Les promoteurs de tout acabit, les politiciens pressés, les partisans du tout au marché, les inconditionnels de l’intégration continentale, les intoxiqués aux carburants fossiles et de nombreux autres encore qui trouvent réconfort à suivre la parade, ça commence à faire beaucoup de semeurs de vents. On verra en ces pages qu’ils s’apprêtent à récolter toute une tempête !
Le dossier de l’éolien, c’est plus que du vent à mettre en marché. C’est l’illustration de toutes les démissions, le catalyseur de tous les efforts pour faire primer le bien commun, une occasion de provoquer un immense exercice de délibération collective. Les textes réunis ici n’épuisent pas le sujet, ils participent plutôt d’une commune volonté d’aller au fond des choses en matière de politique énergétique et, plus fondamentalement en matière de transition énergétique. On le verra ici dans le propos de plusieurs des collaborateurs, cette dernière a le dos large. Elle sert bien davantage de paravent pour camoufler des intérêts et d’enrobage pour maquiller des choix moins avouables. Il faut le dire et le répéter, le dossier éolien ne résume ni n’épuise le sujet de la transition énergétique. Il pointe plutôt l’urgence de l’aborder de front, en distinguant clairement les enjeux propres à une telle énergie renouvelable des autres sources de même nature non pas seulement pour en soupeser les mérites techniques ou écologiques, mais surtout pour mieux comprendre ce qu’il faut en évaluer pour qu’elles prennent leur place dans une politique cohérente.
La transition énergétique ne se réalisera pas par accumulation de projets « verts ». Elle ne se fera pas par des propositions « à la carte ». Il s’agit d’un projet politique qui ne sera réalisable qu’à la condition d’attaquer de front le paradigme de développement qui dirige notre société dans un véritable cul-de-sac. Et ce n’est pas là le moindre des dégâts que cause l’aventure éolienne qui chaque jour davantage prend toutes les allures d’une embardée collective majeure. Car l’éolien, qui gâche déjà le paysage et qui menace de moult autres manières, n’a rien à voir avec la transition énergétique. C’est une gigantesque manœuvre affairiste qui utilise la transition énergétique comme paravent. C’est un leurre.
Un leurre qui va empoisonner les débats sur ce qui restera le défi le plus périlleux pour l’avenir du Québec et sa capacité de répondre à la plus grave crise environnementale et civilisationnelle. Il va falloir détricoter bien des sornettes idéologiques et aplanir bien des coches mal taillées pour se redonner un cadre de pensée adéquat. Tôt ou tard, il sera pourtant nécessaire de se donner une vision claire de la transition qui s’imposera de toute manière, au Québec comme aux autres sociétés. Les données s’accumulent, les signaux d’alarme se multiplient devant les dérèglements climatiques et les mesures dilatoires ou les démissions politiques n’y changeront rien. Mais ce qu’il y a de désolant dans l’embardée en cours, c’est qu’elle fera perdre un temps précieux, qu’elle engloutira des ressources énormes en plus d’alourdir les bilans à venir non seulement d’immenses gâchis, mais encore et surtout d’une démoralisation qui rendra encore plus difficiles les efforts de redressement.
Il est encore trop tôt, malheureusement, pour établir, ne serait-ce que provisoirement, une estimation des coûts et des conséquences de cette embardée, ainsi que les entraves que cela posera sur ce qui restera un parcours obligé. Une chose est certaine cependant, l’aventure éolienne telle qu’elle est engagée ne conduira ni sur la voie de la transition ni même sur la voie de l’indépendance énergétique. Ses chantres sont des naufrageurs qui mettent d’ores et déjà à mal le modèle québécois de développement, qui sapent certains des consensus majeurs qui le fondent et qui minent ce qu’il y a de plus important pour inventer l’avenir, la confiance dans les institutions et dans ceux et celles qui les « dirigent ».
