Marc Desnoyers
PQ et QS : des frères ennemis ? Histoire de la convergence indépendantiste
Montréal : Somme toute, 2024, 226 pages
Avec son « histoire de la convergence indépendantiste », Marc Desnoyers ne nous offre pas le récit d’un historien ou d’un spécialiste des sciences sociales, mais celui d’un militant. Si ce regard accuse un parti pris pour la convergence et une propension à ranger les faits analysés sous cette lorgnette, il nous donne accès à un regard de terrain inédit.
Ici, il est intéressant de comparer ce récit à celui d’André D’Allemagne, dans son histoire des débuts du RIN1. De façon analogue, Desnoyers assume son point de vue, misant sur son « parcours politique et professionnel s’échelonnant sur près de 20 ans », lui ayant « permis d’observer de près l’intensité de la relation entre les partis politiques eux-mêmes, mais aussi entre les groupes de la société civile issus du mouvement indépendantiste » (p. 12), parcours culminant à l’épisode de convergence de 2014-2017. En reconstituant son parcours de militant et de conseiller en communications pour le Parti québécois (PQ), en l’agrémentant d’entretiens auprès d’acteurs clés de cette période, de façon à en « refaire la chronologie complète » (p. 17), Desnoyers présente un morceau de littérature primaire, pour quiconque voudra faire l’analyse approfondie de cette séquence.
Contrairement au récit de d’Allemagne sur le RIN, nous n’y voyons toutefois pas les « débuts d’un temps nouveau2 ». Après la fameuse « fin de cycle » du mouvement souverainiste propulsé par la Révolution tranquille, le récit de la convergence donne le sentiment d’assister à un épilogue mort-né, teinté d’« espoirs, échecs, accusations, envolées lyriques, procès d’intention, appels au calme et redoublement des attaques partisanes. » (p. 105) Incapables de faire preuve de la même unité que celles des révolutionnaires tranquilles, cette brève tentative de rapprochement mène à la lutte à mort politique entre ces « frères ennemis » que seraient le PQ et Québec solidaire (QS).
À la lecture de ce récit, c’est à se demander s’ils sont vraiment « frères ». Peut-être est-ce là l’erreur originelle de cet épisode, que de tenter de faire converger deux entités qui, contrairement au RIN et au PQ d’antan, n’ont pas vraiment d’univers mental commun. La « convergence » deviendrait alors une vue de l’esprit. Desnoyers a des difficultés à prendre acte de cette éventualité.
Un champ de ruines
En lisant Desnoyers, rarement l’expression de Jacques Parizeau selon laquelle le mouvement souverainiste constituerait un « champ de ruines » ne semble plus à propos. Pour un lecteur indépendantiste ayant ces événements en mémoire, la chronologie proposée est génératrice de sens et permet de poser des réflexions fécondes sur le passé récent et l’avenir du mouvement indépendantiste. Ça, c’est pour l’archéologue des ruines. Pour celui qui n’aurait jamais entrepris l’excursion, c’est plutôt la confusion qui règne, tant le champ politique est morcelé, les organisations et partis politiques se multiplient, les chefs s’éliminent et se succèdent, et les séquences s’entrecroisent. Pour le quidam, ce portrait du mouvement souverainiste donne l’impression d’un enfermement mental au sein des préoccupations bien précises que sont celles de ceux se passionnant pour les mécanismes référendaires et ceux de la convergence.
Pour tout non initié, résumer succinctement la chronologie de la convergence et les acteurs la constituant donne le tournis.
- En 2005, André Boisclair prend les rênes du PQ et adopte un « nationalisme civique », le progressisme prenant de plus en plus le pas sur le souverainisme.
- En marge du PQ, l’UFP et Option citoyenne fusionnent, en 2006, pour créer QS.
- En 2007, Pauline Marois succède à Boisclair, revient aux racines « identitaires » du parti et met le référendum au rencart.
- En 2011, la vague orange balaie le Bloc québécois. La même année, les députés péquistes Lisette Lapointe, Louise Beaudoin, Pierre Curzi et Jean-Martin Aussant claquent la porte du Parti québécois. Le Nouveau Mouvement pour le Québec (NMQ) naît et Aussant fonde le parti Option nationale (ON).
- En 2012, l’« appel au front uni » est refusé par le PQ. Après un éphémère gouvernement minoritaire, le PQ de Marois mord la poussière, du fait de son ambiguïté stratégique. Pour quelques mois, avec comme chef Pierre-Karl Péladeau, les péquistes auront leur « moment PKP », durant lequel le référendum est remis à l’avant-plan et la convergence est encouragée.
