Cinquante ans après la création du Parti québécois et la tenue des états généraux du Canada français, le Québec n’est toujours pas un pays. Voilà où nous en sommes avec les élections dites de « bon gouvernement », cette provincialisation de l’action indépendantiste détournant les priorités d’action, rétrécissant la vision, diminuant les projets et l’ambition. Nous avons peu à peu perdu le Sens du pays, pas dans la théorie, mais dans la pratique politique.
Il faut refonder le combat indépendantiste. J’hésite à utiliser ce terme de refondation, employé à tort récemment. Le Bloc québécois a annoncé en grande pompe un « congrès de refondation » qu’il a tenu en mars 2019, où on a adopté un nouveau programme de pays comme base de la promotion de l’indépendance. La partie indépendantiste du programme a été complètement écartée de la campagne électorale d’octobre 2019. Le Parti québécois a lui aussi tenu un congrès extraordinaire en novembre 2019 en le qualifiant de refondation, réaffirmant sa foi indépendantiste, mais sans engagement concret, refusant même de s’engager à tenir une campagne électorale indépendantiste d’ici et pendant la prochaine élection, laissant les aléas d’une course à la direction en décider. Québec solidaire a au contraire pris des engagements déterminés à cet égard en intégrant le programme d’Option nationale, mais ce parti réussira-t-il à intégrer la diversité de ses objectifs à son projet indépendantiste désormais plus clair ?
Mettre fin au cycle provincialisant
Une vraie refondation indépendantiste ne peut se faire en empruntant les chemins du passé. Pour contrer la tentation actuelle de démission, démission que rien ne justifie, il est urgent de revoir les bases stratégiques et la pratique politique au sein de l’ensemble du mouvement indépendantiste. Cela implique la fin des campagnes provincialistes et de l’attentisme référendaire, et le dépassement des tensions électoralistes partisanes. Se débarrasser de ces croyances et de ces pratiques nécessite que chaque élection se gagne ou se perde suite à un débat sur le contenu de la souveraineté, en lien avec les questions d’actualité qui se posent alors et des projets à réaliser pour y répondre avec les moyens d’un pays.
Retrouver le sens du pays implique la fin du cycle « provincialisant » dans lequel le mouvement indépendantiste tourne en rond et s’enfonce dans une politique de province qui bloque toute pédagogie de notre émancipation nationale. Au cœur de ce cycle « provincialisant » se trouve la croyance selon laquelle gouverner la province fournirait les moyens nécessaires pour gagner un éventuel référendum dont le moment arrivera « au moment opportun », « lorsque les conditions gagnantes seront réunies » ou « dans un second mandat ». À chacune des sept dernières élections, en fait depuis les ٢٥ dernières années depuis le référendum, l’indépendance a été écartée au profit d’autres objectifs de campagne électorale.
Depuis sa création en 1968, sur les vingt années où le Parti québécois a été au pouvoir, il a cru devoir agir comme un gouvernement provincial plus ou moins nationaliste la majeure partie du temps. En fait, seules les années préparatoires aux référendums de 1980 et de 1995 ont vraiment servi à faire campagne pour l’indépendance. Deux ans sur une période de cinquante années ! Deux ans pour faire une véritable promotion de l’indépendance, mais pas dans les campagnes électorales, quand cela compte, quand les citoyens et les citoyennes s’intéressent à la politique et peuvent discuter de leur avenir national.
On oublie, dans le mouvement indépendantiste, l’impact négatif de cette stratégie électorale provincialiste sur le programme et le discours des partis indépendantistes qui façonnent l’opinion publique. Pour gagner les élections sans parler d’indépendance, pour ne pas faire peur croit-on, on se doit de présenter une plateforme électorale réalisable par une province. Sauf exception, par le passé, la direction des partis indépendantistes s’est constamment assurée que le programme adopté par les membres en congrès ne soit pas trop indépendantiste, soit en convoquant deuxième congrès pour corriger le premier, comme lors de l’épisode du « renérendum » ou celle du soi-disant « beau risque », soit en évacuant le programme officiel du parti par la diffusion d’une plateforme électorale « libérée » de mentions à l’indépendance, soit en s’assurant que les déclarations des porte-paroles soient concoctées par l’équipe médiatique de campagne en fonction des goûts du jour. La campagne du Parti québécois en 2018 fournit un exemple de ce type de manœuvre.
Ainsi, en l’absence d’un projet de pays, très peu de gens, la jeune génération en particulier, ne savent plus ce que l’indépendance pourrait apporter pour résoudre nos problèmes de société. Or si un pays peut faire tout ce qu’une province peut faire, une plateforme provincialiste ne peut être au mieux qu’un pâle reflet d’un projet de pays. On ne peut mobiliser les membres, convaincre les citoyens, faire augmenter le soutien à l’indépendance avec un tel programme. Un programme indépendantiste, un projet de pays diffusé et repris par les militants et les médias est un élément indispensable pour une véritable refondation du cadre stratégique du mouvement indépendantiste, une base pour une action politique déterminée avant, pendant et après les campagnes électorales.
L’élément déclencheur
L’élection doit être l’élément déclencheur pour rompre le cycle provincialisant, inverser la dynamique actuelle et mettre en route une démarche constituante du pays du Québec. L’enjeu de l’élection doit être de choisir, non pas un bon gouvernement provincial, mais un gouvernement engagé à faire du Québec un pays, à réaliser une démarche constituante et des projets de pays au cours du mandat qu’il sollicite de la population.
