Docteur en histoire
Cinquante ans après la disparition de Hector Fabre, qui avait occupé le poste d’agent général de la Province de Québec en France, de sa nomination en 1882 à sa mort en 1910, l’ouverture de la Délégation générale du Québec à Paris, à l’initiative de Georges-Émile Lapalme, a permis de renouer les liens politiques entre les deux gouvernements1. Lors de son séjour à Paris pour présider à l’inauguration de la représentation québécoise en octobre 1961, le premier ministre Lesage est reçu à l’Élysée, où de Gaulle lui fait part de son désir de renforcer les relations dans tous les domaines avec le Québec2.
Comme le démontre cet article, la coopération franco-québécoise, qui s’amorce en 1965 avec la signature des premières ententes bilatérales dans le domaine de l’éducation et de la culture, va connaître une accélération importante après la visite du général de Gaulle au Québec en 1967
La signature des premières ententes de coopération en 1965
De part et d’autre de l’Atlantique, la volonté commune affichée par les gouvernements d’accroître leurs échanges permet l’élaboration des premiers programmes de coopération. En novembre 1963, André Malraux effectue un voyage au Québec, pour visiter l’Exposition industrielle et commerciale française. Pendant ses entretiens avec les membres du gouvernement québécois, Malraux évoque l’organisation d’échanges culturels entre les deux États3. Dans le domaine de l’éducation, le ministre Paul Gérin-Lajoie entend également solliciter l’aide de l’Hexagone. Dans un système scolaire en pleine refonte « où les lacunes, notamment quant aux techniques étaient criantes, la collaboration de la France pouvait faire épargner des années d’efforts au Québec. Celle-ci pouvait, par exemple, lui envoyer tout de suite des spécialistes qui manquaient encore ici », se souvient Claude Morin4. Des discussions s’amorcent en juin 1964, à l’initiative de l’ambassadeur Bousquet, pour élaborer un accord gouvernemental de coopération. Au terme de huit mois de négociations, l’Entente entre le Québec et la France sur un programme d’échanges et de coopération dans le domaine de l’éducation est signée à Paris, le 27 février 19655. Aux côtés du ministre de l’Éducation nationale, Christian Fouchet, et de Jean Basdevant, directeur général des Affaires culturelles et techniques du Quai d’Orsay, Paul Gérin-Lajoie et le sous-ministre des Affaires fédérales-provinciales, Claude Morin, paraphaient la première entente internationale conclue par le gouvernement du Québec.
Dans le cadre de cette entente, les gouvernements s’engagent à développer aussi largement que possible les échanges d’étudiants et de professeurs d’université, grâce à l’octroi de bourses ou de missions de recherche. Dans le domaine de l’enseignement technique, il est prévu que 25 professeurs québécois bénéficient d’un stage de perfectionnement dans l’Hexagone. Une vingtaine d’experts français viendront au Québec pour des missions de courte ou de moyenne durée, notamment pour collaborer avec les comités de planification du MEQ et l’École normale de l’enseignement technique du Québec. Il est également convenu que 25 professeurs québécois enseignant dans des écoles normales seront accueillis pour un stage de neuf mois dans des établissements français. Enfin, pour veiller à l’application de ces mesures, le dernier point de l’accord annonçait l’instauration de rencontres régulières, organisées tantôt à Paris, tantôt à Québec, dans le cadre d’une commission permanente de coopération franco-québécoise.
Saluée par la presse au Québec, la signature de l’entente en éducation donne lieu aux premières frictions avec Ottawa. Le 12 avril 1965, Paul Gérin-Lajoie prononce un discours devant le corps consulaire de Montréal et affirme que dans tous les domaines relevant complètement ou partiellement de sa compétence, le Québec entendait désormais jouer « un rôle direct, conforme à sa personnalité et à la mesure de ses droits » sur la scène internationale. En dépit des tensions croissantes avec le gouvernement fédéral, soucieux d’affirmer sa primauté dans le domaine des relations internationales, le Québec et la France concluent un nouvel accord, dans le domaine de la culture. Le 24 novembre 1965, Pierre Laporte reçoit à Québec l’ambassadeur Leduc pour parapher l’Entente sur la coopération culturelle entre le gouvernement de la République française et du gouvernement du Québec. Les deux gouvernements, « conscients des liens historiques que leur communauté d’origine, de langue et de culture a créés », proclamaient leur désir de promouvoir la langue française et de développer leurs relations culturelles par la multiplication des échanges intellectuels, littéraires, artistiques et scientifiques.