- Suite à la démission surprise de Péladeau, Jean-François Lisée devient chef, remet à nouveau le référendum à plus tard (dans un deuxième gouvernement), mais maintient son appui à la convergence.
- Aussant démissionne de la chefferie d’ON et est remplacé par Sol Zanetti, futur député de QS.
- En parallèle, dès 2013, le NMQ organise le Congrès de la convergence nationale, qui servira de rampe de lancement aux événements ultérieurs de la convergence, comme le congrès destiNation.
- En 2015, la syndicaliste Claudette Charbonneau propulse la coalition des OUI Québec, en établissant une feuille de route commune, inspirée du modèle catalan.
- Dès 2016, la convergence s’accélère, encadrée par la feuille de route. Après d’âpres négociations et la première expérience de convergence, durant l’élection partielle de Laurier-Dorion, tous les partis indépendantistes s’entendent sur une feuille de route commune. À la dernière minute, suite au tristement célèbre congrès national de QS de mai 2017, véritable « chemin de croix pour la feuille de route », le parti revient sur sa signature du document, ce qui signifie l’arrêt de mort de la convergence.
- Malgré l’échec, QS et ON fusionnent. Claudette Charbonneau démissionne des OUI Québec. Pour un bon moment, le PQ et QS sont marginalisés, électoralement.
- Depuis, une « période de refroidissement » est décrétée. Elle dure depuis bientôt une décennie.
C’est là un portrait peu reluisant du mouvement indépendantiste. C’est sans surprises qu’une part importante de l’électorat verra dans cette séquence, où les combines, les jeux d’appareils, les retournements de veste, les coups de couteau dans le dos et l’amateurisme semblent se généraliser, l’expression du manque de sérieux des représentants d’une cause qui demande pourtant un sens de la discipline et des efforts inouïs : celle du pays.
Au-delà des difficultés inhérentes d’un mouvement politique en reconstruction, c’est la tension entre le PQ et QS qui expliquerait en grande partie cet échec. Desnoyers y va d’une analyse des organisations politiques, selon une triade entre le leadership du parti, ses militants et son électorat. Il est d’avis que le problème se situe surtout au niveau des militants, le leadership tentant, par moments, de se réconcilier avec un électorat en faveur de la convergence. D’un côté, cette situation mène QS à faire preuve d’une rectitude idéologique menant la formation politique à des décisions « pour le moins erratiques, voire chaotiques » (p. 172). Malgré sa volonté de ménager la chèvre et le chou, Desnoyers n’y vas pas avec le dos de la cuillère : « […] pourquoi avoir agi ainsi ? Par calcul cynique et partisan ? Par naïveté ? Par incompétence ? » (p. 172) Fondamentalement, le cafouillage de 2017 serait le fruit de « problèmes de structure et de leadership » propres à la « division idéologique », l’« un des traits de leurs ancêtres marxistes » (p. 173), ce qui expliquerait la drôle d’organisation de leur parti, à travers un porte-parolat bicéphale et le pouvoir informel du Conseil de coordination nationale, le fameux « politburo » dénoncé par Jean-François Lisée (Desnoyers ne cautionne pas cette expression).De l’autre côté, le PQ aurait pêché, à l’inverse, par excès de modération et d’ambiguïté, dans une logique de parti de gouvernement. À force de tergiverser sur sa façon de concevoir sa stratégie menant à l’indépendance, le parti aurait fait preuve de « problèmes d’orientation politique », le rendant suspect pour une part de son électorat et de nombreux partisans de la convergence. Malgré ce « lourd passif sur la question de l’indépendance », il n’en demeure pas moins que ce n’est pas le PQ qui a saboté la feuille de route des OUI Québec. Si ce n’était du désistement de QS, le mouvement indépendantiste aurait objectivement franchi une étape cruciale de la convergence, qui aurait pu changer l’histoire du Québec. Vouloir mettre dos à dos le PQ et QS semble davantage relever du regard du militant de la convergence porté sur l’avenir et ménageant les deux camps, que de celui de l’analyste.
