM : Université du Québec à Montréal
UQAR : Université du Québec à Rimouski
UQAT : Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
UQO : Université du Québec en Outaouais
UQTR : Université du Québec à Trois-Rivières
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Aux yeux de l’État québécois, un étudiant de l’UQAM vaut beaucoup moins cher qu’un étudiant inscrit dans une autre constituante de l’Université du Québec. De plus, l’UQAM possédait en 2005-06 le ratio EEETP/professeur le plus élevé du système universitaire québécois, les autres universités affichant un ratio qui oscille de 16,7 à 21,6. Plusieurs des constituantes régionales de l’UQ ont vu leur ratio considérablement diminuer de 1991-92 à 2005-06, telles l’UQAT et l’UQO. En somme, la formule de financement désavantage l’UQAM à la fois vis-à-vis des autres universités et des constituantes régionales de l’UQ. Pourtant, l’UQAM représente près de 50 % des effectifs étudiants du réseau de l’UQ (48,4 % en 2004-2005, en EEETP). De plus, c’est l’UQAM qui majore le taux de diplômation du réseau de l’UQ : en 2005, l’UQAM a diplômé 50 % des bacheliers du réseau, 55,6 % des maîtres et 58,1 % des docteurs. En somme, l’étudiant qui s’inscrit à l’UQAM subit sans le savoir une pénalité « métropolitaine ». Pour certaines constituantes régionales du réseau de l’UQ, par contre, la manne étatique est généreuse. Dans le cas de la constituante d’Abitibi, les subventions particulières représentaient 55,9 % de ses subventions régulières, et 30,4 % dans le cas de la constituante de Rimouski. L’Institut national de la recherche scientifique (IRNS) remporte toutefois la palme du financement majoré, qui représente 213 % de ses subventions normées.
La belle asymétrie entre université major et université minor
Ces constatations comparatives nécessitent quelques commentaires. Premièrement, le système « Air Transat » s’inspire visiblement d’une conception libérale de l’intervention de l’État en matière d’éducation supérieure. L’État se voit comme un régulateur d’un marché artificiel de l’éducation dont il canalise les flux financiers en fonction d’une loi de l’offre et de la demande qui met en concurrence les universités québécoises dans la recherche inlassable de fonds nouveaux. L’État devient une espèce de CRTC 7 de l’éducation qui fixe les règles de l’optimisation des ressources, en prenant pour acquis que les universités jouent à armes égales, exceptions faites des constituantes régionales de l’UQ qui jouissent d’un traitement de faveur. Ce marché aux étudiants sous régulation bureaucratique se réalise toutefois essentiellement avec des fonds publics, avec les crédits votés par l’Assemblée nationale du Québec.
Chose étonnante, l’État se désolidarise du développement de l’une des composantes centrales de l’UQ, l’UQAM, à l’origine une université d’État, devenue à la longue orpheline de son fondateur, coincée d’une part entre le réseau de l’UQ, et d’autre part, des universités telles l’Université de Montréal et McGill, qui mobilisent une bonne proportion du financement public en raison de l’étendue et de la « pesanteur » des formations qu’elles dispensent. En fait, l’État Air Transat a comme politique implicite de maintenir à Montréal deux grandes universités, au sens classique de terme, c’est-à-dire deux institutions de haut savoir qui ont vocation à couvrir l’ensemble des disciplines de l’esprit et des professions. Quant à l’UQAM et à Concordia, aux côtés des universités majores sises sur les deux versants du Mont-Royal, elles font figure d’universités minores, voire de grappes facultaires ou d’universités sectorielles comme il en existe en France. Cependant, cette symétrie apparente qui oppose l’une à l’autre une université francophone à une université anglophone dans chacune de ces catégories risque de se briser bientôt, avec l’essor notable de Concordia et la déconfiture de l’UQAM. Jusqu’ici, l’État « « Air transat » » s’est comporté en quelque sorte à la manière d’une espèce de « superintendant » de l’instruction publique, comme il en existait un avant la création du ministère de l’Éducation de 1964, qui se retire dans une impartialité convenue et précautionneuse, de peur de modifier quoi que ce soit aux équilibres sociolinguistiques et régionaux existants. Disons, pour filer la métaphore aéronautique, que l’État « « Air transat » » se voit comme l’arbitre distant d’un jeu de course aérienne. L’université qui transporte le plus de « passagers » étudiants remporte le gros lot. Dans cette joute, certaines universités disposent de 747 flambant neufs, d’autres, de vieux bimoteurs à hélice…
