Les spécificités mutualistes questionnées par la pandémie

Le cas d’une mutuelle de santé régionale en France. Les spécificités mutualistes questionnées par la pandémie.

La pandémie liée à la COVID-19 rappelle à tous la nécessité et la fragilité de nos systèmes de santé. Or ces derniers sont le résultat d’un processus historique façonné par l’environnement institutionnel du pays. Dans cette perspective, le cas français se caractérise par une hétérogénéité des opérateurs, avec une place non négligeable aux mutuelles de santé. Comment ces organisations ont-elles été affectées par la crise ? Nous analysons l’impact de la pandémie sur la gestion d’une mutuelle régionale opérant dans le champ de la complémentaire santé en France. Après une analyse sur la place des mutuelles dans le système français de protection sociale (SFPS), l’article présente les caractéristiques de la mutuelle étudiée. Enfin, l’article évoque les conséquences de la pandémie de COVID-19 sur cette mutuelle, son positionnement dans le mouvement mutualiste et plus largement dans le champ de la protection sociale complémentaire.

Le cas d’une mutuelle de santé régionale en France. Les spécificités mutualistes questionnées par la pandémie.

La pandémie liée à la COVID-19 rappelle à tous la nécessité et la fragilité de nos systèmes de santé. Or ces derniers sont le résultat d’un processus historique façonné par l’environnement institutionnel du pays. Dans cette perspective, le cas français se caractérise par une hétérogénéité des opérateurs, avec une place non négligeable aux mutuelles de santé. Comment ces organisations ont-elles été affectées par la crise ? Nous analysons l’impact de la pandémie sur la gestion d’une mutuelle régionale opérant dans le champ de la complémentaire santé en France. Après une analyse sur la place des mutuelles dans le système français de protection sociale (SFPS), l’article présente les caractéristiques de la mutuelle étudiée. Enfin, l’article évoque les conséquences de la pandémie de COVID-19 sur cette mutuelle, son positionnement dans le mouvement mutualiste et plus largement dans le champ de la protection sociale complémentaire.

1. Les mutuelles dans le système français de protection sociale

La France se caractérise par un système de protection sociale qui inclut une hétérogénéité d’acteurs dont les mutuelles de santé. Les mutuelles de santé sont les successeurs des caisses de secours mutuel, ces dernières ayant contribué à la reconnaissance des droits sociaux, entériné par la création de la Sécurité sociale dès 1945. Aujourd’hui, même si quelques principes fondateurs de ce système perdurent, la prise en considération des mutuelles de santé semble faible malgré leurs contributions significatives au système.

La place des mutuelles lors de la constitution du système de protection sociale : entre régime obligatoire-régime complémentaire

La structuration actuelle du système français de protection sociale (SFPS) a été déterminée au cours des Trente Glorieuses (1945-1973). À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les politiques publiques appliquent à la gestion des allocations familiales ainsi que des risques maladies, accident du travail/maladie professionnelle et vieillesse les principes suivants :

  • un système national qui s’applique sur l’ensemble du territoire tout en incluant des spécificités locales (exemple : régime local d’Alsace-Moselle) ;
  • un système universel qui bénéficie aux travailleurs, aux travailleuses et à leurs familles ;
  • un système unifié qui englobe une diversité d’organisations de protection sociale préexistantes et essentiellement gérées à l’échelle des branches professionnelles auparavant ;
  • un système solidaire (non assurantiel) dans lequel les travailleurs et les travailleuses cotisent en fonction de leurs revenus salariaux et bénéficient de prestations selon leurs besoins sanitaires et sociaux

Aucune place n’est laissée pour un régime de protection sociale complémentaire au régime obligatoire dans la conception initiale du SFPS d’après-guerre2. Pourtant, les organismes mutualistes, qui sont autorisés à poursuivre une partie de leurs activités, proposent dès 1945 la prise en charge du ticket modérateur3. Ils se dotent de fait d’un rôle complémentaire par rapport au régime obligatoire.

