La sévère défaite électorale subie par le Parti québécois n’est pas la défaite du projet indépendantiste. Il ne faut pas confondre la finalité et l’outil. Ce dernier peut s’émousser, mais l’autre rester nécessaire. Faut-il rappeler à cet égard qu’après l’échec du référendum de 1980, le soutien à la souveraineté était tombé tellement bas que les maisons de sondage ne posaient même plus la question ? Dix ans plus tard, avec l’échec du lac Meech, l’appui à la souveraineté atteignait 70 %. Il faut aussi savoir qu’à chaque défaite du Parti québécois, des gens qui nous veulent du bien proclament la mort de la souveraineté. Certes, un échec est démoralisant, mais la démocratie a ceci de merveilleux qu’on peut se reprendre à la prochaine élection.
La vie des partis politiques est traversée de victoires et d’échecs et ils réussissent habituellement à apprendre de leurs erreurs et à retrouver le chemin de la victoire. Rappelons à cet égard le cuisant désastre électoral du Parti conservateur en 1993 qui s’est retrouvé avec deux députés et 16 % des votes ou encore celui des libéraux fédéraux en 2011 qui ont perdu leur statut d’opposition officielle et se sont retrouvés en troisième position derrière le NPD. Alors, pourquoi dramatiser les résultats du 7 avril et faire un lien entre cette débâcle et la fin de l’indépendance ? Ceux qui jouent les Cassandres ne prennent-ils pas leurs angoisses pour des faits acquis ?
Analysons plutôt froidement les divers facteurs qui peuvent expliquer le comportement électoral des Québécois. On a trop souvent tendance au Québec à absolutiser notre situation et à penser que nous sommes seuls au monde. Il faut plutôt prendre du champ et relativiser ce qui nous arrive pour faire une lecture plus juste de la réalité.
Je n’ai pu m’empêcher le 7 avril en voyant les résultats de penser aux élections municipales françaises qui ont eu lieu à la fin de mars et qui furent remportées par la droite et l’extrême droite au détriment du Parti socialiste. Là aussi, on a parlé de claque des électeurs au parti gouvernemental. Et pourtant la droite française était plombée par des scandales à répétition qui ont laissé les électeurs indifférents, ceux-ci ayant fait confiance à ceux qu’ils avaient rejetés en 2012 comme si leur mémoire avait été anesthésiée.
Depuis une vingtaine d’années, les électorats dans les démocraties avancées sont de plus en plus infidèles ou comme on dit versatiles. Les électeurs changent leurs votes d’une élection à l’autre et ils changent même d’intention de vote durant les campagnes électorales. Ce phénomène amplifie l’importance des facteurs à court terme. Les événements qui se produisent durant les trente jours que dure la campagne influencent le choix électoral. Cette tendance s’est révélée dans le passé à l’occasion des débats télévisés où la performance d’un chef a réussi à faire bouger des segments significatifs de l’électorat comme cela s’est produit en 1984, en 1988 et en 1993 aux élections fédérales. Il semble bien que les performances de Françoise David au débat de 2012 et celle de François Legault à celui de 2014 leur ont mérité un afflux de votes.
Les électeurs modifient donc leurs intentions de vote en fonction des messages qu’ils reçoivent et de la dynamique de la campagne. Ces mouvements de bascule ont été nombreux en 2014 comme le montre le graphique suivant établi par Claire Durand[1] qui a compilé dans le temps la moyenne des sondages réalisés sur les intentions de vote. Il y a eu une croissance de 5 points dans les intentions de vote en faveur du Parti libéral entre le début et la fin de la campagne, la CAQ a elle aussi connu une croissance importante de 8 points principalement dans les derniers jours de la campagne alors que le Parti québécois a perdu quant à lui 10 points de pourcentage récoltant un maigre 25 % des votes alors qu’il était crédité de 35 % des intentions de vote au début de la campagne.