La question qui se pose est de savoir si la formule « « « Air transat » » » est la meilleure méthode de répartition des fonds publics entre les universités. Or, il est clair que cette formule propulse les universités anglophones, en raison notamment de l’attraction qu’elles exercent sur un vaste bassin d’étudiants, et conforte les universités en régions et les universités majores occupant un champ étendu du savoir et des professions. Mais est-ce la formule qui permettra aux Franco-Québécois de combler leur retard de scolarisation universitaire ? On peut en douter. Le taux de diplomation universitaire des francophones du Québec de 25 à 34 ans traîne toujours de la patte devant celui des Anglo-Québécois, malgré trois décennies de progrès. En 2004, les probabilités d’obtenir un diplôme de premier cycle étaient d’environ 31 % au Québec, alors qu’elles se situent à 38 % pour l’Ontario et à 33 % pour l’ensemble canadien. Selon une étude de l’OFLQ, la part des étudiants de langue maternelle française est tombée de 78,9 % à 72,2 % dans le réseau universitaire québécois de 1986 à 2003, cette part demeurant stable pour les étudiants de langue maternelle anglaise et doublant pour les étudiants de langue maternelle tierce. Aucun indicateur ne laisse penser que le système Air Transat permettra de combler ce retard toujours persistant chez les francophones. Bien au contraire, c’est un système qui rétribue le magnétisme des universités anglophones, sans donner aux universités francophones des moyens particuliers grâce auxquels elles pourront attirer des étudiants des classes les moins scolarisées, et ainsi relever le taux de scolarité des Franco-Québécois. On peut certes se féliciter de l’attraction et du succès des universités anglophones du Québec, mais n’oublions pas qu’à l’engouement des francophones et allophones pour l’enseignement universitaire anglophone correspond un piètre intérêt des anglophones pour l’enseignement en français. Le jeu d’attraction entre universités anglophones et francophones est essentiellement asymétrique. A-t-on déjà vu une société où une majorité traite mieux sa minorité qu’elle ne se traite elle-même ?
Le système « « Air transat » » est aussi une parodie de social-démocratie. La social-démocratie, c’est Robin des Bois déguisé en grand argentier de l’État : prendre aux plus riches pour redonner aux plus pauvres. La formule « Air Transat », c’est prendre aux plus riches pour redonner à la classe de la société québécoise qui est déjà la plus scolarisée et plus fortunée, dans des proportions qui vont très au-delà du poids démographique de cette population.
Le système « Air Transat », c’est aussi une formule de répartition de la richesse collective qui encourage la dispersion des efforts déployés par les universités en vue de collecter la plus grande part possible de la manne étatique. Cette dispersion a pris au cours des dernières années des dimensions aberrantes, avec la création d’antennes universitaires extraterritoriales, dont les exemples les plus patents sont la construction d’un campus de l’Université de Sherbrooke aux abords du métro de Longueuil ou l’ouverture d’une succursale de l’Université du Québec en Outaouais à Saint-Jérôme. À quand l’université Laval à Montréal, ou l’université du Québec en Abitibi-Témiscamingue à Québec ? Il est clair que le maintien de la formule « Air Transat » conduit au saupoudrage de ces antennes sur le territoire québécois et non vers la constitution d’universités possédant une cohérence territoriale, au risque de créer des dédoublements inutiles de programmes et une course effrénée à la captation d’étudiants dont les effets bénéfiques tiennent de la gageure théorique. Cet éparpillement de l’offre de programmes universitaires traduit en fait l’incapacité de l’État québécois jusqu’ici d’être l’initiateur d’un projet structurant de développement universitaire, du fait qu’il s’interdit de faire naître au Québec une autre grande université francophone.