Le développement de la filière éolienne confié au secteur privé et à l’appétit des promoteurs et investisseurs brise une des plus grandes conquêtes de la Révolution tranquille : la nationalisation de l’hydro-électricité et la construction d’une institution phare, Hydro-Québec. Le gouvernement du Québec a délibérément choisi de briser le monopole national pour le laisser grignoter pour la logique marchande qui le fait dévier de sa mission de service public pour le déporter dans un rôle de courtier en énergie, rompant ainsi le pacte et le mandat que les citoyens avaient placé au cœur de l’élection de 1962. Les profits qu’accaparent les promoteurs privés ne sont pas que de juteux pactoles consentis par des tarifs et conditions indécentes, ce sont des trophées ! Les ententes qui les rendent possibles sont d’abord des étendards pour symboliser le retour en force des puissances d’argent qui montent à l’assaut de la richesse collective. Le Québec consent et renonce à une part énorme des revenus qui ne servent ni son développe-ment ni sa santé financière. Les profits sont exportés dans des proportions qui, à coup sûr, iront grandissant, avalés par les ogres de la mondialisation. Les contribuables paieront de plus en plus cher pour financer le spectacle.
L’éolien privé, pis encore, l’éolien hybride financé dans des partenariats qui reposent sur l’endettement des municipalités ne sert pas l’intérêt national. Non seulement défait-il le Pacte de l’électricité, mais encore et surtout, il empoisonne la démocratie et contamine la délibération collective. Il est affligeant de constater que les dispositifs législatifs sont mobilisés et instrumentalisés pour faciliter l’avancement du privé à marche forcée. Il est encore plus inquiétant de constater jusqu’à quel point une partie trop importante des élus locaux se laissent séduire par des rôles de figurants dans des opérations qui ne laissent que des miettes en regard des profits générés et des risques placés à la charge non seulement des contribuables locaux, mais également des générations futures qui devront longtemps composer avec les cicatrices du paysage, avec les nuisances chroniques et les frais de restauration des sites quand cela sera requis.
Il ne faut pas se laisser abuser, les promoteurs ne sont pas là pour servir l’intérêt public. Ils sont là pour le profit et les manœuvres qu’ils déploient ne tiennent pas seulement de la seule réclame commerciale. Le développement éolien en cours sous pavillon privé ne servira qu’à accroître leur puissance et leur capacité de peser sur les choix collectifs. Qui voudrait croire que les appétits s’arrêteraient devant les conséquences refusées ou déplorées par les collectivités qui subiront les choix dictés par la logique du profit ? Les moyens qu’ils déploient d’ores et déjà à grands coups de campagnes de relations publiques et de manœuvres intellectuelles douteuses ne sont qu’un avant-goût. Ceux et celles qui ont connu l’époque de la Shawinigan Water and Power s’en souviendront. Les autres ont tout intérêt à fréquenter les livres d’histoire. La multiplication des projets découpe sur le territoire une véritable mosaïque de fiefs énergétiques qui sont et seront autant d’enclaves où la volonté publique sera contenue, voire entravée.
Il est plus qu’inquiétant de voir que rien n’est laissé au hasard du côté législatif et réglementaire pour aplanir les voies du profit. Le gouvernement de la CAQ se déshonore avec le projet de loi 69, comme il s’est déshonoré avec la loi 57. L’affairisme éhonté produit des effets toxiques sur la démocratie et sur la confiance dans les institutions. C’est très grave et il n’est pas certain que tous les élus réalisent pleinement jusqu’à quel point leurs approches de partisanerie et leur suivisme idéologique entachent d’ores et déjà non seulement la dignité de leur fonction, mais aussi l’héritage qu’ils laisseront. On comprend bien qu’ils soient tentés de vendre leurs droits d’appartenance pour un plat de redevances insignifiantes. Les finances municipales sont mal en point et les promoteurs savent profiter de cette indigence : ils offrent des miettes aux affamés et leur tiennent des spectacles et discours pour leur faire croire que cela leur suffira pour se croire au banquet !
Les enjeux de financement et les débats sur les redevances – quand ils sont pertinents et justifiés – doivent se tenir dans le cadre institutionnel et non pas dans les plans d’affaires. La rente produite sous l’égide d’Hydro-Québec pourrait très bien être partagée sans que les collectivités locales aient à s’endetter et sans laisser les entreprises privées piger à deux mains dans l’assiette au beurre. Se tourner vers le privé c’est renoncer à la puissance de nos institutions. C’est tourner le dos à ce qui a fait du Québec ce qu’il est. Y consentir comme cela est en train de se passer à Québec et dans les régions c’est trahir un héritage et refuser de se faire confiance pour avancer en misant sur ce qui nous a réussi.
