Yves Michaud était un gentleman, un homme très avenant, et un conteur né. Il revendiquait « un petit côté frondeur », « un tantinet cabotin », « parfois insoumis », « en tout cas rebelle ». Comme directeur de journal, il était tout le contraire de l’austère Claude Ryan, pas du tout un directeur de journal autoritaire, jaloux de ses prérogatives, il cherchait plutôt la nouveauté, l’innovation dans les caractères d’édition, la mise en page, l’éditorial, et il a, le premier, créé une société des rédacteurs, inédite à Montréal, inspirée du Monde.
Avec René Lévesque et Jacques Parizeau, il avait la particularité d’écouter les avis de l’un et l’autre avant de trancher. Ils ont travaillé tous trois de concert, liés comme les doigts de la main. Les trois hommes se faisaient confiance et incarnaient des hommes d’ouverture, travaillant à ce que le Québec devienne « Maîtres chez nous » de manière définitive. Yves Michaud n’aurait jamais lâché René Lévesque, ni Jacques Parizeau.
Le Maskoutain a eu un début de parcours difficile. Il commence des études au Séminaire de Saint-Hyacinthe, ce qui explique son attention à la grammaire, son attrait pour l’art oratoire, le sens de la formule et le choix des mots justes. Dans cette institution stricte, il acquiert l’amour de la littérature française et de la versification, comme quasi tous les élèves du cours classique.
Yves Michaud prend au début de la vingtaine la direction du journal hebdomadaire, Le Clairon, créé par T. D. Bouchard, le fondateur et directeur, devenu maire, député de Saint-Hyacinthe, puis ministre et enfin premier opposant à Duplessis dès les années trente et quarante. Yves Michaud va se référer souvent à cet initiateur, combattant résolu à Duplessis.
Le parcours d’Yves Michaud a des similitudes avec celui de Georges-Emile Lapalme, le directeur de l’’hebdomadaire de Joliette, avant de devenir député, nommé vis-à-vis d’André Malraux comme ministre de la Culture de la Révolution tranquille. Cela va créer des liens, ces deux vocations de directeur d’un journal de combat. Ils resteront des amis proches.
Le rédacteur en chef Michaud a confié avoir demandé la première d’une série de chroniques à René Lévesque, dès 1951, payée 5 $. Cela va sceller une amitié indéfectible. Le directeur du Clairon est opposant à Daniel Johnson père, le député du comté voisin, où était distribué Le Clairon.
En 1962, son combat se transporte à Montréal, à l’hebdomadaire La Patrie, dont il assume la rédaction en chef et la direction. Puis il est élu député de Gouin, en 1966, dans un comté français populaire de Montréal. Lors du discours du général de Gaulle, à l’Hôtel de Ville de Montréal, en 1967, il est juste à côté de René Lévesque, à l’écouter au sein de la Mairie, le sourire aux lèvres. Puis, il dirige ce qu’il a appelé la lutte « circonstanciée » en 1969, contre la loi 63, qui consacre la liberté de choix de la langue à l’école.
Cinq ans plus tard, en 1974, à l’annonce de la fondation du Jour, Yves Michaud est naturellement comme un poisson dans l’eau. Après avoir assumé la direction de La Patrie, de 1962 à 1966, il est rôdé. Il déniche un graphiste qui lui invente les caractères Kebec pour le nouveau journal. Quand il présente le numéro 0, une semaine avant le lancement officiel du Jour, il est manifestement au septième ciel.
Au journal, M. Michaud cherche le mot juste, le mot qui surprend, ce qui en a amené certains, beaucoup plus tard, à l’accuser injustement, d’avoir choisi Israël à titre d’exemple d’autodétermination à suivre pour le Québec. Mais il est vrai que The Gazette avait déjà accusé le docteur Camille Laurin d’être un nazi, quand il a présenté la loi 101, et René Lévesque avec des mots tout aussi avenants, très souvent, en plus de caricatures parfaitement odieuses d’Aislin. Sans jamais que The Gazette soit condamnée au nom de la liberté d’expression !