La coopération, une priorité pour De Gaulle
Dès son élection, en juin 1966, le premier ministre Daniel Johnson fait part de son désir de poursuivre les échanges entrepris avec la France. En juillet, il délègue deux de ses conseillers, Paul Gros d’Aillon et Jean Loiselle, à Paris pour signifier aux autorités françaises sa volonté d’accentuer et d’étendre la coopération6. Dans les semaines qui suivent, Christian Fouchet puis Maurice Couve de Murville effectuent un séjour au Québec, et s’entretiennent avec le premier ministre.
En mai 1967, Johnson se rend dans l’Hexagone. Accueilli avec les honneurs traditionnellement réservés aux chefs d’État, le premier ministre s’entretient avec les principaux membres du gouvernement français. À l’Élysée, il réitère sa volonté d’intensifier la coopération franco-québécoise, notamment dans le domaine économique. Ces rencontres, qui s’effectuent dans un climat particulièrement chaleureux, donnent lieu à l’annonce de plusieurs mesures. Des fonctionnaires québécois auront ainsi la possibilité d’observer les travaux des organismes français chargés de la planification économique, et des stages seront offerts à des ingénieurs au Centre nucléaire de Saclay. Réciproquement, des techniciens français seront invités dans des centres de recherche d’Hydro-Québec. L’ouverture d’un institut culturel et technique du Québec à Paris est également évoquée7.
Pendant son voyage au Québec, en juillet 1967, de Gaulle fait de la coopération un thème central de ses allocutions. Aux yeux du président de la République, l’aspiration à la modernité et le développement économique que connaît le Québec constituent les prémisses de son émancipation politique. À l’hôtel de ville de Québec, le 23 juillet, de Gaulle déclare ainsi qu’il « s’affirme une élite française canadienne, de jour en jour plus active, plus efficace, mieux connue. C’est la base de tout, c’est l’essentiel. Tout le reste suivra ». Le soir, lors du dîner officiel, de Gaulle se félicite de la coopération instaurée avec le Québec :
N’est-il pas, par exemple, aussi encourageant que possible que les universités de Québec, de Montréal, de Sherbrooke, et les universités de France soient en relations régulières et que nous échangions en nombre croissant des professeurs, des ingénieurs, des techniciens, des étudiants ? N’est-il pas caractéristique que l’Hydro-Québec, votre puissante entreprise nationale, collabore directement avec l’Électricité de France, qu’il s’agisse de recherches, ou bien de l’utilisation des hautes tensions où vous êtes passés maîtres, ou bien de l’emploi de l’énergie atomique pour produire l’électricité, ou bien de la construction du gigantesque barrage de la Manicouagan ? N’est-il pas significatif que nous ayons décidé d’établir bientôt entre nous par le moyen d’un satellite spatial, un réseau français de communications, de radio, de télévision ?
Dans les domaines culturel, économique, technique, scientifique, comme dans l’ordre politique, l’action menée en France par la délégation générale du Québec, les contacts fréquents entre les gouvernements, mes entretiens avec vous même, Monsieur le Premier Ministre, hier à Paris, aujourd’hui ici, organisent notre effort commun d’une manière chaque jour plus étroite et plus fraternelle8.