L’alliance universitaire anti-montréaliste
L’indifférence compassée qu’on observe dans la communauté universitaire québécoise à l’égard du triste sort réservé à l’UQAM est en elle-même un curieux phénomène à expliquer. Les initiés de la formule « « Air transat » » connaissent très bien les multiples asymétries et rentes de situation qu’elle institue en faveur des universités bien établies dans le réseau. La question du sous-financement de l’UQAM est assez ancienne et semble avoir été mise sous le boisseau par les recteurs de la CRÉPUQ. L’hypothèse que l’on peut formuler, qui nous oblige à toucher à l’un des grands tabous de la politique québécoise, est qu’il existe dans le monde universitaire québécois, comme dans d’autres milieux d’ailleurs, une coalition anti-montréaliste qui défend jalousement ses intérêts. Il est frappant de constater, dès qu’on l’on sort de la bulle montréalaise, comment est répandue l’idée que Montréal écrase le reste du Québec par sa domination à tous égards qui lui conférerait un avantage indu dans la répartition de la richesse et du pouvoir politique. C’est à croire que Montréal serait la capitale politique d’un Québec indépendant et unitaire, alors que c’est en fait une métropole périphérique sans pouvoir, gouvernée par trois capitales, Québec, Ottawa et Toronto. Au sein du réseau universitaire québécois, l’équilibre des pouvoirs entre les universités est subtil ; Montréal détient effectivement une part importante, avec ses deux universités majores, mais la division linguistique crée deux univers distincts qui branchent ainsi les universités anglophones sur le monde anglo-américain et les universités francophones sur le modeste bassin québécois. Mais la symétrie n’est pas parfaite, bien que minor, Concordia est une vieille université qui possède quelques programmes lourds, tel que le génie. Au contraire de l’UQAM qui est ligotée par son affiliation à l’UQ, elle a les coudées plus franches et connaît depuis quelques années une prospérité immobilière sans précédent. En dehors de Montréal évoluent deux universités majores francophones, Laval et Sherbrooke, à l’essor desquelles l’État québécois veille au grain, par souci d’équilibre régional. Une relation presque filiale unit le MÉLS à l’université Laval, assurée de son quasi-monopole de l’offre d’enseignement universitaire dans la région de la « capitale nationale ». Le maire, l’État et le rectorat de l’université Laval peuvent partager la même vision du développement de l’université sans trop buter sur les divisions partisanes ou linguistiques. Même alignement favorable des astres politiques pour l’Université de Sherbrooke, élue d’entre toutes par le gouvernement « estrien » de Jean Charest qui lui a fait un pont d’or financier pour construire à Longueuil une succursale qui dispensera aux étudiants de la rive sud de traverser le fleuve dans des domaines de formation où l’offre de cours montréalaise était déjà assurée. Puis vient le réseau de l’Université du Québec, avec ses divers constituantes et écoles couvrant presque toutes les régions du Québec, qui fonctionne avec un parti pris déclaré en faveur du développement des études universitaires en régions, objectif certes louable en soi qui s’est réalisé toutefois au prix de l’abaissement de l’UQAM et des étudiants qui la fréquentent, pour une bonne part issus de l’est montréalais. Le problème est que tout relèvement de l’UQAM implique qu’on remette en cause les équilibres existants : les subtils équilibres (ou déséquilibres) montréalais ; les équilibres (ou déséquilibres) régionaux. Ces derniers équilibres semblent trouver satisfaction par la formule « Air Transat » dans la mesure où les intérêts de l’oligopole mont-royaliste McGill-Montréal ne s’en trouvent pas affectés.
Portrait d’une université minor et pauvresse
Avec ses 41 000 étudiants, dont 16 % aux cycles supérieurs, 48 % à temps partiel et composés à 62 % de femmes, l’UQAM pourrait faire figure de succès populaire, si l’on regardait tout le chemin parcouru depuis sa fondation en 1969. Cependant, la composition de sa clientèle, les créneaux du savoir qu’elle a occupés et les multiples contraintes engendrées par la formule de financement des universités ont mis l’UQAM dans une situation difficile de sous-financement chronique qui la désavantage à l’égard des autres universités dans le néo-marché québécois des études supérieures. Disons, pour simplifier, que l’UQAM est devenue une université de sciences sociales, de droit, d’arts, de gestion, tentant péniblement de se donner une faculté des sciences. Point de grandes facultés professionnelles comme la médecine, l’art dentaire, la médecine vétérinaire, les sciences infirmières, le génie, l’optométrie, la foresterie, l’agronomie, point de certaines grandes disciplines des sciences naturelles comme la géologie ou la physique (l’UQAM a déjà eu un département de physique, qu’elle a dû néanmoins fermer.) En somme, l’UQAM est faite principalement de facultés papivores qui, dans l’esprit des gestionnaires de la politique universitaire québécoise, méritent un apport financier aussi léger que les feuilles que ces facultés « critiques » sont censées dévorer.
