Où des femmes comme Andrée Ferretti peuvent vivre

Andrée Ferretti était une amie chère à moi. Elle me disait que j’étais le meilleur ami américain qu’elle ait jamais eu… et le seul ami américain ! Nous en avons ri et avons apprécié le caractère unique de notre amitié. Nous sommes devenus amis en 2014, après que nos chemins se soient croisés lors d’un barbecue visant à amasser des fonds pour la formation des Organisations unies pour l’indépendance du Québec (OUI). Jusqu’à cette époque, je ne connaissais pas Andrée Ferretti. À l’époque, je savais que Pierre Bourgault était le président du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) pendant la Révolution tranquille des années 1960, mais je ne savais pas qu’Andrée Ferretti en était vice-présidente. Je savais que Gaston Miron était un écrivain célèbre, célèbre pour ses contributions au mouvement indépendantiste du Québec, mais je ne savais pas qu’Andrée Ferretti était une militante importante, une écrivaine militante ayant travaillé en étroite collaboration avec Miron sur des publications consacrées à l’avancement de l’indépendance du Québec. Je savais que le mouvement indépendantiste était toujours vivant en 2014, mais je ne savais pas qu’Andrée faisait partie de ces extraordinaires patriotes québécoises qui restaient déterminées à terminer au XXIe siècle ce qu’elles avaient commencé dans les années 1960.

Le nom d’Andrée Ferretti ne figurait dans aucun des livres d’histoire que j’avais lus avant notre rencontre en 2014. Tous les livres d’histoire que j’avais lus jusqu’alors étaient publiés en anglais, car j’ai été formellement éduqué complètement « aux États ». Même si j’avais passé des décennies en tant que professeur de sciences sociales à temps partiel à l’Université d’État de New York, je ne savais rien/zippo/nada de la Révolution tranquille jusqu’à il y a environ 18 ans, lorsque j’ai commencé à diviser mon temps chaque mois entre une maison dans les Cantons de l’Est et une maison dans l’East End de Long Island, New York. Jusqu’alors, les lectures que j’avais faites sur la Révolution tranquille ou sur Andrée Ferretti étaient minimes. Mais j’ai eu la chance de connaître cette personne merveilleuse. J’ai appris à connaître cette part d’Andrée Ferretti qui était passionnément révolutionnaire, volontaire, fougueuse et indépendante, et j’ai bien connu cette part d’elle qui était une Québécoise si joyeuse, profonde, chaleureuse et bienveillante.

Je respecte énormément Andrée Ferretti pour avoir été une leader révolutionnaire héroïque pendant les années les plus bruyantes de la Révolution tranquille des années 1960 et pour avoir continué à être une leader révolutionnaire importante et passionnée pendant les années les plus calmes du mouvement indépendantiste du Québec dans les années 2000. Il me semble clair que le nom d’Andrée Ferretti devrait figurer dans les livres d’histoire écrits pour les anglophones qui vivent au nord ou au sud de la frontière canado-américaine. Si tel était le cas, cela indiquerait que les anglophones accordent plus de respect à la Révolution tranquille en tant que période historique charnière, où le progressisme et la démocratie ont progressé contre l’autoritarisme, et augmenté la séparation entre religion et gouvernement.

C’est un défi monumental que celui de remettre en question l’autorité de la religion organisée et le système d’alliances contre nature qui profitent aux riches, aux puissants et aux sans âme. S’engager à relever un défi face à ce système – que ce soit au Canada, en Iran ou aux États-Unis – demande du courage et une forte motivation. Dans son livre Mon désir de révolution (p. 21), Andrée expliquait ce qui l’a motivait à contester le système : « La mienne est une longue histoire, celle d’un désir incessant de révolution, tissée à partir des émotions violentes du rejet de l’intolérable. »

Motivée à défier l’intolérable, Andrée Ferretti a fait preuve d’un courage héroïque. Elle a fait l’expérience d’être une prisonnière politique, emprisonnée deux fois, pour une période de plusieurs semaines chaque fois. Elle a passé des semaines en cellule d’isolement. La première fois qu’Andrée m’a parlé de cette expérience, c’était alors qu’elle était passagère dans ma voiture. Elle m’a expliqué qu’elle ne pouvait pas porter de ceinture de sécurité, car elle était claustrophobe après avoir enduré des semaines en prison à deux reprises. Comme un acte de défi envers ceux qui l’avaient emprisonnée pour avoir été une leader des militants pacifiques pendant la Révolution tranquille.

