Mathieu Bock-Côté
Le Totalitarisme sans le goulag
Paris, Les Presses de la Cité, 2023, 267 pages
C’est en novembre dernier que Mathieu Bock-Côté sortait son dernier livre sur l’idéologie dominante de notre temps. Pour ceux qui suivent les travaux de l’auteur, ils verront naturellement dans Le Totalitarisme sans le goulag une continuité avec les ouvrages précédents, à savoir Le Multiculturalisme comme religion politique (Cerf, 2016), Le Nouveau Régime (Boréal, 2017), L’Empire du politiquement correct (Cerf, 2019) et La Révolution racialiste (Presses de la Cité, 2021). La pertinence d’actualiser la réflexion sur ces enjeux vient du fait que les choses changent rapidement, et même très rapidement. Rappelons-nous que ce n’est qu’en 2021 que Mathieu Bock-Côté ose pour la première fois introduire l’idée que le wokisme relèverait d’une logique totalitaire. L’idée n’allait pas de soi il y a encore deux ans, alors qu’ils étaient nombreux à parler d’une mode idéologique qui tomberait dans l’oubli d’ici quelques années. Comment pouvait-on parler de totalitarisme alors que nous avions toujours la liberté d’expression, la démocratie parlementaire, les droits fondamentaux ? Or, la révolution en cours a fait son œuvre et nous voilà bien sous son emprise. L’auteur nous réfère à l’expérience du communisme pour comprendre ce qui nous arrive, histoire à laquelle nos contemporains ont tendance à jeter aux oubliettes pour préférer la mémoire du nazisme et du fascisme.
Dans le premier chapitre, Mathieu Bock-Côté nous montre justement le ridicule de l’étiquette d’extrême droite qui est aujourd’hui donnée tous azimuts à quiconque entre en dissidence avec l’idéologie dominante. Il vous suffit d’être réticent à l’heure du conte pour enfants avec une drag queen pour vous faire taxer de l’infâme étiquette, vous reléguant aux heures les plus sombres de l’histoire. Malgré une recherche sérieuse, l’auteur n’a pas réussi à trouver une définition convenable à l’expression « extrême-droite » telle que nous l’entendons aujourd’hui. Ses utilisateurs affirment ainsi que l’extrême droite d’aujourd’hui ne fait pas nécessairement référence au nazisme ni au fascisme… mais en dernière instance, ses discours et ses méthodes rappellent les années 30.
L’auteur rappelle que l’antifascisme que nous connaissons actuellement relève moins du combat authentique contre la dictature que de la reprise d’une stratégie de propagande inventée par l’Union soviétique et les communistes français. Souvenons-nous qu’après la révolution de 1917, l’Union soviétique invente la propagande antifasciste en vue de renouveler son discours sur la nécessité du communisme et du combat contre l’Allemagne. De leur côté, les communistes français désignent de Gaulle comme un fasciste, comme si celui-ci avait terrassé l’occupation nazie pour mieux implanter sa propre dictature. Bock-Côté nous montre ainsi que les parallèles entre notre époque et celle des dictatures communistes sont bien plus pertinents à la compréhension de l’actualité que les sempiternels renvois à « la montée de l’extrême droite » digne des années 1930.
Avec la finesse d’analyse qu’on lui connaît, l’auteur montre de quelle façon les grands médias de gauche s’arrangent pour imposer leur dogme dans le discours public. Ainsi procède-t-on à un rappel à l’ordre aux personnalités publiques qui osent s’aventurer dans des discours dissidents, et ce, même lorsque ces derniers font preuve de bien des prudences dans leurs propos. Une citation le résume bien :
La gauche étant par définition en mouvement, elle multiplie les purges idéologiques et renvoie toujours à droite ceux qui ne marchent pas à son rythme et ses compagnons de route qui finissent par douter de l’arrivée en terre promise, ou de la valeur de cette promesse (p. 55).
Mais jusqu’où ce mouvement peut-il aller ? Le wokisme ne finira-t-il pas un jour par foncer dans un mur ? C’est une thèse qu’on entend souvent de part et d’autre chez certains qui veulent calmer les inquiétudes. L’idéologie dominante d’aujourd’hui serait tellement folle qu’elle finirait par éclater sous le poids de ses propres contradictions. Pourtant, au moment d’écrire ces lignes, au début de l’année 2024, rien ne présage un recul substantiel de l’idéologie dominante, et ce, même si ses adversaires se font plus nombreux. Mathieu Bock-Côté a le sentiment que la bataille sera longue à mener, bien qu’il soit impossible à qui que ce soit de deviner combien de temps nous serons enfermés sous cette chape de plomb.
C’est dans le deuxième chapitre de son livre que Bock-Côté prend de front le rapport de l’idéologie woke au réel. Cherchant à tout prix à falsifier les faits et à nier la réalité, le wokisme révèle selon l’auteur son totalitarisme. Par exemple, au sujet des banlieues françaises en sécession avec le reste du pays, il devient pratiquement interdit, en France, de parler de la réalité du terrain. Toujours faut-il faire semblant que ces banlieues constituent une preuve de la richesse de la diversité, et si on y voit des problèmes, c’est nécessairement en raison d’un racisme français qui s’approche du fascisme. L’auteur affirme ainsi que :
Plus le récit du vivre-ensemble diversitaire se fracture au quotidien, plus il doit se maintenir de force, en condamnant à la vindicte publique ceux qui osent rappeler que la réalité existe (p. 99).