Mais la Sécurité sociale est contestée et dès 1947 des organismes mutualistes contribuent à la gestion du régime obligatoire de protection sociale, y compris dans le champ du risque maladie4. De 1947 aux années 1980, le SFPS est ainsi structuré autour d’un équilibre entre régime obligatoire et régime complémentaire. Les mutuelles sont, de fait, en situation de monopole dans la gestion du régime complémentaire. Cet équilibre est bouleversé entre la fin des années 1970 et les années 1980, avec la fin progressive de ce monopole mutualiste.

Les mutuelles dans le SFPS à l’heure du marché de l’assurance santé

La situation de monopole des organismes mutualistes dans le champ de la complémentaire santé est contestée par les assureurs privés à but lucratif et les institutions de prévoyance qui développent leurs activités dans ce champ à partir du milieu des années 19705. Les organismes mutualistes restent majoritaires encore aujourd’hui dans le champ de la complémentaire santé en termes de cotisations, même si leur part tend à diminuer. Cependant la prise en compte de leurs spécificités s’amenuise au fil des décennies et des réglementations (Turquet, 2003).

La répartition de la prise en charge des soins entre le régime obligatoire et le régime complémentaire a sensiblement évolué depuis les années 2010. Les prestations versées par les organismes de complémentaire santé en 2019 s’élèvent à 27,9 € Mds, en croissance de 2,2 % par rapport à 2019. Leur part dans la prise en charge de l’ensemble des dépenses de consommation de soins et biens médicaux (CSBM) est de 13,4 % en 2019, contre 15,9 % en 2012. Les prestations versées par l’assurance-maladie obligatoire s’élèvent quant à elles à 162,7 € Mds 2019, en augmentation de 2,3 % sur un an. La part de l’assurance-maladie obligatoire dans la CSBM a toutefois augmenté progressivement, passant de 76,3 % en 2012 à 78,2 % en 2019. Cette évolution de la répartition s’explique principalement par la hausse du nombre de personnes exonérées de ticket modérateur au titre des affections de longue durée (ALD)6.

Aujourd’hui, la dynamique d’augmentation de la part de l’assurance-maladie obligatoire dans la CSBM et de diminution de la part des complémentaires santé est renforcée par la pandémie de COVID-19. Cette diminution a d’ailleurs présidé à la mise en place d’une taxe spéciale sur les organismes de complémentaires santé au titre de l’exercice 2020 et 20217. Mais comment cette pandémie a-t-elle touché les mutuelles de santé en France en particulier dans leur gestion ? Leur contribution a-t-elle été remise en cause ? Ont-elles pu assurer leur mission d’intérêt général ? Comment ont-elles assuré l’animation de leur vie mutualiste ? Afin de répondre à ces questions, nous proposons d’étudier une mutuelle de santé en France.

2. Présentation de la mutuelle étudiée

La mutuelle étudiée est née d’une fusion en 2016 des deux mutuelles interprofessionnelles. Ces mutuelles étaient présentes sur des secteurs géographiques spécifiques : le sud du département de l’Isère pour l’une, la Savoie pour l’autre. Elle compte à la fin de 2020 près de 43 474 personnes protégées pour 26 289 cotisants8.

Perspective historique et projet politique fondateur de la mutuelle

Les deux mutuelles partageaient une histoire commune. Elles sont nées en 1967 et 1969 et ont été fondées par des militants syndicaux issus de la Confédération générale du travail (CGT). Les membres fondateurs ont, pour la plupart, étaient impliqués dans la création des Caisses primaires d’assurance-maladie en 1945 dans les départements au moment de la mise en place de la Sécurité sociale.

Le projet politique fondateur des deux mutuelles était de garantir un mode de prise en charge non lucratif des dépenses de santé des salariés adhérents et de leurs familles, et avec une organisation gérée par eux via les militants syndicaux. L’objectif était en particulier de répondre à un besoin grandissant des publics cibles face à l’accroissement de l’écart entre les tarifs conventionnels de remboursement de l’assurance-maladie obligatoire pour les dépenses de santé et les tarifs réellement pratiqués par les professionnels de santé et les professions paramédicales.