Pour moi, le patron de la rédaction du Jour n’a jamais eu de paroles blessantes. Plutôt des mots d’encouragement. Parfois, pour que la pression s’estompe, il se lançait dans un récit de son cru, causant un attroupement dans la salle de rédaction sans fenêtre, studieuse mais joyeuse. Je me souviens de l’un de ses récits sur ses visites tardives au restaurant Da Giovanni, rue Sainte-Catherine, où il allait, après le bouclage de La Patrie, vers minuit. C’était à pisser de rire !
Yves Michaud dira au sympathique Gilles Morin, pour la Chaîne parlementaire de l’Assemblée nationale au soir de sa vie, en 2011 : « J’ai aimé Le Jour encore plus que La Patrie, encore plus que Le Clairon ». C’est tout dire.
Plus tard, je l’ai revu quand il était Délégué général du Québec à Paris. C’était après la défaite crève-cœur du premier référendum. Il avait fait poser une sculpture de Voltaire à l’entrée de son bureau, avec un socle très bas. « C’est pour que les hommes politiques posent un genou à terre afin de lire son propos sur le Canada », disait-il avec le sourire. Pour l’histoire « de la perte de quelques arpents de neige ». C’était une manière à lui d’inciter les intervenants politiques qui lui rendent à ouvrir le débat sur la position de la France à l’égard du Québec. Et les hommes politiques français se sont tous dressé comme un seul homme pour l’appui à René Lévesque.
Quand il sortait de la Délégation, Yves Michaud était bienveillant avec chacun, ayant même un mot pour saluer la prostituée qui se posait souvent avenue Foch, près de la Résidence du Délégué général du Québec. Elle était honorée qu’un personnage aussi important se permette de la saluer gentiment en tant que voisin de palier. C’était Yves Michaud tout craché, il n’était méchant avec personne !
Après le premier référendum, c’était dur d’être Délégué général du Québec à Paris, mais il maintint un lien fort avec les hommes politiques français. À sa table, on rencontrait les directeurs de journaux et les journalistes qui venaient tous avec plaisir, de même que les journalistes québécois de passage, il préparait le terrain pour René Lévesque en cas de nouvelle initiative. Le Tout-Paris défilait à la table de la Résidence du Délégué général du Québec à Paris.
Deux décennies plus tard, j’ai réalisé une longue entrevue avec lui, à l’occasion des 40 ans de relations diplomatiques du Québec avec la France, en octobre 2001, pour une revue de 120 pages publiée pour cette occasion et dont j’étais responsable. J’avais interviewé tous les anciens Délégués généraux du Québec à Paris.
Yves Michaud a assumé un rôle distinct des autres Délégués généraux du Québec. Il a pris ses fonctions à un moment crucial, en août 1979, neuf mois avant le premier référendum, et jusqu’en 1984, à titre de conseiller diplomatique personnel de René Lévesque.
Il tissa des liens avec les hommes de Giscard d’Estaing, le président de la République, sans négliger François Mitterand, qui allait devenir président en 1981. Au sujet de ses rencontres avec ce dernier, il m’avait expliqué : « Pour Mitterand, c’était billevisée que la souveraineté. Il avait peur de l’exaltation du nationalisme. Le seul leader socialiste qui n’avait pas eu cette peur du nationalisme, c’était Jaurès. Il disait : “Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène.” »
Néanmoins, le DGQP a aussi trouvé des appuis à gauche, avec l’aide précieuse de Louise Beaudoin. Il avait nommé parmi ces appuis : Jean-Pierre Chevènement, Michel Rocard, Pierre Mauroy. À droite, Yves Michaud avait mobilisé beaucoup d’appuis de l’ombre, notamment au Quai d’Orsay.
Après la défaite au référendum de 1980, il obtient que Jacques Chirac nomme « Place du Québec », le carrefour incroyablement situé devant l’église Saint-Germain des Prés, à l’angle du boulevard Saint-Germain et de la rue de Rennes. Un hommage aux Français du Québec assommés. Le sculpteur Charles Daudelin y dressa un embâcle pour symboliser le Québec en ce moment difficile !