Je pense qu’il est juste de dire que si l’histoire d’Andrée Ferretti était l’histoire d’un homme, elle serait mieux connue. Bien sûr, c’est le produit du sexisme qu’existe partout dans le monde, y compris au Québec. Aujourd’hui, en cette deuxième décennie du XXIe siècle, il existe des publications au Québec (L’Action nationale, par exemple) qui soutiennent l’égalitarisme et la liberté et accordent davantage de reconnaissance aux femmes comme Andrée Ferretti. Mais même les écrivains québécois qui sont des hommes et qui écrivent du point de vue des francophones ne sont pas suffisamment reconnus dans la culture anglophone du Canada. À ce sujet, Andrée écrivait dans Mon désir de révolution (p. 102) :

Comment en 2015, à l’heure de la mondialisation du moindre gadget, expliquer autrement que par notre statut provincial le fait que nos plus grands écrivains, créateurs d’œuvres originales exprimant la spécificité de leur culture nationale, ne figurent pas dans la liste des prix Nobel de la littérature ? Pour la seule et unique raison que nos écrivains, confinés dans la province of Québec, n’obtiennent pas l’appui du Canada, nécessaire à leur candidature. Comment les œuvres d’écrivains qui sont grandes précisément parce qu’elles expriment l’âme de leur nation pourraient-elles être présentées et appuyées avec les moyens adéquats à l’obtention d’une telle reconnaissance par le Canada ? Comment les œuvres de Gaston Miron et de Victor-Lévy Beaulieu, par exemple, pourraient-elles représenter la culture canadienne ? C’est impossible, non parce que ces œuvres sont nationalistes, elles ne le sont pas, mais parce qu’elles sont incarnées, comme toutes grandes œuvres, dans leur culture nationale, et que la culture nationale du peuple québécois est fondamentalement, depuis plus de 250 ans, celle d’une lutte pour son plein épanouissement.

La lutte du Québec pour le plein développement de sa culture a été une lutte contre l’autoritarisme et pour l’égalitarisme. Aujourd’hui, les francophones du Québec se prononcent contre l’autoritarisme et pour l’égalitarisme chaque fois qu’ils parlent français. Je suis un anglophone qui lutte pour être le plus bilingue possible, car le combat des francophones du Québec est mon combat. En termes simples, je parle français et j’écris en français autant que possible (peu importe mes gaffes et mes limites) parce que je crois à l’égalitarisme et je crois que c’est au Québec, plus que partout ailleurs, qu’un nouveau modèle de gouvernement et un nouveau modèle pour nourrir une société peuvent être créés.

Le mouvement politique autoritaire le plus dangereux de l’histoire de l’Amérique du Nord, le mouvement trumpiste, est mené au nom de Dieu par des chrétiens américains qui peuvent ou non lire la Bible et des livres de toutes sortes. Peut-être que beaucoup d’entre eux en viendront un jour à considérer Trump comme l’Antéchrist, mais pour l’instant les chrétiens évangéliques restent dévoués à Trump, presque autant qu’ils sont dévoués à la suppression du droit des femmes à l’avortement. Même s’ils ignorent et mettent en doute les accusations selon lesquelles Trump est un violeur en série, les évangéliques soutiennent Trump parce qu’il n’y a aucun doute dans leur esprit qu’il est un homme qui ne croit pas qu’une femme ait un droit inaliénable sur son propre corps. Bien sûr, les évangéliques suppliants chantent alléluia parce que Trump leur a donné une Cour suprême qui a annulé la décision Roe contre Wade (1973) qui avait légalisé l’avortement. Quel plus grand cadeau un aspirant dictateur (ou quelqu’un qui agit comme un Antéchrist) pouvait-il offrir aux fidèles ?