Organisation politique de la mutuelle

La mutuelle est dotée d’un président, indemnisé pour le temps passé au titre des attributions permanentes qui lui sont confiées. Le conseil d’administration comprend 22 administrateurs et l’assemblée générale environ 70 délégués, pour la plupart retraités. Les administrateurs et les délégués exercent leurs mandats à titre gratuit, sans aucune forme de rémunération. Le conseil d’administration se réunit trimestriellement et l’assemblée générale semestriellement. La mutuelle comprend environ 40 salariés. Elle dispose d’un siège social à Chambéry et d’un centre de gestion en région grenobloise, l’essentiel des effectifs étant situé au siège social. La mutuelle est organisée autour d’un service comptable/prestations, d’un service commercial et d’un réseau comprenant huit agences.

La mutuelle adhère à la Fédération des mutuelles de France (FMF), qui adhère elle-même à la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF)9. Cette adhésion permet une représentation des intérêts de la mutuelle auprès des pouvoirs publics. Elle permet également de bénéficier de divers services techniques relatifs aux systèmes d’information10.

Les adhérents de ces deux fédérations sont engagés dans un processus de regroupement, motivé par le renforcement des mécanismes concurrentiels dans le champ de la complémentaire santé11. Les mutuelles de la FNMF ont commencé ce processus de regroupement dès le milieu des années 2010, avec par exemple la création du groupe Vyv qui associe principalement une mutuelle professionnelle (MGEN) et une mutuelle interprofessionnelle (Harmonie). Certaines mutuelles de la FMF ont réagi en engageant à leur tour des regroupements, par exemple autour de la mutuelle Solimut. Ces regroupements amènent à la constitution d’entités représentant régulièrement plus d’un million de personnes protégées. Les corollaires de ces regroupements sont la tendance à la réduction du nombre de militants nécessaires au fonctionnement démocratique des mutuelles et à la professionnalisation des fonctions.

Malgré une fusion en 2016, la mutuelle étudiée fait le choix de rester à une taille intermédiaire. Son effectif est aujourd’hui d’environ 45 000 personnes protégées. Elle se tient à l’écart des processus de regroupement, en portant une attention particulière à sa capacité de redistribuer les prestations sous forme de cotisations. Cette position l’amène à avoir une attitude de plus en plus distante par rapport aux fédérations. La mutuelle assure ainsi une présence a minima dans les instances fédérales. Elle garde pour objectif politique d’être gouvernée par des militants bénévoles, à l’exception du président qui est indemnisé. Elle est toutefois confrontée à la difficulté de recrutement de nouveaux militants, l’âge moyen ayant augmenté continuellement au cours des deux dernières décennies.

3. Impacts de la pandémie de COVID-19 sur la gestion et la gouvernance de la mutuelle en 2020

Nous proposons de revenir sur la chronologie de la pandémie en France et sur les effets des mesures gouvernementales prises. La mutuelle a continué d’assurer ces missions principales, elle a veillé à apporter le soutien nécessaire à ses adhérents tout en faisant vivre la vie démocratique, de façon resserrée autour des administrateurs. Mais la crise a eu des conséquences inattendues sur sa gestion, celles-ci étant au cœur du projet mutualiste.

Chronologie des faits marquants pour la mutuelle lors de la pandémie de COVID-19

Les dispositions prises pour assurer la continuité des activités de la mutuelle n’ont pas eu d’impact sur les activités de production de la mutuelle. Cela s’explique par son obligation réglementaire de disposer d’un plan de continuité des activités, dont elle est amenée à rendre compte à l’ACPR si besoin.

Tableau chronologique des dispositions prises par la mutuelle en 2020 pour assurer la continuité des activités

Dates

Évènements

Descriptions

Janvier à mi-mars

Début de la pandémie

  • Préparation de la gouvernance au déclenchement du plan de continuité des activités ;
  • Tenue du Conseil d’administration en présentiel le 5 mars.