Le rapport remis en février 2008 par la firme PricewaterhouseCoopers permet de voir plus clair dans la situation précaire de l’UQAM. Il indique très précisément les divers facteurs qui défavorisent l’UQAM dans l’obtention d’un niveau de financement juste et approprié à ses besoins. Malgré sa mission restreinte, l’UQAM réussit à attirer 21 % de plus d’étudiants que la moyenne des autres universités présentes à Montréal. Cela s’explique par son très grand nombre d’étudiants à temps partiel, 48 % pour tous les cycles, ou 29 % des effectifs calculés en EEETP. Or, constate la firme comptable, les étudiants à temps partiel engendrent des coûts supérieurs à leur poids calculé en EEETP, notamment en ce qui touche les services aux étudiants. Le faible pourcentage des étudiants des cycles supérieurs la prive aussi d’un financement majoré. Ses 16 % d’étudiants des cycles supérieurs ne font pas le poids devant la moyenne des universités montréalaises (22,2 %), en particulier devant McGill (24 %), l’Université de Montréal (26,1 %), ou devant l’Université de Sherbrooke (35,8 %), si l’on sort de Montréal.
Elle est, on s’en doute, pourvue d’un corps professoral restreint (990 professeurs), légèrement supérieur à celui de Concordia, mais nettement sous la moyenne montréalaise (1578). Cette limitation se reflète par divers ratios révélateurs. Ainsi, l’UQAM a un ratio chargé de cours/professeur trois fois plus grand que le ratio moyen des universités montréalaises, soit un rapport de 1,83 chargés de cours par professeur, alors que le ratio est de 0,68 à Montréal, et à peine de 0,22 à McGill. Il ne faut donc pas s’étonner que l’UQAM ait le plus grand nombre de chargés de cours en nombre absolu. Elle a le deuxième plus haut ratio d’étudiants à temps plein/professeur, après Concordia. Les auteurs du rapport notent que ces chiffres peuvent « indiquer un accès plus restreint des étudiants aux professeurs. »
Au chapitre de ses sources de revenus, l’UQAM possède visiblement des moyens limités qui la rendent très dépendante des subventions de l’État et des droits de scolarité. Ses fonds propres sont si minces, qu’elle tire un dérisoire 0,04 % de ses revenus des revenus d’intérêt et de placement. Les frais afférents qu’elle prélève des étudiants sont les plus faibles en dehors du réseau de l’UQ. Elle reçoit très peu d’argent des étudiants étrangers et des Canadiens non résidents au Québec, soit seulement 1,87 % de ses revenus, contre une moyenne montréalaise de 3,8 %, McGill arrivant en tête avec 7,5 %. Ce qui fait que l’UQAM dépend à 91,4 % des subventions de fonctionnement du MÉLS et des droits de scolarité, contre une moyenne montréalaise de 84,5 % (81,2 % à Concordia, 75,5 % à McGill et 89,0 % à l’UdM).
Le tableau ne s’améliore guère quand on observe la pondération des effectifs calculés en EEETP suivant le dosage disciplinaire, les grandes facultés professionnelles recevant une pondération supérieure à 1, les autres, une pondération inférieure à 1. Ainsi, l’UQAM obtient le plus faible ratio de pondération des EEETP, soit 82 %, contre 84 % pour l’UQ et Concordia, 1,17 pour McGill et 1,18 pour l’UdM. La masse salariale de l’UQAM compte parmi les plus faibles du réseau universitaire québécois, qui se situe à 81 % de celle de la moyenne du réseau universitaire québécois et à 77 % de celle de sa voisine de l’Université de Montréal. C’est sans surprise non plus qu’on apprend que les salaires des professeurs de l’UQAM sont une aubaine. Ainsi, le salaire maximal d’un professeur titulaire uqamien est le plus bas comparativement à celui de ses homologues des universités montréalaises et des universités Laval et de Sherbrooke. En 2007, le salaire maximal d’un professeur titulaire uqamien valait 95,4 % de celui de l’université Laval, 91,9 % de celui des universités de Sherbrooke et de Montréal, et 85,6 % de celui de Concordia. De plus, le salaire moyen des professeurs de l’UQAM, toutes catégories confondues, était de 9,66 % inférieur à de celui de leurs homologues de l’UdM, et légèrement inférieur à la moyenne québécoise, malgré l’âge moyen plus avancé des professeurs uqamiens.