Figure 1 : Évolution des intentions de vote depuis janvier 2014, répartition non proportionnelle des discrets
Tous ces changements d’allégeance partisane n’ont rien à voir avec le projet d’indépendance du Québec puisque QS qui adhère à cet objectif dans ses discours a connu une légère croissance de ses appuis et que les mêmes sondages réalisés durant la campagne évaluaient à environ 40 % le soutien à la souveraineté. Il est donc évident que ces électeurs n’ont pas tous voté ou qu’ils ont voté pour des partis qui ne représentaient pas leur option. Il faut donc expliquer ces variations et le résultat final comme des effets de la campagne et des stratégies de communication des partis.
Il y a deux règles d’or qui doivent gouverner la communication politique. Une campagne électorale se gagne ou se perd en fonction de la capacité des partis à contrôler la définition des enjeux les plus importants et à imposer les critères d’évaluation utilisés par les électeurs pour juger les politiques et les chefs des partis. De toute évidence, le Parti québécois n’a pas réussi à mettre ses enjeux à l’ordre du jour de la campagne, il a été nettement dominé par la stratégie de dénonciation du Parti libéral. Le Parti libéral jouait la carte de la clarté de ses positions alors que le Parti québécois s’empêtrait dans ses contradictions idéologiques.
Le Parti québécois n’a pas été en mesure non plus de tirer profit sur le bilan de son action gouvernementale qui fut erratique en raison de ses reculades sur certaines de ses promesses électorales de 2012. La gestion mi-chair mi-poisson des frais de scolarité, le maintien de la taxe santé, la hausse des tarifs d’électricité qui entrait en vigueur durant la campagne, le feu vert donné au projet de pipeline et à l’exploitation du pétrole de l’île Anticosti contredisaient ses discours écologistes antérieurs et n’ont en rien fait pour stimuler la confiance des électeurs surtout chez les jeunes particulièrement sensibles à ces questions.
Nous pensons que la principale cause de la défaite du Parti québécois se trouve dans ses incohérences et ses tergiversations. Un parti ne peut jouer indéfiniment double jeu sans encourir un jour ou l’autre la sanction de méfiance des électeurs. Pour être jugé apte à gouverner, un parti doit inspirer la confiance. C’est l’objectif de toute communication électorale, car le citoyen doit donner son vote à un parti qui prendra des décisions pour l’avenir. Il a besoin de certitudes quant aux conséquences de l’élection du prochain gouvernement. Il peut utiliser deux indicateurs de confiance : la stabilité idéologique du parti et la conformité entre ses engagements et ses actions gouvernementales. Les citoyens ne peuvent donner leur confiance à un parti qui par un électoralisme à courte vue, joue avec son idéologie et la fait varier selon les conjonctures électorales pour rallier des segments de l’électorat qui se situent plus à gauche ou plus à droite de l’échiquier politique. Le PQ à cet égard s’est lourdement trompé en se rapprochant des positions de droite sur le plan social ou identitaire pour séduire les électeurs de la CAQ. Il aurait selon une analyse de François Pétry de l’Université Laval[2] adopté un positionnement encore plus à droite que celui du Parti libéral, ses stratèges pensant par ses ambiguïtés idéologiques séduire les électeurs de la CAQ.
À cet égard, il n’a par exemple convaincu personne en proposant en fin de campagne des baisses d’impôts lorsque le déficit serait effacé alors que quelques semaines avant les élections, il justifiait l’augmentation du déficit pour soutenir la croissance économique. On ne peut en quelques semaines dire une chose et son contraire. Même si en toute logique il n’y a pas nécessairement contradiction entre ces propositions, il est inévitable que les partis d’opposition en profiteront pour attaquer la crédibilité de ce virage. Ils exploiteront les apparences de contradiction ou d’opportunisme.