Mi-mars à mi-mai

Premier confinement

  • Diffusion des instructions relatives aux précautions sanitaires à prendre dans les locaux de l’entreprise ;
  • Mise en place du télétravail renforcé pour les salariés, avec obligation pour ceux présents dans l’entreprise de respecter la règle de 1 salarié/bureau ;
  • Fermeture de l’accueil physique dans les agences ;
  • Toutes les réunions des instances de gouvernance se tiennent en visioconférence.

Mi-mai à fin octobre

Premier déconfinement

  • Commande de produits et de matériels permettant d’assurer le respect des gestes barrières (approvisionnement difficile et onéreux jusqu’en juillet) ;
  • Retour de tous les salariés en présentiel dans les locaux de l’entreprise, avec recours au télétravail pour ceux qui le souhaitent ;
  • Ouverture de l’accueil physique dans les agences, mais uniquement sur rendez-vous ;
  • Toutes les réunions des instances de gouvernance se tiennent en mixant présentiel et visioconférence pour assurer le respect des gestes barrières dans les salles de réunions.

Novembre

Deuxième confinement

  • Tous les salariés continuent à travailler en présentiel dans les locaux de l’entreprise, avec recours au télétravail pour ceux qui le souhaitent ;
  • Maintien de l’accueil physique dans les agences uniquement sur rendez-vous ;
  • Continuité des réunions des instances de gouvernance tenues en mixant présentiel et visioconférence.

Décembre

Deuxième déconfinement

  • Tous les salariés continuent à travailler en présentiel dans les locaux de l’entreprise, avec recours au télétravail pour ceux qui le souhaitent ;
  • Maintien de l’accueil physique dans les agences uniquement sur rendez-vous ;
  • Continuité des réunions des instances de gouvernance tenues en mixant présentiel et visioconférence.

Les impacts sur les activités de la mutuelle

Les événements inédits de 2020 n’ont pas remis en cause les travaux de la gouvernance. Le conseil d’administration de la mutuelle s’est réuni cinq fois au cours de l’année 2020 et l’assemblée générale deux fois. Là aussi, la pandémie de COVID-19 n’a pas modifié la fréquence habituelle de réunion de ces instances, bien que le recours à la visioconférence pour tout ou partie des réunions a constitué une nouveauté pour l’ensemble des participants.

Un processus de renouvellement de la gouvernance a été engagé en 2020, conformément aux échéances prévues dans les statuts de la mutuelle. Des élections aux postes de délégués à l’assemblée générale se sont tenues au 2e trimestre 2020, puis un renouvellement du conseil d’administration par 1/3 sortant a eu lieu au 4e trimestre. Ce renouvellement du conseil d’administration a d’ailleurs permis l’élection de trois nouveaux administrateurs. Enfin, en janvier 2021, le président de la mutuelle, qui était en poste depuis le début des années 1990, a mis fin à son mandat conformément à ce qu’il avait annoncé depuis 2018. Un nouveau président a été élu pour assurer la suite.

Si la pandémie a eu un impact quasi nul sur l’activité de la gouvernance, ce n’est pas le cas sur la gestion des prestations versées. Celles-ci ont baissé de 11 % en 2020 tandis que le ratio global brut entre les prestations et les cotisations s’est établi sur l’exercice à 75 % (83 % en 2019). Cela a permis à la mutuelle de connaître une amélioration importante de sa marge de solvabilité, telle que surveillée par l’autorité de tutelle (ACPR). Seules les dépenses liées aux chambres particulières dans les hôpitaux et cliniques ont augmenté entre 2019 et 2020. Les autres catégories de dépenses ont toutes connu une baisse significative. La baisse la plus importante concerne les soins courants (-16,7 %), suivie par celles de l’optique (-14,7 %) et du dentaire (-10,6 %). L’assurance-maladie obligatoire constate également une baisse significative des dépenses des honoraires médicaux et dentaires (-6,4 %) sur l’année 2020.

Ces chiffres ne suffisent cependant pas à étayer l’hypothèse d’un renoncement aux soins de la part des adhérents. Il est certain qu’une partie des soins n’ont pas été réalisés pendant le premier confinement. Cela n’induit pas systématiquement un renoncement aux soins à terme de la part des patients, mais plutôt un report des soins.

