Question posée dans le contexte de la parution du premier livre d’Étienne Alexandre Beauregard Le schisme identitaire [Boréal, coll. Essais, Montréal, 2022, 278 p.]
Prenant comme point de départ certains commentaires de Carl Bergeron dans la critique à la fois positive, lucide et constructive qu’il fait de l’ouvrage de Beauregard, publiée dans L’Action nationale (Mars-avril 2022, Vol. CXII, vol. 3-4), j’aimerais présenter deux arguments qui, à mon avis, montrent que la question autochtone est une question nationale et non sociale, incontournable pour l’avenir de notre nation. J’exposerai aussi brièvement mon point de vue sur notre ethnonyme, ou plutôt sur nos ethnonymes.
Dans son solide essai, Beauregard décrit bien la tectonique des deux plaques idéologiques qui structurent la pensée politique québécoise des dernières années et témoigne du retour d’une vision conservatrice et nationale des choses (l’État unitaire) dans un contexte politique encore dominé par une vision diversitaire et dénationalisée (l’État éclaté).
Dans cette fresque, qui illustre le retour d’une vision conservatrice et nationale des choses, aucune référence aux nations autochtones et au territoire. En effet, cette question a occupé une place importante dans le discours nationaliste et indépendantiste à la fin des années soixante-dix et pendant les années 1980 uniquement. Depuis une vingtaine d’années, elle est l’apanage de la gauche multiculturaliste dénationalisée et de la mouvance antiraciste et décoloniale (que je regroupe ici sous le terme général de bloc de la diversité). Cette question est habituellement abordée par ce dernier dans le cadre plus général du procès de la civilisation occidentale telle qu’elle s’incarne au Québec.
Pourtant, s’il est une question fondamentale pour les nationalistes et les indépendantistes (que je désigne collectivement par le terme bloc national), c’est bien celle des débuts de notre nation en cette partie de l’Amérique du Nord aujourd’hui appelée le Québec, alors occupée par des nations autochtones souveraines.
La jonction théorique opérée entre les minorités en général et les membres des nations autochtones entraîne le congédiement symbolique de notre nation et son remplacement par une majorité raciste.
Bergeron approuve l’initiative de l’auteur qui consacre un chapitre entier à la confiscation de l’écologisme par la gauche dénationalisée :
Refusant de concéder l’exclusivité de ce thème stratégique [l’écologisme] à la gauche, il propose une version de ce que pourrait être un écologisme conservateur et national, plaidant à juste titre que l’écologie est par nature conservatrice. Nous lui suggérons pour notre part qu’il ne devrait pas s’en tenir à l’écologisme (p. 178).
Il suggère ensuite une série de thèmes auxquels Beauregard pourrait appliquer le même procédé. Je me suis permis d’ajouter à cette série de thèmes la question autochtone.
Les auteurs indépendantistes du renouveau conservateur du bloc national (pendant la période de 15 ans que Bergeron fait débuter avec La dénationalisation tranquille de Mathieu Bock-Côté) abandonnent la question autochtone au bloc de la diversité, comme si l’éthique de la loyauté (opposée par Beauregard à l’éthique de l’altérité) interdisait de commencer par le commencement, c’est-à-dire d’interpréter dans une optique nationale les débuts de notre nation née dans le contexte d’alliances avec les nations autochtones, selon un modèle différent de ceux des colonisations anglaise, espagnole et portugaise.
En effet, le bloc de la diversité considère les nations autochtones comme de simples minorités parmi d’autres, ce qui fait de notre nation la majorité blanche et raciste à abattre, privée de son enracinement historique et de la reconnaissance de l’ancienneté de sa cohabitation pacifique avec les nations autochtones alors souveraines sur le territoire. Le bloc national doit donc reprendre avec ces dernières un dialogue de nation à nations, au nom des alliances fondatrices que nos ancêtres politiques respectifs ont conclues avant la Conquête. C’est de toute façon une nécessité, au moins pour des raisons politiques et stratégiques, si nous voulons un jour faire reconnaître notre légitimité et l’effectivité de notre État sur le territoire.
Canadien, French Canadian et Québécois
En passant, un peu de terminologie : presque tous les auteurs (dont Beauregard lui-même), de quelque tendance qu’ils soient, utilisent le terme Canadiens français pour désigner notre nation avant la Révolution tranquille, et parfois même avant la Conquête. Or, nos ancêtres politiques ont été Canadiens de D’Iberville jusqu’à Papineau. Selon moi, s’il faut conserver quelque chose, c’est bien la mémoire des fiers Canadiens, qui portaient le « beau nom de nos pères » (Octave Crémazie).
Nos prédécesseurs ont ensuite vécu sous un nom de colonisés depuis le milieu du XIXe siècle, ce qui ne les a pas empêchés de connaître sur une période de cent cinquante ans une lente évolution qui a mené à l’adoption libératrice de l’ethnonyme Québécois. Je pense qu’il serait inacceptable de revenir à notre nom de colonisés ; certains y songent, comme l’écrivain Alexandre Soublière. À ce compte-là, je pense qu’il faudrait alors reprendre le « beau nom » de nos ancêtres que les Britanniques d’Amérique du Nord se sont approprié.
Héritage à conserver, mais aussi à faire fructifier
Il faut accepter le peuple québécois tel qu’il est, nous dit Beauregard, voulant dire par là – lorgnant avec inquiétude du côté des progressistes fous – qu’il faut renoncer à le changer. C’est tout à la fois vrai et faux. L’accepter tel qu’il est, se contenter de ce qu’il est, le célébrer tel qu’il est, reviendrait à signer notre consentement à la fin de l’Histoire et notre mort. Les peuples occidentaux se sont jetés dans le tumulte de l’Histoire parce qu’ils ne se contentaient pas de ce qu’ils étaient et qu’ils cherchaient, non seulement à défendre des intérêts et la survie du groupe, mais aussi à réaliser des valeurs et un destin (p. 180).
Oui, accepter le peuple québécois, même lorsqu’il vote mal (selon le bon mot de MBC), qu’il ne se « libère » pas assez vite à notre goût. Aimer sa parlure, nous reconnaître dans ses forces et ses faiblesses parce que ce sont aussi celles de chacun de nous.
Par contre, la résignation, l’existence façonnée par les diktats de la consommation, le refus d’assumer son plein potentiel, ne sont pas des modalités de fonctionnement acceptables pour une nation qui se respecte.
En prenant comme modèle « notre grande aventure », soit l’établissement de nos ancêtres politiques dans la négociation permanente avec les nations autochtones, sans qu’aucune guerre soit menée contre ceux qui habitaient les territoires englobés dans les frontières du Québec d’aujourd’hui, nous pouvons aspirer à faire entrer à l’ONU le premier État des Amériques créé par la collaboration d’égal à égal entre une nation allochtone et des nations autochtones.
En faisant fructifier ce riche héritage, avec fierté et dans la fidélité à nos origines, au-delà des clivages idéologiques, nous bâtirions pour notre nation les fondations les plus solides qui soient.