Au chapitre des infrastructures, point d’éclaircie non plus. Ainsi, si on la compare aux grandes universités québécoises, l’UQAM décroche un ratio EEETP/espace en m2 défavorable, le deuxième plus élevé après celui de Concordia. Pourtant, observe la firme comptable, c’est l’université qui gère avec le plus de doigté les espaces administratifs et de bureau. La firme souligne également le fait qu’avec l’inauguration prochaine de nouveaux pavillons à Concordia, l’UQAM va vite se découvrir la plus mal lotie des universités québécoises. Bien que cette dernière se classe parmi les meilleures pour l’optimisation des bibliothèques et des laboratoires d’enseignement, les dépenses qu’elle a pu consacrer au fonctionnement des bibliothèques est médiocre, soit 4,3 % de son budget, contre 5,5 % en moyenne. Ce qui fait que pour la période 2001-2005, l’UQAM a dépensé au chapitre des acquisitions documentaires 38 % de ce que les grandes universités québécoises (sans l’UQAM) ont dépensé en moyenne. Une misère. Selon des statistiques de la CRÉPUQ, même Concordia est parvenue à dépenser plus pour les ressources documentaires de ses bibliothèques que l’UQAM en 2005-06, dont le budget à ce chapitre valait à peine 31 % de celui de McGill et 34,7 % de celui de l’Université de Montréal. Ces données reflètent parfaitement le désarroi de nombreux professeurs de l’UQAM qui, faute de pouvoir compter sur des collections documentaires appropriées, renvoient leurs étudiants aux bibliothèques de McGill et de l’Université de Montréal, quand ce ne sont pas ces professeurs eux-mêmes qui fouillent les rayonnages de leurs consoeurs. On peut difficilement prétendre que la présence à proximité de la Grande bibliothèque supplée à cette lacune, car sa collection générale, héritière du fonds de la ville de Montréal, n’est pas de niveau universitaire, et sa collection nationale, certes très précieuse pour les études québécoises, n’est guère utile pour les études exigeant l’accès à la littérature mondiale.
Tenant compte de diverses distorsions engendrées par la formule générale de financement et de leur impact désavantageux sur l’UQAM, le comité d’experts indépendants formé par le recteur Claude Corbo pour se pencher sur cette question arrive à la conclusion qu’un rajustement à la hausse de subventions versées à cette université devrait être effectué. Le comité évalue à 28,1 millions $ ce montant, dont 19,1 millions $ devraient se traduire en subventions supplémentaires récurrentes.
De l’UQAM au CHUM : la loi silencieuse des deux majorités
Cette analyse faite du système québécois de financement des universités, on s’aperçoit vite que le critère déterminant, rédhibitoire, qui fait la différence entre une université major et une université minor, entre un établissement choyé par l’État et un autre qu’il négligerait est la possession ou non d’un secteur médical. C’est là le facteur qui départage la noblesse universitaire et de la roture papivore. Le poids du secteur médical dans l’avenir d’une université québécoise est tellement énorme que le comité d’experts indépendants chargé d’étudier l’impact de la formule actuelle de financement universitaire sur l’UQAM a recommandé à la ministre de compenser par des ajustements les distorsions inéquitables que créerait la hausse projetée des inscriptions dans les facultés de médecine du Québec.
La tragicomédie qui a entouré le projet de construction d’un grand hôpital universitaire francophone à Montréal (CHUM), aux côtés d’un grand hôpital universitaire anglophone in Montreal (CSUM), tous deux financés par les fonds publics, a quelque lien avec le drame uqamien. Il y a dix-sept facultés de médecine au Canada, dont seulement trois qui sont francophones. La Faculté de médecine de McGill, qui est la locomotive de l’université, forme les médecins qui serviront le réseau anglo-québécois ou pratiqueront ailleurs au Canada ou aux États-Unis. La présence de deux facultés de médecine à Montréal reproduit la quasi-symétrie existante entre universités francophones et universités anglophones dans la métropole. Ce sont deux mondes, deux bulles, deux réseaux qui coexistent sur la même île. Les universités et les hôpitaux à Montréal partagent la ville entre deux hémisphères qui se parlent peu, comme un cerveau coupé en deux. Malgré le brassage de population entre Québécois de toutes provenances et de toutes langues observé à Montréal, la ville ressemble encore à un petit Berlin divisé par un mur mental et universitaire… En décidant qu’il y aurait à Montréal, sur une base linguistique, deux superhôpitaux universitaires et non un seul au service de deux facultés de médecine, le gouvernement Charest a décidé de reconduire cette antique division de Montréal entre deux mondes autonomes, presque souverains chacun dans sa sphère d’influence, sans retoucher l’équilibre des institutions de haut savoir dans la métropole.
