Y a-t-il une explication au Brexit et au rejet de la monnaie unique par le Royaume-Uni ?

Le présent article porte sur les raisons ayant motivé le Royaume-Uni (R.-U.) de s’exclure de la zone euro et de vouloir quitter l’Union européenne (UE) à la suite d’un référendum nommé Brexit.

Le traité de Maastricht est signé le 7 février 1992. Il constitue la première étape de la construction de l’Union économique et monétaire en Europe. Il ajoute à l’UE une dimension politique. Ce traité se révèle être l’un des plus célèbres dans l’histoire de l’intégration européenne. Le traité pose les assises d’une monnaie unique, qui sera gérée par la Banque centrale européenne (BCE). La nouvelle monnaie unique, soit l’euro, apparaît en 1995. Le 1er janvier 1999, onze États membres, sur une possibilité de quinze, se joignent au système monétaire européen. Il s’agit de la Belgique, la France, l’Allemagne, l’Espagne, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Autriche, le Portugal et la Finlande. Ces pays, en tant que membres de l’Union monétaire, acceptent que l’euro soit décrété leur monnaie nationale avec un taux de change fixe par rapport aux autres devises internationales. Aujourd’hui, la zone euro compte huit autres pays portant à dix-neuf le nombre total de membres ayant adopté l’euro comme monnaie nationale1.

Une monnaie commune n’a rien à voir avec la promotion de la démocratie comme certains politiques ont tenté de le faire croire lors de la signature du traité de Maastricht2. Comme le mentionne les critiques du système monétaire unique, le projet européen fut à ses vingt-cinq premières années d’existences, soit de 1945 à 1970, une réussite extraordinaire.

Pourquoi le Royaume-Uni n’a -t-il pas adhéré à la zone euro ?

La décision de ne pas adopter l’euro comme monnaie unique fut prise par le R.-U., sous le gouvernement conservateur de John Major, dès la création de celui-ci. Un protocole d’exemption fut ajouté au traité de Maastricht autorisant le R.-U. à pouvoir y accéder plus tard.

Pour le touriste voyageant en Europe, l’arrivée de l’euro a facilité grandement sa vie en lui permettant d’utiliser une seule monnaie, en circulant d’un pays à l’autre, plutôt que d’avoir recours à plusieurs devises. Cependant, pour les pays membres du système monétaire unique, cela impliquait évidemment d’abolir leur banque centrale et accepter de fonder une banque centrale commune. Cette nouvelle institution devint la Banque centrale européenne (BCE). La naissance de la BCE impliquait que tous les pays membres de la zone euro perdent l’usage de leur politique monétaire. Or, tout pays gère son économie en utilisant principalement deux instruments clés, soit :

a) la politique fiscale lui permettant d’augmenter les impôts et taxes ou de les réduire en fonction de l’état de l’économie. Si un État veut accélérer l’économie pour contrer le chômage, il aura tendance à réduire les charges fiscales et dans le cas contraire, s’il désire freiner l’économie à cause d’une inflation trop élevée, il aura tendance à augmenter les impôts ce qui réduira les revenus des consommateurs et des entreprises. Cette politique fiscale n’est évidemment pas touchée par l’instauration de la monnaie unique et chacun des pays membres de la zone euro peut utiliser à sa guise sa propre politique fiscale ;

b) la politique monétaire, confiée à la banque centrale d’un pays donné, en l’occurrence la BCE pour les pays de la zone euro. Si la BCE veut stimuler l’économie, elle réduira son taux d’intérêt ce qui augmentera l’offre de crédit en permettant aux consommateurs et aux entreprises d’emprunter et dans le cas contraire si elle désire la freiner, elle haussera son taux d’intérêt, ce qui comprimera l’offre de crédit dans l’économie. De plus, la politique monétaire compte aussi sur la fluctuation du taux de change s’il y a un déséquilibre persistant entre les exportations et les importations dans l’ensemble de la zone euro. Avant la création de l’euro, lorsqu’un pays importait trop, son taux de change avait tendance à diminuer ce qui favorisait ses exportations et défavorisait par le fait même ses importations. Cet instrument n’existe plus pour chacun des pays membres de la zone euro, mais il est opérationnel pour l’ensemble de la zone.

Or, puisque tous les pays membres de la zone euro adhèrent à une monnaie commune, ils se trouvent à avoir perdu leur capacité d’intervention pour stimuler ou freiner leur économie ou encore pour utiliser leur taux de change pour ajuster leurs exportations et leurs importations. Tous les pays de la zone euro se trouvent à adopter un taux de change fixe et ils ne peuvent plus faire évoluer les taux d’intérêt en fonction de la situation économique ayant cours dans leur pays. Ils doivent s’en tenir à un seul taux d’intérêt fixé par la BCE pour tous les pays membres de la zone euro !