La mobilisation citoyenne ne révèle pas seulement une volonté farouche de faire valoir une vision de l’intérêt général. Elle révèle tout autant – et c’est désolant – jusqu’à quel point l’alliance des promoteurs et des élus sème le doute sur les processus démocratiques, suscitant non seulement la méfiance à l’égard des institutions mais aussi le décrochage civique.
Le refus de tenir un débat ouvert, la manipulation des règles de procédures quand ce n’est pas tout simplement le choix de procéder en coulisse et derrière des portes closes sont en bien des endroits soupçonnables – et assimilées par d’aucuns v à une forme de collusion qui devrait inquiéter au plus haut point les membres et dirigeants des grandes unions municipales. Le développement forcé n’est pas du développement. Il y a déjà trop de signes de désaffection à l’égard de la chose publique pour continuer dans le climat actuel de précipitation et d’imposition du fait accompli. Il faut un débat public large et sérieux, respectueux des gens comme des faits. Et le moins qu’on puisse exiger des instances démocratiques dans les circonstances actuelles, c’est bien de tenir un BAPE générique pour que les citoyennes puissent examiner sereinement et rigoureusement la pertinence de s’engager dans les voies où les pousse l’empressement affairiste.
Le projet de loi 69 comprend des dispositions annonçant l’élaboration d’un Plan de gestion intégré des ressources énergétiques. C’est un exercice fallacieux et faussé. Il met la charrue avant les bœufs en plus de forcer à faire entrer insidieusement dans un cadre juridique dont les catégories dictent des choix et des alternatives prédéterminées. L’exercice sera nécessairement accompagné de simulacres de consultations comme c’est malheureusement devenu la marque de commerce de ce gouvernement.
De nombreux groupes de citoyens refusent de se laisser bousculer, avisés qu’ils sont des manœuvres affairistes.
Ils ont eu ces dernières années, en particulier dans le domaine environnemental, de nombreuses occasions de débusquer la désinformation, les manœuvres dilatoires et autres mesures d’intimidation. Ils ont pu mobiliser les ressources de la science, créer des alliances avec les chercheurs et combattre le fétichisme technologique qui sert à confondre croissance verte et transition écologique. Et ils ont remporté de nombreuses victoires dont tous les Québécois bénéficient aujourd’hui. Qu’il suffise d’évoquer la centrale du Suroît ou le délire du gaz de schiste ou celui de Rabaska. Ces batailles ont illustré la puissance du sentiment d’appartenance, l’attachement à la préservation du milieu, aussi bien social qu’écologique, et, surtout, elles font la preuve d’une intelligence collective et de la sagesse délibérative populaire. C’est la richesse que craignent les promoteurs et les affairistes trop confortablement assis dans les fauteuils de l’Assemblée nationale ou des conseils municipaux. La tempête qui se lève va faire tomber bien des alibis, elle va emporter le veau d’or devant lequel se prosternent ceux et celles qui préfèrent renoncer à bâtir.
Le pays du Québec est loin d’être achevé et sa construction ne saurait être laissée aux tenants du développement exogène, aux partisans d’une intégration continentale et de la soumission aux puissances financières. Les luttes qui se déploient de plus en plus vives et dans de plus en plus de points du territoire ne sont pas seulement des combats contre des élites prêtes, dans de trop nombreuses occasions, à s’abaisser jusqu’au reniement. Elles sont aussi et surtout une manifestation extrêmement stimulante de la volonté de ne pas se laisser faire. Aux vendeurs de vent les hommes et les femmes de tous les coins de ce pays opposent une farouche volonté de vivre.
Et de vivre en se faisant confiance.

Mai-Juin 2025
En couverture
Louis-Pierre Bougie
L’arbre à vent
Éditorial
Récolter la tempête
– Robert Laplante
Dossier – Repenser l’éolien
Le dossier de l’éolien, c’est plus que du vent à mettre en marché. …