Les mêmes thèmes sont repris par De Gaulle le lendemain, lors des allocutions tout au long du Chemin du Roy. À Donnacona notamment, de Gaulle affirme ainsi que pour soutenir « le développement, d’ailleurs magnifique, de tout le Québec, vous pouvez être sûrs que le vieux pays, que la vieille France apporte et apportera à la Nouvelle-France tout son concours fraternel ». Face à la foule massée devant l’Hôtel de Ville de Montréal, de Gaulle souligne « l’immense effort de progrès, de développement, et par conséquent d’affranchissement vous accomplissez ici et c’est à Montréal qu’il faut que je le dise, parce que, s’il y a au monde une ville exemplaire par ses réussites modernes, c’est la vôtre. Je dis c’est la vôtre et je me permets d’ajouter c’est la nôtre ». Il continue :
Si vous saviez à quel point [la France] se sent obligée à concourir à votre marche en avant, à votre progrès ! C’est pourquoi elle a conclu avec le gouvernement du Québec, avec celui de mon ami Johnson, des accords, pour que les Français de part et d’autre de l’Atlantique travaillent ensemble à une même œuvre française. Et, d’ailleurs, le concours que la France va, tous les jours un peu plus, prêter ici, elle sait bien que vous le lui rendrez, parce que vous êtes en train de vous constituer des élites, des usines, des entreprises, des laboratoires, qui feront l’étonnement de tous et qui, un jour, j’en suis sûr, vous permettront d’aider la France9.
Et de Gaulle de conclure son discours par « Vive le Québec libre ! ».
Dès son retour dans l’Hexagone, et malgré le tollé qu’il a provoqué, de Gaulle fait de la politique de coopération avec le Québec une priorité. L’action de la France doit être « d’envergure », affirme-t-il à ses conseillers, et doit concerner tous les secteurs d’activité, en particulier dans le domaine des technologies de pointe – spatiale, atomique, électronique10. Le 29 juillet, le président convoque Alain Peyrefitte, devenu quelques mois plus tôt ministre de l’Éducation nationale, et lui donne ses instructions :
Il faudrait que dans les quinze jours ou trois semaines vous vous rendiez au Québec. Nous avons fait une percée. Maintenant, il faut occuper le terrain. Je vous en charge. Les Québécois ont besoin de professeurs, d’instituteurs, de puéricultrices. Il faut qu’ils se remettent dans le circuit du français universel. Ils le souhaitent, mais ils n’en ont pas les moyens par eux-mêmes. Les ententes que nous avons signées avec eux ces dernières années vont dans le bon sens, mais c’est encore très insuffisant. Il faut leur prêter massivement nos enseignants, accueillir massivement leurs étudiants. C’est votre affaire. Il faut tout couvrir, l’éducation, la culture, la technique, la recherche scientifique, la jeunesse, la télévision. Et quand ce programme sera prêt, vous irez le présenter à Johnson11.
Ainsi mandaté par De Gaulle, Peyrefitte s’attelle à la préparation de ce nouvel accord de coopération avec Bernard Dorin, nommé conseiller diplomatique au ministère de l’Éducation nationale. Ardent partisan de la coopération avec le Québec, Dorin se voit confier la tâche d’élaborer des propositions qu’ils pourraient soumettre ensemble au gouvernement Johnson dès le mois de septembre : « Les Québécois auront réfléchi de leur côté et, en confrontant nos deux points de vue, nous arriverons à monter une coopération qui est voulue par les deux parties » lui déclara Peyrefitte12. Pendant l’été, Dorin élabore un programme ambitieux, comprenant une vingtaine de mesures, principalement dans le domaine de l’éducation. Désireux d’insuffler « une mutation véritable dans le rythme de croissance et le volume des échanges », Dorin propose d’augmenter le nombre des coopérants militaires et des cadres pédagogiques détachés en mission d’enseignement au Québec. Outre l’ÉNA, il demande d’élargir la présence de stagiaires québécois dans les grandes écoles, comme Centrale, Polytechnique, les Écoles des Mines, des Ponts et Chaussées ou l’École supérieure d’Agronomie. Il suggère l’octroi de 500 bourses à des étudiants québécois, avançant même l’idée que cette mesure soit étendue à 500 élèves de l’enseignement secondaire. Dorin propose également d’instaurer des jumelages entre des établissements scolaires français et québécois, afin d’entamer des échanges de professeurs du secondaire et de l’enseignement technique. Cette mesure devait permettre, selon lui, de maintenir « un flux permanent d’enseignants français pour assurer un certain “brassage” des deux populations », et instaurer un contact entre les formateurs des deux pays, propice à « une collaboration scientifique et technique, bénéfique autant aux uns qu’aux autres13 ».