Voilà pourquoi le Royaume-Uni a refusé d’adhérer au système monétaire unique, car il perdait toute marge de manœuvre pour gérer son économie. Cependant, avant de prendre cette décision, en juillet 1997, le chancelier de l’Échiquier (ministre des Finances) dans le gouvernement New Labour, Gordon Brown, annonça que le Royaume-Uni devrait passer cinq tests avant d’accepter l’euro. Les critères sélectionnés par le chancelier de l’Échiquier pour déterminer si l’Angleterre devait accepter l’unification monétaire européenne furent inspirés de la théorie des zones monétaires optimales de l’économiste Robert Mundell3. Voici quels étaient ces cinq critères :

1) la convergence des économies ;

2) une flexibilité suffisante pour résister aux chocs éventuels (ex : récessions) ;

3) le développement de l’investissement à long terme ;

4) le maintien de la position concurrentielle de la City (Londres) ;

5) l’apport d’une croissance plus forte, de plus de stabilité et de plus d’emplois à long terme.

Le premier critère : il faut que le cycle d’activité soit proche de celui de la zone euro pour qu’il y ait convergence des cycles et des conjonctures économiques. Le système des changes fixes et à plus forte raison avec une monnaie unique exige que les situations conjoncturelles entre les pays membres ne soient pas trop différentes ; sinon les ajustements se feront, notamment par l’emploi. Or, les situations économiques observées entre le R.-U. et les pays de la zone euro se sont révélées passablement divergentes.

Le second critère portait sur la flexibilité, ce qui implique que les économies de la zone euro et celle du R.-U. soient assez flexibles pour que les chocs ou ralentissements de l’activité économique puissent être absorbés. Or, cette flexibilité serait très supérieure en Angleterre par rapport à celle du continent. Le marché du travail en Angleterre est très flexible avec la quasi-inexistence du salaire minimum, la flexibilité des salaires et la mobilité de la main-d’œuvre. Les Anglais concluent par cette analyse que leur économie est plus flexible que celle des Européens, mais selon eux, ils devront attendre encore un peu avant d’entrer dans la zone monétaire européenne afin que les ajustements se fassent plus rapidement et encore mieux que maintenant. Si les Français et les Allemands avaient effectué ces tests, auraient-ils accepté d’entrer dans la zone euro ? Certains observateurs en doute !

Le troisième critère porte sur l’investissement. Si le R.-U. adhérait à la zone euro, il faudrait constater à long terme un accroissement des investissements privés et publics qu’ils soient d’origine britannique ou étrangère. Gordon Brown a considéré que ce test n’était pas concluant pour l’Angleterre.

Le quatrième critère avait trait aux services financiers. La monnaie unique devrait améliorer la situation compétitive des services financiers au R.-U. notamment ceux de la City (Londres). Sur cet aspect, le chancelier de l’Échiquier considère que la City passe le test, car les services financiers britanniques sont très compétitifs.

Enfin, le cinquième et dernier critère avait pour but de vérifier si l’union monétaire pourrait avoir des effets positifs sur le taux d’emploi et la croissance économique, mesurés en fonction de leur impact sur le commerce extérieur britannique. Sur ce cinquième point, le ministre des Finances du R.-U. ne voyait pas ce que l’euro pouvait apporter de mieux à l’économie de son pays.

Selon les Britanniques les cinq tests leur permettent de conclure : la prospérité du R.-U. est due à sa grande indépendance et son dynamisme grâce à la faiblesse de ses impôts et de ses dépenses publiques ainsi que la flexibilité de son marché du travail. Ils ne voient donc pas ce que l’euro pourrait leur apporter de mieux.

Ces tests furent conduits à l’aide de dix-huit études techniques de 2000 pages réalisées par la Banque d’Angleterre et un sommaire de 250 pages fut rédigé par le ministère des Finances. Certains ont prétendu que les fameux tests économiques énoncés par Gordon Brown n’étaient qu’un prétexte pour repousser à plus tard la décision d’adopter ou non l’euro et ainsi éviter un débat à la Chambre des communes, car en fin de compte, cette décision d’adopter l’euro ne pouvait être que purement politique4.

Au moment de la création de l’euro, les Anglais avaient suggéré une solution alternative à la monnaie commune, soit de conserver les monnaies nationales de concert avec l’euro. Cette façon de procéder aurait laissé le choix aux consommateurs et aux épargnants entre l’euro et les monnaies nationales. Avec le temps, la population aurait choisi l’unité monétaire de son choix. Cette proposition qui correspondait à un euro flexible fut évidemment rejetée par l’Union européenne5.

Pourquoi le Royaume-Uni décida-t-il de quitter l’Union européenne par la voie du Brexit ?

Le 23 juin 2016, le Royaume-Uni (R.-U.) choisit par référendum de sortir de l’Union européenne (UE) par 51,9 % des voix contre 48,1 %, lui qui n’avait jamais adhéré à l’Union monétaire. À la suite de ce référendum, le premier ministre David Cameron démissionna. Dans la plupart des cas où les politiques ont consulté leurs électeurs, ces derniers ont rejeté l’euro (au Danemark et en Suède), l’Union européenne (en Norvège) ou la Constitution européenne (en France et aux Pays-Bas). Selon Stiglitz, lors du Brexit, une majorité de la population de plusieurs pays européens (Grèce, France et Espagne) avait une mauvaise opinion de l’UE6.