Les effets inattendus de la pandémie sur la mutuelle

Les cotisations ont baissé entre 2017 et 2020, traduisant une érosion du nombre des personnes protégées par la mutuelle. Les tarifs ont cependant augmenté sur cette période. Du fait de l’amélioration du ratio, les administrateurs ont choisi de ne pas augmenter les tarifs au 1er janvier 2021. Toutefois, aucune baisse de cotisations ou de système de ristourne n’a pu être mise en place. Cette absence de dispositif exceptionnel a été motivée par les services techniques par la complexité que cela aurait engendrée en matière de gestion.

Le conseil d’administration de la mutuelle qui s’est tenu le 4 mars 2021 a donné lieu à un débat entre les administrateurs et le directeur général. Les administrateurs ont pris acte des équilibres techniques et non techniques inédits de l’exercice 2020 sur lesquels il n’était plus possible d’agir rétroactivement. Les administrateurs ont en revanche décidé de suivre de près les équilibres techniques de la mutuelle. Si le ratio cotisations-prestations reste excédentaire en cumulé à la fin août 2021, l’excédent (déduction faite de la taxe COVID) serait alors affecté à des prestations exceptionnelles et/ou des cotisations offertes pour les TPE et les PME qui souhaiteraient adhérer. Le conseil d’administration du 4 mars 2021 est donc marqué par la volonté des administrateurs de prendre leur responsabilité sur les dispositifs exceptionnels qui seraient mis en œuvre, y compris contre les réticences éventuelles des services techniques.

Du point de vue des prestations, l’enjeu pour la mutuelle est de démontrer à ses adhérents sa capacité à redistribuer efficacement et de façon réactive les excédents de cotisations perçues pendant la pandémie. À la suite de mesures annoncées par la FNMF en avril 2021 pour l’ensemble de ses adhérents, la mutuelle s’apprête par exemple à prendre en charge de façon généralisée les consultations de psychologues. Ces consultations ne sont pas prises en charge par l’assurance-maladie obligatoire et le sont dans une très faible proportion par les complémentaires santé. D’autres dispositifs spécifiques pourraient aussi être mis en place, comme des bons d’achat pour des biens médicaux vendus par des structures mutualistes (équipements d’optique, audioprothèses, etc.).

Du point de vue des cotisations, l’enjeu pour la mutuelle est de se servir des excédents pour proposer des tarifs attractifs à de nouveaux publics, et donc d’assurer le renouvellement de sa population et la maîtrise de l’âge moyen des personnes protégées. Cette orientation prise par les administrateurs est aussi une méthode qui, si elle produit les résultats escomptés, permettrait à la mutuelle de conserver son autonomie dans le contexte de regroupement des organismes de complémentaire santé.

La mutuelle a dû s’acquitter de la taxe spéciale mise en place pour contribuer au financement de l’assurance-maladie obligatoire et faire face à l’augmentation des dépenses de celle-ci dans le cadre de la pandémie de COVID-19. Cette taxe représente 921 060 € pour la mutuelle. Elle est imputée comptablement sur les exercices 2020 et 2021. La FMF et la FNMF se sont positionnées contre la mise en œuvre de la taxe spéciale dite « taxe COVID ». Le conseil d’administration de la mutuelle a cependant souhaité adopter une position plus nuancée. Les administrateurs ne se sont pas positionnés contre. Il leur a paru cohérent politiquement que les excédents exceptionnels de la mutuelle puissent bénéficier au financement de l’assurance-maladie obligatoire. Toutefois, ils ont regretté que ces excédents exceptionnels n’aient pas pu donner lieu à l’octroi de remises sur cotisations ou de prestations exceptionnelles auprès des adhérents. La taxe COVID a privé de fait les administrateurs de la mise en œuvre de dispositifs innovants financés par ces excédents.