Sur la base de ces propositions, un projet d’accord est rédigé et transmis aux autres ministères concernés. Le 23 août, Maurice Couve de Murville dresse devant le conseil des ministres un bilan des échanges en cours avec le Québec. À l’issue de cet exposé, de Gaulle réaffirme sa ligne de conduite : « Nous ne pouvons pas coopérer avec le Québec comme avec n’importe quel autre pays ; ce cas unique doit être privilégié. En plus, il nous faut aider les Québécois à se constituer un État et une fonction publique ». Outre l’éducation, le président français appelle au développement de liens dans les secteurs de l’énergie atomique, de l’électronique, de l’informatique, de l’industrie aérospatiale. Le ministre de la Recherche scientifique, Maurice Schuman, propose d’intégrer le Québec parmi les utilisateurs du futur satellite européen de télécommunication Symphonie. Edgar Faure suggère d’établir une coopération dans le domaine de l’agronomie14. Dans les jours qui suivent, vingt-cinq propositions sont adoptées et chiffrées. Le texte est entériné lors d’un conseil restreint, le 1er septembre 1967. À l’issue de la réunion, de Gaulle confirme à Peyrefitte qu’il dispose des pleins pouvoirs pour conclure de nouvelles ententes avec le gouvernement québécois.
La signature des accords Peyrefitte-Johnson
Le 10 septembre, la délégation conduite par Peyrefitte entame son séjour au Québec. Accueilli par le ministre d’État à l’Éducation, Marcel Masse, Peyrefitte est conduit auprès du premier ministre Johnson, en convalescence après une attaque cardiaque. Pendant leur discussion, Peyrefitte commence par évoquer deux propositions formulées par De Gaulle. Celui-ci voulait, tout d’abord, offrir l’opportunité au Québec de participer à la Conférence des ministres de l’Éducation francophones, la CONFEMEN, qui devait avoir lieu en février 1968 à Libreville, au Gabon. De Gaulle comptait à cet effet demander aux autorités gabonaises de faire parvenir une invitation au gouvernement du Québec afin que celui-ci puisse officiellement prendre part à la conférence et ainsi « mettre le pied à l’étrier pour une existence internationale » selon ses termes. Le président français souhaitait également instaurer des rencontres annuelles entre les deux gouvernements. À l’image des rapports franco-allemands, il proposait qu’une fois par an, le premier ministre et les principaux ministres québécois viennent à Paris, et que, six mois plus tard, le président et le premier ministre français, avec les principaux ministres, rendent la visite au Québec. Cette idée fut rejetée par Daniel Johnson. « Le président va trop vite pour nous… il brûle les étapes, déclara-t-il à Peyrefitte. L’heure n’est pas à l’aventure, mais aux atermoiements15 ». Le premier ministre pria également Peyrefitte de garder cette proposition confidentielle : « Ne parlez de ça à personne ! À aucun de mes ministres ! Ils ne savent pas garder un secret. Les uns s’emballeraient, d’autres s’indigneraient, Ottawa en profiterait pour faire un drame16 ! » Pendant leur discussion, Peyrefitte exposa ensuite les différents projets de coopération proposés par son gouvernement, auxquels Johnson donna son accord.
Le lendemain, la délégation française est reçue à Québec par les principaux membres du gouvernement. La rencontre est présidée par le vice-premier ministre et ministre de l’Éducation, Jean-Jacques Bertrand, autour duquel siègent Jean-Noël Tremblay, ministre des Affaires culturelles, Claude Morin, Marcel Masse et son sous-ministre Arthur Tremblay. Après des débuts attentistes, chacune de deux délégations souhaitant, par délicatesse, que l’autre lui fasse part de ses projets, se souvient Claude Morin, les discussions s’engagent véritablement et se soldent par un succès17.