Le même syndrome s’est produit sur la question de l’intégrité qui aurait dû être un des points forts du bilan péquiste qui avait dans l’opposition réclamé une commission parlementaire et qui a adopté plusieurs réformes pour assainir le financement des partis politiques. Encore une fois la communication a dérapé et le PQ a été incapable de capitaliser sur son bilan gouvernemental, car en fin de campagne Radio-Canada a diffusé des affidavits anonymes mettant en cause l’intégrité de Pauline Marois et de son mari. Dans l’opinion publique on pouvait en conclure que le PQ n’était pas plus propre qu’un autre parti. Les coups bas sont légions en campagne et sont particulièrement efficaces en fin de campagne lorsqu’il est trop tard pour corriger les faits. Même si on peut penser que cette opération a été téléguidée, il est impossible d’associer le PLQ à cette manœuvre ce qui est du grand art. À ce chapitre, le Parti québécois n’est pas en reste et a lui aussi attaqué la réputation personnelle de ses adversaires. C’est une autre erreur stratégique pour un parti au Québec de s’associer directement à la négativité, car les Québécois sont réfractaires aux attaques personnelles qui ont cours chez nos voisins américains.
Le Parti libéral a martelé dans ses discours son obsession pour l’économie et la création d’emplois afin de montrer aux Québécois que s’ils les élisaient, ils leur procureraient plus de bénéfices et moins d’incertitude. Ils tentaient de capitaliser sur la supposée faiblesse du PQ en ce domaine qui, il faut bien le reconnaître, n’était pas servi par la conjoncture puisque le Québec avait connu depuis plusieurs mois des pertes consécutives d’emplois à temps complet. La légère embellie des derniers jours n’a pas été suffisante pour corriger la perception d’un gouvernement inapte à créer des emplois. Les libéraux ont matraqué l’opinion publique avec leurs critiques de la gestion du Parti québécois. Ils se présentaient comme un parti qui allait s’occuper des vraies affaires alors que le PQ s’occupait de fomenter les chicanes et les divisions sur des questions symboliques qui n’apportaient rien de concret aux Québécois. François Legault joignait sa voix à celle des Libéraux pour enfoncer le clou de l’incompétence économique du gouvernement Marois. Cette convergence des critiques libérale et caquiste ne pouvait que renforcer cette perception négative de la gestion économique du Parti québécois, cette vision étant aussi accréditée par la comparaison entre les équipes économiques du PLQ et du PQ, pléthorique dans un cas et anémique dans l’autre.
Le recrutement de Pierre Karl Péladeau chamboulait la stratégie libérale en invalidant les accusations d’incompétence économique. Un des hommes d’affaires qui a le mieux réussi au Québec prenait fait et cause pour l’indépendance du Québec ce qui mettait K.O. les arguments de peur concernant les effets économiques de l’indépendance. Son entrée en politique pouvait aussi devenir contagieuse et inciter d’autres hommes d’affaires à sortir de leur mutisme. Les partis adverses de gauche comme de droite ont immédiatement mis en place des contre-feux en organisant une campagne de dénigrement, soit en dénonçant son antisyndicalisme, soit en mettant en question la légitimité de sa candidature au nom de la liberté de la presse. Son engagement réveilla aussi les sentiments anti-Québec dans le reste du Canada où on a bien compris l’importance stratégique de l’entrée en politique d’un homme qui pouvait inspirer confiance aux Québécois et accréditer la pertinence économique du projet indépendantiste. Mais ce qui aurait dû devenir un coup de maître s’est transformé en fiasco. La profession de foi indépendantiste du candidat Péladeau a été interprétée comme un changement de cap stratégique du Parti québécois qui mettait désormais le projet indépendantiste à l’ordre du jour. La campagne électorale devenait pour le Parti libéral une campagne référendaire, l’élection du PQ allait inexorablement conduire à un référendum.