Dans son ouvrage The Reconquest of Montréal8, l’urbaniste américain Mark Levine soutient que la législation linguistique adoptée par l’État québécois à partir de la fin des années 1960 a transformé le visage de Montréal. Longtemps partagée entre deux majorités qui se tournaient le dos, la métropole serait devenue une ville à prépondérance francophone. La situation des universités francophones au Québec, et en particulier à Montréal, laisse plutôt penser que le règne des deux majorités montréalaises est loin d’être terminé. La loi 101 a sans doute augmenté la surface de visibilité du français dans l’affichage public, redirigé une bonne part des enfants d’immigrants vers l’école française (du moins jusqu’au cégep) et rehaussé quelque peu l’estime que les Franco-Québécois avaient d’eux-mêmes. Mais là s’arrêtent les transformations accomplies sous le régime de cette loi. Une autre loi, la loi des deux majorités linguistiques à Montréal, continue toujours de déployer toute sa vigueur, quand bien aucune loi de l’Assemblée nationale ne l’énoncerait. Aucun gouvernement québécois, qu’il fût libéral ou péquiste, n’a osé remettre en question la force de cette loi de symétrie. Lorsque les deux superhôpitaux étendront leurs ailes sur leur immense campus urbain, ce sera deux sanctuaires techno-médicaux que le Québec aura érigés afin de consacrer pour les générations à venir la pérennité de cette loi silencieuse, gravée dans des tonnes de béton, d’acier et d’appareils de pointe.
Ce n’est pas que l’État québécois n’eût pas théoriquement les moyens de faire autrement. Depuis 1999, pour faire face à la pénurie appréhendée de médecins au Québec, il a annoncé le relèvement progressif des inscriptions dans les facultés de médecine québécoises. Près de 300 places ont été ainsi progressivement ajoutées9. Avec ce nombre, on aurait pu ouvrir une belle quatrième faculté de médecine francophone au Québec, attachée au réseau de l’UQ ou strictement à l’UQAM. Impensable ? Farfelu ? Les recteurs des universités du club médical (le club MED) prendraient-ils d’assaut le bureau du ministre de l’Éducation ? On imagine déjà quelques pages éditoriales huant copieusement cette idée contraire à l’orthodoxie du statu quo. Or, la situation actuelle est-elle moins abracadabrante ? Il y a tout lieu de croire que si dès les années 1970 ou 1980 l’État québécois avait voulu rompre avec la loi des deux majorités montréalaises et ouvrir sur l’île ou sur une rive une autre faculté de médecine francophone, nous serions peut-être aujourd’hui dans une tout autre situation, loin du foutoir du CHUM et de la déconfiture de l’UQAM. Toutes nos grandes universités ont été le fruit de l’initiative privée ou de l’Église, aucune n’est née encore de notre petit État.
Mort lente programmée de l’UQAM ou renaissance ?
Derrière une formule de financement des universités prétendument objective se cache au fond une politique des universités au Québec, une petite politique en fait, pas très glorieuse, sans cesse soustraite au débat public, qui ne se résout pas à la considération de données comptables. À vrai dire, la question qu’il faut se poser c’est si une société qui prétend accueillir un grand nombre de nouveaux arrivants et les intégrer à la langue et à la culture de la majorité peut se contenter d’une université et demie dans sa métropole où vivent et étudient la plus grande part de ces nouveaux Québécois. Montréal est le « réacteur » de l’intégration, qui fonctionne cependant à petit régime, qui ira s’amenuisant si l’UQAM, déjà abattue par sa crise financière, en sortira rapetissée, avec moins d’étudiants, moins de programmes, moins de talents pressés d’y travailler. Dans l’esprit du gouvernement Charest, il semble que le saupoudrage d’antennes universitaires en régions et sur la rive sud montréalaise compensera sans peine le rapetissement de l’UQAM dans le quatuor universitaire montréalais. Tout un pari, toute une politique. Comme le rappelle le rapport annuel 2003-2004 de l’université, l’UQAM a été créée dans le but de combler le retard historique des francophones du Québec dans l’accès aux études supérieures. Belle intention fondatrice, aujourd’hui oubliée, si mal comprise, si mal défendue. Mes chers compatriotes, dites-vous que l’échec ou la renaissance de l’UQAM seront celui ou celle du Québec tout entier. q
Sources
Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec, Le système universitaire québécois : données et indicateurs, 2006, 101 p.
Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec, Les professeures et les professeurs dans les établissements universitaires québécois : faits saillants de l’Enquête sur le personnel enseignant de 2003-2004, 2005, 49 p.
Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec, Quelques données signifi-catives sur le système universitaires québécois, Avril 1996.
Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec, Statistiques générales des bibliothèques universitaires québécoises : 2005-2006. 28 août 2008, 133 p.
Conseil supérieur de l’Éducation, État du Québec, Recueil statistique en complément de l’avis. Des acquis à préserver et des défis à relever pour les universités. Avril 2008, 189 p.
Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université. Le financement universitaire au Québec : ébauche d’un état des lieux. Ensemble des universités québécoises. Février 2008, 145 p.
Heather Monroe-Blum, « Les universités : acteurs clés de l’économie mondiale », discours au Conseil des relations internationales de Montréal, 10 mars 2008, http://francais.mcgill.ca/principal/speeches/universities/.
Jean-Pierre Corbeil, « Le volet canadien de l’Enquête internationale sur l’alphabétisation et les compétences des adultes de 2003 (EIACA) : état de la situation chez les minorités de langue officielle », Statistique Canada – no 89-552, no 15.
Les diplômés de l’Université de Montréal, Les investissements universitaires Planification et coordination, Montréal, Éditions du jour, 1968, 155 p.
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, État du Québec, Politique québécoise de finan-cement des universités, 2000, 16 p.
Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, État du Québec, Règles budgétaires révisées et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec pour l’année budgétaire 2006-2007, mai 2007.
Office de la langue française du Québec, État du Québec, La langue d’enseignement : indicateurs pour l’éducation préscolaire, l’enseignement primaire et secondaire, le collégial et l’université, fascicule 4, mars 2008.
PricewaterhouseCoopers, UQAM, Rapport définitif sur la situation financière et plan de redressement, février 2008.
Rapport du Comité d’experts indépendants chargé d’examiner la formule de financement des universités québécois et son impact sur l’UQAM, 26 juin 2008, 43 p.
Université du Québec à Montréal, Rapport annuel 2003-2004.
1 Il est significatif de noter que l’État québécois a été incapable de donner aux universités qu’il a créées depuis la Révolution tranquille de vrais noms. UQAM, UQAC, UQAT, UQO, ÉNAP, etc, tous ces acronymes bureaucratiques témoignent de l’incapacité d’une collectivité d’associer ses institutions de haut savoir au génie d’un lieu, d’un fondateur, d’un créateur, d’un homme d’État, d’un grand savant ou d’une idée universelle. Pourquoi pas une université Marie-Victorin, Papineau ou Daniel-Johnson ? Cela vous fait rire ? Pourtant, tous ces acronymes sont à pleurer…
2 Environ 112 millions de ces transferts récurrents seront affectés aux universités. Seulement 60 millions de cette somme seront redistribués par la formule générale de financement des universités.
3 M. Legault a été administrateur et fondateur du voyagiste Air Transat.
4 Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. Notez le glissement de la société du savoir à celle du loisir, claironnée dans l’intitulé même d’un ministère d’État.
5 Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec.
6 Nous incluons dans ce calcul les effectifs et le budget de fonctionnement de l’École de technologie supérieure, et ceux des écoles affiliées à l’Université de Montréal.
7 Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.
8 En version française, Mark Levine. La reconquête de Montréal. Montréal : VLB éditeur, 1997, 404 p.
9 Selon un rapport du Sénat français (il faut passer par là pour savoir ce qui arrive au Québec), le nombre des étudiants de première année en médecine est passé au Québec de 512 en 1999-2000 à 810 en 2006-2007.
* Professeur, département de science politique, UQAM