Ce n’est pas pour rien que, quinze ans plus tard, Yves Michaud fut nommé, de nouveau, « envoyé diplomatique du premier ministre à Paris », cette fois pour Jacques Parizeau, son ami, avant le deuxième référendum. Il m’avait expliqué qu’à sa surprise, à son arrivée à Paris, il devait constater tout l’espace laissé inoccupé par celui qui était délégué général, en poste depuis plusieurs années, un ancien haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères à Ottawa.
Yves Michaud résuma la situation en ces termes :
En 1995, j’ai accompagné Jacques Parizeau comme envoyé spécial. Je battais le rappel. Ainsi, j’ai tenu des réunions à la Délégation avec de nombreux hommes politiques. Dans les années qui avaient précédé, ces gens avaient été quelque peu délaissés par mes prédécesseurs. Bernard Dorin, par exemple (qui avait été au cabinet politique d’Alain Peyrefitte, ministre de De Gaulle, de Pompidou, puis de Giscard), il n’avait pas mis les pieds à la Délégation depuis cinq ans.
Quand j’ai accompagné Jacques Parizeau, en janvier 1995, nous avons eu une rencontre avec Giscard, alors président de la Commission des Affaires étrangères. Giscard, intelligent comme un singe, nous a dit : « Mais quoi, vous vous donnez un délai d’un an avant de proclamer la souveraineté ? Mais vous allez vivre une année terrible. » Tout de suite, il a vu les problèmes, les rétorsions possibles des Américains et du Canada. Jacques Parizeau était un peu secoué après cette intervention.
L’envoyé spécial a attiré à la DGQP tout ce qui comptait dans l’opinion publique, comme il avait fait quinze ans plus tôt, des hommes politiques, des journalistes de tousbors. Il me raconta avec fierté : « Je me souviens d’avoir réuni en même temps à table, le rédacteur en chef du Figaro, mais aussi celui du Nouvel Observateur et celui de l’Humanité. J’avais réussi à faire de la Délégation générale du Québec le lieu de rassemblement ».
Toute la presse française, de Paris-Match jusqu’à Libération appuient avec enthousiasme Jacques Parizeau et l’indépendance du Québec, avec des unes flamboyantes, des analyses extra. Et que dire de Jacques Chirac et de Philippe Séguin, le grand tribun qui vint alors plusieurs fois au Québec, y compris dans la Tribune de l’Assemblée nationale.
Les journaux et les revues de France n’ont jamais autant parlé du Québec, qu’avant ces deux référendums de 1980 et 1995. Les artistes aussi étaient très enthousiastes, notamment Jacques Higelin. Yves Michaud y était pour quelque chose. Il avait la manière avec ces influenceurs. Ce n’est pas pour rien qu’il a été promu au rang fort élevé de Commandeur de la Légion d’honneur.
À la retraite de Jacques Parizeau, il s’est trouvé une nouvelle vocation, tout indiquée pour lui, négociant en vin. Il n’eut pas son pareil pour la promotion du Château Cos d’Estournel, un Saint-Estèphe qui avait ses faveurs.
Yves Michaud, bon vivant, défenseur de la langue française, a été à sa manière, pour le Québec, une variante de Maurice Druon, député, ministre, défenseur du français impeccable et véritable légende ayant présidé l’Académie française.
Avoir 20 ans en 1950 ne devait pas être facile. D’autant plus qu’il a été orphelin de père à 15 ans. Yves Michaud a connu la Grande Noirceur et il l’a combattue. Il en a souffert. Cela a été donné à peu de gens d’être flamboyants comme lui dès le début. Un harangueur talentueux à Saint-Hyacinthe, à La Patrie, au Jour, à Québec, à Paris, au MÉDAC !
Santé, M. Michaud, fidèle compagnon de René Lévesque et Jacques Parizeau, la Patrie vous doit beaucoup !
* Journaliste pendant 35 ans à la radio, à la télévision, dans deux quotidiens, deux hebdomadaires et plusieurs mensuels, Jean Chartier a aussi assumé des fonctions de conseiller en communication au sein du gouvernement du Québec, au moment du référendum de 1995, puis à la Délégation générale du Québec à Paris.