Constats
Quels constats pouvons-nous faire de cette courte séquence avortée ? En fin d’ouvrage, Desnoyers fait un inventaire assez exhaustif des arguments en faveur de la convergence, en les comparant à ceux lui étant défavorables. Il prend la peine de bien les considérer, individuellement, en pesant le pour et le contre (p. 197-224). Les détracteurs de la convergence arguent habituellement que : 1) « Ça n’a pas marché en 2016, ça ne marchera pas plus aujourd’hui » ; 2) « À l’ère des guerres culturelles, le clivage entre le PQ et QS est maintenant trop fort » ; 3) « La majorité des électeurs indépendantistes ont voté pour la CAQ. C’est à eux qu’il faut parler ! » ; 4) « Une convergence PQ-QS aurait pour conséquence de camper l’indépendance à gauche, ce qui aliénerait les souverainistes centristes ou conservateurs. » ; et 5) « QS n’est pas vraiment indépendantiste ». À ces arguments, les partisans de la convergence rétorqueront que : 1) « Il y a une convergence naturelle entre les électeurs du PQ et ceux de QS » ; 2) « Seuls le PQ et QS sont des partis indépendantistes » ; 3) « Les deux partis ensemble peuvent élargir la coalition souverainiste » ; 4) « Des souverainistes centristes ou conservateurs seraient attirés par une coalition indépendantiste qui aspire au pouvoir » ; et 5) « Les alliances partisanes et la mobilisation de la société civile sont essentielles pour rebâtir le camp du OUI ».
Sans surprises, Desnoyers fait partie du camp des optimistes, affirmant « que l’épisode de la convergence a non seulement démontré qu’une entente entre partis souverainistes était possible, mais également qu’elle pouvait se faire sur des questions de contenu politique. » À ce titre, « une entente sur un mode commun d’accession à l’indépendance […] [serait] maintenant le minimum acceptable pour tout forme de convergence » (p. 197). Selon lui, la formation future d’un camp du Oui serait impensable, sans s’inspirer de cet épisode. Le camp indépendantiste n’a pas le luxe du pessimisme.
Desnoyers a ainsi tendance à favoriser les arguments en faveur de la convergence, par des développements argumentatifs qui auraient nécessité un plus grand approfondissement. Il lui arrive de donner l’impression d’escamoter rapidement les critiques contre la convergence qu’il propose. Par exemple, contre l’argument selon lequel « QS n’est pas vraiment indépendantiste », il y va d’affirmations péremptoires, sans suffisamment les justifier. En la matière, le passif de QS est pourtant important, comme Desnoyers l’admet lui-même : « le revirement pour le moins spectaculaire de QS sur les alliances électorales autour de la feuille de route des OUI Québec en 2017 », « le fait que 39 % des électeurs de QS voteraient NON dans un référendum sur la souveraineté » et « le fait que certains militants progressistes québécois soient actifs à la fois à QS, un parti indépendantiste, et au NPD, un parti fédéraliste centralisateur. » (p 212). Pour Desnoyers, « il s’agit d’épiphénomènes. » (p. 213) Concernant le désistement de QS, il affirme que « le passé n’est pas nécessairement garant de l’avenir. Les circonstances changent. Le leadership des partis change. Rien n’est joué d’avance » (p. 213).
Concernant le manque de soutien à l’indépendance d’une part de l’électorat qsiste et de ses militants, ainsi que la prévalence du progressisme sur l’indépendance, Desnoyers se questionne « si, au lieu de percevoir cet élément comme un frein à une éventuelle alliance entre le PQ et QS, on le percevrait plutôt comme un atout ? » (p. 213) Il argue que nous donnons ici des raisons de soutenir l’indépendance à des électeurs qui ne voteraient pas pour le PQ. Finalement, Desnoyers affirme que « tous ces arguments et discours qui tentent de séparer les vrais des faux indépendantistes sont puérils et contre-productifs » (p. 214).
Par moments, la façon dont Desnoyers défend son optimisme prend la forme d’une certaine fuite en avant idéologique qui ne prend pas suffisamment acte de ce qu’il décrit lui-même comme « ces empreintes négatives [qui] ont accentué le clivage entre les deux partis et nourri des rancunes militantes, parfois féroces, de part et d’autres » (p. 203). Il en faut peu pour transformer des défaites dont on se remet difficilement en victoires morales dont les Québécois ont malheureusement l’habitude. Ainsi, il affirme que l’épisode de la convergence constitue « malgré tout, une lueur d’espoir pour le mouvement indépendantiste québécois, car force est d’admettre que ça a bien failli marcher » (p. 105). Cet optimisme mène Desnoyers à définir trois « leçons pour le futur camp du OUI » : « Leçon #1 : La société civile doit servir de catalyseur pour le rassemblement des indépendantistes » ; « Leçon #2 : Avant de penser à des alliances électorales, les partis politiques doivent d’abord converger par le contenu » ; 3) « Leçon #3 : Toute entente doit être taillée sur mesure pour que chaque parti y trouve son bénéfice ».