Une telle élection n’a pas ce caractère « tout ou rien » qui alimente cette peur d’un nouvel échec chez les indépendantistes et dans la population. Une défaite à un troisième référendum serait peut-être très grave. Perdre une élection, cela veut tout simplement dire que le peuple québécois n’est pas prêt majoritairement à entreprendre la démarche proposée. On peut se reprendre à l’élection suivante.
Et surtout, une telle élection décolonise, déprovincialise les esprits. Comme le soulignaient en 2013 Roger et Jean-François Payette, « Le Canada, en s’infiltrant dans la conscience nationale québécoise, a précisément réussi la colonisation parfaite. Le Québécois, dissuadé de lui-même, est devenu le gardien de sa propre dépendance politique, la sentinelle de sa servitude historique ». Il faut quitter ce terrain miné où l’idée d’indépendance est amenuisée, triturée, édulcorée, pour rassurer une population soi-disant frileuse, avec des formules comme « affirmation nationale », « souveraineté-association », « nouveau partenariat ». Cette approche souverainiste qui voudrait faire l’indépendance en douce, si possible sans débats, doit être mise au rebut. Un changement d’attitude face au politique ne peut se faire sans une rupture avec cette pédagogie souverainiste pusillanime, démobilisante, « rampante », disait déjà un Jean Larose il y a vingt-cinq ans.
La convergence des partis indépendantistes
Le mouvement populaire large et profond, culminant en cette presque victoire de l’indépendance au référendum de 1995, au sein duquel se sont créés des mouvements comme celui des Intellectuels pour la souveraineté doit être recréé. Il a peu à peu été accaparé par des machines électorales qui se sont institutionnalisées, des « églises laïques » pour reprendre le terme de René Lévesque.
Actuellement, les indépendantistes se demandent quels instruments politiques sont à même de relancer le mouvement. Le Parti québécois n’est plus le « vaisseau amiral » de l’indépendance. Québec solidaire non plus. Certains espèrent qu’il y aura un jour fusion des deux partis. D’autres souhaitent dans chacun de ces partis que l’autre disparaisse. Pour une multitude de raisons, cela n’arrivera pas. De la même façon qu’il y a plus d’un parti fédéraliste qui se partagent l’éventail des convictions, il faut plus d’un parti indépendantiste pour refléter la diversité d’opinion chez les indépendantistes et dans la population.
Si le Parti québécois ou Québec solidaire continuaient à s’enliser dans une politique attentiste et provincialiste, il est même souhaitable qu’un autre parti indépendantiste prenne son essor et regroupe tous ceux qui veulent faire avancer l’idée d’indépendance, y compris parmi les militants actuels du Parti québécois et du Bloc québécois. Il faut au moins un parti politique déterminé, un fer de lance pour que l’élection de 2022, et les suivantes si nécessaire portent sur l’indépendance.
L’objectif central doit être de créer une majorité à l’Assemblée nationale favorable à l’indépendance. La question du ou des véhicules politiques doit être totalement subordonnée à cet objectif, le plus fondamental. Que ces indépendantistes se situent à gauche ou à droite du spectre politique, qu’ils aient des opinions différentes sur l’environnement ou l’économie, il faut faire converger leurs préoccupations sur la nécessité que Québec devienne un pays. Cette diversité d’opinions est bien sûr trop étendue pour cohabiter au sein d’un même parti politique. L’existence de plus d’un parti indépendantiste permettra à chacun d’eux de rejoindre les électeurs les plus proches de sa façon de concevoir l’indépendance.
Pour maximiser le nombre de députés indépendantistes à l’Assemblée nationale, une alliance électorale est indispensable. Qu’elle se réalise au moyen d’un pacte électoral (comme l’a proposé l’anthropologue Claude Bariteau en 2006), par des élections primaires ou par des ententes entre les directions des partis, une alliance indépendantiste est incontournable pour entreprendre une démarche d’accession à l’indépendance. Or, cela n’arrivera pas si la prochaine élection porte sur autre chose qu’un plan de réalisation de l’indépendance, sur une démarche constituante de pays.
Avec l’aide des mouvements indépendantistes de la société civile, la convergence des partis indépendantistes doit plus que jamais être à l’ordre du jour dès cet automne. Le mouvement indépendantiste n’a plus que deux ans devant lui pour ce faire. Il faut dès maintenant reprendre en priorité et mener à bien les discussions relatives à une feuille de route commune aux partis et aux mouvements indépendantistes. Une fois cette initiative menée à bien, il faudra en faire la promotion auprès de la population au cours du peu de temps qui reste d’ici 2022.
Il est urgent de vaincre la panne d’espoir qui paralyse actuellement le mouvement indépendantiste. Jamais les raisons objectives de l’indépendance n’auront été aussi pressantes que maintenant. Nos grands défis de société, en premier lieu la lutte pour le climat et l’environnement, nous interpellent et demandent que l’on mobilise les moyens d’un pays. Mais jamais non plus les obstacles n’auront été aussi présents. Pour le moment, les plus importants sont en nous. La lassitude, la division, la peur de l’échec doivent être vaincues. L’important n’est pas de gagner la prochaine élection à tout prix, mais d’en faire une étape marquante pour notre émancipation nationale.
* Président des IPSO (2008-2012).