Pourtant le discours de M Péladeau n’avait rien d’exceptionnel ou d’inédit. Il est normal qu’un candidat qui se présente pour le Parti québécois affiche sa détermination à vouloir bâtir un pays, après tout le Parti québécois se définit comme un parti souverainiste. Il faut à cet égard rappeler que M. Parizeau avait dit essentiellement la même chose aux élections de 1989 : il était entré en politique pour une seule raison, faire la souveraineté du Québec. Pourquoi ce qui aurait dû être considéré comme une évidence a-t-il déclenché un déferlement de haine ?
Cette question nous mène à la contradiction fondamentale du Parti québécois. Au lieu d’être perçue comme un renforcement de l’équipe économique péquiste et d’annuler la campagne de peur menée par les libéraux, l’annonce servit aux libéraux pour enfourcher le cheval de bataille de la peur du référendum. La déclaration de M. Péladeau provoqua une onde de choc parce qu’elle entrait en contradiction avec la stratégie péquiste qui consistait à ne pas parler de souveraineté, à taire l’option pour se faire élire comme gouvernement provincial. Comme il était difficile de rabrouer publiquement un candidat aussi prestigieux qui assumait l’option fondamentale de son parti, on en revint, après quelques jours de confusion, au plan de match initial en confinant le candidat vedette au territoire de l’économie. Madame Marois tenta de ramener sa campagne dans l’ornière du provincialisme en déclarant qu’il n’y aurait pas de référendum tant que les Québécois ne seraient pas prêts et qu’entre temps elle gouvernerait dans l’intérêt supérieur du Québec comme si cela était possible avec les contraintes du fédéralisme canadien. Ce raisonnement était pour le moins contradictoire avec la nécessité de faire l’indépendance. Mais le mal était fait. Encore une fois, le Parti québécois tenait un double discours qui justifiait ses adversaires de dénoncer un agenda caché et de faire comme si l’enjeu de la campagne était l’accession à l’indépendance. Cette tactique fonctionne parce que le PQ, en refusant de défendre son option, accrédite l’idée que l’indépendance pourrait être catastrophique. Encore pire, en se positionnant comme un simple parti voué à la gouvernance provinciale dans le cadre du fédéralisme, il accrédite aussi l’idée que l’indépendance n’est pas nécessaire puisqu’on peut comme gouvernement provincial presque tout faire pour le progrès du Québec. Comment alors convaincre les Québécois de voter pour un parti qui fuit son propre objectif et qui manque tellement de confiance en son projet ? Comment faire la pédagogie de l’indépendance si on n’ose jamais critiquer le régime fédéral ? Comment endiguer les campagnes de peur des adversaires si on agit comme si on avait soi-même peur de défendre son option ? Pourquoi les Québécois soutiendraient-ils un projet que les leaders souverainistes ne veulent pas assumer avant pendant et après les élections ? Un peu de cohérence et de franchise aurait sans doute permis d’obtenir un meilleur résultat.
La défaite du Parti québécois n’est pas la défaite du projet de pays comme on tente de nous le faire croire, mais celle de la stratégie du bon gouvernement ou de la gouvernance souverainiste. Les Québécois ont été plus convaincus par les arguments des partis fédéralistes que par les têtes à queue idéologiques du Parti québécois qui entretient l’ambiguïté, qui tergiverse et qui ne propose pas de choix clair pour l’avenir. Il faut souhaiter que le Parti québécois apprenne de ses erreurs et que cette défaite l’oblige à revoir son positionnement. Il ne peut plus entretenir la confusion des genres et il devra choisir entre le nationalisme et l’indépendantisme[3]. On ne peut reprocher au peuple de se défausser lorsque ses dirigeants s’évadent de leur responsabilité historique et se montrent pusillanimes.
[2]Le Devoir 2 avril 2014.
[3]Voir à ce propos Denis Monière, « Nationalisme et indépendantisme : de la convergence à la contradiction », L’Action nationale, juin 2013, p. 107-123. Voir aussi Le devoir de cohérence, Montréal, Éditions de L’Action nationale, 2013, 144 p.