La création de l’espace Schengen a -t-il eu un effet négatif sur les résultats du vote sur le Brexit ? Cet espace regroupe, depuis 1985, vingt-six pays européens, lesquels autorisent la libre circulation des personnes à l’intérieur de leur territoire. Il supprime les contrôles aux frontières intérieures des États signataires tout en garantissant une protection renforcée aux frontières extérieures. Vingt-deux membres de l’UE font partie de ce regroupement de pays7.

En premier lieu, les pays ayant réussi à maintenir un taux de chômage faible dans l’UE, soient l’Allemagne et le R.-U., ont constitué des cibles attrayantes pour les migrants venus des pays africains ou de ceux de la Méditerranée. De plus, puisque le R.-U. était devenu un pays multiethnique, multiculturel et dont la langue d’usage était de surcroît l’anglais, tout cela le rendait attractif auprès des personnes migrantes.

Dans les faits, au moment du Brexit, la migration massive d’individus à la recherche d’un emploi vers le R.-U. en passant par la région du Pas-de-Calais en France faisait la manchette quotidienne dans les médias.

Cette invasion chômeurs dans les îles britanniques a certainement été un déclencheur dans la prise de conscience par les Anglais (du moins ceux les moins scolarisés) du risque que présentait une UE sans frontière, et cela même si le R.-U. et l’Irlande étaient exclus de la zone Schengen.

Deuxièmement, Stiglitz considère que l’UE au moment du vote sur le Brexit était de plus en plus dysfonctionnelle puisqu’elle faisait fi de la souveraineté des pays en crise financière, comme en Grèce, et en Italie, tout en étant sous la domination de l’Allemagne et de son style autoritaire.

Troisièmement, l’UE a construit au fil des années une bureaucratie colossale, avec ses règlements souvent très complexes, ce qui a encouragé ses détracteurs comme le parti conservateur britannique, à propager cette vision auprès de ses partisans de façon à ridiculiser l’Europe. En fait, il s’agissait pour les partisans du Brexit d’exagérer la bureaucratie en vigueur dans l’UE, par des déclarations souvent fausses, afin de s’attirer des appuis lors du prochain référendum.

Quatrièmement, les adversaires de l’UE ont mis en évidence le grand déficit démocratique qui y régnait. Même si les Britanniques n’ont pas été directement affectés par ce déficit démocratique, Stiglitz croit que cela les confortait dans leur perception de l’UE8.

En conclusion

Tout cela a convaincu les Britanniques de voter en faveur de leur sortie de l’UE. Ont-ils appuyé le Brexit afin de négocier une entente plus favorable avec Bruxelles ou encore par crainte d’être écrasé par l’immense bureaucratie européenne qui les conduisait graduellement à la négation du R.-U. comme entité distincte et à leur absorption éventuelle dans une Europe supranationale ? Seul l’avenir le dira !

 

 


1 « Histoire de l’union économique et monétaire et de l’euro. Synthèse » Le 23 février 2017.

https://www.toutleurope.eu/actualité/histoire-de-l-union-economique-et-monetaire-et-de-l-euro.html et Union européenne.

https://fr.wikidia.org/wiki/union_europeenne et Histoire de l’Union européenne, Synthèse, le 2 août 2018, https://www.toutleurope.eu/actualite/histoire-de-l-union-europeenne.html

2 Ashoka Mody, The Euro Tragedy, A drama in Nine Acts, Oxford University Press, 2018 et résumé du livre La tragédie de l’Euro ou l’incroyable bulle cognitive dans laquelle l’Europe s’est enfermée, par Ashoka Mody, Atlantico, le 02-02-2019 (p. 5-7)

3 Agnès Bénassy-Quéré, « Une théorie des zones monétaires optimales suivi de : Le paradoxe de Mundell », Revue française d’économie, 2003, numéro 18-2., https://www.persee.fr/doc/rfeco_0769_0479_2003_num_18_2_1483

4 Jean-Yves Naudet, « L’Angleterre repousse l’Euro », le 24 juin 2003. https://www.libres.org/conjoncture/432-langleterre-repousse-leuro-.html

5 Nathalie Champroux, « Tony Blair et Gordon Brown face à la question de l’adoption de l’euro : Aspects discursifs et médiatiques », Working Paper, Paris, CERVEPAS, septembre 2005, http://cervepas.univ-paris3.fr/articles-et-communications/article-nathalie-champroux.pdf, 18 p.

6 Joseph E.Stiglitz, L’Euro : Comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe, éditions LLL, Les Liens qui libèrent, 2016, p. 369 et suivantes.

7 « Le fonctionnement de l’espace Schengen. Synthèse », 8 février 2019, https://www.touteleurope.eu/actualite/le-fonctionnement-de-l-espace-schengen.html

8 J. E. Stiglitz, op. cit., p.388 et 389.

* L. Sc.Com – (HEC-1965), Associé fondateur de Major & Martin inc., conseillers en développement industriel, puis professeur agrégé à l’École polytechnique, et associé fondateur du Groupe Productivité Plus, conseillers en administration et en génie industriel.