Le 14 septembre 1967, Daniel Johnson et Alain Peyrefitte signent un procès-verbal officialisant les vingt-cinq mesures adoptées18. Dans ce nouvel accord, le gouvernement français fait part de son intention de multiplier par huit sa contribution financière dans le cadre d’un vaste programme triennal : de 5 millions de francs en 1967, les crédits engagés passeront à 24,8 millions francs dès l’année suivante, pour atteindre 40 millions de francs en 1970. Dans le domaine de l’éducation, la France s’engage à dépêcher, dans les trois ans, jusqu’à un millier de professeurs dans les écoles québécoises, dans la mesure où des demandes lui seraient adressées. Pour encourager l’échange de fonctionnaires, il est décidé que des professeurs et des administrateurs québécois pourront bénéficier de stages au sein de l’Institut national d’administration scolaire et de l’Inspection générale de l’Éducation nationale. Des organismes de coopération sont également instaurés. Le Centre franco-québécois de développement pédagogique (CEDEP) est créé afin de coordonner des échanges d’enseignants et d’organiser des expériences conjointes dans le domaine de la pédagogie, de la formation des maîtres ou des manuels scolaires. On fonde, sur le même modèle, un Centre franco-québécois de développement de l’enseignement technologique19.
Dans l’enseignement supérieur, le procès-verbal annonce que le nombre de bourses accordées par la France aux étudiants québécois sera porté à un millier en 1970. Réciproquement, le gouvernement québécois s’engageait à accroître le nombre de bourses offertes à des étudiants français. Le procès-verbal mentionne l’ouverture de chaires de littérature et de civilisation canadienne-française dans l’Hexagone pour accueillir des universitaires québécois invités en qualité de professeurs associés. Les autorités françaises s’engageaient également à accroître la place réservée à la connaissance de l’histoire, de la géographie, de la littérature et de la civilisation du Canada français dans les programmes d’enseignement ainsi que dans les concours du CAPES et de l’agrégation.
Parmi les autres mesures adoptées figurent la création d’un organisme pour les échanges de jeunes, le futur Office franco-québécois pour la jeunesse (OFQJ) ainsi que d’un Centre franco-québécois de recherche scientifique et technique pour faciliter les échanges d’informations entre les deux communautés scientifiques et augmenter la mobilité des chercheurs. Pour accroître la fourniture de programmes de radiodiffusion et de télévision, la France annonce l’ouverture d’un bureau de l’ORTF à Montréal. Il est également prévu de favoriser l’envoi et la distribution des livres et des films français outre-Atlantique, ainsi que les dons réciproques de fonds de bibliothèques. Le dernier point du procès-verbal stipule, enfin, que les deux gouvernements s’engagent à favoriser les initiatives ayant pour objet de promouvoir l’universalité et l’unité de la langue française.
L’accélération de la coopération franco-québécoise
Résolument ambitieux, les accords Peyrefitte-Johnson traduisent la volonté des dirigeants d’instaurer des échanges à une plus large échelle. Grâce à ce volontarisme politique et au soutien des financiers des gouvernements, qui se poursuivent sous la présidence de Georges Pompidou, élu en 1969 après la démission du général de Gaulle, les échanges franco-québécois connaissent un âge d’or au début de la décennie suivante, impliquant chaque année des milliers de participants de part et d’autre de l’Atlantique.
Dans le seul domaine de l’éducation, plusieurs actions de grande ampleur sont menées, avec des résultats tangibles. Après l’arrivée des premiers coopérants militaires français à l’été 1965, quelque 1500 d’entre eux se sont succédé au Québec jusqu’en 1974, pour enseigner dans les différentes universités. L’instauration des programmes de bourses permet à des milliers d’étudiants québécois de venir faire leur doctorat en France, on en recense près de 5 000 dans l’Hexagone au début des années 1970. Par le biais des programmes financés par la Commission permanente, plus de 5000 chercheurs universitaires ont été impliqués dans des activités scientifiques conjointes jusqu’au début des années 1980. Sous l’égide du CEDEP, une opération unique en son genre est menée entre 1969 et 1982, permettant à plus de 1500 professeurs québécois du primaire et du secondaire d’aller enseigner une année dans une école française20. Réciproquement, des instituteurs français venaient au Québec pourvoir leur poste dans les établissements scolaires. Dans le domaine de l’enseignement technique, les accords de coopération signés en 1974 par les premiers ministres Robert Bourassa et Jacques Chirac permettent d’instaurer un programme de stage pour des professeurs québécois de l’enseignement technique, qui vont passer un séjour d’un mois dans l’Hexagone, afin de se familiariser avec l’usage du français en milieu industriel. En cinq ans, quelque 1600 enseignants ont bénéficié de cette mesure, ce qui représente 20 % du corps professoral du secteur technique21.