Au moment où j’écris ces mots, Donald Trump vit comme un homme libre et il a une chance de devenir président/dictateur des États-Unis en novembre 2024 (ou quelques mois après). Les sonnettes d’alarme dans les États sonnent de plus en plus fort à mesure que novembre 2024 approche et que la volonté du peuple américain de continuer en tant que démocratie est mise à l’épreuve. À l’heure actuelle, je crois que mon pays va faire avorter la naissance d’une dictature, mais il reste de grands défis à relever pour empêcher Trump de devenir le père indésirable d’une « nouvelle Amérique »… et d’une nouvelle Amérique du Nord.

Même si Trump ne revient jamais à la Maison-Blanche, même si aucun républicain ne remporte l’élection présidentielle de 2024, la mentalité autoritaire trumpiste caractérisera toujours une grande partie de la population américaine. La culture du narcissisme continuera d’exister, quoi qu’il arrive à Trump, le narcissique suprême. Les préjugés extrêmes, l’ignorance, l’hypocrisie, la psychopathologie et la brutalité demeurent dans les racines pourries de mon pays, vestiges de la culture chrétienne oppressive propagée par les colons anglais craignant Dieu dans les États du Nord et de la culture chrétienne de l’esclavage dans les États du Sud. Mais le pays libre dans lequel j’ai eu la chance de naître (particulièrement chanceux en tant qu’homme blanc) a aussi une histoire de grandeur : une histoire de progrès en matière de liberté individuelle, de progrès en matière de démocratie et de progrès en matière des droits de la personne, même si les progrès étaient lents quand ils n’étaient pas révolutionnaires. Que sera l’histoire après l’élection présidentielle américaine de 2024 ? Mon pays choisira-t-il de cultiver le narcissisme et une variante trumpiste de l’autoritarisme ou choisira-t-il de cultiver la démocratie ? Je suis prudemment optimiste que mon pays choisira la démocratie.

Je continue de croire, comme j’ai écrit dans Vigile (2019) :

Les États-Unis du futur ressembleront davantage au Québec d’aujourd’hui si et quand suffisamment d’Américains se tourneront vers un gouvernement démocratique plutôt que vers une religion organisée pour façonner leur pays. Aujourd’hui, la religion organisée ne façonne pas autant la province de Québec que le reste du Canada et des États-Unis, et cela est un résultat de la Révolution tranquille qui a débuté au Québec dans les années 1960.

Malheureusement, « l’humanisme » est toujours un gros mot dans tant de manoirs de riches et tant de lieux de culte aux États-Unis. La « laïcité », très appréciée au Québec, est toujours un gros mot étranger au Canada.

La nation indépendante du Québec qu’Andrée Ferretti s’est consacrée à créer peut encore devenir une réalité. Le Québec n’a pas besoin de devenir une puissance nucléaire pour utiliser une puissance supérieure à toutes les armées du monde, mais une idée dont l’heure est venue, une démocratie laïque et humaniste. Réaliser cela serait aussi révolutionnaire que n’importe quelle autre révolution que le monde ait connue, n’est-ce pas ? Mes amis du Québec sont des gens si modestes qu’ils le sont trop pour croire autant que moi à la force de leur exemple. Comme les saints et les pécheurs, nos plus grandes forces et nos plus grandes faiblesses se tiennent proches les unes des autres.

J’ai plus confiance dans les femmes que dans les hommes pour donner naissance à un monde nouveau et meilleur, car les femmes savent mieux que les hommes qu’un monde meilleur commence là où les femmes sont véritablement considérées comme les égales des hommes. Traitez-moi de féministe ou tout autre « mot en f », mais c’est dans la nouvelle nation du Québec que j’espère voir les femmes et les hommes réaliser cela.

Je termine par les derniers mots de mon témoignage à Andrée lors de ses funérailles : « Je crois que si l’humanité veut avoir un avenir, une ère nouvelle, il faudra que ce soit une époque façonnée par le leadership de femmes qui sont militantes, courageuses et généreuses à la fois. Mon espoir pour l’avenir est que des femmes comme Andrée Ferretti continuent à vivre ».

* John-Jean Ofrias est un Amériquébécois qui vit à Sutton QC et à Riverhead NY.