Conclusion

La pandémie de la COVID-19 a bousculé le système de protection sociale en France, autant dans les activités du régime obligatoire que le régime complémentaire dans lequel les mutuelles sont majoritaires. Alors que la communication de crise a beaucoup insisté sur les tensions dans les hôpitaux, les répercussions sur l’ensemble du système de protection sociale sont peu débattues. Nous avons choisi d’analyser les effets de cette crise sur le cas d’une mutuelle de santé.

Paradoxalement, la gestion de la mutuelle a été quantitativement bonifiée selon les principaux indicateurs. Ces résultats exceptionnels questionnent la nature et la mission même de la mutuelle. Ils donnent aux administrateurs une marge de liberté nouvelle face aux contraintes réglementaires qui ont engendré depuis les années 2000 un processus d’uniformisation des prestations offertes par les complémentaires santé. Cela ouvre la voie à une réappropriation par les adhérents de la gestion des cotisations et des prestations. Cet espace de liberté qui semble s’ouvrir pourrait être un vecteur puissant pour renouveler les militants de la mutuelle, qui sont pour la plupart désormais retraités. Plus largement, la crise pourrait être le déclencheur d’un mouvement de redynamisation de la démocratie sociale des organismes du SFPS actuel, telle que pensée au moment de sa création à la sortie de la Seconde Guerre mondiale.

 

 

 

Références

Turquet, P. (2003). « Les mutuelles de santé face à la concurrence sur le marché de la protection sociale d’entreprise ». Revue internationale de l’économie sociale : recma, (288), 11-24.


1 Ces principes sont appliqués dans l’ordonnance no 45-2250 du 4 octobre 1945 qui institue l’organisation de la sécurité sociale.

2 L’ordonnance no 45-2456 du 19 octobre 1945 limite le champ d’intervention des mutuelles à la prévention des risques sociaux et la réparation de leurs conséquences, à l’encouragement de la maternité et la protection de l’enfance et de la famille, et au développement moral, intellectuel et physique de leurs membres.

3 Le ticket modérateur correspond à la part des honoraires médicaux payés directement par l’assuré.

4 La loi « Morice » permet par exemple à la Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale (MGEN), créée en 1946, d’obtenir dès 1947 une délégation pour la gestion du régime obligatoire d’assurance-maladie.

5 Charlotte Siney-Lange (https://www.mutualite.fr/la-mutualite-francaise/le-mouvement-mutualiste/histoire-des-mutuelles/serie-dete-saison-2/lidentite-mutualiste-face-a-lenjeu-de-la-concurrence-assurantielle/)

6 DREES, 2020, « Les dépenses de santé en 2019. Résultats des comptes de la santé », https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/276352.pdf

7 La taxe est calculée en pourcentage du chiffre d’affaires des organismes de complémentaire santé et elle est affectée au financement de l’assurance-maladie obligatoire.

8 Un cotisant peut couvrir plusieurs personnes (conjoint, enfant, ascendant).

9 La FMF, anciennement la Fédération nationale des mutuelles de travailleurs (FNMT), a été constituée en 1977 par opposition à la FNMF. La FNMT défendait alors le remboursement intégral des dépenses d’assurance-maladie par les organismes du régime obligatoire. La FNMF se positionnait pour sa part pour un équilibre entre régime obligatoire et régime complémentaire. La FMF adhère à la FNMF en 2002, à la suite des réformes ayant conduit à la refonte du Code de la mutualité, avec la transposition d’une série de directives européennes datant de 1992.

10 La mutuelle adhère par exemple via la FNMF à l’association inter-AMC, qui permet de pratiquer le tiers payant. Le tiers payant permet à l’assuré social de ne pas avoir à avancer de frais lors des consultations médicales ou pour certaines dépenses paramédicales.

11 Depuis 2005, les complémentaires santé sont par exemple incitées fiscalement à mettre en œuvre des garanties dites « responsables ». Ce mécanisme permet aux pouvoirs publics d’encadrer les tarifs de remboursement et donc d’harmoniser les prestations, ce qui les rend in fine de plus en plus indistinctes.

Amélie Artis, Université de Grenoble Alpes, CNRS, Sciences Po Grenoble, PACTE, France, et Glen Kergunteuil, président de Mutuelle Entrenous.

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