Cet optimisme s’explique probablement parce que ce que nous pourrions définir comme un certain indépendantisme formel, selon une vision mécaniste du politique, axée sur le marketing politique. C’est d’ailleurs l’une des spécialités de Desnoyers, ce qui le porte à définir un cadre stratégique, à partir d’une économie de principes et de variables. Dans le cas du PQ et de QS, les deux variables à retenir seraient les suivantes : « les deux partis sont indépendantistes », « les deux partis ont une base militante forte ». Ainsi « que ces deux formations partagent ces caractéristiques et compétitionnent pour un même bassin de militants et d’électeurs amène inévitablement des tiraillements et des tensions » (p. 13). Ce n’est pas autrement que nous pouvons parler de « frères ennemis ». La variable sur laquelle nous pouvons jouer serait donc celle d’un indépendantisme formel communément partagé, indépendamment du contenu qui le motive, ou, plutôt, l’« indépendance » devient le contenu. La stratégie et les tactiques l’accompagnant viseront à agréger le plus grand nombre d’électeurs et de militants dont c’est l’objectif, de façon à favoriser la fraternité entre les partis plutôt que l’inimité. C’est de cette façon que Desnoyers favorise la convergence entre le PQ et QS et qu’il exclut tout rapprochement avec la Coalition avenir Québec (CAQ).
Ce qui est vrai sous l’angle d’un certain marketing politique situé peut toutefois être faux sur le fond. En adoptant une telle interprétation de ce que signifie l’idée d’indépendance, l’on peut en venir à oublier que c’est la nation et l’amour du pays qui mène à la convergence indépendantiste, et non pas la convergence qui mène à la nation et l’amour du pays. Nous faisons ici face au risque d’entretenir un entre-soi politique. À ce titre, pendant que les indépendantistes de la convergence se passionnaient d’enjeux politiques nichés très éloignés des préoccupations des électeurs, que l’on pense à des notions comme celles de « feuille de route », de « démarche d’accession à l’indépendance », de la « création de l’assemblée constituante », du « mandat de l’assemblée constituante », de la « composition de l’assemblée constituante », d’une assemblée constituante « ouverte » ou « fermée » ou de « référendum à deux volets », la CAQ pavait la voie à sa victoire en misant sur un nationalisme axé sur des thématiques chères à l’électorat, comme la langue, l’immigration et la laïcité. Il est là, le fond du pays. Nous pourrions même arguer que la remontée spectaculaire du PQ de Paul Saint-Pierre Plamondon s’explique en bonne partie du fait qu’il prend ces thématiques au sérieux et que la CAQ n’arrive plus à livrer la marchandise.
Dans cette perspective, c’est le nationalisme de fond du Québécois moyen qui serait le moteur d’une quelconque convergence. L’unité passe par la question nationale. Dans ces conditions, comment justifier de miser la convergence sur une alliance avec QS, un parti « d’abord et avant tout de gauche, puis indépendantiste », dont l’indépendance sert avant tout la réalisation d’une utopie progressiste et non pas la souveraineté du peuple québécois, et dont l’anti-nationalisme et le multiculturalisme constiuent la marque de commerce ? Si nous prenons au sérieux les trois « leçons pour le camp du OUI », il devient difficile de justifier une convergence PQ-QS, comme préalable. Face à la première leçon – « La société civile doit servir de catalyseur pour le rassemblement des indépendantistes » –, il est plus que probable que le consensus issu de la société civile traîne avec lui des thématiques dites « identitaires » que QS associe à une « droite conservatrice » à combattre. En sens contraire, il est difficile d’imaginer une société civile mobilisée par un cadre qui accorderait trop d’importance aux préoccupations idéologiques de QS. Face à la deuxième leçon – « Avant de penser à des alliances électorales, les partis politiques doivent d’abord converger par le contenu » –, le contenu est d’abord et avant tout celui d’un nationalisme sous une forme que QS rejette. Face à la troisième leçon – « Toute entente doit être taillée sur mesure pour que chaque parti y trouve son bénéfice » –, ce qui a été dit précédemment fait couler de source l’idée que QS ne pourra jamais trouver de bénéfice à une entente qui serait à la mesure d’un nationalisme « identitaire » majoritaire.
S’il semble inévitable que l’aile souverainiste de QS rejoigne le camp du OUI lorsqu’il sera en marche, l’idée d’une alliance en bloc avec QS nous fait nous poser une question fondamentale : de quel type de convergence parlons-nous, au juste, et pourquoi ? Ce qui nous ramène à une question fatidique : Le PQ et QS sont-ils vraiment des « frères ennemis » ? Ne sont-ils pas des ennemis, tout court ?
Léandre St-Laurent
1 D’Allemagne, André, Le RIN et les débuts du mouvement indépendantiste québécois, Montréal : Éditions l’étincelle, 1974, 160 p.
2 Selon l’expression consacrée à l’époque.