Conclusion
Comme en attestent ces chiffres, la visite du général de Gaulle en 1967 et les accords Peyrefitte-Johnson ont donné une impulsion majeure à la coopération bilatérale amorcée deux ans plus tôt. Grâce au soutien massif des gouvernements, et grâce à l’institutionnalisation de la coopération et la création d’organismes bilatéraux, comme l’OFQJ, encore en activité aujourd’hui, des échanges de grande ampleur ont été mis sur pied et réalisés pendant les années 1970. Les liens entre les deux gouvernements, originellement concentrés à l’éducation et à la culture, se sont élargis à de nombreux secteurs d’activité et n’ont cessé de se renforcer par la suite. Si les retombées politiques du voyage du général de Gaulle, et notamment l’intégration du Québec à la Francophonie naissante, sont généralement mieux connues, il convient également se souligner l’important concours de la France, par le biais de la coopération, aux grandes réformes menées durant la Révolution tranquille, notamment dans le domaine de l’éducation.
1 Michel Sarra-Bournet, « La naissance de la Délégation générale du Québec à Paris », Bulletin d’histoire politique, vol. 20, n° 2, 2011, p. 190-199.
2 Jacques Lacoursière, Histoire populaire du Québec. 1960-1970, t. 5, Sillery, Septention, 2008, p. 160-161.
3 Guy Frégault, Chronique des années perdues, Montréal, Leméac, 1976, p. 85.
4 Claude Morin, L’art de l’impossible. La diplomatie québécoise depuis 1960, Montréal, Boréal, 1987, p. 37.
5 Samy Mesli, La coopération franco-québécoise dans le domaine de l’éducation, de 1965 à nos jours, Québec, Septentrion, 2014, p. 41-64.
6 Dale C. Thomson, De Gaulle et le Québec, Saint-Laurent, Éditions du Trécarré, 1990, p. 224.
7 Samy Mesli, op. cit., p. 71-72.
8 Discours du général de Gaulle à Québec, 23 juillet 1967.
9 Discours du général de Gaulle à Montréal, 24 juillet 1967.
10 Cité par Maurice Vaïsse, La grandeur, Paris, Fayard, 1998, p. 665.
11 Alain Peyrefitte, De Gaulle et le Québec, Montréal, Stanké, 2000, p. 68.
12 Cité par Paul-André Comeau, Jean-Paul Fournier, Le lobby du Québec à Paris. Les précurseurs du général de Gaulle, Montréal, Québec Amérique, 2002, p. 68.
13 Le programme préparé par Bernard Dorin est reproduit en annexe de l’ouvrage d’Alain Peyrefitte, De Gaulle et le Québec, p. 130-163.
14 Cité par Dale C. Thomson, op. cit., p. 309.
15 Cité par Pierre Godin, Daniel Johnson : la difficile recherche de l’égalité, 1964-1968, Montréal, Éditions de l’Homme, 1980, p. 255.
16 Cité par Alain Peyrefitte, op. cit., p. 100.
17 Claude Morin, op. cit., p. 82-83.
18 Procès-verbal des décisions arrêtées entre MM. Daniel Johnson et M. Alain Peyrefitte, ministre de l’Éducation nationale, représentant le gouvernement français, Québec, 14 septembre 1967.
19 S. Mesli, op. cit., p. 85-90.
20 Samy Mesli, op. cit., p. 143-215.
21 Ibid., p. 225-232.