Selon l’auteur, il se passe sous nos yeux une institutionnalisation du mensonge. Il entend par là qu’un discours faux sur la réalité devient le discours officiel, qu’importe ce que les faits disent de nos sociétés actuelles. Cela ne se voit pas nécessairement sur tous les enjeux de société. Par exemple, les gouvernements ne nieront pas le réchauffement climatique ou des problèmes technocratiques qui peuvent avoir lieu dans différents services publics. L’institutionnalisation du mensonge concerne des enjeux qui touchent à l’immigration, comme l’intégration, la sécurité, et tous les problèmes divers qui y sont liés. Dans une émeute au stade de France, on dira ainsi que les « supporters britanniques » furent à l’origine des violences, ce qui fait rire n’importe quel Français qui sait où se situe le stade en question. De même, lors des émeutes en France de juin 2023, on trouvait plusieurs commentateurs dans l’impossibilité de faire un lien entre ce qui se passait et l’immigration. Le gouvernement poussa l’audace jusqu’à rendre publique une liste de prénoms des gens arrêtés, la plupart étant des prénoms historiquement français (mais sans jamais qu’on sache à quelle proportion il y avait de Nathan, ou de Mohamed1).
Outre les violences, les mutations démographiques en cours sont niées par une bonne partie des experts officiels invités sur les plateaux télé et dans les journaux. Bock-Côté les appelle les démographes lyssenkistes, en référence à la science idéologique sous l’Union soviétique, qui avait pour mission de donner une crédibilité scientifique aux positions communistes. Toute observation moindrement lucide sur les changements qu’apporte l’immigration massive est recalée au propos haineux, à la xénophobie et à l’extrême droite. L’auteur note que l’un des arguments souvent soulevés est que le peuple historique n’aurait jamais existé (p. 114), qu’il n’aurait toujours été le fruit que de migrations, de flux, de changements au fil du temps, et que l’immigration actuelle s’inscrirait ainsi dans la continuité historique du pays.
C’est dans le troisième et dernier chapitre que Mathieu Bock-Côté nous parle peut-être de la dimension la plus inquiétante de sa thèse : il s’agit des « prochains prisonniers politiques d’Occident ». C’est probablement ce genre de propos qui feront dire à certains que l’auteur exagère. Mais qu’en est-il vraiment ? Il y a déjà plusieurs années que Bock-Côté prévient ses lecteurs des dangers du régime diversitaire qu’il dénonce, et nombre de ses pronostics se sont avérés. Des cas inquiétants de banques qui décident d’expulser certains de leurs clients aux opinions jugées délinquantes ont eu lieu, notamment pour Nigel Farage, le chef du parti UKIP en Grande-Bretagne (p. 155-7). En mai 2023, une nouvelle qui a passé sous le radar des grands médias rapportait qu’un Américain fut piégé dans son propre domicile par le système d’intelligence artificielle qui contrôle sa maison. La raison ? Un livreur aurait rapporté à la maison être victime de racisme de la part du propriétaire, poussant ainsi l’intelligence artificielle à punir le « raciste » en question.
Pour donner de nouvelles preuves à la thèse du livre, rappelons que dans les semaines qui ont suivi sa publication, un médecin québécois s’est vu radié pour une période de trois mois en raison de sa « mauvaise attitude » attribuée à l’égard d’un patient trans2. La plupart des grands médias québécois n’ont par ailleurs presque rien dit de son livre, préférant parler d’auteurs obscurs qui évitent de prendre de front l’idéologie dominante, lorsqu’ils ne l’encensent pas allègrement. Isabelle Hachey crut bon d’attaquer la crédibilité de l’auteur en se donnant l’image de la journaliste rigoureuse face à un polémiste sans scrupules3, ce qui lui valut une réplique cinglante qui mit en évidence sa mauvaise foi4. Dans tous les cas, le système médiatique n’aime pas être pris au fait dans son appui à l’idéologie.
En conclusion, dans ce nouveau livre, Mathieu Bock-Côté offre une analyse perspicace de ce que nous vivons à l’heure actuelle. Peut-être que lui-même n’avait pas prévu que les choses s’aggraveraient à ce point. Dans tous les cas, il serait mal venu de le dépeindre comme un simple polémiste qui chercherait l’attention, car la réalité rattrape bien souvent ses prévisions les plus sombres. Un accord de fond ne doit cependant pas nous laisser béat devant son analyse. Le mot « totalitarisme » ne va pas de soi pour décrire ce que nous vivons actuellement. Le peuple garde à peu près sa « common decency » (ou le bon sens populaire) dont Orwell faisait l’éloge, ce qui constitue un rempart important. Est-il certain que les peuples en proie au wokisme se laisseront faire encore longtemps par les élites ? Finiront-elles par communier à l’unisson au discours des dominants ? Rien n’est moins sûr.
Il faut continuer de lire Bock-Côté tant et aussi longtemps que nous ne sortirons pas de l’idéologie qui asphyxie le débat public. Il viendra un jour où nous en sortirons, mais qu’aurons-nous subi d’ici là ? Là est toute la question.
Philippe Lorange
Étudiant à la maîtrise en sociologie – UQAM